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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 26 septembre 2000, n° 2000-03141

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Entreprise Jean Lefebvre (Sté), Terrassement et Génie Civil de Filippis (Sté)

Défendeur :

Beylat TP (SA), Dumas (SA), Établissements Curty (Sté), Mazza BTP (SA), Entreprise de Travaux Publics de la Vallée d'Azergues-Etpva, Entreprise Gauthey (SA), SCR Apia, Axima Centre (Sté), Eurovia Grands Projets et Industries (SA), Eurovia (SA), Sacer (SA), SN Monin (Sté), SCREG Sud Est (SA), SCR (Sté), Colas Rhone Alpes, CLGB Routes, Gerland (SA), Société Nouvelle des transporteurs Lyonnais TP, Charles de Filippis (SA), Entreprise Marius Blondet (Sté), Coiro (SA), Perrier Tp (SA), Maia Sonner (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

Mme Bregeon, M. Hascher

Avoués :

Me Bodin-Casalis, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bourdais Virenque, SCP Narrat Peytavi, SCP Jobin, SCP Buboscq-Pellerin, SCP D'Auriac-Guizard, Me D. Olivier, SCP Fanet-Serra

Avocats :

Mes Maitre-Devallon, Ribeyre, Gast, Lamy, Lexel, Lazarus, Goguel, SCP Goguel Monestier, Donnedieu de Vabres, Lucas de Leyssac, Voillemot

CA Paris n° 2000-03141

26 septembre 2000

Par lettre du 30 décembre 1994, le Ministre chargé de l'économie (le Ministre) a saisi le Conseil de la Concurrence (le Conseil) de pratiques mises en œuvre par diverses entreprises à l'occasion de l'appel d'offres lancé en octobre 1991 par la communauté urbaine de Lyon (la Courly) pour le renouvellement de marchés de travaux d'entretien ou de construction de chaussées et trottoirs du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1993.

Sur les 33 entreprises qui ont participé à cet appel d'offres, 25 ont obtenu directement ou en sous-traitance un ou plusieurs des 36 lots territoriaux, soit seules, soit en groupement. Le grief d'entente a été notifié aux sociétés Beylat TP, Entreprise Blondet Marius, Redland Route Centre (ex Chapelle et actuellement Axima Centre), Charles de Filippis, TGC de Filippis, CLGB Routes, Cochery Bourdin Chaussée (actuellement Eurovia), Entreprise Coiro, Colas Rhône Alpes, Etablissements Curty, Entreprise Dumas, Entreprise Jean Lefèbvre, ETPVA, Gerland, Entreprise Deluermoz (ou EBTP Maia-Sonnierà, Mazza BTP, SN Monin, Entreprise Perrier, Sacer, SCR, Screg Sud-Est, SNTL, Via France (actuellement Eurovia Grands Projets et Industries) pour avoir mis en œuvre une concertation ayant eu pour objet de maintenir la précédente répartition des marchés de 1986, ladite concertation ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de faire obstacle au jeu spontané des offres, à l'indépendance des soumissionnaires concernés dans leurs offres de prix et à l'incertitude de chacun d'eux sur le contenu des offres et, d'une manière générale, ayant été de nature à tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence.

Par décision n° 99-D-65 en date du 2 novembre 1999, le Conseil a estimé non établie la participation de ces entreprises à une entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

LA COUR : - Vu le recours en annulation ou en réformation formé le 18 février 2000 par le Ministre à l'encontre de cette décision ; Vu les déclarations de recours incident de la société Entreprise Jean Lefebvre et de la société Terrassement et Génie Civil - De Fifippis en date du 23 mars 2000 ; Vu les moyens déposés le 17 mars 2000, par lesquels le Ministre poursuivant la réformation de la décision déférée, demande à la cour de prononcer diverses sanctions pécuniaires aux motifs que

- le Conseil a écarté à tort un procès-verbal dressé le 23 novembre 1993 dans l'entreprise Jean Lefebvre, consignant à la fois des déclarations et la remise aux enquêteurs d'une note de service datée du 21 octobre 1991 relative au " bilan de l'avancement du dossier Courly ",

- la communication de cette note de service, ne faisant pas grief à la société Entreprise Jean Lefebvre, est régulière et, par voie de conséquence, le procès-verbal support de sa remise est régulier et doit être maintenu dans la procédure,

- " en tout état de cause, les déclarations consignées dans ce procès-verbal, de par leur autonomie, ne supportent aucun effet dérivé de la régularité de la note de service ",

- un faisceau d'indices graves, précis et concordants est réuni, démontrant des pratiques de concertations préalables et de répartition du marché constitutives d'ententes prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- les entreprises en cause doivent être sanctionnées pour ces pratiques selon les dispositions de l'article 13 de ladite ordonnance,

Vu les mémoires déposés le 10 mai 2000 , par lesquels la société Entreprise Jean Lefèbvre et la société Terrassement et Génie Civil - De Filippis (TGC De Filippis), requérantes incidentes, demandent à la cour

- à titre principal de rejeter le recours formé par le Ministre et de confirmer les termes de la décision du Conseil,

- à titre subsidiaire dans l'hypothèse où il serait fait droit aux demandes du Ministre, de :

- dire que la concertation anticoncurrentielle n'est pas établie en ce qui concerne la société Entreprise Jean Lefèbvre,

- constater que le Ministre considère que la société TGC De Filippis n'a pas participé à la concertation anticoncurrentielle invoquée et dire qu'aucune sanction ne peut être prononcée à son encontre pour ce motif ainsi qu'en raison du plan de cession dont elle a fait l'objet,

- réformer la décision en ce que le Conseil, d'une part, a considéré que le délai écoulé entre les différents actes de procédure n'apparaissait pas excessif au regard des dispositions de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de la jurisprudence communautaire et, d'autre part, a dit que la société TGC De Filippis était concernée par la notification des griefs et a été en mesure de se défendre ;

Vu la lettre reçue le 4 avril 2000 par laquelle la société Maïa Sonnier indique avoir donné son nom à la société Entreprise Deluermoz et avoir fait l'objet d'un plan de cession le 30 avril 1997 ;

Vu les observations déposées le 9 mai 2000 par lesquelles les sociétés Etablissements Curty et Mazza BTP demandent à la cour de constater qu'elles n'ont pas été destinataires du rapport établi par le rapporteur du Conseil (pour la dernière nommée) ou de ses annexes (pour la première) et que le principe du contradictoire n'a pas été respecté à leur égard;

Vu les observations déposées les 4 et 10 mai 2000 par les sociétés Beylat, Dumas, CLGB Routes, Colas Rhône Alpes, Eurovia Grands Projets et Industries, Axima Centre, Coiro, Entreprise Marius Blondet, Charles de Filippis, Perrier TP, Sacer, SNTL, Gauthey, SCR, ETPVA, Gerland, SN Monin, Screg Sud-Est, tendant pour l'essentiel au rejet du recours formé par le Ministre et, pour certaines d'entre elles, à l'obtention de sommes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les observations déposées le 15 mai 2000 par le Conseil ;

Le Ministère Public ayant été entendu en ses observations orales tendant au rejet des recours ;

Sur ce,

I - Sur la procédure devant la cour :

Considérant que la cour ne saurait se prononcer sur la recevabilité des demandes présentées par le Ministre à l'encontre des sociétés Gerland Routes et Beylat TP sans que ces dernières aient été appelées en la cause;

Que dans la mesure où, ainsi que celui-ci l'énonce en pages 19 et 20 de l'exposé de ses moyens, d'autres personnes morales, les sociétés Gerland et Beylat TPSA, ont été destinataires de la notification de la décision du Conseil et du recours exercé et où les sociétés Gerland Routes et Beylat TP n'ont jamais eu notification des griefs, la cour ne peut mettre d'office en cause les sociétés Gerland Routes et Beylat TP; qu'elle se bornera donc à examiner les autres demandes dont elle est saisie par le Ministre;

Considérant qu'en page 21 de l'exposé de ses moyens, le Ministre précise ne pas solliciter de sanction à l'égard des sociétés SN Mènin (cessionnaire, au sens de l'article 62 alinéa 3 de la loi du 25janvier 1985, de la société Monin Travaux Publics attributaire de deux lots du marché) et TGC de Filippis (également bénéficiaire de travaux en 1991 mais qui aurait fait l'objet d'un plan de cession) ; que, dès lors, les conclusions de ces deux défenderesses tendant au rejet du recours, initialement exercé par celui-ci à leur égard, s'avèrent dépourvues d'objet;

Considérant qu'à l'audience, les sociétés ETPVA, GAUTHEY et SCR ont fait grief au Ministre de ne pas avoir notifié ses moyens, ainsi que son mémoire en réplique, à leur avoué et que les autres parties représentées par un avoué se sont associées à ce grief; que le représentant du Ministre a convenu que ses écritures ont été communiquées à chacune des parties personnellement, ainsi qu'il résulte des accusés de réception déposés par lui, sans tenir compte des constitutions d'avoué dont il a admis avoir eu connaissance ;

Considérant, cependant, qu'il résulte des dispositions des articles 15 et 16 du décret du 19 octobre 1987 que les parties ont la faculté de se faire représenter par un avoué et que les notifications entre parties ont lieu directement avec l'avoué constitué ;

Que le recours exercé à titre principal par le Ministre lui a conféré la qualité de demandeur au recours, en sorte qu'il avait l'obligation de dénoncer ses écritures dans les formes prévues par lesdits articles 15 et 16 afin de respecter le principe de contradiction ;

Considérant, en l'espèce, que les ordonnances des 7 mars et 17 avril 2000, par lesquelles le délégataire du premier président de cette cour a fixé les délais dans lesquels les parties à l'instance devaient se communiquer leurs observations écrites, mentionnent les noms et adresses des avoués constitués ;

Qu'aucune conséquence préjudiciable n'est toutefois résultée des modalités de communication des moyens du Ministre puisque chacune des parties représentées par un avoué y a répondu de manière complète, en lui notifiant sa réponse par l'intermédiaire de son représentant;

Mais que, par la suite,les parties ayant constitué avoué ne se sont pas trouvées en mesure de répondre efficacement, avant le 8 juin 2000 (délai imparti par l'ordonnance du 7 mars), aux répliques déposées le 2 juin par le Ministre à leurs observations; qu'il ressort en effet des accusés de réception, signés par elles, que les services de la poste leur ont remis l'envoi du Ministre le 6 juin au plus tôt et, pour certaines d'entre elles, le 8 juin ; qu'il a été ainsi porté atteinte à leurs intérêts ;

Que, dès lors, le mémoire en réplique du Ministre, déposé le 2 juin 2000, doit être écarté des débats ;

II - Sur la procédure d'enquête:

Considérant que le Ministre soutient que l'intervention des fonctionnaires habilités par lui n'a pas excédé les limites de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le 23 novembre 1993 dans les locaux de l'Entreprise Jean Lefebvre; qu' il en déduit, à titre principal, la régularité du procès-verbal alors établi signé par Monsieur Sopena, adjoint du chef d'agence, ainsi que la régularité de la remise par la secrétaire de celui-ci, Madame Lagrave, d'une note de service datée du 21 octobre 1991 relative au "bilan de l'avancement du dossier Courly" ; qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où serait avérée l'irrégularité de la demande de communication de cette dernière pièce, il estime que l'annulation du procès-verbal doit être limitée à la partie la consignant afin que les déclarations faites par Monsieur Sopena demeurent au dossier ;

Qu'il fait valoir que l'article 47 donne aux enquêteurs plusieurs moyens d'investigation et, qu'au cas d'espèce, ses agents ont d'abord recueilli les déclarations de Monsieur Sopena, puis, sans se référer à celles-ci, ont demandé communication et pris en copie 22 documents ; qu'il indique que, même si la partie du procès-verbal consignant les demandes de communication ne relate pas leur déroulement, les attestations de Monsieur Sopena et de la secrétaire, Madame Lagrave, mettaient le Conseil en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la remise de la note de service ; qu'il ajoute qu'il appartenait au dirigeant de l'entreprise d'organiser sa représentation en son absence et que Monsieur Sopena n'a pu se méprendre en signant le procès-verbal à son retour, en sorte que, selon lui, la communication de la pièce litigieuse n'a pas porté atteinte aux intérêts de l'entreprise

Mais considérant que ledit article 47 dispose que " les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications " ;

Que, selon l'article 46 de la même ordonnance, les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve contraire ;

Qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, les procès-verbaux " énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués (et) sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations " ;

Et considérant que l'apposition de signatures sur un procès-verbal a pour objet de certifier, jusqu'à preuve du contraire, la sincérité et l'exactitude du déroulement des investigations ;que " la personne concernée par les investigations " au sens du décret précité est celle ayant effectivement participé auxdites investigations et non un représentant légal de la société, pris en cette qualité, s'il n'a pas lui-même été témoin des opérations menées par les agents de l'administration ;

Qu'il ne peut être dérogé à l'obligation de dresser un procès-verbal pour chaque acte d'enquête, conforme aux exigences de l'article 31, en se référant à des attestations pour suppléer l'absence d'indications sur le déroulement des investigations réalisées,contrairement à ce que prétend le Ministre;

Considérant qu'en l'espèce, selon les mentions du procès-verbal établi le 23 novembre 1993, les enquêteurs sont intervenus à 9 h 30 dans les locaux de l'Entreprise Jean Lefebvre à Lyon en présence de Monsieur Sopena, adjoint du chef d'agence, qu'après avoir recueilli auprès de lui divers renseignements, ils ont obtenu la communication de 22 documents, dont la note de service sus-évoquée en date du 21 octobre 1991 relative au " bilan de l'avancement du dossier Courly " ;

Qu'il résulte d'attestations non contredites, émanant de Monsieur Sopena et de sa secrétaire, Madame Lagrave, que cette dernière était seule présente dans l'après-midi lorsque les enquêteurs lui ont demandé son "chrono", puis, après avoir consulté celui-ci, la note de service du 21 octobre 1991 ; qu'il s'ensuit que Monsieur Sopena n'a pas assisté à l'ensemble des opérations sans qu'il puisse lui être reproché d'avoir fait obstacle au contrôle exercé ;

Que, toutefois, le procès-verbal du 23 novembre 1993 ne relate pas la présence de Madame Lagrave, ne comporte pas sa signature puisqu'il est signé seulement par Monsieur Sopena, et ne mentionne nullement les circonstances de la remise de la note de service du 21 octobre 1991 ;

Qu'en cet état, les mentions et signatures portées sur l'acte dressé par les enquêteurs pour relater leurs opérations, ne permettent pas à la cour de contrôler si, comme l'affirme le requérant, leur intervention n'a pas excédé les limites de l'article 47 susvisé et si le principe de loyauté sur la recherche des preuves a été respecté ;

Considérant que la méconnaissance des exigences des articles 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 31 de son décret d'application, portant atteinte aux intérêts de la défense de l'entreprise concernée, emporte la nullité du procès-verbal " en tant qu'il constitue le procès-verbal de remise de la note de service du 21 octobre 1991 ", ainsi que l'a décidé le Conseil ;

III - Sur la procédure devant le Conseil :

Considérant que la décision déférée ne fait pas grief à la société Établissements Curty et à la société Mazza BTP en sorte qu'aucune conséquence n'a pu résulter pour elles, en première instance, de la non-réception, alléguées par elles, du rapport ou de ses annexes ;

Que leurs observations, tendant au mal fondé du recours du Ministre, suffisent, par ailleurs, à établir qu'elles ont été en mesure d'organiser leur défense au fond devant la cour ;

Considérant que la société SNTL (Société Nouvelle des Transporteurs Lyonnais TP) fait valoir que les faits remontent à près de huit ans, le rapport d'enquête à plus de sept ans et la saisine du Conseil à plus de cinq ans, que les griefs étaient analysés par le rapport administratif et qu'il n'y a pas eu, par la suite, de modifications substantielles dans les données du dossier; qu'elle en déduit que la durée de la procédure a excédé le délai raisonnable prévu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce qui, selon elle, a porté atteinte à ses droits ;

Que, de même, la société Entreprise Jean Lefèbvre, invoquant à titre subsidiaire la violation de l'article 6 paragraphe 1 de la susdite Convention, expose que la lenteur de la procédure a entraîné pour elle " un réel préjudice dans l'organisation de sa défense " puisqu'elle n'avait pas conservé certains éléments relatifs aux travaux après leur exécution ;

Mais considérant que, si en application de ce dernier texte, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, la durée excessive de la procédure permet seulement de saisir, le cas échéant, la juridiction nationale compétente d'une demande en réparation ou, s'il y a lieu, de saisir la Commission européenne des droits de l'homme ;

IV - Au fond :

Considérant que les faits reprochés s'inscrivent dans le cadre du renouvellement de contrats de travaux d'entretien ou de construction de chaussées et trottoirs venus à échéance dans les communes de la Courly réparties en 36 lots territoriaux (soit 27 lots de travaux d'entretien ou de construction et 9 de réfection de tranchées) ;

Qu'il s'agissait de " marchés à commande " d'un montant total de 127 000 000 F minimum et 508 000 000 francs maximum pour toute la durée de l'opération ; qu'une procédure d'appel d'offres a été utilisée avec un cahier des charges prévoyant que: " chaque entreprise ou groupement d'entreprises soumissionnaire ne pourra être attributaire de plus de trois lots, en cas d'entreprises groupées solidaires, chaque groupement est limité à deux entreprises par lot, le nombre de sous-traitants est limité à deux par lots, pour les 27 lots de travaux d'entretien ou de construction ";

Qu'il est constant qu'à niveau de qualification égale, le montant des rabais proposés par les entreprises a été le critère déterminant d'attribution, les lots ayant été attribués aux entreprises les moins disantes, et que les éléments réunis au cours de l'instruction par le rapporteur du Conseil mettent en évidence une relative stabilité des attributaires des marchés ou des entreprises ayant réalisé les travaux par rapport aux adjudications des lots de 1986 ;

Considérant que le Ministre soutient qu'il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant une action concertée préalable, ce faisceau résultant de la constitution de groupements pour présenter les offres, de la sous-traitance de 27 lots alors qu'elle n'avait été prévue que pour 12 lots, du statu-quo par rapport à 1986 et des rabais proposés sans élément de calcul des coûts ;

Qu'il reconnaît toutefois que, s'agissant d'un marché de renouvellement de travaux d'entretien ou de reconstruction de chaussées et trottoirs, les entreprises détentrices d'un lot à la suite du marché précédent avaient une connaissance acquise rigidifiant le marché et amenuisant l'intensité de la concurrence par rapport à celle que l'on est en droit d'attendre sur un marché nouveau (cf page 7 de l'exposé de ses moyens) ;

Considérant que les entreprises observent avec pertinence que les rabais proposés tenaient compte des caractéristiques des lots et de leur expérience antérieure du marché ;

Qu'elles se prévalent de manière plausible de leurs compétences complémentaires et de leur implantation géographique compte tenu, notamment, de la spécificité de ce marché ainsi que des exigences de qualification, possession de matériel adéquat et astreintes imposées par le maître de l'ouvrage (en particulier l'obligation de présence et de réponse rapide, s'agissant d'un "marché à commandes" de travaux non planifiés ni quantifiés à l'avance sur lesquels elles étaient dépourvues de tout pouvoir) pour faire valoir que les conditions de passation des marchés incitaient aux regroupements pour présenter les offres ;

Que cette possibilité était d'ailleurs prévue aux termes mêmes des clauses du cahier des charges de l'appel d'offres ;

Qu'à titre d'exemple, il est indiqué que la société Chapelle implantée à Limas a traité le marché en groupement avec des entreprises possédant leur siège ou une agence dans l'agglomération lyonnaise, en multipliant le nombre de groupements pour pouvoir soumissionner à dix lots situés à proximité de son poste de production d'enrobés, conformément aux prescriptions sus-rappelées du cahier des charges ;

Qu'il n'est pas établi que ces regroupements n'aient ensuite correspondu à aucune réalité économique, en sorte que les échanges d'informations préalables (notamment sur les éléments de prix), rendus nécessaires pour leur constitution, ne peuvent être qualifiés d'illicites ;

Qu'il n'est pas davantage démontré que le grand nombre d'offres (283 au total) ait eu pour seul but de simuler une concurrence dans la mesure où 32 entreprises (soit seules, soit en regroupement de deux) ont soumissionné et où seulement 25 d'entre elles (seules ou en groupement) ont obtenu un ou plusieurs lots (directement ou en sous-traitance) ;

Que l'analyse des soumissions ne permet donc pas, au cas présent, de démontrer l'existence d'un partage et d'une répartition préalable du marché ;

Considérant, en outre, qu'il n'est pas démontré qu'un recours à des sous-traitants ait été décidé de manière occulte antérieurement à l'obtention des marchés; que, dès lors, le recours à plus de sous-traitants qu'il n'était originairement prévu, ou à d'autres sous-traitants que ceux initialement indiqués, ne saurait être constitutif d'un élément d'entente préalable à la soumission des offres, les entreprises attributaires avançant avec vraisemblance qu'elles ne pouvaient assumer autrement l'ensemble des travaux commandés, tant en raison de la spécialisation de certains travaux que d'une suractivité ponctuelle ;

Et considérant que le Ministre n'est pas fondé à invoquer le cas de l'entreprise Stal, nouvel entrant, pour conforter ses affirmations sur le caractère concerté et exclusif de la répartition du marché dans la mesure où, faute de détenir trois des neuf qualifications requises, celle-ci ne pouvait que vainement soumissionner sur l'ensemble des lots en dépit de rabais très compétitifs ;

Que dès lors, le dernier indice allégué, consistant en une certaine stabilité, par rapport au marché précédent, des attributaires des lots ou des entreprises ayant réalisé les travaux en sous-traitance, ne peut suffire à établir l'existence d'une entente ayant eu pour objet et pour effet d'évincer les entreprises n'y ayant pas pris part ainsi que de faire obstacle au jeu spontané des offres, à l'indépendance des soumissionnaires dans leurs offres de prix ou de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence

Considérant, en définitive, que le Ministre ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une entente entre les entreprises en cause, à l'occasion de l'appel d'offres de 1991 ; que son recours ne peut donc qu'être rejeté ;

V - Sur les recours incidents des sociétés Entreprise Jean Lefebvre et TGC De Filippis et les autres demandes des parties

Considérant que l'absence de demande de sanction à l'encontre de la société TGC De Filippis et le rejet du recours principal exercé envers la société Entreprise Jean Lefebvre rendent sans objet les recours incidents formés à titre subsidiaire par celles-ci, étant observé au surplus que les intéressées ne critiquent que certains motifs de la décision du Conseil ;

Considérant que l'équité commande de ne pas attribuer de somme au titre des frais non compris dans les dépens

Considérant que les avoués ne peuvent obtenir le bénéfice de la distraction des dépens que dans les matières où leur ministère est obligatoire ; que, tel n'étant pas le cas en l'espèce, les demandes présentées sur le fondement de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile par les sociétés SCREG SUD EST et SN MONIN doivent être rejetées ;

Par ces motifs, Écarte des débats le mémoire en réplique du Ministre chargé de l'économie, déposé le 2 juin 2000, Rejette les recours, Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties, Condamne le Ministre chargé de l'économie aux dépens.