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Décisions

Conseil Conc., 29 octobre 1991, n° 91-D-45

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en formation plénière sur le rapport de M. André-Paul Weber dans sa séance du 29 octobre 1991 où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents ; MM. Blaise, Bon, Cabut, Cerrutti, Cortesse, Gaillard, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, MM. Sargos, Schmitt, Sloan, membres.

Conseil Conc. n° 91-D-45

29 octobre 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu les lettres enregistrées le 6 août 1987 sous le numéro F 109 par lesquelles M. Adira, exploitant indépendant de salles de cinéma à Lyon, Grenoble, Chalon-sur-Saône et Montélimar, soutient que les refus de location de films que lui ont opposés les sociétés AAA et AMLF revêtent un caractère anticoncurrentiel ; Vu la lettre enregistrée le 20 septembre 1989 sous le numéro F 275 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence d'un dossier concernant la situation de la concurrence en matière de relations commerciales entre distributeurs et exploitants dans le secteur du cinéma ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, notamment ses articles 90 à 92, ensemble le décret n° 83-13 du 10 janvier 1983 pris pour son application ; Vu les observations du ministre de la culture et de la communication en réponse à la communication qui lui a été donnée du rapport ; Vu les observations du médiateur du cinéma recueillies en application de l'article 16 du décret susvisé ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement ; Vu les observations déposées par M. L. Adira, Gaumont associés et compagnie, le GIE Pathé Edeline et indépendants et UGC Diffusion ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, et les représentants de M. L. Adira, de Gaumont associés et compagnie, du GIE Pathé Edeline et indépendants et d'UGC Diffusion entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

a) Le régime juridique de la distribution et de l'exploitation des films

Le producteur qui s'est rendu acquéreur des droits patrimoniaux d'exploitation d'une œuvre cinématographique conclut avec une entreprise de distribution un contrat de mandat ou un contrat de cession de droits. Le distributeur devient alors, pour une durée et un territoire donnés, détenteur du droit de reproduction et de représentation du film. Il lui appartient d'assurer la promotion publicitaire, de déterminer la date de sortie du film ainsi que les salles où il sera présenté, d'éditer les copies et de les leur distribuer. Il lui incombe parallèlement de négocier avec les exploitants de salles auxquels le droit de représentation publique de l'œuvre est dévolu. Le contrat qui lie le distributeur à l'exploitant, qualifié de contrat de location, est une concession temporaire d'exploitation moyennant une participation proportionnelle aux recettes. Enfin, le distributeur assure la remontée de la recette et sa répartition entre les ayants droit.

Les conditions d'approvisionnement des salles de cinéma en films sont soumises aux dispositions de la loi du 29 juillet 1982 susvisée et de son décret d'application du 10 janvier 1983. La loi prévoit que des accords dits de programmation peuvent être conclus entre des entreprises de spectacles cinématographiques et une entente ou un groupement de programmation. Les groupements et ententes sont soumis à un agrément préalable délivré par le directeur général du Centre national de la cinématographie. Aux termes de l'article 90 de la loi, " l'agrément ne peut être accordé qu'à des groupements ou ententes qui ne font pas obstacle au libre jeu de la concurrence et à la plus large diffusion des œuvres conforme à l'intérêt général et qui contribuent à la diversification de l'investissement dans la production cinématographique ".

A l'époque des faits soumis à l'examen du Conseil de la concurrence, l'agrément est attribué après avis de la commission de la programmation dont la composition est fixée par l'article 14 du décret du 10 janvier 1983 susvisé.

La loi du 29 juillet 1982 et le décret d'application du 10 janvier 1983 distinguent deux formes d'organismes de programmation : les " groupements ", organisés sous forme de sociétés commerciales ou de groupements d'intérêt économique, et les " ententes " qui résultent d'une convention conclue entre plusieurs entreprises indépendantes. Chacune de ces structures fonctionne comme une centrale d'achats dont le pouvoir de négociation vis-à-vis des sociétés de distribution est d'autant plus grand qu'elle regroupe un plus grand nombre de salles.

Les groupements ou ententes de programmation sont nationaux si l'activité de leurs membres s'exerce dans l'agglomération parisienne ou dans au moins deux régions cinématographiques telles qu'elles sont définies par le Centre national de la cinématographie. Les groupements ou ententes sont régionaux si l'activité de leurs membres s'exerce dans une seule région cinématographique et si certaines salles qui en font partie sont situées dans au moins une des villes représentant une part déterminante de la fréquentation cinématographique et dont la liste est fixée par arrêté ministériel. Les groupements ou ententes sont qualifiés de locaux lorsque leurs membres exercent leur activité dans une seule région cinématographique et qu'aucune de leurs salles n'est située dans l'agglomération parisienne ou dans l'une des villes figurant sur la liste.

La procédure des engagements demandés aux groupements et aux ententes lors de l'agrément tend à répondre au souci du législateur de maintenir en activité les salles indépendantes. C'est ainsi que les organismes de programmation doivent s'engager E ne pas faire obstacle à l'accès par des salles tierces aux films qu'ils programment et à assurer aux exploitants indépendants un approvisionnement minimum fixé par l'engagement.

Enfin, aux termes de l'article 92 de la loi du 29 juillet 1982, " sans préjudice de l'action publique, et à l'exception des conflits relevant des procédures de conciliation et d'arbitrage professionnelles, sont soumis à une conciliation préalable les litiges relatifs à la diffusion en salle des œuvres cinématographiques ayant pour origine une situation de monopole de fait, une position dominante ou toute autre situation ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en révélant l'existence d'obstacles à la plus large diffusion des œuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général ". La procédure de conciliation est mise en œuvre par le médiateur du cinéma qui établit, le cas échéant, un procès-verbal de conciliation qui, déposé au greffe, a force exécutoire. A défaut de conciliation, le médiateur peut prononcer une injonction, saisir le Conseil de la concurrence ou le ministère public.

b) Les entreprises du secteur de la distribution

Elles comportent en premier lieu des sociétés françaises qui, pouvant intervenir au stade de la production, n'exploitent pas de salles ou ne le font que de façon marginale. Pour la plus grande part de leur activité ces sociétés, notamment AAA, AMLF, MK 2 sont spécialisées dans la diffusion de films français et dans des opérations de coproduction à majorité nationale.

En deuxième lieu, on trouve des sociétés étrangères, notamment américaines, telles que les sociétés UIP, Walt Disney, Fox, Warner qui agissent pour le compte de leurs sociétés mères ; simples prestataires de services, elles sont spécialisées dans la diffusion de films étrangers.

Enfin, la distribution est également assurée par des sociétés et groupements intégrés à l'exploitation. Les groupes Gaumont et UGC sont présents à la fois aux stades de la production, de la distribution et de l'exploitation en salles par l'entremise de sociétés filiales ou affiliées. Il en va de même pour Pathé France dans les secteurs de la distribution et de l'exploitation.

c) Le secteur de l'exploitation

En 1987, 5 026 salles de cinéma sont dénombrées. Elles ont accueilli 132 millions de spectateurs et enregistré une recette évaluée à 3,257 milliards de francs. La période récente est caractérisée par la diminution du nombre des spectateurs (200 millions en 1982, 120 millions en 1989), la stabilité du nombre de salles exploitées et une réduction de la taille moyenne de chacune d'elles ; de 1976 à 1987 le nombre moyen de fauteuils par salle est passé de 379 à 232.

Le secteur de l'exploitation comporte de nombreuses structures de programmation agréées conformément à la loi du 29 juillet 1982. En 1987, on dénombre 22 groupements et ententes de programmation. Les trois principaux sont Gaumont associés et compagnie, GIE Pathé Edeline et indépendants et UGC Diffusion. Ils interviennent dans l'ensemble des régions cinématographiques.

Disposant en propre d'un grand nombre de salles et assurant la programmation de salles indépendantes, Gaumont associés et compagnie opère en 1987 sur un total de salles évalué à 293. Le groupement est représenté dans vingt des vingt-trois villes énumérées sur la liste ministérielle. La part qu'il représente dans les recettes cinématographiques globales dans chacune de ces villes varie sensiblement ; elle est de 85,17 p. 100 à Mulhouse, 59,31 p. 100 à Rennes, de 25 à 40 p. 100 à Nantes, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Saint-Etienne, Montpellier, Nice, Toulon, de 17,66 p. 100 à Clermont-Ferrand, 16,38 p. 100 à Lyon, 14,34 p. 100 à Strasbourg et 13,24 p. 100 à Marseille. Le chiffre d'affaires de la société en commandite simple est de 4,3 millions de francs en 1990.

Au cours de la même année, UGC Diffusion a assuré la programmation de 347 salles. Le groupement est implanté dans toutes les villes figurant sur la liste ministérielle sauf Dijon, Orléans et Mulhouse ; sa part dans les recettes y est de 20 à 30 p. 100. Le chiffre d'affaires de ce GIE est de 4,6 millions de francs en 1990.

Le groupement Pathé Edeline et indépendants résulte de la réunion d'une entreprise d'envergure nationale (Pathé SA), d'une structure régionale (société Socogex) et d'une série d'entreprises locales de type familial qui ont apporté leurs salles en programmation. En 1987, le groupement programme 410 salles ; il est présent dans dix-huit villes inscrites sur la liste ministérielle et, dans neuf cas, dépasse 20 p. 100 des recettes. Son chiffre d'affaires est de 5,7 millions de francs en 1990.

Les trois circuits nationaux occupent une place prééminente dans la programmation des films à Paris et dans la région parisienne. A Paris intra-muros, les circuits Gaumont, Pathé et UGC ont assuré respectivement, en 1988, la programmation de 57, 88 et 84 écrans. Ils programment à eux trois 51,7 p. 100 des salles et recouvrent 68 p. 100 des recettes. En banlieue, les trois circuits contrôlent 40,3 p. 100 du parc de salles et y réalisent 71,5 p. 100 des recettes.

Sur le plan national, la société Gaumont associés et compagnie contrôle 5,9 p. 100 des écrans et recouvre 16,2 p. 100 des recettes, Pathé Edeline et indépendants 6,6 p. 100 des écrans et 16,6 p. 100 des recettes, UGC Diffusion 7,4 p. 100 des écrans et 17,4 p. 100 des recettes. A eux trois, ils programment donc 19,9 p. 100 des salles et recouvrent 50,2 p. 100 des recettes.

De 1986 à 1988, les grands circuits ont accru leur part de marché. En termes de recettes réalisées, cette part est passée de 47,8 à 50,2 p. 100.

d) Les relations entre les sociétés de distribution et le secteur de l'exploitation

La société de distribution établit pour chaque film un plan de sortie inspiré notamment de préoccupations d'efficacité économique. Ainsi, le film est d'abord présenté dans les plus grandes villes et dans les salles les mieux placées pour recueillir le maximum de recettes puis, selon les résultats enregistrés, dans d'autres salles et localités d'importance commerciale plus modeste.

Le plan de sortie d'un film donne lieu à négociation entre le distributeur et les organismes de programmation. Le marché parisien joue un rôle déterminant dans le succès commercial du film et, au sein de ce marché, la notoriété et la qualité des salles retenues. De ce fait, le distributeur est amené à proposer le film dont il détient des droits patrimoniaux à un ou à plusieurs des organismes de programmation nationaux, en fonction de la couverture recherchée. A l'issue de la négociation, le distributeur arrête le plan de sortie.

Les conditions de fonctionnement de ce marché ont donné lieu, sous l'emprise du régime juridique antérieur à la loi du 29 juillet 1982, à un avis de la Commission de la concurrence en date du 14 juin 1979, suivi de plusieurs décisions du ministre de l'économie en date du 11 octobre suivant et adressées, notamment, à l'UGC et au GIE Gaumont-Pathé (BOSP n° 21 du 20 novembre 1979).

e) Les faits soumis à l'appréciation du Conseil

Il ressort des procès-verbaux d'audition de dirigeants de sociétés de distribution et de responsables de programmation des grands circuits que, si dans certains cas, les distributeurs ne souhaitent pas voir leur film exploité par tel ou tel indépendant dont ils estiment que la salle n'est pas compétitive, dans d'autres cas les difficultés d'approvisionnement des indépendants s'expliquent par la stratégie mise en œuvre par les circuits.

Ainsi, M. Gevaudan, responsable de la programmation de MK 2, indique : " II est certain que MK 2 ne peut systématiquement demander à Gaumont ses meilleures salles dans les villes sans indépendants ou concurrents compétitifs pour les films d'auteurs, sans lui donner en contrepartie la diffusion du film dans un certain nombre d'autres villes où la concurrence est vive ". MM. Sussfeld et Binet (société UGC) soulignent : " Le programmateur cherche à obtenir, en contrepartie de la programmation du film en circuit UGC dans les quartiers de Paris et les villes où le circuit est bien placé par rapport aux autres salles existantes, un certain nombre de salles où la concurrence avec les autres exploitants est vive ".

Aux termes du procès-verbal de conciliation, établi le 10 décembre 1987 par le médiateur du cinéma, " M. Denis Chateau (société AAA) expose que (...) dès lors qu'il obtient par exemple que la société Pathé présente ses films dans ses meilleures salles parisiennes, il est conduit à attribuer ces mêmes films aux salles provinciales de la société Pathé qui les désireront. Cette contrainte est d'autant plus vive qu'il n'existe pas à Paris d'indépendants importants pouvant assurer une réelle mise en place d'un film sur la capitale. "

Les procès-verbaux établis par le médiateur à l'occasion de procédures de conciliation et produits devant le conseil révèlent que les grands circuits considèrent qu'ils ont vocation à bénéficier de l'exclusivité d'exploitation des films dans les salles de province dès lors qu'ils ont conclu des accords globaux avec les sociétés de distribution.

C'est ainsi que les salles de cinéma du groupe Adira situées à Lyon, Grenoble et Chalon-sur-Saône ont éprouvé de sérieuses difficultés pour obtenir des films distribués notamment par les sociétés AAA, AMLF, Gaumont et UGC. De septembre 1986 à juin 1987, à Lyon, sur 94 films distribués par ces quatre sociétés, 7 seulement ont été confiés aux salles Adira, à Grenoble 6 sur 77 et à Chalon-sur-Saône 20 sur 112.

Les difficultés d'approvisionnement en films auxquelles se heurte le groupe Adira ne sont complètement expliquées ni par une réticence des distributeurs à son égard ni par le manque de compétitivité de ses salles. En effet, selon les énonciations du procès-verbal constatant l'échec de la conciliation, en date du 30 octobre 1987, le représentant de la société de distribution AAA a déclaré : " Certes des films tels que Terminus ou Descente aux enfers auraient pu passer à la Scala (salle Adira de Lyon) mais les salles appartenant aux circuits ont souhaité les exploiter seules ; d'autre part, il est normal qu'en raison des accords globaux passés au niveau national, les sorties lyonnaises avantagent les salles appartenant aux circuits ou programmés par eux ". On lit également dans le procès-verbal de conciliation faisant suite à une saisine du médiateur par M. Adira, en date du 13 avril 1987, que le représentant de la Fédération nationale des distributeurs de films a déclaré à propos du cinéma exploité par M. Adira à Lyon : " Il est clair que (...), compte tenu de sa compétitivité sur un certain type de films, ce cinéma peut prétendre à traiter d'autres films (que ceux obtenus en application des engagements) dans le cadre des relations commerciales normales, ce qui suppose bien entendu que les groupements n'y fassent pas indûment obstacle ".

En outre, le groupe animé par M. Malacarnet, exploitant de cinémas, a rencontré en 1987, à Avignon et à Valence, des difficultés d'accès aux films programmés par l'UGC Diffusion qui ont entraîné l'organisation de plusieurs séances de conciliation par le médiateur du cinéma. Il résulte des procès-verbaux dressés à cette occasion que la politique de prix bas suivie par M. Malacarnet a fait l'objet de critiques d'autant plus vives de la part de l'UGC qu'elle est accompagnée d'une certaine publicité. La conciliation s'est faite moyennant l'engagement de M. Malacarnet d'augmenter ses prix.

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Considérant que les saisines susvisées portent sur des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant que,si la nature particulière de l'activité cinématographique, qui relève à la fois de l'art, de l'industrie et du commerce, ainsi que la spécificité de ses produits ont amené le législateur à instituer un régime spécifique de distribution, de programmation et d'exploitation contenu dans la loi du 29 juillet 1982, les accords conclus sur la base de ce texte et les pratiques mises en œuvre, notamment sur le marché de l'exploitation des films, n'échappent pas pour autant au champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mesure où ils intéressent le jeu de la libre concurrence ; que,dès lors, la société Gaumont associés et compagnie et les GIE Pathé Edeline et indépendants et UGC Diffusion ne sont pas fondés à soutenir que le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour examiner les saisines susvisées ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 10 janvier 1983 " les groupements de programmation nationaux et régionaux sont constitués entre les entreprises de spectacles cinématographiques qu'ils regroupent, sous la forme juridique de sociétés commerciales ou de groupements d'intérêt économique " ; que le groupement d'intérêt économique UGC Diffusion, la société en commandite simple à capital variable Gaumont associés et compagnie et le groupement d'intérêt économique Pathé Edeline et indépendants ont été agréés en tant que groupements nationaux de programmation en application des dispositions de la loi du 29 juillet 1982 ;

Mais considérant que la circonstance que les groupements en cause ont bénéficié de plusieurs agréments successifs par le Centre national de la cinématographie ne saurait s'opposer à ce que le Conseil de la concurrence qualifie leurs comportements sur le marché, alors d'ailleurs que les articles 8 et 15 du décret du 10 janvier 1983 les obligent à assurer la plus large diffusion des œuvres, à permettre la diffusion de celles-ci par des salles tierces et à ne pas faire obstacle au libre jeu de la concurrence ;

Considérant que la réunion de salles de cinéma au sein d'une société ou d'un groupement d'intérêt économique pour satisfaire aux conditions posées par la loi du 29 juillet 1982 et le décret du 10 janvier 1983 susvisés ne saurait être considérée en soi comme une pratique d'entente relevant des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la société en commandite simple Gaumont associés et compagnie et les groupements d'intérêt économique Pathé Edeline et indépendants et UGC Diffusion disposent de l'autonomie commerciale ; qu'il n'y avait donc pas lieu, contrairement à ce que soutient Gaumont associés et compagnie, de mettre en cause chacune des entreprises membres de cette société ou des groupements d'intérêt économique susmentionnés ;

Mais considérant qu'il incombe au conseil de rechercher si certaines pratiques de cette société ou des deux groupements d'intérêt économique peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et, le cas échéant, de notifier les griefs correspondants aux personnes morales en tant qu'elles mettent en œuvre de telles pratiques ;

Considérant que les organismes de programmation dont il s'agit, qui disposent d'un ensemble de salles, particulièrement en région parisienne, assurant une très large diffusion des œuvres, sont en position d'imposer aux distributeurs, en contrepartie de l'exploitation des films dans l'agglomération parisienne, l'exclusivité de la programmation au bénéfice de salles de leur réseau situées dans des villes de province même lorsque s'y trouvent des exploitants indépendants compétitifs ; que leur capacité d'entraver le développement de leurs concurrents indépendants est d'autant plus importante qu'ils sont les seuls à pouvoir organiser la sortie des films à Paris sur une échelle suffisamment large, cette sortie étant déterminante pour le succès commercial ;

Considérant que ces pratiques peuvent avoir pour effet de limiter la concurrence sur le marché en privant de films " porteurs " des exploitants dont la compétitivité des salles n'est pas mise en cause par les distributeurs ; qu'ainsi à Lyon un exploitant indépendant, M. Adira, qui dispose de 7 salles, n'a obtenu de septembre 1986 à juin 1987 que 7 des 94 films distribués par AAA, AMLF, Gaumont et UGC pendant cette période et seulement 3 des 27 films " porteurs " de ces distributeurs ; que cette situation ne peut être principalement due à l'infériorité supposée de ses salles ou à la volonté des distributeurs ; que, bien au contraire, les déclarations extraites des procès-verbaux établis par le médiateur du cinéma et consignées au I de la présente décision établissent clairement la volonté des organismes de programmation de limiter la concurrence sur le marché en faisant obstacle à l'obtention, par cet exploitant indépendant, d'un certain nombre des films " porteurs " que leur ont confiés les distributeurs, sans qu'il soit établi que ces derniers aient été animés de la même volonté anti-concurrentielle ;

Considérant que, sans que le conseil entende se prononcer sur les procès-verbaux établis par le médiateur du cinéma lors de la procédure de conciliation à propos des différends opposant M. Malacarnet à UGC Diffusion, un organisme de programmation ne peut, sans enfreindre les règles de la libre concurrence, proposer ou imposer à un exploitant indépendant une majoration du prix des places en contrepartie de l'approvisionnement en films ;

Considérant que les pratiques susanalysées, qui ont pour effet d'entraver le jeu de la concurrence, ne sauraient être regardées comme résultant de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application et que, notamment, la loi du 29 juillet 1982 et son décret d'application imposent aux ententes et aux groupements de programmation le respect des règles de concurrence ; qu'il n'est ni soutenu ni même allégué qu'elles aient pour effet de contribuer au progrès économique ; que dès lors elles n'entrent pas dans les prévisions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de faire application de l'article 13 de l'ordonnance et que le plafond de la sanction applicable respectivement à chacun des trois groupements de programmation auxquels ont été notifiés des griefs, doit être déterminé en fonction du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours de l'exercice 1990 tel qu'il a été communiqué par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; qu'il convient de tenir compte, pour chacun de ces groupements, des incidences de son comportement sur le marché de l'exploitation des films et de sa capacité contributive,

Décide

Art. 1er : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- au groupement d'intérêt économique UGC Diffusion 230 000 F ;

- au groupement d'intérêt économique Pathé Edeline et indépendants 250 000 F;

- à la société en commandite simple Gaumont associés et compagnie 200 000 F.

Art. 2. - Il est enjoint aux groupements d'intérêt économique UGC Diffusion et Pathé Edeline et indépendants ainsi qu'à la société Gaumont associés et compagnie :

1° De cesser d'exiger des distributeurs, en contrepartie de la programmation de films dans l'agglomération parisienne, la

concession de l'exclusivité au bénéfice de salles de leur réseau situées en province ;

2° De s'abstenir de proposer ou d'imposer aux exploitants indépendants une modification du prix des places en contrepartie de l'approvisionnement en films.

Art. 3. - Dans un délai de deux mois suivant sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publié, à frais communs, par les deux groupements d'intérêt économique et par la société mentionnés à l'article 1er, dans Les Echos, La Tribune de L'Expansion, Le Progrès de Lyon, Le Dauphiné libéré et Le Film français.

Ces publications seront précédées de la mention " Décision du Conseil de la concurrence du 29 octobre 1991 relative à la situation de la concurrence sur le marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma ".