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Conseil Conc., 24 mai 1994, n° 94-D-32

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Secteur de la coiffure

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Cès, par M. Barbeau, président, MM. Jenny, Cortesse, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 94-D-32

24 mai 1994

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 5 septembre 1990 sous le numéro F 347, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le réseau de franchise Jean-Louis David Diffusion dans le secteur de la coiffure ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le règlement n° 4087-88 du 30 novembre 1988 de la Commission des communautés européennes concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté économique européenne modifié, à des catégories d'accords de franchise ; Vu les lettres en date du 10 février 1994 du président du Conseil de la concurrence notifiant aux parties et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter le dossier en commission permanente, conformément aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées pour la société Gérome Coiffure et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Gérome Coiffure entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

a) Le secteur

1°) Présentation générale :

Le secteur de la coiffure est un secteur artisanal qui compte environ 48 000 salons occupant près de 160 000 personnes. Ces salons sont, pour l'essentiel, des salons de quartier comprenant moins, de six salariés dans 61 p. 100 des cas, dont 32 p. 100 avec un artisan unique. Seulement 5 p. 100 des salons emploient de six à neuf personnes.

2°) Les réseaux de franchise de coiffure :

Les réseaux de franchise de coiffure sont des franchises de services. Ils ont pour objet la fourniture de prestations de coiffure, traitements et soins des cheveux et de produits capillaires liés à cette activité. Ils permettent à un franchisé d'installer un salon de coiffure en bénéficiant de l'expérience préalable du franchiseur. Le franchisé utilise la marque de ce dernier et a accès à son savoir-faire et à une formation professionnelle permanente. Le franchiseur l'assiste également dans l'installation et la gestion de son salon.

Les premiers salons de coiffure franchisés sont apparus en 1976. L'instruction a permis de dénombrer actuellement une trentaine d'enseignes de coiffure franchisées qui se répartissent sur le marché de la coiffure en différentes catégories selon les prestations offertes et les prix pratiqués.

Parmi elles, cinq réseaux apparaissent les plus importants : Jean-Louis David et Jacques Dessange avec, chacun, 300 salons installés en France, Saint-Algue avec 200 salons, Vog Coiffure et Jean-Claude Biguine avec, respectivement 136 et 90 salons installés en France.

Cependant, malgré l'essor incontestable de cette formule, les salons de coiffure franchisés ne représentent que 3,5 p. 100 de l'ensemble des salons de coiffure.

3°) Les réseaux de franchise de coiffure à l'enseigne Jean-Louis David :

Les réseaux de franchise de coiffure à l'enseigne Jean-Louis David sont gérés par la société anonyme Gérome Coiffure. Ils comptent 575 salons dans le monde entier et constituent, ainsi, le premier réseau mondial de franchise avec un chiffre d'affaires annuel d'un milliard de francs.

Trois réseaux de salons de coiffure à l'enseigne Jean-Louis David ont été créés qui correspondent, selon le responsable de la société Gérome Coiffure, à trois concepts de coiffure différents, adaptés à chaque clientèle "Tradition", "Diffusion" et "Quick Service".

Le réseau de franchise Jean-Louis David Diffusion comptait, en mai 1989, 133 salons de coiffure dans le monde ; ce réseau s'adresse plus particulièrement à une clientèle haut de gamme féminine et masculine.

Les coiffeurs franchisés du réseau Jean-Louis David Diffusion exploitent leur entreprise à leurs risques et périls. Selon les stipulations du contrat de franchise, Jean-Louis David leur concède l'autorisation d'utiliser la marque, le savoir-faire mis au point par le franchiseur et un territoire exclusif. Ils doivent se conformer à certaines exigences relatives à l'agencement et à la décoration de leur salon, à la tenue vestimentaire de leur personnel et à sa formation professionnelle permanente, à la présentation des produits capillaires offerts à la vente. En contrepartie de l'assistance technique, commerciale et administrative fournie par le franchiseur, ils sont tenus de verser à ce dernier diverses contributions financières. Ils sont liés par des obligations visant à préserver les normes d'homogénéité et l'image de marque du réseau de franchise et qui permettent d'offrir à la clientèle "la même gamme de coiffures, exécutées selon les mêmes méthodes de coiffure, et présentant une enseigne, un décor, un ameublement, des commodités et des services, une politique d'achat et des campagnes publicitaires similaires".

b) Les pratiques dénoncées

1°) Clause d'approvisionnement :

Aux termes des articles 13-2 et 13-3 du contrat de franchise : "Le franchisé s'engage à n'acheter et à ne faire usage que des produits indiqués pour permettre et faciliter la réalisation des coiffures, traitements et soins du cheveu, selon le style "Jean-Louis David" ;

"Le fabricant des produits actuellement utilisés est L'Oréal ;

"Au cas où Jean-Louis David déciderait de changer de produits et/ou de fabricant, Gérome Coiffure en informera aussitôt le franchisé qui devra, après avoir épuisé ses stocks et au plus tard dans les trois mois suivant la notification qui lui sera faite du nom et des coordonnées du nouveau fabricant, changer ses produits pour qu'ils soient désormais conformes et identiques aux nouveaux produits sélectionnés."

Ces dispositions ont, pour l'essentiel, été reprises dans l'article 10.1.1.1 des contrats régissant actuellement le fonctionnement du réseau Jean-Louis David Diffusion.

II résulte de cette clause que les franchisés seraient contraints d'utiliser les produits dont l'emploi est préconisé par le franchiseur. Cette restriction dans la liberté d'approvisionnement du franchisé serait injustifiée dès lors qu'il est possible de fixer pour de tels produits des spécifications objectives de qualité et de les faire appliquer dans tous les salons de coiffure Jean-Louis David Diffusion.

2°) Limitation de la liberté tarifaire des franchisés :

L'article 6-6-7 du contrat en vigueur à l'époque des faits stipule que lorsque plusieurs franchisés sont installés dans la même ville, le franchisé "s'engage à avoir une politique de prix compatible avec celle du ou des autres salons de coiffure Jean-Louis David Diffusion" installés dans cette même ville. Par suite, en cas de désaccord entre plusieurs franchisés installés dans la même ville sur la politique des prix à pratiquer, "le franchisé s'engage à suivre et respecter les prescriptions que Gérome Coiffure se verrait alors, en tant que franchiseur, dans l'obligation de proposer pour mettre fin au désaccord entre les différents franchisés concernés".

Il apparaît que cette clause oblige les franchisés du réseau installés dans une même ville à saisir le franchiseur en cas de désaccord entre eux sur la politique des prix à pratiquer, ce dernier pouvant imposer à l'un d'eux les prix à pratiquer dans son salon, à tout le moins une politique de prix compatible avec l'image de luxe attachée à l'enseigne Jean-Louis David Diffusion.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la procédure :

Considérant que la société Gérome Coiffure allègue, d'une part, qu'elle n'a pu avoir accès à son dossier lors de la consultation organisée le 15 février 1994 au siège du Conseil de la concurrence ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces figurant au dossier que son représentant. Me Gastinel, a signé la fiche de consultation sans y mentionner aucune réserve sur la teneur du dossier qui lui a été soumis ; que, dès lors, le moyen manque en fait ;

Considérant que si la société Gérome Coiffure fait valoir, d'autre part, que des photocopies étrangères au dossier la concernant lui ont été remises à l'issue de cette consultation, elle ne saurait invoquer une violation du principe d'un droit à un procès équitable posé à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales dès lors qu'elle a pu consulter sur place le dossier dans son intégralité dès qu'elle l'a demandé, consultation, au demeurant, seule prévue par l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'au surplus, elle a obtenu photocopie des pièces demandées ; qu'ainsi elle a été mise à même de préparer sa défense ;

Considérant que la société Gérome Coiffure ne saurait pas plus se prévaloir utilement d'une quelconque atteinte au principe de confidentialité posé à l'article 24 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il n'est, en effet, ni établi, ni même allégué que son dossier aurait été, en partie ou en totalité, communiqué à une tierce personne, étrangère à la procédure pendante devant le Conseil de la concurrence ;

Sur les pratiques dénoncées :

En ce qui concerne la clause d'approvisionnement :

Considérant que la clause du contrat de franchise ci-dessus citée, sans interdire au franchisé de proposer d'autres produits à l'agrément du franchiseur et sans enlever aux fournisseurs concurrents la possibilité de proposer leurs produits à l'agrément de Gérome Coiffure, oblige les franchisés à se fournir et à utiliser exclusivement des produits élaborés par le franchiseur ou agréés par lui ;

Considérant que de telles dispositions doivent être considérées comme ne constituant pas une restriction de concurrence si elles ont pour objet de préserver l'image de marque du réseau de franchise de coiffure Jean-Louis David Diffusion ; que, pour porter cette appréciation,il y a lieu de s'inspirer des principes dégagés tant par la réglementation que par la jurisprudence communautaires;

Considérant que,selon le règlement n° 4087-88 de la Commission des communautés européennes en date du 30 novembre 1988, sont exclues du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour maintenir l'identité commune ou la réputation du réseau franchisé, les obligations qui imposent aux franchisés "de vendre ou utiliser, dans le cadre de la prestation de services, des produits fabriqués par le franchiseur ou par des tiers désignés par lui, lorsqu'il n'est pas possible en pratique, en raison de la nature des produits qui font l'objet de la franchise, d'appliquer des spécifications objectives de qualité";

Considérant que la franchise de coiffure Jean-Louis David Diffusion représente, notamment, l'ensemble du savoir-faire mis au point par M. Jean-Louis David en matière de coiffures ; que l'article 13-2 du contrat de franchise stipule que le processus de réalisation des coiffures "Jean-Louis David" implique "l'emploi de produits spécifiques, définis et sélectionnés par Jean-Louis David" en raison "des caractéristiques et des composants entrant dans la fabrication des produits" ; qu'il ressort des documents versés au dossier que les techniques de coloration et de permanentes sont décrites à partir de produits pour lesquels M. Jean-Louis David a défini, avec précision, les dosages et les temps de pose à respecter, compte tenu de l'effet désiré ; que le responsable du réseau de franchise Jean-Louis David avait d'ailleurs déclaré, lors d'une audition, que "le savoir-faire mis au point l'a été à partir de produits en tenant compte de leur composition permettant d'indiquer d'une manière normalisée les quantités à utiliser et les temps de réaction à respecter ; c'est pourquoi la marque indique dans tout son savoir-faire les temps et les doses avec des produits bien définis" ; que l'exécution de coiffures, conformément au savoir-faire mis en œuvre par les franchisés Jean-Louis David Diffusion dans leur salon, suppose l'utilisation des produits à partir desquels ces coiffures ont été élaborées par le franchiseur ; que, même s'il apparaît que d'autres produits que ceux préconisés par Gérome Coiffure présentent des composantes identiques, il est établi, notamment en matière de coloration, que leur usage ne permettrait pas de parvenir à un résultat identique ; qu'ainsi l'utilisation de produits sélectionnés, conformément aux prescriptions techniques définies par M. Jean-Louis David, est indispensable à la bonne mise en œuvre du savoir-faire; que, dès lors,il n'est pas possible, en pratique, en raison des produits qui font l'objet de cette franchise de coiffure, d'appliquer des spécifications objectives de qualité dont, au surplus, le contrôle du respect par les franchisés s'avérerait trop coûteux, en raison de l'importance du réseau à contrôler;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que cette clause doit être considérée comme nécessaire pour permettre la réitération du succès attaché à l'enseigne Jean-Louis David Diffusion, au maintien de la fiabilité de ce réseau et à la sauvegarde de son image de marque ; que, par suite, elle est de la nature de celles qui peuvent être exemptées, au regard de l'article 85, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne et ne peut être regardée comme prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

En ce qui concerne la liberté tarifaire :

Considérant que le contrat incriminé comporte une clause qui organise une entente sur les prix entre le franchiseur et les franchisés installés dans une même ville, puisqu'il résulte des termes de l'article 6-6-7 de ce contrat qu'en cas de désaccord entre ces derniers sur la politique des prix à pratiquer, le franchiseur pourra intervenir en imposant des prescriptions que les franchisés seront contraints d'appliquer;

Considérant que la potentialité de l'effet anticoncurrentiel de cette clause résulte de sa rédaction même qui prévoit l'éventualité d'un conflit entre les franchisés et en organise le règlement par l'obligation pour ces derniers de pratiquer des prix dont la fixation ne résulterait pas du libre jeu du marché ; que, dès lors,cette clause est contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que,par suite, la circonstance qu'elle n'ait jamais été appliquée jusqu'en 1991, date à laquelle elle a cessé d'être en vigueur, est inopérante;

Sur les suites à donner :

Considérant que la clause litigieuse du contrat incriminé n'a jamais été appliquée et n'est plus en vigueur depuis 1991, date à laquelle de nouveaux contrats ont été élaborés qui ne comportent plus aucune disposition relative aux prix à appliquer par les franchisés ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de prononcer d'injonction ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas davantage lieu de prononcer une sanction pécuniaire,

Décide : Article unique : Il n'y a lieu de prononcer ni injonction ni sanction pécuniaire à l'encontre de la société Gérome Coiffure.