Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 15 avril 1992, n° ECOC9210076X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association Asséco-CFDT

Défendeur :

Delassus, Hubert, Cabrit, Cosson, Derieux (consorts), Durou, Fiquet, Grabe, Hugo, Karcenty, Laurent, Orlandini, Veyret, Lhoest, Fabre, Noury, Rinderknech, Rocques, Syndicat médical de Lot-et-Garonne, Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Borra

Conseillers :

MM. Guérin, Perie, Mmes Nérondat, Kamara

Avoué :

SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Veliot, Perolle-Grunenwald, Bihl, Alriq.

CA Paris n° ECOC9210076X

15 avril 1992

L'association Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne a formé le 27 novembre 1981 un recours contre la décision 91-D-43 du Conseil de la concurrence en date du 22 octobre 1991, qui a décidé qu'il n'était pas établi que les docteurs Cabrit, Cosson, Delassus, François Derieux, Durou, Fabre, Garbe, Hubert, Hugo, Karcenty, Laurent, Lhoest, Noury, Orlandini, Piquet, Rinderknech, Roques et Veyret, ainsi que le syndicat médical de Lot-et-Garonne, aient enfreint les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 10 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

L'association Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne a saisi le Conseil de la concurrence par lettres des 27 décembre 1988 et 23 et 31 janvier 1989 de pratiques relatives aux honoraires des chirurgiens exerçant dans les cliniques privées du département.

Elle dénonçait, notamment, le fait que ces chirurgiens auraient décidé, de façon concertée, de passer, à partir de l'année 1989, dans le secteur II du régime tarifaire des honoraires des médecins et d'appliquer les mêmes tarifs.

Le conseil, ayant constaté que l'instruction du dossier révélait que des faits semblables s'étaient produits en 1986, a estimé devoir s'en saisir puisqu'ils concernaient le fonctionnement du même marché.

Les éléments soumis à l'appréciation du conseil étaient les suivants :

La convention nationale fixant les tarifs des médecins, passée entre les organisations représentatives des praticiens et les organismes d'assurances sociales, prévoyait que les médecins qui souhaitaient passer du secteur I, dans lequel les honoraires ne peuvent dépasser les tarifs fixés par la convention, au secteur II où les honoraires, toujours établis par référence à ceux de la convention peuvent cependant faire l'objet d'un dépassement mais limité par le "tact et la mesure", pouvaient le faire à des périodes limitées entre le 1er et le 31 décembre des années 1986 et 1988.

Chaque acte chirurgical était rémunéré par l'application d'un coefficient multiplicateur à des lettres clés (KC).

Le département de Lot-et-Garonne comptait vingt chirurgiens libéraux. Au 1er janvier 1987, quatre d'entre eux exerçaient dans le secteur II. Au 1er janvier 1989, douze exerçaient dans ce même secteur.

Entre le 5 et le 15 décembre 1986, seize chirurgiens exerçant dans des cliniques privées, les docteurs Cabrit, Cosson, Delassus, François Derieux, Jean Derieux, Durou, Fabre, Garbe, Hugo, Karcenty, Laurent, Lhoest, Noury, Orlandini, Piquet et Roques ont adressé la même lettre à la caisse chirurgicale mutuelle de leur département, chacun l'informant :

" En tant que chirurgien d'exercice libéral, et en plein accord avec mes collègues du département, j'ai l'intention d'appliquer une majoration, au moins identique à celle des spécialistes de la Gironde, de mes honoraires en KC, et ce à compter du 1er janvier 1987."

Seuls quatre d'entre eux étaient effectivement en secteur II au 1er janvier 1987.

Au cours des mois d'avril, mai et juin 1988, onze chirurgiens du secteur privé, les docteurs Cabrit, Delassus, Garbe, Fabre, Karcenty, Cosson, Orlandini, Noury, Rinderknech, Laurent et Veyret ont adressé une lettre type au directeur de la mutuelle chirurgicale de Lot-et-Garonne indiquant :

" La vocation des caisses complémentaires étant d'offrir à ses adhérents la meilleure couverture possible des dépenses de soins, je tiens à vous informer des nouveaux tarifs que je compte pratiquer, largement inspirée de ceux qui existent déjà depuis plusieurs années dans certains départements voisins :

"KC à 20 F ;

Consultations de 150 à 250 F. "

Par ailleurs, le communiqué suivant a paru dans Le Petit Bleu de Lot-et-Garonne du 9 décembre 1988 et dans le journal Sud-Ouest du 12 décembre:

" La majorité des chirurgiens libéraux exerçant dans les cliniques de Lot-et-Garonne, conventionnés avec la sécurité sociale en secteur II à honoraires libres, tient à informer sa clientèle qu'à compter du 1er janvier un complément d'honoraires sera demandé pour toute intervention chirurgicale. "

Le conseil a également retenu que, selon les observations produites par quatre des chirurgiens intéressés en réponse à la notification de griefs, le syndicat médical de Lot-et-Garonne aurait, à la suite d'une réunion d'information sur le passage en secteur II, " rédigé un modèle de lettre qu'il a remis à chacun des chirurgiens " pour être adressé à la mutuelle comme suite à la demande pressante qu'elle aurait formulée.

Il a encore observé que l'ordre du jour des réunions des 12 octobre et 16 novembre 1988 du syndicat médical déjà cité comportait la question des " honoraires et rémunération des médecins, secteur II ".

Ces chirurgiens ont, à compter du 1er janvier 1989, pratiqué des honoraires de consultation compris dans la fourchette de 150 à 250 F, mais appliqué une valeur de KC inférieure à 20 F.

Le conseil a estimé, pour l'essentiel :

- que sa saisine par l'association Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne était recevable ;

- qu'aucun fait postérieur au 27 décembre 1985 n'était prescrit, puisqu'il avait été saisi le 27 décembre 1988 ;

- que l'activité professionnelle de soins médicaux constitue une activité de services au sens de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que l'envoi des lettres en 1986 et 1988 par les chirurgiens ne constituait pas, dans les circonstances de l'espèce, la preuve de l'existence d'une entente anticoncurrentielle ; qu'une pratique anticoncurrentielle ne pourrait d'ailleurs concerner que les chirurgiens d'une même spécialité.

A l'appui de son recours, l'association Asseco-CFDT soutient :

1. Que les ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 sont applicables à l'activité médicale comme à toute activité de services ;

2. Qu'il existe une entente anticoncurrentielle entre les chirurgiens de Lot-et-Garonne ;

- que le comportement parallèle est établi, principalement, par le passage simultané de plusieurs praticiens en secteur II en 1986 et 1988, par l'envoi de lettres identiques à la mutuelle faisant état d'une décision commune, par le communiqué de presse, par la revendication même de certains chirurgiens, dans leurs conclusions devant le conseil, à un endroit à l'entente sur les prix ;

- que cette action concertée a bien un but anticoncurrentiel, en l'espèce celui d'établir un tarif dans le secteur II ;

- qu'il est inexact qu'il ne puisse y avoir de concurrence qu'entre chirurgiens de même spécialité puisque tous ont une compétence identique en chirurgie générale ;

3. Que le syndicat médical de Lot-et-Garonne a initié et favorisé cette entente anticoncurrentielle:

- en convoquant les médecins de Lot-et-Garonne autour du président du syndicat des médecins de la Gironde avec l'ordre du jour portant " honoraires et rémunération des médecins, secteur II " ;

- en adressant un communiqué de presse, le 19 décembre 1988, qui vise expressément le tarif de la Gironde et se réitère au grand marché de 1993 ;

- en établissant le modèle de lettre renvoyé par les praticiens. Elle prie la cour :

- de confirmer la décision du conseil en ce qu'elle a déclaré son action recevable, affirmé que l'activité des chirurgiens entrait bien dans le champ d'application des ordonnances des 30 juin 1945 et 1er décembre 1986 et déclaré les faits commis en décembre 1986 et avril 1988 non prescrits ;

- de réformer pour le surplus cette décision ;

- de dire que les docteurs Rinderknech, Noury, Fabre, Rocques, Cabrit, Cosson, François Derieux, Jean Derieux, Durou, Fiquet, Garbe, Hugo, Karcenty, Laurent, Lhoest, Orlandini, Veyret, Delassus et Hubert ont conclu entre eux une entente portant atteinte au libre jeu de la concurrence au sens de l'article 50 de l'ordonnance de 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance de 1986 ;

- de dire que le syndicat médical de Lot-et-Garonne s'est rendu complice de cette entente illicite ;

- de prononcer les sanctions prévues par la loi ;

- de condamner les mêmes médecins et le syndicat des médecins de Lot-et-Garonne à payer à l'Asseco-CFDT 100 000 F en réparation du préjudice collectif subi par les consommateurs et 20 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Intervenants, les docteurs Cabrit, Cosson, François Derieux, Jean Derieux, Durou, Fiquet, Garbe, Hugo, Karcenty, Laurent, Lhoest, Orlandini et Veyret ont répliqué :

I. Sur la procédure :

- que le conseil a été saisi par l'association Asseco-CFDT de faits concernant exclusivement l'année 1988 ; que, lors du dépôt du rapport d'enquête le 11 avril 1991, les faits de 1988 étaient prescrits ; que le conseil ne pouvait donc s'en saisir d'office ;

- que l'enquête est nulle s'agissant des faits de 1988 ; que l'administration a, en effet, réuni artificiellement le passage massif des chirurgiens libéraux en secteur II et l'attitude commune de différents établissements d'hospitalisation privée concernant le prix de la chambre individuelle ; que, par ailleurs, en l'absence de preuve matérielle d'une entente, les pratiques reprochées étant seulement déduites d'un parallélisme de comportement qui ne suffit pas à établir l'existence d'une entente, il appartenait aux enquêteurs d'analyser le comportement individuel de chacun des chirurgiens en cause ; que les enquêteurs ne les ont pas tenus informés de la pratique de tarification uniforme retenue contre eux ni des éléments qui la caractérisaient ; que tous n'ont pas été entendus ; qu'il existe donc une atteinte aux droits de la défense qui est de nature à vicier la procédure ;

- que la procédure doit encore être annulée en ce que les deux lettres des chirurgiens adressées à la mutuelle en 1986 et 1988 ne sont pas annexées au rapport, malgré les termes de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

II. Sur le fond :

- que l'activité professionnelle de soins échappe par nature à l'application des textes sur la concurrence ;

- que le secteur II n'institue pas une véritable liberté des prix ;

- que, en tout cas, la concurrence ne peut jouer entre chirurgiens de spécialités différentes ; qu'au surplus, à l'intérieur d'une même qualification chirurgicale, des praticiens procèdent à des interventions distinctes par leurs techniques et recherchées pour telles ;

- que la délimitation territoriale de Lot-et-Garonne est arbitraire, un certain nombre de spécialités rares ou de pointe amenant à traiter des malades provenant d'autres départements ;

- que, en ce qui concerne les faits de 1986, le seul indice littéral susceptible de corroborer la constatation d'une entente tarifaire est la lettre adressée simultanément par les chirurgiens à la caisse mutuelle chirurgicale de Lot-et-Garonne ;

- que cette lettre comporte une simple intention complétée par une demande d'information auprès de la mutuelle ;

- que l'accord entre des professionnels et des organismes de remboursement complémentaires n'est pas illicite ;

- que, s'agissant des faits de 1988, la preuve n'est pas rapportée d'une entente tarifaire ;

- qu'à cet égard, les réunions qui ont eu lieu au syndicat des médecins de Lot-et-

Garonne ne sont nullement déterminantes et procédaient seulement d'un nécessaire souci d'information, l'existence de circulaires, recommandations ou consignes n'étant pas établie ;

- que le communiqué de presse avait pour seul objet d'informer la clientèle éventuelle du passage en secteur II et ne peut sous-entendre le caractère concerté de la décision prise ;

- que la lettre adressée par les chirurgiens à la caisse mutuelle chirurgicale prévoit un prix de consultation, variant de 1 à 1,66 ; que la valeur du K opératoire n'est qu'un élément de fixation du prix de l'acte chirurgical ; que, d'ailleurs, l'individualisation des honoraires a toujours été respectée ;

- qu'il ne s'agissait que d'une négociation en vue d'un accord de remboursement et d'une proposition de modération, laquelle ne saurait être considérée comme ayant un effet ou un objet anticoncurrentiel et serait en tout cas de nature à faire bénéficier les signataires des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance de 1986.

Ils sollicitent la cour :

- de dire que les dispositions des ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 ne s'appliquent pas aux chirurgiens cités qui ne sauraient être assimilés à des entreprises du fait de la spécificité de leur activité et des conditions de fixation de leurs honoraires ;

- subsidiairement,

- de dire prescrits les faits de 1986 ;

- de dire nulles l'enquête diligentée par la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et la notification des griefs retenus par Mme Galene, rapporteur du conseil ;

- de prononcer la nullité de la procédure subséquente ;

- très subsidiairement, de dire mal fondés les griefs retenus, tant pour 1986 que pour 1988 ;

- de confirmer en conséquence la décision du conseil en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait lieu à poursuivre la procédure à l'encontre des chirurgiens précités ;

- de condamner l'Asseco-CFDT à payer à chacun d'entre eux 5 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Egalement intervenants, les docteurs Delassus et Hubert :

1. Soutiennent que l'action de 1'Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne est irrecevable :

- que l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 accorde le droit de saisine du conseil aux organisations de consommateurs agréées ;

- que l'association appelante s'affirme dans une lettre du 4 janvier 1989 comme " l'antenne " lot-et-garonnaise de l'association agréée au niveau national ;

- que l'association appelante est toutefois une personne morale distincte et ne justifie d'aucun agrément personnel ou d'une délégation de l'agrément national, à supposer valable une telle délégation ;

- qu'aucune disposition de l'arrêté agréant l'association Asseco-CFDT nationale n'autorise celle-ci à déléguer l'agrément qu'elle a ainsi reçu ;

- que la décentralisation de son action sur le plan local ne peut concerner que les aspects de son objet dont elle a la libre disposition, et non la parcelle d'autorité publique dont elle est délégataire.

2. Subsidiairement au fond, développent des moyens semblables, pour l'essentiel, à ceux de leurs confrères, ajoutant qu'il ne peut être reproché à des médecins d'avoir simultanément utilisé une option que la convention nationale leur permettait de choisir dans un court délai, identique pour tous.

Intervenants encore, les docteurs Rinderknech, Noury, Fabre et Rocques concluent, aux termes d'une argumentation identique à celle des autres chirurgiens, à la confirmation de la décision entreprise.

Le syndicat médical de Lot-et-Garonne, dont la mise en cause a été prescrite par une ordonnance du délégué du premier président de cette cour, expose qu'il n'a fait que jouer son rôle normal d'information et de défense et qu'il n'a nullement rédigé la lettre adressée par les chirurgiens à la mutuelle ni participé à sa rédaction.

Le ministre de l'économie, des finances et du budget estime :

I. Sur la procédure :

- que la saisine du conseil par l'association Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne, agissant en qualité de mandataire de l'association nationale Asseco-CFDT dûment agréée, est recevable ;

- que le conseil pouvait examiner les hausses d'honoraires annoncées en 1986 dans la mesure où elles étaient étroitement liées à l'objet de sa saisine et n'étaient pas antérieures de plus de trois ans à celle-ci ;

- que le conseil a choisi de traiter séparément les questions relatives aux prix des chambres particulières des cliniques et aux honoraires des chirurgiens ; que d'ailleurs deux rapports ont été établis, de telle sorte que le reproche fait d'un amalgame entre les deux affaires n'est pas fondé ;

II. Sur le fond :

- que les ordonnances des 30 juin 1945 et 1er décembre 1986 s'appliquent à la profession médicale ;

- qu'il y a eu concertation entre les chirurgiens qui envisageaient de passer en secteur II, ainsi qu'il résulte des lettres types adressées à la mutuelle en 1986 et 1988 et du communiqué de presse ;

- que cette concertation porte atteinte à la concurrence dès lors que les médecins annoncent des tarifs uniformes ;

- que, s'il est vrai que les différentes branches de la chirurgie sont exercées de façon de plus en plus exclusive en raison de la complexité croissante des techniques, il n'en reste pas moins que chaque chirurgien peut exercer la chirurgie générale et que, dans ce cas, la concurrence est possible entre tous les praticiens ; qu'en tout cas, même dans des spécialités différentes, une situation d'entente est pour eux plus confortable et tire les prix vers le haut.

Il conclut que les pratiques qui ont été mises en œuvre par l'ensemble des chirurgiens en cause, à l'exception du docteur Hubert dont la participation à la concertation n'est pas établie, et auxquelles le syndicat médical de Lot-et-Garonne a activement participé, tombent sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Le ministère public conclut au rejet du recours en estimant, pour l'essentiel, que les tarifs indiqués dans les lettres d'intention des chirurgiens avaient pu l'être en réponse à la demande, émanant de la caisse mutuelle, d'évaluation des dépassements qu'ils envisageaient, comme ordre de grandeur et par référence à l'obligation de tact et de mesure s'imposant à eux.

Le Conseil de la concurrence a fait connaître qu'il n'userait pas de la faculté de présenter des observations écrites.

Sur ce, LA COUR,

Sur la recevabilité de l'action de l'association Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne :

Considérant que, par arrêté du ministre de la justice du 19 août 1988, l'agrément de l'association Etudes et consommation Asseco-CFDT pour exercer sur le plan national l'action civile devant les juridictions a été renouvelé pour une période de cinq ans à compter du 8 septembre 1988;

Qu'aux termes de ses statuts, cette association est décentralisée et représentée sur le plan local, départemental ou régional par des associations Asseco ayant le même objet;

Que le Conseil de la concurrence, relevant que l'association Asseco-CFDT de Lot-et-Garonne avait notamment pour objet, selon l'article 2 de ses statuts, de représenter l'Asseco-CFDT et ses adhérents dans les différentes instances ayant à connaître des problèmes de consommateurs et d'usagers du département et constatant qu'elle était en possession d'un pouvoir remis par l'Asseco-CFDT nationale pour saisir le conseil en son nom de l'affaire concernant les chirurgiens de Lot-et-Garonne, a pu justement estimer que sa saisine était régulière au regard des dispositions des articles 5, alinéa 2, et 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur la prescription des faits de 1986 :

Considérant que le conseil a été saisi par l'Asseco-CFDT des seuls faits concernant l'année 1988 ;

Que, toutefois, le conseil étant saisi du fonctionnement d'un marché, il est fondé à qualifier des faits constatés sur ce même marché sans être lié par les demandes des parties ;

Qu'il convient seulement que ces faits ne soient pas prescrits ;

Qu'en l'espèce le conseil a été saisi par lettre du 27 décembre 1988 ; qu'à cette date les faits de décembre 1986 n'étaient pas prescrits ;

Sur les nullités de la procédure :

Considérant que, si la plainte de L'Asseco-CFDT portait à la fois sur le prix de journée en chambre particulière et sur les honoraires des chirurgiens des cliniques privées, le conseil n'a examiné dans la décision déférée que les faits relatifs aux honoraires, sans qu'aucune référence ne soit faite au problème du prix de journée des chambres particulières ;

Qu'à cet égard la notification des griefs ne comporte, non plus, aucune ambiguïté ;

Qu'au demeurant les deux problèmes, même traités au cours d'une seule enquête, étaient suffisamment distincts pour qu'aucune confusion ne soit possible ;

Que le reproche d'amalgame entre deux dossiers n'est donc pas fondé ;

Considérant, par ailleurs, que les enquêteurs, dont les investigations portaient sur une pratique affectant le fonctionnement d'un marché, n'étaient pas tenus d'entendre chacun des chirurgiens concernés ;

Qu'ainsi les moyens de nullité de l'enquête, tirés du défaut d'audition de certains des praticiens en cause ou de l'absence d'information de la pratique de tarification uniforme retenue contre eux, sont inopérants ;

Considérant, enfin, qu'aucun grief ne résulte de la circonstance que les lettres adressées à la mutuelle chirurgicale de Lot-et-Garonne par les chirurgiens n'aient pas été annexées au rapport, dès lors qu'il est constant que ces lettres émanaient des chirurgiens eux-mêmes et qu'ils en connaissaient le contenu ;

Que ce moyen de nullité sera donc également rejeté ;

Sur l'application des ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 à l'activité professionnelle de soins médicaux:

Considérant qu'il est exact que l'activité professionnelle de soins médicaux est spécifique ;

Que, notamment, le choix du patient est dicté par des considérations personnelles où l'aspect financier n'est sans doute pas prioritaire ;

Qu'à cet égard les chirurgiens en cause font justement observer que leur code de déontologie, qui prohibe toute publicité, toute ristourne ou forfait dans un intérêt de concurrence, interdit d'une façon générale de pratiquer la médecine comme un commerce ;

Considérant, toutefois, qu'il n'est pas possible d'écarter cette activité du champ d'application du droit de la concurrence dont les textes ne commandent pas de distinction selon la nature ou l'objet des différentes activités de services;

Considérant que, si l'exercice de la médecine dans le secteur I exclut, à l'évidence, toute concurrence par les honoraires, puisque ceux-ci sont fixés uniformément, il apparaît, en revanche, que l'exercice de la médecine dans le secteur II où le praticien, tout en conservant la référence aux tarifs du secteur I, peut réclamer des honoraires différents, introduit une faculté de concurrence par les prix, même si celle-ci est strictement limitée par l'exigence de tact et de modération et si la circonstance que le dépassement d'honoraires est remboursé de manière variable par les organismes complémentaires pèse nécessairement sur la fixation des tarifs et sur leur impact vis-à-vis de la clientèle;

Considérant, enfin, que si le développement et la complexité sans cesse croissante des techniques chirurgicales entraîne une spécialisation de plus en plus étroite et parfois exclusive, la concurrence peut s'exercer dans la pratique de chaque spécialité ; que, de surcroît, tous les chirurgiens peuvent, au moins en cas d'urgence, pratiquer la chirurgie générale ;

Considérant que c'est à bon droit que le conseil a retenu que les ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 étaient applicables en l'espèce;

Sur la violation de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que la lettre type adressée par différents chirurgiens en avril, mai et juin 1988 à la mutuelle chirurgicale de Lot-et-Garonne mentionne une fourchette, pour le tarif de consultation (150 F à 250 F) et un prix fixe pour le KC (20 F) ;

Que le tarif de consultation est suffisamment ouvert pour permettre une fixation différenciée des honoraires ;

Qu'à l'inverse, le KC fixe, ou le KC déterminé par référence à celui des spécialistes de la Gironde dont il était fait état dans la lettre du mois de décembre 1986, seraient susceptibles de laisser supposer l'existence d'une concertation ; que celle-ci pourrait paraître corroborée, tant par le passage simultané de plusieurs praticiens en secteur II, que par le communiqué paru dans les journaux Sud-Ouest et Le Petit Bleu de Lot-et-Garonne et la tenue de réunions par le syndicat médical ;

Mais considérant que les chirurgiens concernés sont fondés à faire valoir que leur souci était en réalité de parvenir à un accord avec la mutuelle afin d'obtenir une prise en charge des dépassements et que c'est à la demande de son directeur, pour lui permettre de saisir les organes de décision de cette caisse, qu'ils ont été amenés à écrire les lettres litigieuses qui n'avaient d'autre objet que de préciser un tarif plafond en dessous duquel chaque médecin restait libre de fixer ses honoraires ;

Que force est de constater que cette analyse est confirmée par la circonstance, relevée par le conseil, que, à partir du 1er janvier 1989, ces médecins ont pratiqué des honoraires de consultation compris dans la fourchette figurant dans la lettre adressée en 1988 et une valeur de KC inférieure à celle portée dans cette même lettre ;

Considérant, en outre, qu'il ne peut être tiré aucune conséquence du fait que plusieurs praticiens aient opté en même temps pour le secteur II ;

Que la simultanéité de leur passage dans ce secteur ne saurait leur être reprochée, dès lors qu'ils ont légitimement exercé le droit d'option qui ne leur était ouvert que tous les deux ans et sur une période d'un mois ;

Que, d'ailleurs, même à admettre que les chirurgiens en cause se soient concertés avant de passer en secteur II, ce qui pourrait être déduit du communiqué paru dans la presse, cette concertation ne constituerait pas en soi une pratique anticoncurrentielle; qu'il n'est pas établi qu'ils s'étaient mis d'accord pour pratiquer des tarifs similaires, dès lors que la mention d'un KC fixe ne constituait que l'indication d'un plafond destiné au calcul des risques susceptibles d'être garantis par la mutuelle ;

Qu'à cet égard les réunions relatives au passage en secteur II tenues par le syndicat médical, dont on ne peut méconnaître le rôle de conseil de la profession, n'apparaissent pas non plus comme révélatrices de telles pratiques ;

Considérant qu'en définitive chaque offreur de soins chirurgicaux est resté libre de prendre sa décision individuellement ;

Considérant que c'est donc à bon droit que le conseil a dit que l'existence de pratiques anticoncurrentielles n'était pas établie ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs : Rejette le recours formé par l'association Asséco-CFDT de Lot-et-Garonne contre la décision du Conseil de la concurrence n° 91-D-43 du 22 octobre 1991 ; Déboute l'association Asséco-CFDT de Lot-et-Garonne de toutes ses demandes.