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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 31 mars 1992, n° 92-6609

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fédération Française de Football

Défendeur :

La Cinq (SA), Lafont (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

Mlle Aubert, M. Guérin

Avoués :

SCP d'Auriac Guizard, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Apietto, Parléani.

CA Paris n° 92-6609

31 mars 1992

LA COUR est saisie de l'appel formé à jour fixe par la Fédération Française de Football (FFF) contre une ordonnance de référé rendue le 27 mars 1992 par le président du tribunal de grande instance de Paris qui a ordonné à ladite fédération de ne pas faire obstacle à la retransmission par La Cinq de la rencontre de football Milan AC / Juventus de Turin le 31 mars 1992 à 20 heures 30 et a constaté que la décision ne pouvait concerner deux autres matchs visés dans la demande introductive de l'instance en référé ;

Référence faite à la décision dont appel pour l'exposé des faits, de la procédure initiale et des motifs retenus par les premiers juges, seront rappelés les éléments suivants nécessaires à la solution du litige :

La société La Cinq a acquis le 16 mars 1992 les droits de rediffusion en France des matchs de football de demi-finale de la Coupe d'Italie dont la rencontre Milan AC contre Juventus de Turin prévue pour le 31 mars 1992.

Le même jour, elle a fait part à la FFF de son intention de diffuser ce match le 31 mars à partir de 20 heures 30, avant que, conformément à l'article 14 des statuts de l'Union Européenne de Football (UEFA), la Fédération Italienne de Football formalise cette demande le 17 mars suivant auprès de son homologue française.

Toutefois, le lendemain, la Fédération française a fait savoir à la Fédération italienne "qu'en raison du fait, entre autres matchs, des rencontres de championnat le 31 mars, elle ne pouvait donner son accord".

Estimant que cette décision est manifestement illicite et lui cause un dommage imminent, la société La Cinq a saisi en référé le président du Tribunal de grande instance de Paris d'une demande tendant à être autorisée à diffuser la rencontre du 31 mars mais encore deux autres matchs de la Coupe d'Italie prévus pour les 14 et 30 avril dont elle a également acquis les droits.

Au soutien de son appel la FFF prie, à titre principal, la Cour de se déclarer incompétente :

- au profit des juridictions de l'ordre administratif, selon elle, seules compétentes pour apprécier la validité d'un acte pris dans le cadre des missions de service public dont elle est chargée par application de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984, notamment pour développer et organiser la pratique des activités physiques et sportives et de constater qu'à tout le moins il existe sur cette question une contestation sérieuse faisant obstacle aux pouvoirs du juge des référés ;

- au profit "des juridictions instituées par l'ordonnance du 1er décembre 1986" qu'elle prétend exclusivement habilitées à mettre en œuvre les mesures conservatoires ordonnées par l'arrêt de la Cour, section concurrence, du 10 février 1992, et à tout le moins de constater l'existence d'une contestation sérieuse sur ce point faisant obstacle aux pouvoirs du juge des référés;

A titre subsidiaire, la Fédération soutient :

- que son refus d'autorisation de retransmission du match du 31 mars est justifié ;

- que sont irrecevables les demandes concernant les autres matchs qui n'ont fait l'objet d'aucune démarche de la Fédération italienne.

Reprenant intégralement les demandes présentées en première instance, la société La Cinq soutient en cause d'appel :

- que la cour d'appel de Paris a, aux termes d'un arrêt du 10 février 1992, fait injonction à la fédération en cause de cesser toute pratique de refus systématique et a priori des autorisations de diffusion de rencontres sollicitées au bénéfice de La Cinq, conformément à l'article 14 des statuts de l'union des Associations Européennes de Football, par des associations et clubs qui en détiennent les droits, et lui a ordonné d'énoncer dans un délai d'un mois les conditions générales dans lesquelles elle est en mesure d'accorder lesdites autorisations ;

- qu'en application de cette injonction, la Fédération a déposé le 10 mars 1992 un mémoire dont les conditions ne lui permettent pas de refuser l'autorisation de diffusion des matchs litigieux mais, qu'ultérieurement, le 16 mars suivant, elle a produit, hors délai, des conditions complémentaires visant à créer artificiellement la justification d'un refus;

- que, tel qu'il a été relevé et qualifié par la décision dont appel, un tel comportement caractéristique d'un abus et d'une volonté de nuire constitue un trouble manifestement illicite justifiant que soit ordonnée la mesure sollicitée, propre selon elle, à faire cesser le dommage imminent auquel elle se dit exposée par le refus qui lui est opposé.

Pour un exposé plus complet des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures échangées devant la Cour, étant indiqué que chacune sollicite l'application à son profit de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que si la FFF, association constituée conformément à la loi du 1er juillet 1901, participe en application de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984, relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, à l'exécution d'une mission de service public, les actes et décisions pris pour l'accomplissement de cette mission ne ressortissent à la compétence de la juridiction administrative que pour autant qu'ils constituent l'exercice d'une prérogative de puissance publique;

Qu'il n'en est toutefois pas ainsi des autorisations qu'elle donne conformément à l'article 14 des statuts de l'UEFA pour l'exécution des conventions de cession à titre onéreux de droits privés passées par des clubs, fédérations ou tout autres titulaires de droits avec des chaînes de télévision pour la retransmission en France de matchs de football;

Considérant que les pouvoirs conférés au Conseil de la concurrence par application des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne peuvent faire obstacle à la compétence de droit commun du juge des référés dans les conditions prévues par les articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que seule la rencontre Milan AC contre Juventus prévue pour le 31 mars 1992 a fait l'objet d'une demande conformément à la procédure prévue par les statuts de l'UEFA; que c'est par conséquent à bon droit que le premier juge a écarté toutes mesures relatives à la retransmission d'autres matchs ;

Considérant que La Cinq a régulièrement acquis les droits de retransmission de l'événement sportif susvisé ;

Considérant que la FFF n'apporte aucune justification des raisons invoquées dans la lettre adressée le 18 mars 1992 à la Fédération italienne pour s'opposer à sa retransmission ;

Qu'en effet l'existence d'une seule rencontre du championnat de France de football, décalée dans le calendrier et disputée hors les jours habituels, sans être retransmise sur le réseau hertzien de télévision, ne peut être invoquée à cet égard, alors que la correspondance susvisée fait état d'une pluralité de matchs ;

Qu'il n'est par ailleurs apporté aucune preuve d'un risque de saturation de la diffusion d'événements sportifs de même nature durant la période considérée ;

Qu'en de telles circonstances le refus de la Fédération est à l'évidence abusif et constitue un trouble manifestement illicite au libre exercice de la faculté de retransmettre une rencontre sportive dont les droits ont été régulièrement acquis ;

Considérant que, sans qu'il y ait lieu de se référer aux mémoires produits par la FFF devant le Conseil de la concurrence, il doit être satisfait à la mesure sollicitée telle qu'ordonnée par le premier juge dont la décision sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions ;

Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs, confirme l'ordonnance dont appel, rejette toutes autres demandes, y ajoutant, condamne la Fédération Française de Football à payer à La Cinq une somme de 10.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne aux dépens.