CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 3 novembre 1995, n° ECOC9510276X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bic Sport (SA), Schütz-Werke GmbH & Co KG (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerin
Avocat général :
M. Jobard
Conseillers :
Mme Mandel, M. Weill
Avoué :
SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Mes Bremond, Kandler, Brosemer.
Par décision n° 95-D-14 du 7 février 1995 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des planches à voile, le Conseil de la concurrence a infligé :
1. Une sanction pécuniaire de 300 000 F à la société Bic Sport à laquelle il était reproché, d'une part, d'avoir inséré dans le "contrat de spécialiste Ace-Tec agréé Bic Sport 88" un article 6 interdisant les rétrocessions, d'autre part, d'avoir incité ses revendeurs à appliquer les prix qu'elle avait fixés ;
2. Une sanction pécuniaire de 125 000 F à la société Fanatic France, à laquelle il était reproché d'avoir en 1988 et 1989 diffusé des prix revendeurs calculés par application d'un barème de remise sur les prix publics.
La société Bic Sport a formé un recours contre cette décision en demandant de :
- dire que l'article 6 du contrat de spécialiste Ace-Tec n'a pu avoir pour objet ou pour effet de limiter l'accès au marché des distributeurs agréés, dès lors que ceux-ci disposaient d'une faculté d'approvisionnement direct auprès de la société Bic Sport qui ne pouvait leur refuser de vendre ;
- dire que la liste de "prix moyens observés", annexée au contrat de distributeur agréé Ace-Tec, ne constituait pas une incitation suffisante pour présenter les caractères d'une imposition de prix minimum ;
- réformer en conséquence la décision entreprise en ce qu'elle a retenu des pratiques anticoncurrentielles à son encontre ;
- subsidiairement réduire à un plus juste montant la sanction pécuniaire qui lui a été infligée.
Venant aux droits de la société Fanatic France, la société Schütz-Werke GmbH & Co KG a formé un recours incident par lequel, tout en contestant le grief retenu, elle demande d'annuler la procédure dirigée contre une société qui n'existait plus et de dire que la sanction pécuniaire infligée à cette société ne peut lui être opposée.
Le ministre de l'Économie et des Finances a conclu à la confirmation de la décision prise à l'encontre de la société Bic Sport et à l'annulation de la procédure suivie contre la société Fanatic France.
Dans ses observations orales, le représentant du ministère public a conclu aux mêmes fins.
Sur ce, LA COUR :
Sur le recours de la société Bic Sport :
Considérant que, pour la commercialisation de planches à voile Ace-Tec (Advanced Composite Engineered Technology), la société Bic Sport a mis en place un réseau de distribution sélective en passant avec ses revendeurs spécialistes agréés un contrat dont l'article 6 comportait la clause suivante :
" Le spécialiste Ace-Tec ne devra pas rétrocéder ou revendre les produits Bic Sport, même à des points de vente agréés ;
" Il devra informer Bic sans délai de la vente des planches Ace-Tec par un point de vente non agréé " ;
Que l'article 14 ajoutait que le contrat pourrait être résilié en cas de " vente de produits Bic Sport à un point de vente non agréé " ;
Considérant que, si, comme le soutient la société Bic Sport, l'interdiction de la rétrocession de planches à voile Ace-Tec à des points de vente non agréés pouvait se trouver légitimée par le souci de mettre en garde les acheteurs contre le risque d'utilisation de ce nouveau modèle, cette interdiction ne se justifiait plus pour les distributeurs agréés, qui étaient en mesure de donner à la clientèle tous les conseils appropriés ;
Considérant que la société Bic Sport fait surtout grief à la décision déférée d'avoir sanctionné cette disposition sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en faisant valoir qu'elle ne pouvait avoir pour effet de limiter l'accès au marché des distributeurs agréés puisqu'elle les approvisionnait elle-même ;
Mais, considérant qu'en les empêchant de rechercher les conditions d'achat optimales en comparant les prix du fournisseur et ceux que pourraient proposer d'autres revendeurs, la clause litigieuse avait " pour objet ou pouvait avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence " sur le marché concerné ;
Que c'est donc à juste titre que la décision déférée a estimé qu'elle se trouvait prohibée par les dispositions de l'article 7 susvisé ;
Considérant qu'il était par ailleurs exposé à l'article 11 du contrat litigieux :
" Bic Sport s'engage à faire bénéficier le spécialiste Ace-Tec... de la liste des prix moyens observés (voir annexe 4) " ;
Que les tarifs revendeurs, les conditions générales de vente et une liste de prix dits " prix moyens observés en France " étaient annexés au contrat, qui précise en son article 17 que ces annexes en " font partie intégrante " ;
Considérant que la société Bic Sport conteste le caractère répréhensible de ces dispositions en soutenant ne pas avoir voulu imposer un prix minimum à ses revendeurs ;
Mais considérant que l'enquête administrative a relevé que les prix annexés n'étaient pas des prix " observés ", puisqu'ils avaient été communiqués avant même que les produits correspondants soient disponibles ;
Considérant par ailleurs que, si l'indication de prix conseillés peut être admise dès lors qu'il n'est exercé aucune pression sur les revendeurs pour en assurer le respect, le fait de préciser que les prix indiqués en annexe " font partie intégrante " du contrat était de nature à leur conférer un caractère obligatoire et à limiter la liberté commerciale des revendeurs;
Que c'est donc également à juste titre que la décision déférée a estimé que ces dispositions revêtaient également un caractère anticoncurrentiel prohibé par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que la société Bic Sport demande enfin de minorer la sanction prononcée à son encontre en faisant valoir :
- que la liste de prix critiquée n'a été annexée au contrat que pendant une saison ;
- que la clause de l'article 6 n'a jamais été appliquée ;
- et que le contrat de spécialiste Ace-Tec a été abandonné après deux saisons ;
Mais considérant que la décision déférée a expressément tenu compte de ces divers éléments en modérant particulièrement le montant de la sanction infligée, qui ne représente que 0,7 p. 100 du chiffre d'affaires de la société Bic Sport au cours du dernier exercice clos ;
Considérant que cette société étant la première entreprise du marché concerné la sanction prononcée se trouve justifiée eu égard au caractère anticoncurrentiel des dispositions relevées et qu'il convient de la maintenir ;
Sur le recours de la société Schütz-Werke :
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats :
- que, dans un procès-verbal daté du 31 août 1993, M. Jürgen Hubbe, agissant en qualité de représentant légal de la société Schütz-Werke, propriétaire de la totalité des 2 500 parts composant le capital de la société Fanatic France, a déclaré " dissoudre la société Fanatic France par anticipation à compter de ce jour avec effet immédiat ", en précisant que, " par application des dispositions de l'article 1844-5, alinéa 3, du Code civil, cette dissolution entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société Fanatic France à la société Schütz-Werke sans qu'il y ait lieu à liquidation " ;
- que cette décision a été publiée dans un journal d'annonces légales le 30 juin 1994 ;
- que la société a été radiée du registre du commerce le 17 août 1994 ;
Or, considérant que les griefs relevés à l'encontre de la société Fanatic France ne lui ont été notifiés que le 30 septembre 1993, soit postérieurement à sa dissolution ;
Considérant, par ailleurs, que bien qu'il ait été informé par lettre du 16 mai 1994 de la transmission de son patrimoine à la société Schütz-Werke, le Conseil de la concurrence n'a effectué aucune notification à cette société et a transmis le rapport définitif le 2 septembre 1994 à la société Fanatic France, alors que cette société n'avait plus d'existence et avait été radiée du registre du commerce le 17 août précédent;
Considérant qu'il s'ensuit que la procédure suivie contre cette société ne peut qu'être annulée et que la société Schütz-Werke, n'ayant pas été appelée à présenter ses observations sur les griefs poursuivis, ne saurait être tenue au paiement de la sanction déférée,
Par ces motifs : Joint les recours enregistrés sous les numéros 95-7158 et 95-10147 ; Rejette le recours formé par la société Bic Sport ; Annule la procédure suivie contre la société Fanatic France et déclare la sanction prononcée à son encontre inopposable à la société Schütz-Werke ; Condamne la société Bic Sport aux dépens de son propre recours ; Laisse les dépens afférents au recours de la société Schütz-Werke à la charge du Trésor.