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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 5 décembre 1991, n° ECOC9110168X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des opticiens français indépendants, Fédération des mutuelles de fonctionnaires et agents de l'Etat du Pas-de-Calais, Fédération mutualiste interdépartementale de la région parisienne, Caisse chirurgico-médicale de la mutualité vosgienne, Union des sociétés mutualistes de la Dordogne, Union des sociétés mutualistes de la Drôme, Groupement régional mutualiste de Saône-et-Loire, Union départementale des sociétés mutualistes de l'Allier, Union mutualiste du Haut-Rhin, Section du Haut-Rhin de la Fédération nationale des mutuelles de fonctionnaires et agents de l'Etat, Caisse chirurgicale mutualiste de l'Isère et des Hautes-Alpes, Section de l'Isère de la Fédération nationale des mutuelles de fonctionnaires et agents de l'Etat, Mutuelle de l'artisanat, du commerce et de l'industrie, Le Pansement Johnson and Johnson (SA), Mutuelle des salariés des Alpes, Mutuelle de la police nationale région Rhône-Alpes-Auvergne, Mutuelle d'entreprises et Merlin-Gerin, Association pour le tiers-payant pour les opticiens, Caisse interprofessionnelle paritaire de prévoyance des Alpes, Caisse médico-chirurgicale du Sud-Est, Chambre syndicale des opticiens de la région Nord, Chambre syndicale des opticiens de l'Ile-de-France, Chambre syndicale des opticiens-lunetiers détaillants du Sud-Ouest, Chambre syndicale des opticiens de la région Rhône-Alpes, Chambre syndicale des opticiens de Bourgogne - Franche-Comté - Nivernais, Chambre syndicale des opticiens du Centre, Chambre syndicale des opticiens du Nord-Est, Caisse de prévoyance des cadres de l'Est, Caisse mutuelle complémentaire et d'action sociale du personnel des industries électriques et gazières de Grenoble

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Gourlet, Canivet

Conseillers :

Mme Mandel, MM. Bargue, Betch

Avoués :

SCP Dauthy-Naboudet, SCP Verdun-Gastou, SCP Garrobos Alizard

Avocats :

SCP Saul-Guilbert Prandini, Mes Gargill, Connault, Mauvarin, Delrue

CA Paris n° ECOC9110168X

5 décembre 1991

Le Syndicat des Opticiens Français Indépendants (SOFI) a dénoncé au Conseil de la concurrence le régime dont bénéficient les mutuelles sur le marché de l'optique, le comportement anticoncurrentiel de nombre d'entre elles (en particulier la société de secours minière du Haut-Rhin) et la situation résultant de l'application de 21 conventions conclues entre les organismes fournissant des prestations complémentaires à l'assurance maladie et des groupements d'opticiens.

Le ministre chargé de l'économie a pour sa part saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de l'Association pour le tiers payant (ATPO) de Grenoble et de certains organismes fournissant des prestations complémentaires, en visant 8 conventions.

Par décision n° 91-D-04 du 29 janvier 1991 le Conseil de la concurrence après avoir notamment :

- constaté que les pratiques dénoncées à l'encontre de la société de secours minière du Haut-Rhin n'entraient pas dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986,

- retenu que les mutuelles étaient soumises aux règles du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dès lors que leurs pratiques étaient de nature à avoir une incidence sur le marché,

- analysé les stipulations de 23 conventions passées entre groupements d'opticiens et organismes de remboursement, intéressant le marché de la garantie complémentaire à l'assurance maladie et celui de l'optique-lunetterie,

a :

1°) enjoint aux signataires de quinze conventions d'abroger, dans un délai de quatre mois à compter de la signification de sa décision, les stipulations comportant :

a) l'interdiction faite aux opticiens-lunetiers soit de contracter avec d'autres sociétés mutualistes ou d'autres organismes de remboursement complémentaire, soit de conclure une convention comportant des dispositions plus favorables sans en faire bénéficier les adhérents de l'organisme cocontractant (trois conventions),

b) l'interdiction faite aux organismes de remboursement de signer d'autres conventions avec des opticiens-lunetiers n'appartenant pas aux groupements signataires (treize conventions),

c) la fixation d'un taux de remise n'ayant pas le caractère d'un minimum (douze conventions),

d) l'établissement d'un barème de prix (une convention)

e) l'interdiction aux mutuelles de créer des centres d'optique (quatre conventions) ;

2°) infligé des sanctions pécuniaires à vingt-cinq signataires de conventions ;

3°) ordonné la publication de sa décision :

- en son texte intégral, dans les périodiques " La Revue de la Mutualité " et " L'Opticien-lunetier et l'optique française " aux frais communs de sept chambres syndicales d'opticiens, du SOFI et de l'ATPO de Grenoble,

- de sa partie II dans " Le Figaro " et " Le Monde " aux frais commun d'organismes mutualistes et de prévoyance.

Ont formé un recours principal contre cette décision :

1. le SOFI,

2. La Fédération des mutuelles de fonctionnaires et agents de l'Etat du Pas-de-Calais, la Fédération mutualiste interdépartementale de la région parisienne, la Caisse chirurgico-médicale de la mutualité vosgienne, l'Union des sociétés mutualistes de la Dordogne, l'Union des sociétés mutualistes de la Drôme, le Groupement régional mutualiste de Saône-et-Loire, l'Union départementale des sociétés mutualistes de l'Allier, l'Union mutualiste du Haut-Rhin, les sections du Haut-Rhin et de l'Isère de la Fédération nationale des mutuelles de fonctionnaires et agents de l'Etat, la Caisse chirugicale mutualiste de l'Isère et des Hautes-Alpes, la Mutuelle de l'artisanat du commerce et de l'industrie, la société mutualiste " Le Pansement " Johnson and Johnson SA, la Mutuelle des salariés des Alpes (ex-Somusi), la Mutuelle de la police nationale région Rhône Alpes Auvergne et la Mutuelle d'entreprises et Merlin-Gérin

(ci-après dénommés les Mutuelles).

La Caisse mutuelle compléméntaire et d'action sociale du personnel des industries électriques et gazières de Grenoble (CAS) a formé un recours incident.

Par ordonnance du 10 avril 1991, le délégué du premier président a mis en cause d'office onze groupements professionnels d'opticiens et organismes de prévoyance dont les droits et charges risquaient d'être affectés par le recours ; seules l'ATPO et la Caisse interprofessionnelle paritaire de prévoyance des Alpes (CIPRA-P) ont présenté des observations.

Le SOFI rappelle qu'il a dénoncé le comportement des mutuelles et de leurs centres d'optique qui, bénéficiant d'un traitement fiscal privilégié, s'adressent tant à leurs adhérents qu'à l'ensemble de la population, ont recours à la publicité et au paracommercialisme, pratiquent des remises différenciées et créent une discrimination entre les opticiens conventionnés et les autres opticiens.

Il reproche tant au rapporteur qu'au Conseil de ne s'être intéressés ni à la distorsion économique qui en résulte, ni à ses conséquences sur l'imputabilité de pratiques anticoncurrentielles constatées sur le marché de l'optique-lunetterie, alors que, fortes de leurs 28 millions d'adhérents, les mutuelles ont une position dominante qui leur permet d'imposer aux opticiens la signature de conventions pré-établies par lesquelles :

- elles obtiennent des réductions de prix au bénéfice de leurs adhérents et ainsi la limitation du montant ou remboursement complémentaire, - elles réalisent une étude grandeur nature sur l'opportunité d'ouvrir un centre d'optique mutualiste.

S'agissant des clauses des conventions considérées comme anticoncurrentielles, il fait valoir :

a) sur l'exclusivité réservée à un organisme de remboursement, que sa présence est imposée par les mutuelles ;

b) sur l'exclusivité ou la maîtrise des conditions d'adhésion au régime conventionnel réservée à un groupe d'opticiens : que le SOFI et ses sections régionales ne peuvent s'engager que pour leurs adhérents et n'ont pas la maîtrise du conventionnement d'opticiens non syndiqués ou adhérents à un autre syndicat ; qu'une pareille clause ne peut restreindre l'accès de ceux-ci à la convention ;

c) sur l'impossibilité de pratiquer des réductions de prix supplémentaires : que le taux de remise est considéré par tous comme un taux minimum consenti par les opticiens pour tenir compte du pouvoir de négociation des mutuelles, non comme un taux maximum ; que de toutes façons le mode de calcul n'influe en rien sur la fixation de prix à l'origine différents et ne peut aboutir à une uniformisation des prix ;

d) sur l'interdiction de créer des centres d'optique mutualistes ou sur la limitation de leurs activités que cette clause est imposée par les mutuelles lorsqu'il n'est pas pour elles opportun d'ouvrir un centre et qu'elles doivent en supporter seules la responsabilité.

Sur les sanctions infligées, il reproche au Conseil :

a) de n'avoir fourni aucun élément comptable permettant d'expliquer et d'apprécier leur quantum,

b) d'avoir violé le principe de la proportionnalité des sanctions aux ressources et à l'étendue de l'infranction prétendue :

- elles ont été prononcées au titre de deux conventions (n° 10 et 11 bis) signée dans le Haut-Rhin par la Chambre syndicale des opticiens du Nord-Est (CSONE : 27 adhérents) et SOFI (7 adhérents) avec, d'une part, l'Union mutualiste du Haut-Rhin, UMHR, d'autre part la Mutualité de la fonction publique du Haut-Rhin MFP, la CSONE signant également une troisième convention avec la CARPRECA (n° 12),

or, la CSONE a été condamnée à 70 000 F, l'UMHR à 40 000 F, la MFP à 80 000 F, le SOFI à 100 000 F.

Le SOFI prie la Cour de réformer la décision entreprise et :

- de dire que, si des pratiques anticoncurrentielles découlent des conventions, seules les mutuelles peuvent en être tenues responsables à l'exception du groupement d'opticiens signataire, aucune sanction ne pouvant être prononcée contre lui,

- de dire que les centres d'optique mutualistes sont en position de domination économique sur des marchés géographiquement limités où ils sont en mesure de faire disparaître la concurrence effective des opticiens indépendants,

- subsidiairement, si des sanctions devaient être prononcées, de fournir tous éléments comptables permettant de justifier de leur quantum,

- très subsidiairement de l'admettre au bénéfice de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Les Mutuelles font valoir :

1°) que l'assimilation du remboursement complémentaire des dépenses de santé à un marché commercial est en totale contradiction avec l'esprit du système mutualiste et avec les principes d'organisation et de fonctionnement d'une mutuelle, organisme à but non lucratif ; qu'ainsi les prestations offertes par les organismes relevant du code de la mutualité n'entrent pas dans le cadre de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

2°) subsidiairement que les clauses retenues par le Conseil ne peuvent être analysées comme anticoncurrentielles :

a) l'interdiction faite par certaines unions à leurs sociétés affiliées de négocier des conventions à leur titre individuel : la délégation de pouvoirs consentie par un groupement mutualiste à son union ou fédération pour mener une négociation collective avec les opticiens ne limite pas l'accès d'un organisme de remboursement au régime conventionnel, l'article L. 123-1 du Code de la mutualité posant en outre le principe de l'autonomie de gestion des mutuelles qui peuvent reprendre leur indépendance quand elles le souhaitent ;

les clauses revendiquant pour les adhérents de la mutuelle contractante les dispositions plus favorables accordées ultérieurement par les opticiens à d'autres organismes aboutissent au profit du plus grand nombre possible de bénéficiaires ;

b) l'interdiction de signer des conventions avec des opticiens non syndiqués ou n'autorisant leur accès qu'aux professionnels appartenant au groupement signataire n'est imputable qu'aux opticiens eux-mêmes ; d'ailleurs, un seul cas concret a été établi à l'issue de l'instruction ;

c) s'agissant du taux de la remise, il n'est pas interdit aux opticiens qui restent libres de leur prix de vente de pratiquer des réductions supplémentaires ;

d) l'abstention de créer des centres d'optique ne pouvait être sanctionnée que dans la mesure où aurait été démontrée la renonciation de certaines mutuelles du fait de l'existence d'une telle clause ; or non seulement cette preuve n'est pas rapportée, mais il est constant que la clause n'a pas été respectée (Fédération mutualiste de la région parisienne) ;

3°) sur l'application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que les clauses litigieuses ont contribué à un progrès économique qui n'aurait pu être atteint en leur absence puisqu'elles étaient la contrepartie nécessaire à leur signature ;

4°) sur les sanctions, qu'il y a lieu si elles sont maintenues de les modérer en raison du peu de gravité des infractions (les clauses ne comportent qu'en germe d'effet anticoncurrentiel), de leur durée (valable selon chaque convention), de leurs conséquences économiques très limitées sur le marché de l'optique, de la bonne foi des mutuelles (certaines avaient soumis leur projet à l'administration départementale pour avis, certaines ont dénoncé les conventions en cours d'instruction), de la vocation sociale et du but non lucratif de celles-ci,

- sur les publications, qu'il y aurait lieu si elles devaient être maintenues de les ordonner dans deux revues mutualistes d'audience nationale.

Les organismes requérants ont ensuite présenté les arguments qui leur sont propres.

Le CAS de Grenoble soutient, sur les griefs retenus contre lui, que :

a) la restriction de l'accès des opticiens au bénéfice du régime conventionnel doit être replacée dans une période transitoire,

b) le taux de remise de 10 % est acquis d'une pratique constante et reste distinct d'une fixation des prix.

Il prie la Cour de rejeter ces griefs, de débouter le SOFI de son recours et de le condamner à lui payer 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

L'ATPO a formulé des observations sur les trois griefs retenus contre elle et sur les finalités de son action.

La CIPRA-P s'en rapporte à la décision de la Cour.

Le ministre chargé de l'économie a développé son argumentation et estime que le Conseil de la concurrence s'est prononcé à bon droit.

Le Conseil de la concurrence a présenté des observations écrites.

Le ministère public a conclu au rejet des recours.

Le SOFI et les Mutuelles ont repliqué ; celles-ci ont encore présenté un mémoire additionnel à leur réplique le 18 octobre 1991, en ouverture d'audience.

L'Union nationale des syndicats d'opticiens de France (UNSOF) qui regroupe sept chambres syndicales mises en cause d'office a déposé des observations en réplique au SOFI le 15 octobre 1991.

CELA EXPOSE,

I. Sur la procédure :

A. considérant que l'article 8 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 prévoit que le premier président de la cour d'appel ou son délégué fixe les délais dans lesquels les parties à l'instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour,

Que le conseiller délégué a par ordonnance du 3 juillet 1991 fixé au 23 septembre 1991 la date limite à laquelle les mémoires en réplique pourraient être déposés au greffe de la cour,

Que dès lors sont tardifs et doivent être rejetés des débats :

- la lettre de l'UNSOF déposée le 15 octobre 1991

- la mémoire en réplique additionnel des Mutuelles déposé le 18 octobre 1991 ;

B. Considérant que l'article 2 du décret précité prévoit qu'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office le demandeur doit déposer au greffe l'exposé des moyens invoqués lorsque la déclaration de recours ne le contient pas, ce dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du Conseil de la concurrence,

Que la Mutuelle de la police nationale région Rhône-Alpes-Auvergne, à qui il a été fait injonction d'abroger dans une convention (n° 23 selon la numérotation du Conseil) une clause comportant l'établissement d'un barème de prix, dont la participation aux frais de publication de la partie II de la décision entreprise a été ordonnée, ne présente aucun moyen au soutien de son recours,

Que celui-ci sera déclaré irrecevable ;

II. Sur les marchés en cause :

Considérant qu'à la suite d'une analyse économique motivée et précise, au demeurant non contestée, à laquelle la Cour se rallie, le Conseil de la concurrence a retenu que les pratiques dont il était saisi intéressaient à la fois le marché de la distribution des produits d'optique et celui du remboursement complémentaire à l'assurance maladie ;

III. Sur l'application aux sociétés mutualistes de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 :

Considérant que les règles définies par l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'appliquent, comme il est dit à son article 53, à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques,

Que les organismes mutualistes sont des acteurs économiques tant sur le marché du remboursement complémentaire à l'assurance maladie, où elles offrent leurs prestations aux consommateurs en même temps que des organismes de prévoyance et des sociétés d'assurances, que sur celui de la fourniture des produits d'optique où interviennent leurs centres d'optique,

Que le régime juridique des sociétés mutualistes comme le caractère statutairement non commercial ou non lucratif de leur activité ne sont pas de nature à les exclure du champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et notamment de ses articles 7 et 8 lorsque ces sociétés sont mises en cause à l'occasion de l'incidence de leur comportement sur un marché, comme tel est le cas en l'espèce ;

IV. Sur le grief de domination économique des Mutuelles dénoncé par le SOFI :

Considérant que le SOFI ne critique pas et même se prévaut des chiffres avancés par le ministre chargé de l'économie qui indique que les centres d'optique mutualistes représentent moins de 5 % des points de vente et, pour les ventes, moins de 12,5 % en volume et de 9,5 % en valeur, - une paire de lunettes sur huit étant achetée dans un centre mutualiste alors qu'un français sur deux est mutualiste,

Que cette place occupée sur le marché intérieur de l'optique-lunetterie ne caractérise en rien une situation de nature à placer les mutuelles, par l'intermédiaire de leurs centres d'optique, dans une position leur donnant pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective de la part des opticiens exerçant à titre libéral,

Que, par ailleurs, les centres d'optique mutualistes ne constituent pas une entité mais relèvent de quelques unes des 6 000 mutuelles indépendantes (regroupées majoritairement en deux fédérations) qui se trouvent face à quelques uns des 5 700 opticiens privés (dont plus de la moitié regroupés dans les deux organisations syndicales les plus représentatives, UNSOF et SOFI) ; qu'il est donc vain, faute de précision complémentaire, d'exciper d'une domination " des mutuelles ",

Qu'existerait-il une position dominante d'une des mutuelles sur un lieu géographiquement délimité et à supposer que puisse être défini un marché local, force est de constater que le Conseil de la concurrence n'a pas été appelé par le SOFI à se prononcer sur l'existence d'une telle position ou d'un tel marché, sauf en ce qui concerne le Haut-Rhin où le Conseil a estimé que n'existait aucune position dominante sans que le SOFI présente aujourd'hui un moyen à l'encontre de ce chef de décision,

Qu'au surplus, c'est à bon droit que le Conseil a reconnu qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur l'application du code de la mutualité, du code de la sécurité sociale, de l'article 37 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni sur des agissements prétendus constitutifs de concurrence déloyale,

Que le recours du SOFI sera sur ce point rejeté ;

V. Sur les clauses des conventions qualifiées d'anticoncurrentielles par le Conseil :

Considérant que les requérants défèrent à la Cour quatre des cinq clauses regardées par le Conseil comme contenant des stipulations anticoncurrentielles,

Que doivent dès l'abord être rejetés comme inopérants les arguments selon lesquels :

- telle ou telle clause aurait été imposée par un cocontractant à l'autre ou n'aurait été introduite qu'à l'initiative et au bénéfice d'un seul cocontractant puisque, d'une part, il n'est pas établi qu'une des parties contractantes était lors de la signature des conventions litigieuses en position dominante vis-à-vis de l'autre et que, d'autre part, chaque convention forme un tout librement accepté par les signataires,

- aucun effet anticoncurrentiel n'aurait été démontré, puisque sont prohibées les conventions ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou fausser sur un marché le jeu de la concurrence ;

Considérant que :

1. a)l'interdiction faite par une union à ses sociétés affiliées de négocier des conventions à titre individuel n'intéresse que la convention passée entre l'Union des sociétés mutualistes de la Drôme (n'ayant été mise à sa charge qu'une participation aux frais de publication) et la chambre syndicale des opticiens de la région Rhône-Alpes ; une telle stipulation a pour objet et peut avoir pour effet de limiter la liberté contractuelle des sociétés membres de l'Union et d'empêcher toute concurrence entre elles sur le marché de la garantie complémentaire ; contraire aux dispositions du Code de la mutualité prévoyant l'autonomie de gestion des mutuelles, elle oblige la mutuelle qui voudrait passer outre à reprendre son indépendance et lui impose ainsi une contrainte dissuasive ; la clause qui la contient est dès lors prohibée ;

b)l'interdiction consentie par les mutuelles de signer d'autres conventions avec des opticiens qui n'appartiennent pas aux groupements d'opticiens signataires, ou la restriction d'adhésion aux seuls professionnels appartenant à ces groupement confèrent aux opticiens adhérents au syndicat ou groupement signataire un avantage exclusif et permanent sur le marché de l'optique-lunetterie ; à ce titre, l'objet est anticoncurrentiel, avec une possibilité d'effet ; de telles clauses sont prohibées ;

Le SOFI soutient qu'il n'avait pas la maîtrise du conventionnement d'opticiens indépendants non syndiqués et cite l'article 13 de la convention du 30 mars 1982 passée avec l'Union mutualiste du Haut-Rhin qui prévoit qu'elle reste ouverte aux opticiens de ce département qui voudraient y adhérer après son entrée en vigueur,

Mais le second alinéa de cet article dispose que " ces nouveaux adhérents s'engageront, par écrit, à en observer toutes les clauses auprès des opticiens responsables des syndicats signataires et auprès de l'Union mutualiste du Haut-Rhin " : la restriction à l'accès à l'adhésion par la soumission aux conditions aménagées entre le syndicat et la mutuelle procure au syndicat l'avantage ci-dessus analysé comme anticoncurrentiel ;

Le CAS de Grenoble a été signataire de la convention (numérotée 15 par le Conseil) qui renferme une clause prohibée et ne peut s'exonérer des conséquences d'une possibilité d'effet anticoncurrentiel en arguant de son comportement effectif ou de l'existence d'une période transitoire ;

2.l'interdiction faite aux opticiens-lunetiers signataires de contracter avec d'autres mutuelles ou organismes, ou de conclure toute convention comportant des dispositions plus favorables sans en faire bénéficier les adhérents du cocontractant protègent les fédérations et unions mutualistes signataires, sur le marché de la garantie complémentaire, d'une éventuelle concurrence d'autres unions et fédérations : ayant un objet ou pouvant avoir un effet anticoncurrentiels, elle rend prohibée la clause qui la contient ;

3.la fixation du taux de la remise acceptée par un opticien (10 % sur le montant restant à la charge des assurés sociaux après déduction des prestations de sécurité sociale), sans que soit précisé qu'il s'agit d'un minimum, incite naturellement à limiter l'avantage consenti, même s'il est établi que certains opticiens ont effectué des remises plus élevées, notamment à l'occasion d'opérations promotionnelles ;

4.l'interdiction faite aux mutuelles de créer de nouveaux centres d'optique en contrepartie des avantages donnés par les opticiens a pour objet et peut avoir pour effet de limiter l'accès au marché de l'optique-lunetterie ; l'argumentation des mutuelles selon laquelle elle n'aurait pas été respectée ne peut être reçu, l'introduction d'une telle clause dans les conventions étant supposées avoir un sens ;

Considérant, en définitive, que le Conseil de la concurrence ne peut être qu'approuvé d'avoir dit que ces clauses des conventions examinées tombaient sous le coup des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 modifiée et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

VI. Sur la contribution prétendue au progrès économique :

Considérant que c'est par des motifs appropriés que la Cour adopte que le Conseil de la concurrence a estimé n'y avoir lieu à faire application des dispositions des articles 51 et 10-2 des ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 ;

VII. Sur les injonctions, sanctions pécuniaires et mesures de publication :

Considérant que sont justifiées les injonctions destinées à faire disparaître des conventions les clauses anticoncurrentielles qu'elles contiennent ;

Considérant que le Conseil de la concurrence a pertinemment apprécié la nature et le nombre des organes de presse devant servir de supports à la publication en vue d'éviter la persistance ou la réintégration de pratiques illicites ;

Considérant, sur les sanctions pécuniaires, que le Conseil de la concurrence a expressément tenu compte du comportement des signataires des conventions incriminées et qu'il a énuméré celles d'entre elles qui avait été résiliées avant ou dans le courant de l'instruction,

Que les sanctions pécuniaires infligées restent, en tenant compte des frais de publication, des plus modestes en leur montant, compte ayant été ainsi tenu à la fois du nombre et de l'importance des pratiques prohibées, de leur impact sur l'économie, de leur durée et, s'agissant des mutuelles, de leur vocation sociale,

Qu'en ce qui concerne plus particulièrement la Mutuelle le Pansement du personnel des Ets Johnson-Johnson sur laquelle est appelée l'attention de la Cour, la sanction de 10.000 F qui correspond à environ 10 jours de cotisations (elle a perçu 447.000 F à ce titre en 1988) n'est nullement excessive,

Que la circonstance que la Caisse chirurgico-médicale de la mutualité vosgienne a soumis un projet de convention au service départemental de la concurrence et des prix ne peut être regardée comme atténuante alors que, dans sa réponse, l'administration la mettait en garde contre la stipulation concernant la remise de 10 % consentie par les opticiens, laquelle, reconduisant des avantages antérieurs, était susceptible d'avoir un effet néfaste pour les non-mutualistes,

Que, s'agissant du SOFI, celui-ci a été recherché en tant que syndicat national et que son argumentation chiffrée, qui ne prend pas en compte que sa section du Haut-Rhin, est inopérante,

Que toutefois, les pratiques retenues à son encontre sont les mêmes que celles pour lesquelles la Chambre syndicale (de l'UNSOF) des opticiens du Nord-Est, qui avait de surcroît signé une troisième convention incriminée, a subi une sanction de 70.000 F,

Que la différence dans l'organisation interne des deux syndicats nationaux majoritaires ne peut conduire, s'agissant de faits de même gravité, à appliquer au SOFI une sanction plus sévère et que celle-ci sera réduite à 70.000 F (représentant 175 F par adhérent et 1 mois 12 jours de ses cotisations annuelles) ;

Considérant qu'il ne répond pas à l'équité d'accueillir la demande du CAS de Grenoble présentée au titre de l'article 700 du NCPC

Par ces motifs : LA COUR, Rejette des débats comme produits tardivement : la lettre de l'UNSOF déposée le 15 octobre 1991, le mémoire en réplique additionnel des Mutuelles déposé le 18 octobre 1991 ; Déclare la Mutuelle de la police nationale région Rhône-Alpes-Auvergne irrecevable en son recours ; Rejette les autres recours, à l'exception de celui du Syndicat des Opticiens Français Indépendants qui est accueilli partiellement et dont la sanction pécuniaire est fixée à 70.000 F ; Laisse les dépens à la charge des requérants.