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Décisions

Conseil Conc., 26 avril 1994, n° 94-D-27

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Marché de la distribution du matériel de jardin et de motoculture

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Simone de Mallmann, désignée pour suppléer Mme Galène, rapporteur, empêché, par M. Cortesse, vice-président, présidant, M. Bon, M. Marleix, M. Rocca, M. Sloan, M. Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 94-D-27

26 avril 1994

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 31 août 1990 sous le numéro F 339 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques mises en œuvre par la société en nom collectif Electrolux Motoculture sur le marché de la distribution du matériel de jardin et de motoculture; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Electrolux Motoculture et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Electrolux Motoculture entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

La société Electrolux Motoculture commercialise du matériel de jardin sous la marque Husqvarna et des motoculteurs sous la marque Staub, par l'intermédiaire de revendeurs agréés avec lesquels elle a conclu des contrats de distribution.

1. a) Le contrat de distribution applicable pour la saison 1987-1988 et qui définit les relations commerciales entre la société Electrolux Motoculture et les revendeurs des matériels Husqvarna est intitulé " Contrat de partenariat Husqvarna 1987-1988 ". II comporte dans ses articles 1er et 2 une clause d'exclusivité territoriale et de clientèle ainsi rédigée:

" Article 1er

" Partenariat

"... le concessionnaire Husqvarna désigné... doit accepter de représenter " Husqvarna " dans le domaine des produits Forêt et Jardin, ..., sans exception aucune et dans des volumes en rapport avec le secteur de vente attribué.

" Husqvarna s'engage à ne pas conclure d'autres contrats dans la zone d'influence couverte par le contrat en vigueur pendant la durée de sa validité...

" Article 2

" Zone d'influence

" Attribuée à ..., concessionnaire Husqvarna non exclusif, et déterminée en annexe.

" Le concessionnaire s'engage à respecter strictement les limites de ce territoire, tant en prospection commerciale et publicitaire que ventes à la clientèle. Si tel n'est pas le cas, cette zone d'influence peut être reconsidérée sans délai par Husqvarna. "

L'annexe mentionnée au premier alinéa de l'article 2 précité est jointe au contrat et fixe la " zone d'influence " du concessionnaire. Selon les déclarations de M. Staub, directeur de la division Staub-Husqvarna de la société Electrolux Motoculture, les zones attribuées s'étendent dans un rayon de 25 kilomètres autour du point de vente."

Aux termes de l'article 14 du contrat, les revendeurs s'engagent à respecter la zone d'influence sous peine de rupture du contrat pour faute grave.

Ce contrat a été signé par environ 10 p. 100 des revendeurs constituant le réseau de distribution de la société et n'a pas été renouvelé depuis 1988.

1. b) Le contrat de distribution qui définit les relations commerciales entre la société Electrolux Motoculture et les revendeurs de motoculteurs de marque Staub, intitulé " Accord de coopération Staub " et qui date de 1981, était encore en vigueur au moment de la saisine du Conseil de la concurrence. Aux termes de l'annexe IV du contrat, une " zone d'influence " est attribuée au revendeur qui " s'engage à respecter strictement les limites de ce territoire, tant en prospections - commerciales et publicitaires - que ventes à la clientèle ". L'" accord de coopération Staub " ne comporte pas de clause d'exclusivité de territoires et de clientèle.

2. La société Electrolux Motoculture a adressé en novembre 1987 un courrier identique à deux revendeurs, la société Roques et Lecoeur et la société Bernard, dans lequel elle leur demande de relever leurs prix de revente et de pratiquer les prix conseillés par le fournisseur, en les menaçant, au cas où ils ne se conformeraient pas à cette demande, de leur retirer son soutien financier et publicitaire. Ce courrier est ainsi rédigé :

" Notre inspecteur commercial ..., nous a communiqué les prix que vous pratiquez sur nos tronçonneuses Husqvarna ...

" Ces prix sont trop loin de ceux que nous vous recommandons de pratiquer pour dégager au niveau de votre entreprise une profitabilité suffisante.

" Nous attirons votre attention sur la nécessité de respecter nos recommandations en cette matière.

" Si tel n'était pas le cas, nous serions en effet amenés à reconsidérer le bien-fondé de notre participation financière à vos investissements Pub Husqvarna, comme d'ailleurs de votre éventuelle BFA (bonification de fin d'année) Husqvarna Forêt 1987. "

La lettre adressée à la société Roques et Lecoeur a été rédigée à la suite d'une intervention d'un revendeur, les établissements Sourdon, qui se plaignaient des prix excessivement bas pratiqués par son concurrent, comme en témoignent les déclarations de M. Staub ainsi que la mention portée en haut de cette lettre selon laquelle copie en a été adressée aux établissements Sourdon.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur les contrats de distribution de la société Electrolux Motoculture

Considérant que les clauses contenues dans les contrats de distribution conclus entre la société Electrolux Motoculture et ses revendeurs pour les produits Husqvarna et Staub, par lesquelles ces revendeurs s'engagent à respecter le territoire qui leur est concédé tant en prospection commerciale et publicitaire que pour les ventes à la clientèle, en tant qu'elles leur interdisent de vendre ces produits hors de la zone d'influence qui leur est affectée, constituent une entrave à leur liberté commerciale et sont de nature à entraîner un partage artificiel du marché; que de telles clauses ont pour objet et ont pu avoir pour effet de restreindre la concurrence entre les revendeurs sur le marché considéré;

Considérant que la société Electrolux Motoculture, tout en reconnaissant que ces clauses " auraient pu avoir pour effet de limiter la liberté commerciale des revendeurs et de restreindre le jeu de la concurrence entre ceux-ci ", avance cependant que ces clauses n'ont pas eu d'effet sur le marché, puisque ces contrats n'ont " guère été signés que par une quarantaine de revendeurs sur les 200 concernés..., que lesdites clauses même signées, n'ont pas été appliquées sur le terrain, et qu'aucune conséquence n'a été subie par les revendeurs qui n'avaient pas signé lesdits contrats ..., que dès la saison 1988-1989, ces contrats ont été remplacés par d'autres contrats dans lesquels ces clauses restrictives de concurrence n'existaient plus " ;

Mais, considérant que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les conventions qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché ; que dès lors, la société Electrolux Motoculture ne peut utilement soutenir, pour contester la qualification des pratiques relevées, que celles-ci n'auraient pas eu d'effet anticoncurrentiel ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les clauses susmentionnées sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'imposition de prix minimum :

Considérant qu'il ressort des constatations figurant au I, 2 de la présente décision que la lettre du 23 novembre 1987 adressée par la société Electrolux Motoculture aux établissements Roques et Lecoeur a été rédigée à l'initiative des établissements Sourdon et en accord avec eux; qu'elle est ainsi la manifestation d'une action concertée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que ce courrier avait pour objet et pouvait avoir pour effet de restreindre la libre fixation de ses prix de vente par la société Roques et Lecoeur;

Considérant que la société Electrolux Motoculture soutient que, par la lettre susmentionnée, elle " ne cherche pas à imposer des prix à Roques et Lecour... " et " attire en fait l'attention de ce revendeur sur la nécessité de préserver des marges compatibles avec sa profitabilité "; que cette lettre serait par ailleurs justifiée par le fait qu'il s'agit d'un client nouveau qui, au surplus, a connu " une difficulté de règlement intervenue le mois précédent " ;

Mais, considérant que cette lettre avait expressément pour objet le " respect des prix conseillés Husqvarna "et qu'en écrivant : " Nous attirons votre attention sur la nécessité de respecter nos recommandations en la matière " (c'est-à-dire en matière de prix de revente), la société Electrolux Motoculture a exprimé clairement sa volonté d'imposer à son revendeur de pratiquer les prix qu'elle conseille;

Considérant que le fait que les établissements Roques et Lecoeur ont retardé le règlement à la société Electrolux Motoculture d'une dette de 4 844 F, à supposer même qu'il soit établi, est sans incidence sur la qualification de la pratique considérée au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la pratique susmentionnée est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance précitée;

Sur la sanction :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance de 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos... " ;

Considérant que si les contrats de distribution examinés par le conseil ont pu affecter le fonctionnement de l'ensemble du réseau de distribution de la société Electrolux Motoculture, dont la notoriété des marques est importante et si, par ailleurs, la pratique de prix minimum imposé imputable à cette entreprise porte atteinte à la liberté des revendeurs dans la fixation de leurs prix de vente, sans laquelle le jeu de la concurrence ne peut s'exercer entre eux, il y a lieu de tenir compte du faible dommage causé à l'économie, en raison de la brièveté de la période pendant laquelle la clause figurant dans le contrat de distribution des produits Husqvarna s'est appliquée, celle-ci ayant été supprimée dès la saison 1988-1989 et du fait que la pratique de prix minimum imposé n'a concerné qu'un seul revendeur et qu'elle n'a pu avoir qu'une incidence minime sur le marché ;

Considérant que la SNC Electrolux Motoculture est devenue au 1er janvier 1991 la SNC Husqvarna France, puis a repris sa dénomination en janvier 1993 ; que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination du montant de la sanction est celui de l'exercice 1992, dernier exercice connu, soit 198 579 456 F ;

Considérant qu'il y a lieu, en fonction de l'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus, d'infliger à cette société une sanction pécuniaire de 100 000 F,

Décide :

Article unique. - II est infligé à la société Electrolux Motoculture une sanction pécuniaire de 100 000 F.