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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 5 mars 1996, n° 93-02967

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay (SA)

Défendeur :

La Forme et la Santé (SARL), Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Haute-Savoie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Palisse

Conseillers :

Mmes Cuny, Kueny

Avoués :

Mes Dantagnan, Delachenal

Avocats :

Me Bellargent, SCP Clavel Gosset.

TGI Annecy, du 28 sept. 1993

28 septembre 1993

Exposé du litige :

Par lettre recommandée du 8 septembre 1989, la SARL La Forme et la Santé exploitant, dans un local situé au 1, rue de la Filaterie à Annecy, un commerce de produits ayant trait à l'alimentation diététique et aux cosmétiques, a demandé à la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay de lui adresser les conditions de vente de ses produits ainsi qu'un éventuel contrat de sélectivité.

En l'absence de toute réponse, elle a renouvelé sa demande.

Le 11 octobre 1989, la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay lui a fait connaître qu'elle n'entendait pas donner suite à sa demande car elle estimait que ses produits ne pouvaient être commercialisés que dans le cadre d'officines pharmaceutiques.

La SARL La Forme et la Santé a donc introduit une action en justice devant le Tribunal de grande instance d'Annecy statuant en matière commerciale.

Le Ministre des finances est intervenu à la procédure.

Par jugement en date du 28 septembre 1993, le Tribunal de grande instance d'Annecy, statuant commercialement, a déclaré injustifié au sens de l'article 36-2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le refus de vente opposé par la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay à la SARL La Forme et la Santé, a débouté la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay de l'ensemble de ses demandes, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, a condamné la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay à verser à la SARL La Forme et la Santé la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens.

La SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de la cour en date du 13 décembre 1993.

Faisant état de la réception au mois de juin 1994 d'une notification de griefs relative aux pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, elle sollicite dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'il soit sursis à statuer. Elle invoque à cette fin :

- l'autorité des décisions rendues par le Conseil de la concurrence, qui ont une portée générale,

- les graves inconvénients résultant d'une contrariété de décisions de la Cour et du Conseil de la concurrence,

- l'absence de préjudice tel pour la société La Forme et la Santé que l'intérêt légitime de La Roche Posay ne puisse prévaloir sur le sien.

Sur le fond, elle rappelle les termes de l'article 36 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 selon lequel engage la responsabilité civile de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice qui en résulte, le fait " de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de service, lorsque ces demandes ne représentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par l'article 10 ".

Elle estime que la SARL La Forme et la Santé est de mauvaise foi, que sa demande a un caractère anormal, et que les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas applicables en l'espèce, de sorte qu'il n'est pas besoin de recourir à son article 10, qu'en toute hypothèse, ce texte justifierait le refus de vente opposé à la société La Forme et la Santé ; qu'en effet, s'il n'existe pas de contrats écrits justifiant d'une distribution sélective ou d'un réseau de distributeurs agréés, ceux-ci certes verbaux, existent, sont valables et opposables à la société La Forme et la Santé ; qu'en outre, les principes généraux de la concurrence ne sont pas enfreints dans la mesure où le marché afférent aux produits pour lesquels le refus de vente est opposé n'a pas d'effet sensible au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que par ailleurs, le système de distribution en officines n'a pas d'objet anticoncurrentiel dès lors que les produits hors AMM son indissociables de ceux vendus sous AMM ; qu'il n'a pas non plus d'effet anticoncurrentiel car il existe une très grande concurrence entre les producteurs, entre les marques et du fait de la rivalité entre les différents circuits de distribution, que le jugement entrepris considère à tort que le fait d'exiger des revendeurs qu'ils aient la qualité de pharmacien d'officine entraîne une restriction de la concurrence, se réfère à tort à la décision n° 87-D-15 du Conseil de la concurrence confirmée par la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation qui visait des cas distincts et se réfère aussi à tort à l'enquête effectuée par la DGCCRF de Haute-Savoie, que la distribution de Roche Posay en officine ne peut par ailleurs avoir d'effet restrictif sur le plan de la concurrence tant est évidemment rationnel le lien entre l'officine et la nature spécifique des produits Roche Posay ; qu'enfin, le caractère complémentaire des produits cosmétiques par rapport aux médicaments et le fait que la clientèle de Roche Posay comprenne des consommateurs souffrant d'affections cutanées justifient des conditions de distribution adéquate que le pharmacien de par sa compétence, son éthique professionnelle, son absence de contrainte de gestion et de rentabilité, est seul à même de pouvoir offrir et que s'il y avait une dissociation entre la vente des produits sous AMM et la vente des produits hors AMM, cela se ferait au détriment de la gamme et au détriment des intérêts des consommateurs, que les exigences de Roche Posay sont nécessaires pour la réalisation du progrès économique.

Elle demande à la Cour de :

- surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir du Conseil de la concurrence à la suite de la notification de griefs,

- subsidiairement, infirmer le jugement entrepris,

- dire et juger que La Forme et la Santé a engagé sa responsabilité en mettant en vente dans son magasin des produits Roche Posay alors qu'elle n'a pas la qualité de distributeur agréé,

- condamner cette société à lui verser 100 000 F à titre de dommages et intérêts,

- nommer un huissier avec pour mission d'identifier la provenance des produits Roche Posay mis en vente dans le magasin La Forme et la Santé,

- dire que l'huissier pourra demander communication de toute facture, bon de livraison ou autre se rapportant aux produits Roche Posay mis en vente dans le magasin et enjoindre en tant que de besoin à La Forme et la Santé de remettre factures, bons de livraison ou autres à l'huissier sous astreinte de 1 000 F par jour de retard passé un délai de huit jours après la demande qui lui en sera faite par l'huissier,

- condamner La Forme et la Santé à lui verser la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dire cette société irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions, l'en débouter,

- dire et juger irrecevable et mal fondée l'intervention de la DDCCRF,

- condamner La Forme et la Santé en tous les dépens avec application pour ceux d'appel au profit de Me Dantagnan, avoué, des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

La société La Forme et la Santé fait valoir :

- qu'il ne serait pas d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer car :

-- quelque soit l'autorité des décisions du Conseil de la concurrence, il importe qu'une décision exécutoire soit rendue pour trancher le litige,

-- il est faut d'affirmer qu'il pourrait exister une contrariété de décision entre un arrêt d'une cour d'appel et une décision du Conseil de la concurrence : ni les règles qui gouvernent la procédure devant cette juridiction et cette autorité, ni l'objet, ni la portée de la décision ne sont identiques ; les graves inconvénients soulignés par Roche Posay ne seraient pour ce laboratoire que la conséquence normale de l'exécution d'une décision judiciaire à l'encontre d'une personne morale soumise aux lois de la République Française,

-- la Cour n'est pas tenue de surseoir à statuer en vertu d'un texte contraignant,

- que sa mauvaise foi ne peut être retenue dès lors que le refus de vente qui lui est opposé n'est pas justifié,

- que sa demande n'est pas anormale, la société La Roche Posay ne pouvant raisonnablement affirmer qu'un produit non médicamenteux d'une marque spécifique serait indissociablement lié avec un médicament de la même marque ;

- qu'il n'existe pas de preuve écrite de l'existence d'un contrat de distribution sélective et que la société La Roche Posay ne lui oppose donc pas de critères objectifs,

- que la concurrence doit s'apprécier par rapport au marché considéré, et que s'il y a absence d'effet sensible, celle-ci résulte précisément du propre comportement de la société La Roche Posay,

- que le système de vente de la société La Roche Posay a bien un objet anticoncurrentiel car la gamme courte de produits La Roche Posay vendue sous AMM est le prétexte et la valorisation des produits vendus hors AMM,

- qu'il a également un effet anticoncurrentiel puisque les consommateurs ne peuvent pas se procurer ce produit à un coût moins élevé en dehors du circuit d'officine,

- qu'il est faux d'affirmer que les produits hors AMM ne peuvent être vendus que dans un contexte médical dès lors que s'ils ne sont pas soumis à AMM, ils ne sont pas considérés comme médicaments et que la qualité de pharmacien d'officine ne peut pas être requise, qu'il n'existe pas de validité de système de distribution sélective en raison de la nature du produit.

Elle conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne sa demande en dommages et intérêts.

Elle réclame à ce titre une somme de 45 638,42 F outre la condamnation de la société La Roche Posay au paiement de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Haute-Savoie fait observer :

- que le nombre de produits soumis à AMM rapporté à l'ensemble des productions Roche Posay, sans être négligeable, n'en est pas moins minoritaire ; que la gamme " soins et hygiène dermatologique " présentée sous forme de dépliants aux officines ne contient aucune indication de produit soumis à AMM, pas plus qu'elle ne se réfère à la notion de complément des produits Roche Posay soumis à AMM ; qu'au demeurant, plusieurs produits de la gamme précitée ne répondent manifestement pas aux notions de grande spécificité et de complémentarité d'une gamme de médicaments tel par exemple les aérosols d'eau thermale, les laits de toilette démaquillants, les bâtonnets de protection labiale, les shampooings de traitement ou d'entretien antipelliculaire... ; que l'on ne saurait prétendre que la distribution des produits litigieux qui ne sont pas des médicaments serait indissociable et inséparable de celle des autres produits soumis à AMM ou des excipients,

- que la mauvaise foi de la société La Forme et la Santé ne saurait exister que pour autant que Roche Posay ait démontré la légitimité de son réseau de distribution sélective, ce qui constitue par ailleurs l'objet du présent appel,

- que l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 a pour objet de légitimer la mise en place de réseaux de distribution sélective soit par l'application d'un texte législatif ou réglementaire, soit par la participation au progrès économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; qu'en l'espèce, aucun texte législatif ou réglementaire n'est susceptible d'être appliqué ;

- que s'agissant de la participation au progrès économique dans le respect de la concurrence, la notion de " seuil de sensibilité " n'a jamais été retenue par le Conseil de la concurrence ; qu'un système de distribution sélective est par nature restrictif de concurrence, qu'il ne peut être fondé que sur des critères objectifs et ne doit pas avoir pour effet ou pour objet d'exclure par nature une ou des formes déterminées de commerce ; qu'il appartient à l'auteur de la mise en place d'un réseau de distribution sélective de prouver sa licéité ; que l'exclusion a priori de toute forme de commercialisation est discriminatoire et non proportionnée aux nécessités de la distribution des produits en cause ; qu'il n'y a pas de raison d'écarter la société La Forme et la Santé de la distribution des produits cosmétiques Roche Posay alors surtout que M. Tanguy, son exploitant, a la qualité de pharmacien ; que les principes dégagés par la décision du Conseil de la concurrence n° 87-D-15 le 9 juin 1987, celle de la Cour d'appel de Paris le 28 janvier 1988 et celle de la Cour de cassation le 25 avril 1989 s'appliquent et s'imposent à La Roche Posay ; que la concurrence doit pouvoir s'exprimer entre les réseaux de distribution mais aussi à l'intérieur de ceux-ci.

Elle demande à la Cour de retenir l'existence d'une contravention aux dispositions de l'article 36-2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et de condamner la société La Roche Posay à payer à l'Etat la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

I - Sur la demande de sursis à statuer :

Attendu qu'il est constant que la société La Roche Posay a reçu du Conseil de la concurrence une notification de griefs ; que le rapporteur relevait :

" Au moment de l'enquête, ce laboratoire (La Roche Posay) réservait la distribution de ses produits aux seuls pharmaciens d'officine ; il faisait valoir que ces produits ne sont pas des cosmétiques classiques, seuls visés par la décision du Conseil de la concurrence.

Il est évident qu'en agissant de la sorte, ce laboratoire, en contradiction avec la décision n° 87-D-15 du Conseil de la concurrence confirmée par la Cour d'appel, opère un traitement discriminatoire entre les distributeurs et crée une entrave à l'accès au marché pour les non officinaux.

Il lui est par conséquent fait grief de se livrer à une pratique ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence tombant sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ;

Qu'il en résulte que le Conseil de la concurrence est saisi de la question de savoir si le système de distribution des produits Roche Posay exclusivement en officine constitue ou non une pratique tombant sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 tandis que la Cour de ce siège est saisie de la validité du refus de vente opposé par la société La Roche Posay à la société La Forme et la Santé en application de ce système de distribution ;

Qu'il n'est pas contestable qu'il existe un lien entre l'objet du présent litige et la question soumise au Conseil de la concurrence ; qu'il n'y a cependant pas une stricte identité entre le refus de vente et les pratiques anticoncurrentielles au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'un refus de vente fautif peut être caractérisé en l'absence même de pratiques répondant aux conditions de ce texte ;

Qu'en outre, si les décisions du Conseil de la concurrence ou de la Cour d'appel de Paris sur recours à l'encontre de celles-ci ou de la Cour de cassation sur recours à l'encontre de celles de la Cour d'appel de Paris ont, en la matière, une portée générale, il n'existe cependant aucun texte analogue à l'article 4 du Code de procédure pénale imposant à une juridiction saisie d'un litige opposant deux parties, lié à une procédure pendante devant le Conseil de la concurrence, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de celle-ci ;

Que par ailleurs, la date de cette issue est incertaine ; qu'en effet, la décision du Conseil de la concurrence est susceptible d'appel devant la Cour de Paris et que les décisions de la Cour d'appel sont susceptibles de pourvoi en cassation ; que tant que les voies de recours ou les délais des voies de recours n'auront pas été épuisés, la décision sur le caractère anticoncurrentiel ou non du système de distribution de la société La Roche Posay n'aura pas force de chose jugée et que le sursis à statuer ne peut se concevoir que dans l'attente d'une décision bénéficiant de cette force ;

Qu'en tout état de cause, le risque de contrariété entre une décision immédiate de la Cour sur le refus de vente dont la société La Forme et la Santé fait grief à la société Roche Posay et la décision à venir du Conseil de la concurrence ou des juridictions d'appel ou de la Cour de cassation sur le caractère anticoncurrentiel au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 du système de distribution de la société La Roche Posay ne présente qu'un inconvénient limité, puisque le présent litige n'intéresse que les rapports entre la société La Roche Posay et la société La Forme et la Santé ;

Qu'enfin, il est de l'intérêt de la société La Forme et la Santé d'obtenir une réponse rapide au litige qui l'oppose à la société La Roche Posay alors surtout qu'elle a introduit la présente procédure en juillet 1990, il y a donc plus de 5 ans et bien avant la notification de griefs à la société La Roche Posay ; qu'il n'y a donc pas lieu dans ces conditions de surseoir à statuer ;

Sur l'intervention du Directeur Départemental de la Concurrence :

Attendu que la société La Roche Posay qui conclut à l'irrecevabilité de cette intervention n'invoque aucun moyen au soutien de cette prétention ; qu'elle est recevable en application de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

II- Sur les demandes de la société La Forme et la Santé :

Attendu que selon l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le refus de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé lorsque les demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 ;

Que l'article 10 précise que ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 (prohibant les ententes et les abus de domination) les pratiques :

1) qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application,

2) dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ;

Que l'article 7 prohibe, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1) limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises,

2) faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

Attendu que la société La Roche Posay fabrique d'une part des produits soumis à autorisation de mise sur le marché (AMM) qui sont des médicaments et d'autre part des produits non soumis à une telle autorisation ; qu'elle n'accepte toutefois de commercialiser ces derniers que par le seul canal des pharmacies d'officine, comme ceux médicamenteux ; qu'elle a par suite été amenée à refuser leur fourniture à la société La Forme et la Santé qui n'est pas une pharmacie d'officine ; qu'il convient de rechercher si ce refus de vente qui est caractérisé et d'ailleurs non contesté est ou non fautif au regard des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et donc si la demande présentait ou non un caractère anormal, si elle était ou non faite de bonne foi et si le refus est ou non justifié par les dispositions de l'article 10 de cette ordonnance ;

A- Caractère normal ou anormal de la demande :

Attendu que la société La Roche Posay estime que la demande est anormale du fait du caractère indissociable de sa gamme, comprenant à la fois des médicaments ou excipients relevant du monopole légal des officines et des produits de soins complémentaires, qui s'oppose à ce que ceux-ci puissent être commercialisés indépendamment de ceux-là ;

Attendu cependant, que comme le soutient la société La Forme et la Santé, la classification par le biais de l'AMM dissocie fondamentalement et sans qu'il soit besoin de prouver plus, les médicaments des non médicaments ; qu'admettre le raisonnement de la société La Roche Posay reviendrait à considérer qu'un produit La Roche Posay non soumis à AMM ne peut être vendu sans un produit soumis à AMM de la même marque ce qui est d'évidence contraire à la vérité et à la réalité ; qu'en outre, le nombre de produits de la gamme soumis à AMM est minoritaire par rapport aux autres ; que par ailleurs, les dépliants remis aux officines concernant les produits hors AMM La Roche Posay ne font pas état des produits soumis à AMM de la même marque et ne sont pas présentés comme constituant exclusivement ou au moins essentiellement des compléments de ceux-ci ; que du reste, bien des produits hors AMM ne répondent manifestement pas aux notions de grande spécificité et de complémentarité à des médicaments ; qu'enfin, il n'est pas de dispositions ni même de considérations qui imposent que les produits hors AMM La Roche Posay ne soient distribués qu'en pharmacie ;

Que la société La Roche Posay est dans ces conditions mal fondée à soutenir que la demande de fourniture de produits hors AMM de la société La Forme et la Santé :

- qui a pour activité le commerce de détail d'articles médicaux et de produits de beauté, cosmétiques, produits diététiques et en particulier la vente en l'état de la législation de produits cosmétiques nécessitant la présence d'un diplôme de pharmacien ou équivalent de la CEE (cf. extrait du répertoire national des entreprises et de leurs établissements et extraits du registre national du commerce et des sociétés),

- et dont le gérant est de surcroît titulaire d'un diplôme de pharmacien et justifie avoir suivi un stage de dermocosmétologie appliquée à l'officine,

est anormale en raison de l'indissociabilité de sa gamme de produits ;

B- Sur la bonne ou la mauvaise foi :

Attendu qu'en vertu de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le refus fautif de vente suppose que la demande ait été faite de bonne foi ;

Que la société La Roche Posay soutient que la société La Forme et la Santé est de mauvaise foi car elle commercialise des produits La Roche Posay hors AMM sans attendre son admission au sein du réseau de distribution et au mépris de l'ordonnance de référé du 19 décembre 1990 ;

Attendu qu'il ne saurait être contesté que la bonne foi s'apprécie au moment où est présentée la demande ; qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'à la date de la demande formée par lettres recommandées des 8 septembre 1989 (accusé de réception " AR " du 9 septembre 1989), 9 octobre 1989 (AR du 10 octobre 1989), 20 décembre 1989 (AR du 27 décembre 1989) et 22 décembre 1989 (AR du 27 décembre 1989), la société La Forme et la Santé commercialisait déjà des produits hors AMM La Roche Posay détenus grâce à un circuit parallèle ; qu'elle ne reconnaît cette commercialisation, d'après les pièces qu'elle produit, qu'à compter de la fin de l'année 1991 ; qu'il a également été jugé que la mauvaise foi d'un distributeur qui s'approvisionne sur un marché parallèle ne saurait justifier un refus de vente lorsque cet approvisionnement n'a été effectué qu'après la commande refusée par le fournisseur, ce qui est le cas en l'espèce ; que par ailleurs, l'ordonnance de référé du 19 décembre 1990 est postérieure de plus d'une année à la première demande du 8 septembre 1989, réitérée à plusieurs reprises fin 1989, qui s'est heurtée à un refus de vente et également postérieure à l'introduction de la présente procédure par la société La Forme et la Santé par assignation du 18 juillet 1990 ; que les faits qu'invoque la société La Roche Posay ne peuvent permettre de conclure que la demande de la société La Forme et la Santé n'a pas été faite de bonne foi au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

C- Sur le fait justificatif résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Attendu que l'article 10 étant partie du Titre III relatif aux pratiques anticoncurrentielles, le mécanisme justificatif renvoyant à cet article ne saurait jouer face à un refus de vente que pour autant qu'aurait été préalablement constatée une pratique de l'article 7 ou de l'article 8 ; que le refus de vente ne peut être justifié par l'article 10 que si le comportement du producteur a préalablement été considéré comme tombant sous le coup des articles 7 et 8 ;

Attendu que si la société La Roche Posay qui distribue ses produits par le seul canal des pharmaciens d'officines n'a pas établi de contrats de distribution, il n'en demeure pas moins que l'agrément d'un distributeur par un producteur qui est un acte de nature à garantir le respect du contrat, explicite ou tacite, entre ce producteur et tous ses distributeurs n'ayant pas la qualité de pharmaciens d'officine, est bien de nature contractuelle au sens des articles 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et 85 du Traité de Rome et qu'il se trouve bien visé par les dispositions prohibant certaines conventions ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter la concurrence ;

Attendu que contrairement à l'avis exprimé par le tribunal, cette prohibition ne peut s'expliquer que dans le cas d'une atteinte sensible, avérée ou potentielle, au jeu de la concurrence, l'article 7 de l'ordonnance devant s'interpréter par référence à l'interprétation donnée en droit communautaire à l'article 85-1 du Traité de Rome ;

Attendu qu'en l'espèce, le circuit officinal a créé au regard des consommateurs une image propre liée à celle du pharmacien dispensateur de médicaments ; que ce circuit de distribution, qui comprend l'ensemble d'une profession strictement réglementée par la puissance publique et organisée autour du monopole du médicament a ainsi pour conséquence aux yeux des utilisateurs une insubstituabilité des produits vendus exclusivement en pharmacie par ceux similaires vendus dans le cadre d'autres circuits de distribution ; qu'en outre, même si la société La Roche Posay n'impose pas ni même ne conseille de prix, il n'empêche que la distribution exclusivement en pharmacie entraîne une rigidité dans la fixation des prix de revente, cette fixation étant conditionnée ainsi que l'a relevé le tribunal par les règles déontologiques de la profession qui s'opposent à une véritable concurrence entre officines, dynamisée par une liberté de publicité et de promotion et qui imposent aux officines un devoir mutuel de loyauté et de solidarité (art. R. 5015-16, R. 5053 et R. 5015-60 du Code de la santé publique) ;

Que cette restriction à la concurrence a du reste été vérifiée par une enquête nationale et confirmée à l'occasion du présent litige par une enquête locale de la CCRF de la Haute-Savoie, qui a démontré que la société La Forme et la Santé vendait des produits cosmétiques Roche Posay qu'elle avait pu se procurer ailleurs que chez le fabricant, environ 20 % moins cher que dans trois pharmacies situées à proximité immédiate de son établissement ;

Qu'enfin, il ne peut être méconnu que le système de distribution exclusive en pharmacie pratiquée par la société La Roche Posay s'inscrit dans le cadre d'une politique plus générale d'une telle distribution à laquelle avaient recouru d'autres fabricants de cosmétiques et produits d'hygiène corporelle, comparables à ceux hors AMM de la marque Roche Posay, ce qui a donné lieu à une décision du Conseil de la concurrence en date du 9 juin 1987 et sur recours à l'encontre de cette décision à un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 28 janvier 1988, puis à un arrêt de la Cour de cassation en date du 25 avril 1989 ;

Que les systèmes de distribution sélective en pharmacie couvraient alors en France plus de 11 % des ventes totales de cosmétiques et produits d'hygiène corporelle ; que la société La Roche Posay, dont la situation est similaire à celle de ces autres fabricants pour les produits hors AMM, ne saurait actuellement tirer parti du fait que son cas est traité isolément et après celui des autres fabricants de produits similaires qui avaient recouru au même système de distribution et de la faible part de marché (3 % du marché des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus en pharmacie) que représentent ses produits hors AMM ; que le système de distribution de la société La Roche Posay, fondé sur des agréments de nature contractuelle ayant pour effet d'exclure tous les distributeurs n'ayant pas la qualité de pharmaciens, constitue une pratique anticoncurrentielle, qui a ou peut avoir, du fait de l'insubstituabilité dans l'esprit du consommateur des produits hors AMM vendus exclusivement en pharmacie par des produits similaires d'autres marques vendus en dehors des pharmacies et de la rigidité des prix pratiqués par des officines de pharmacie, un effet sensible sur la concurrence et ce, quelque soit sa part du marché, alors surtout qu'il ne peut être fait abstraction de ce que ce système s'intégrait à l'origine dans une politique plus généralisée adoptée par de nombreux fabricants ;

Qu'il résulte de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'une telle pratique peut toutefois se justifier et échapper aux dispositions des articles 7 et 8 de la même ordonnance si la société La Roche Posay établit :

- que son système de distribution procède d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application,

- qu'il a pour effet d'assurer un progrès économique c'est-à-dire par exemple de favoriser la conquête d'un marché, de rationaliser la distribution d'un produit, d'améliorer le service rendu au consommateur, qu'il réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte c'est-à-dire une partie de ses avantages est répercutée sur l'utilisateur tel par exemple la baisse du prix ou l'amélioration du service fourni, qu'il ne donne pas la possibilité aux entreprises contractantes d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, que les restrictions imposées à la concurrence sont indispensables pour atteindre l'objectif de progrès économique poursuivi à travers la convention ;

Attendu que la société La Roche Posay ne se prévaut pas de l'existence d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application (article 10-1 de l'ordonnance) ; que les produits Roche Posay hors AMM font partie de ceux dont les pharmacies peuvent faire le commerce mais dont elles n'ont pas le monopole légal ; qu'aucun texte n'interdit leur commercialisation autrement qu'en pharmacie ; que du reste, des produits similaires mais d'autres marques sont distribués dans d'autres circuits commerciaux que les pharmacies ;

Que cette société invoque par contre le bénéfice des dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dont elle estime en effet que les conditions sont réunies ; qu'elle soutient en effet que la distribution de ses produits hors AMM exclusivement en pharmacie sert le progrès économique ; qu'elle est justifiée par les nécessités d'une distribution adéquate des produits destinés à des consommateurs souffrant de pathologies cutanées ; qu'elle assure la protection du consommateur et favorise l'introduction de produits nouveaux et la protection de leur image de marque, notamment en raison du conseil au consommateur et de la remontée de l'information du consommateur au fabricant ;

Attendu qu'ainsi que cela a déjà été exposé, les produits Roche Posay soumis à AMM sont minoritaires par rapport à ceux hors AMM ; que l'argument selon lequel les produits hors AMM seraient complémentaires des médicaments est inopérant ; que cette complémentarité n'est pas démontrée ; qu'elle ne peut concerner tous les produits hors AMM et que si la spécificité ou les propriétés particulières de certains produits peut amener des médecins à les prescrire à des malades, aucun texte n'exige de toute façon leur délivrance par des pharmaciens d'officines, qu'il n'y a pas ainsi que cela a déjà été exposé indissociabilité des produits sous AMM et de ceux hors AMM ; que par ailleurs, les fabricants de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle peuvent, dans la limite de ce qui est nécessaire à une distribution adéquate de leurs produits, fixer à leurs revendeurs des conditions relatives à la présentation, au stockage, à l'organisation du conseil à la vente par une personne compétente et à la détention d'un stock déterminé ; que rien ne s'oppose notamment à ce qu'ils exigent pour la vente de certains produits la présence sur le point de vente de personnes spécialement qualifiées par leur formation pour la fonction de conseil au client et de liaison avec le fabricant, notamment celle d'un titulaire du diplôme de pharmacien ; qu'enfin tous les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, quel que soit leur mode de distribution, sont soumis aux mêmes exigences de contrôle et de fabrication avant leur mise sur le marché, en application de la loi 75-604 du 10 juillet 1975, et aux mêmes impératifs en ce qui concerne la sécurité des consommateurs, en application de l'article L . 658-4 du Code de la santé publique et de la loi 83-660 du 21 juillet 1983 ; que la législation relative à la protection des consommateurs est applicable à tous les revendeurs, qu'ils soient ou non pharmaciens d'officine ;

Qu'il n'est donc pas établi que la distribution des produits Roche Posay hors les officines de pharmacie ne pourrait pas aussi bien que leur distribution en pharmacie assurer la protection du consommateur, satisfaire au besoin de conseil lorsque cela est nécessaire, permettre l'amélioration des produits existants et de leur diffusion, le lancement de produits innovants et la promotion de la marque tout en respectant le principe de la libre concurrence; que l'exclusion " a priori " de toute forme de commercialisation autre que la pharmacie ne repose sur des critères objectifs et constitue une restriction discriminatoire et non proportionnée aux nécessités de la distribution des produits en cause;

Que les restrictions ainsi imposées à la concurrence ne sont pas indispensables à l'objectif du progrès économique poursuivi ;

Que le fait justificatif de l'article 10-2 de l'ordonnance n'existe donc pas en l'espèce où ses conditions ne sont pas réunies ;

Que le refus de vente opposé par la société La Roche Posay à la société La Forme et la Santé en se fondant sur un système de distribution constitutif de pratiques anticoncurrentielles prohibées et non justifiées au regard de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, est en conséquence fautif ;

Qu'à supposer que le renvoi opéré par l'article 36 à l'article 10 n'implique pas l'existence des pratiques définies par les articles 7 et 8 et permette au contraire de se limiter à l'examen de l'article 10, abstraction faite de toute référence à de telles pratiques, le défaut de réunion des conditions de ce texte exclurait de la même façon que le refus de vente soit justifié ;

Qu'à supposer enfin que le système de distribution de la société La Roche Posay ne puisse être considéré comme constitutif de pratiques anticoncurrentielles au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance au motif par exemple qu'il n'aurait pas d'effet sensible sur la concurrence, le mécanisme justificatif de l'article 10-2 ne pourrait alors être invoqué et le refus de vente établi et non contesté, opposé à une demande n'ayant pas de caractère anormal et faite de bonne foi, ne serait alors de toute façon pas susceptible d'être justifié et demeurerait fautif ;

Qu'en résumé ou bien les pratiques répondant à la définition des articles 7 et 8 existent, comme l'a estimé la Cour et ne peuvent être justifiées en application de l'article 10 dont les conditions ne sont pas réunies de sorte que le refus de vente n'est pas non plus justifié, ou bien ces pratiques n'existent pas et le refus de vente n'est pas davantage justifié soit en raison du défaut de réunion des conditions visées à l'article 10, soit parce que le fait justificatif résultant de cette disposition ne peut être invoqué ;

Que dans tous les cas de figure, le refus de vente de la société La Roche Posay à la société La Forme et la Santé apparaît dès lors fautif alors surtout qu'en l'espèce, la société La Forme et la Santé présente toutes les garanties de compétence technique pour conseiller les consommateurs utilement puisque son gérant, M. Tanguy, justifie être titulaire d'un diplôme de pharmacien et au surplus avoir suivi un stage de dermo-cosmétologie appliqué à l'officine ; qu'il s'ensuit que la société La Roche Posay est mal fondée à se plaindre d'un préjudice subi du fait de la commercialisation de ses produits par celle-ci et à solliciter une mesure d'instruction pour en déterminer l'étendue ; qu'en conséquence et pour les motifs non contraires du jugement que la Cour fait siens, le tribunal a, à bon droit, déclaré le refus de vente litigieux injustifié au regard de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et débouté la société La Roche Posay de ses demandes ;

III - Sur les demandes de la société La Forme et la Santé :

Attendu que la société La Forme et la Santé prétend avoir subi un préjudice du fait du refus de vente auquel elle s'est heurtée ; qu'elle explique qu'elle s'est effectivement procuré les produits La Roche Posay à un prix nettement plus élevé que celui qu'elle aurait pu négocier en cas de livraison directe par les laboratoires La Roche Posay et avec des sujétions particulières pour obtenir un approvisionnement régulier ; qu'il ressort cependant du détail du calcul de son préjudice qu'il s'agit également pour elle d'obtenir l'indemnisation de la perte tenant à l'absence dans son point de vente de la gamme Roche Posay jusqu'à sa mise en place plus qu'imparfaite fin 1991 ; qu'elle se fonde sur le fait :

- que la gamme Roche Posay représente 3 % des ventes de cosmétiques dans le réseau de pharmacies d'officine et prend cette même base de calcul pour son dédommagement soit 3 % des ventes de cosmétiques de son point de vente, tout en précisant que les constats de la Direction Départementale de la Concurrence et des Prix aboutissent pour son point de vente à un chiffre de 5 % après la mise en place imparfaite de la marque,

- que 3 % de son chiffre d'affaires correspondent à 42 072 F en 1989, 57 165 F en 1990 et 84 468 F en 1991,

- que le prix moyen d'un produit dans son magasin est de 41 F, que le nombre de produits manquants peut donc être chiffrés à 1026 en 1989, 1395 produits en 1990 et 2060 produits en 1991 (42 072 : 41 - 57 165 : 41 - 84 468 : 41),

- que sa marge moyenne est de 13,55 F par produit soit 3 475,58 F pour le 3e trimestre 1989 (1 026 x 13,55 = 13 902,30 F : 4), 18 902,25 F pour 1990 (1 395 x 13,55) et 23 260,84 F (2 060 x 13,55 = [27 913 x 10]/12 = 23 260,84) pour les dix premiers mois de 1991 jusqu'à la commercialisation de produits La Roche Posay, total : 45 638,42 F;

Que cependant les chiffres qu'elle avance ne sont étayés d'aucune pièce justificative et que le résultat auquel elle aboutit ne tient pas compte des frais de fonctionnement et charges supplémentaires qu'aurait entraîné pour l'époque considérée la commercialisation de produits Roche Posay ;

Que dans ses conclusions d'intervention du 27 juillet 1994, le directeur départemental de la concurrence et de la consommation indique que le chiffre d'affaires réalisé par la SARL La Forme et la Santé dans le cadre de rétrocession est de 61 000 F TTC ;

Qu'au vu des éléments du dossier, le préjudice subi par la société La Forme et la Santé du fait qu'elle n'a pu commercialiser entre fin 1989, époque de sa première demande et fin 1991, des produits hors AMM Roche Posay et qu'elle a dû ensuite se heurter aux difficultés du recours à des voies parallèles pour en obtenir en dehors du fabricant doit être évalué à la somme de 30 000 F ; qu'à tort le tribunal l'a déboutée de sa demande ; que la société La Roche Posay doit être condamnée à lui payer cette somme outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

IV - Sur les demandes en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société La Forme et la Santé l'intégralité des frais irrépétibles que lui a occasionnés la présente procédure ; que la société La Roche Posay doit être condamnée à lui verser la somme de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel confondus ;

Qu'il n'est pas inéquitable par contre que celle-ci qui succombe en son appel et au fond et la Direction Départementale de la Concurrence et des prix qui est intervenue volontairement à l'instance, ne faisant qu'user de la simple faculté de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, supportent quant à elles l'intégralité des frais irrépétibles qu'elles ont exposés ;

Que la société La Roche Posay supportera en outre les entiers dépens tant d'appel que de première instance ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Rejette la demande de sursis à statuer et dit n'y avoir lieu à un tel sursis à statuer, Déclare l'appel de la société La Roche Posay recevable en la forme, Déclare l'intervention de Monsieur le Directeur Départemental de la Concurrence et des Prix recevable, Au fond, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - déclaré injustifié au sens de l'article 36-2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le refus de vente opposé par la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay à la SARL La Forme et la Santé, - débouté la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay de ses demandes, - condamné la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay aux entiers dépens, L'infirme du chef du rejet de la demande de dommages et intérêts de la SARL La Forme et la Santé et de la condamnation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Statuant à nouveau de ces chefs et ajoutant audit jugement, Condamne la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay à payer à la SARL La Forme et la Santé : - la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, - la somme de 15 000 F an application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel confondus, Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires, Condamne la SA Laboratoires pharmaceutiques Roche Posay aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Delachenal, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.