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Décisions

Conseil Conc., 5 juillet 2000, n° 00-D-29

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques anticoncurrentielles dans le secteur du traitement de l'amiante

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Luc, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, , M. Cortesse, vice-président.

Conseil Conc. n° 00-D-29

5 juillet 2000

Le conseil de la concurrence (commission permanente)

Vu la lettre en date du 20 mars 1997, par laquelle le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques estimées anticoncurrentielles dans le secteur du traitement de l'amiante ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP, la société CERI Hydroserv et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant du Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP entendus lors de la séance du 17 mai 2000 ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A - Le secteur

1. Le désamiantage

L'amiante est un terme générique désignant différentes roches fibreuses, extraites en particulier au Canada, en Russie et en Afrique du Sud. Les fibres d'amiante sont des minéraux aux propriétés physiques et chimiques exceptionnelles, qui ne brûlent pas, résistent remarquablement aux diverses agressions chimiques et présentent une résistance élevée à la traction. L'amiante est utilisé en fibres en vrac (calorifugeage, flocage), en feuille ou en plaque (carton d'amiante pour isolation thermique, plaques pour faux plafonds), tressé ou tissé, ou enfin incorporé dans des produits ou liants divers.

Ce matériau présente néanmoins de nombreux dangers pour la santé. Les fibres d'amiante se divisent en effet en "fibrilles" invisibles à l'oeil nu, qui pénètrent dans les poumons jusqu'à la paroi alvéolaire et provoquent, parfois 20 à 30 ans après une première exposition, des maladies pulmonaires graves. C'est la raison pour laquelle, depuis le 1er janvier 1997, la fabrication, la mise en vente et l'importation de l'amiante sont interdites en France, comme dans les principaux pays européens.

Le décret n° 96-97 du 7 février 1996 (JO du 8 février) relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante dans les immeubles bâtis impose à toute personne privée ou publique propriétaire d'immeubles bâtis avant le 1er janvier 1980 de rechercher la présence de calorifugeage contenant de l'amiante ou de flocage. L'état de conservation des flocages ou calorifugeages à base d'amiante détectés doit être vérifié et des mesures d'empoussièrement effectuées. Si le niveau d'empoussièrement est supérieur à certains seuils, les flocages ou calorifugeages d'amiante doivent être enlevés. En vertu du nouveau dispositif, les premiers travaux de désamiantage devaient commencer en 1997.

2. Le GETAP

Le Groupement des entreprises pour le traitement de l'amiante en place (GETAP) était une association de la loi de 1901, créée en 1987 par trois entreprises exerçant cette activité : Sogedec (Marseille), Serpib (Paris) et Somafer, entreprise absorbée depuis par le groupe Multiserv Heckett (Thionville), actuellement ATMF.

D'après M. de Logivière, président du GETAP au moment des faits, "le but de cette association était de normaliser les règles d'intervention dans le domaine technique du traitement de 1'amiante. Les entreprises membres du GETAP sont censées répondre à des règles techniques communes."

L'objet du groupement est défini ainsi dans l'article 2 des statuts :

" - regrouper les personnes morales ou physiques qui interviennent en tant que professionnels de traitement et élimination de l'amiante ;

- les recherches techniques et études des questions intéressant la technique et le développement des travaux de traitement de l'amiante en place et l'accroissement de ses débouchés ;

- la représentation et la défense des intérêts généraux et collectifs de la profession ;

- la mise en place d'une charte déontologique pour la réalisation de travaux sur l'amiante. "

Pour être admis, il fallait exercer l'activité d'entreprise spécialisée dans le traitement de l'amiante. L'adhésion était prononcée par le conseil d'administration du GETAP. A l'origine, pour devenir membre du GETAP, il suffisait de faire acte de candidature, par écrit, de passer devant une commission comprenant trois membres du GETAP, d'accepter la visite d'un chantier et de verser un droit d'entrée fixé à 35 000 F. En 1994, les conditions d'accès ont été renforcées : l'entreprise candidate devait remplir un questionnaire très détaillé, comprenant dix-neuf questions relatives à ses méthodes de travail. En 1995, un seuil a été fixé pour pouvoir postuler : avoir réalisé dix chantiers et cinq millions de francs de chiffre d'affaires (article 8 des statuts) pour l'activité traitement de l'amiante et payer 10 000 F pour obtenir un dossier d'inscription, somme non remboursée en cas de rejet de la candidature.

Pour obtenir le "label de qualité GETAP", les entreprises devaient, en vertu de la charte déontologique, accepter tout contrôle de chantier par la commission du GETAP et déclarer à celui-ci toute commande relative à des travaux d'amiante un mois avant l'ouverture du chantier. Il est à noter que la commission chargée d'auditer les candidats au "label GETAP" et de procéder à une visite obligatoire d'un chantier en cours d'exécution par le candidat (article 8.8 des statuts) devait, à l'origine, s'ouvrir à des experts indépendants (article 8.7 des statuts). En pratique, aucun expert autre que ceux appartenant au GETAP ne siégeait dans les commissions d'admission. Le respect d'une charte déontologique, d'un Code de bonne pratique et d'un règlement intérieur conditionnait, en outre, l'appartenance d'une entreprise au GETAP.

Les entreprises du GETAP auraient réalisé 70 % des chantiers de traitement de l'amiante en 1995, soit 150 millions de francs (sur 215 millions de francs). La surface traitée par elles serait de 200 000 m2 (sur 268 750 m2) et 20 000 tonnes d'amiante auraient été éliminées (sur 26 800). En 1996, la part de marché des adhérents du GETAP serait descendue à 55 %. En réalité, il est probable que cette part a été inférieure à ce chiffre : ainsi, sur 24 chantiers examinés représentant 76,6 millions de francs, quatre ont été attribués à un membre du GETAP pour un montant global de 1,7 million de francs.

B. - Les pratiques constatées

1. L'exclusion de la société SES du GETAP

La société SES, membre adhérent du GETAP depuis le 8 septembre 1992, a été exclue du GETAP par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 septembre 1994, après plusieurs avertissements lui enjoignant de renoncer à son adhésion à une association dénommée ARTA. Les motifs invoqués par M. de Logivière, lors de son audition du 28 octobre 1996, étaient "l'absentéisme de son dirigeant" aux réunions du GETAP et surtout la participation de la société SES aux travaux de l'ARTA, "qui contrevenait aux statuts", ainsi que l'atteste l'extrait du procès-verbal de la réunion GETAP du 17 mai 1994 ainsi libellé : " Il a été convenu que le GETAP adresserait à M. Duffand une lettre lui demandant de bien vouloir confirmer clairement et solennellement ses objectifs et ses intérêts au sein de 1'ARTA. Il est clair que si 1'ARTA avait un autre rôle qu'un rôle interne à la faculté Jussieu, 1'adhésion de M. Duffand à cette nouvelle association serait totalement incompatible avec celle du GETAP ".

L'ARTA (Action et réflexion sur le traitement de l'amiante) est une association de la loi de 1901 dont l'objectif est de regrouper des personnes qualifiées dans le traitement de l'amiante pour rechercher des méthodologies adaptées aux problèmes du traitement ou de l'élimination de l'amiante, de mettre en place une charte déontologique et de vérifier la bonne exécution des chantiers traités par les membres professionnels de l'association. L'ARTA s'affiche comme une association visant des objectifs très similaires à ceux du GETAP, sans toutefois susciter le même écho, puisque cette association n'a jamais eu de fonctionnement réel.

La société SES a obtenu sa réintégration au GETAP le 25 octobre 1994.

2. La concertation sur les prix

Le sujet des prix pratiqués ou à pratiquer était récurrent dans les réunions du GETAP, ainsi qu'en attestent les extraits des procès-verbaux des réunions suivants :

Réunion du 15 février 1994 :

" Concurrence des prix dans le secteur de 1'amiante

Un large tour d'horizon et d'échanges d'idées a été effectué au sujet du niveau de prix pratiqué par la profession et notamment les adhérents du GETAP.

Bien que le rôle du GETAP ne soit pas de contrôler ni d'influer avec trop d'insistance sur les prix à pratiquer, il est toutefois dans son rôle de sensibiliser ses adhérents sur des pratiques à respecter. Sur différentes affaires récentes, des écarts de prix ont été constatés de 1 à 2 voire 2,5, les prix les plus bas s'apparentant parfois à ceux pratiqués par des entreprises n'étant pas adhérentes au GETAP.

Un de nos arguments majeurs pour nous défendre de cette concurrence sauvage et déloyale consiste à dire que les entreprises n'adhérant pas au GETAP et n'étant donc pas soumises au Code de bonne pratique peuvent vraisemblablement faire des prix plus faibles, sous-entendant ainsi que la qualité du travail et les sécurités mises en place ne sont sans doute pas satisfaisantes. Il est évident que si certains membres du GETAP arrivent à faire des prix identiques, cet argument ne tient plus. Nous savons tous par expérience que sur les chantiers certains frais fixes sont incontournables, à savoir :

- la quantité et la qualité des matériaux consommables ;

- le nombre d'heures des ouvriers ;

- le coût des analyses ;

- le coût de la mise en décharge.

L'intérêt général est donc de ne pas compromettre notre profession tant au niveau de sa réputation que de sa rentabilité.

Certaines pratiques de certains adhérents ne nous paraissent pas compatibles à 1'intérêt de chacun et de tous. Il est donc impératif et urgent qu'une prise de conscience s'opère. Le Guide de bonne pratique doit également être un guide de bon comportement moral et commercial ".

Réunion du 29 mars 1994 :

" Niveaux de prix dans le secteur de l'amiante

Un débat d'ordre général s'est engagé sur les niveaux de prix pratiqués par le GETAP, ceux-ci atteignant à la baisse des niveaux alarmants.

Le GETAF a souvent déploré que des entreprises extérieures au groupement pratiquent des prix plus bas que ceux de ses adhérents.

Sur une récente affaire, sept entrepreneurs dont trois du GETAP ont répondu, curieusement, les deux offres les moins-disantes émanaient des membres de notre très honorable association.

C'est une nouveauté sur laquelle il serait semble-t-il intéressant de méditer et peut-être judicieux d'inscrire à l'ordre du jour de notre prochaine réunion ".

" Questions diverses

Les niveaux de prix pratiqués ou qui devraient être pratiqués restent toujours à l'ordre du jour. Il a donc été décidé de reparler de cette question essentielle et vitale, et certains membres du GETAP se proposent, documents à l'appui, d'aborder la question en toute clarté ".

Réunion du 6 décembre 1994 :

" Affaire piscine de VAISE : d'un commun accord, nous avons estimé que la société HERTEL a pris ce chantier à des conditions commerciales aléatoires pour ne pas dire dangereuses. Messieurs LOUHICHI et MUSY nous ont informé avoir mis du personnel à disposition sur la demande de la société HERTEL.

Cette affaire soulève deux questions :

- le niveau des prix pratiqués ;

- l'organisation d'un chantier où la société HERTEL a suscité de l'aide auprès de deux de ses confrères après signature du marché ".

Réunion des 29 et 30 juin 1995 :

Elle a donné lieu à quatre comptes-rendus du dirigeant de Wanner Isofi, de celui de CHT, de celui de la société Hertel et de celui de Sogedec :

- Wanner Isofi : " prix indicatif à donner sont dans la fourchette de 650 F à 1 500 F/m2 (ne jamais chiffrer à moins de 650 F/m2)";

- CHT : " enveloppe de prix indiqué au client :

1. 65O à 800 F HT pour S >300m2 et H < 3,50 m

2. 800 à 1 000 F/m2 pour H >3,50 m (platelage)

3. 1 000 F/m2 pour progypsol

600 à 1 500 F/m2. "

- Hertel : " prix budgétaire entre 600 F et 1 500 F (HT) "

- Sogedec : " Remise d'idées de prix pour les chantiers de déflocage. Il est convenu que pour des hauteurs de plafonds de moins de 3 m la fourchette donnée sera 650 à 1 500 F/m2. Pour des travaux sur platelage, ces prix montent entre 850 et 1 000 F/m2 ".

3. Le dépôt d'une offre de principe

Dans une télécopie datée du 12 janvier 1994, M. de Logivière, président de la société TI France, a écrit à M. Louhichi, directeur commercial de Multiserv (actuellement ATMF à Metz) :

" Nous sommes consultés par la société DG Construction (...) pour le désamiantage et le dégraissage de 30 mètres de conduites à vents chauds sur un four STEIN (four poussant), travaux à réaliser 1'an prochain. Je vous laisse le soin de transmettre discrètement 1'information à votre agence locale. Donnez-moi votre prix. Je vous couvrirai ".

Interrogé sur ce courrier, M. de Logivière a reconnu les faits, dans son audition du 19 novembre 1996 :

" Multiserv est spécialisée en travaux sidérurgiques. J'ai été consulté en sous-traitance par une entreprise de démolition à laquelle je souhaitais répondre. Compte tenu de la personnalité du client Sollac, je souhaitais déposer un prix, mais ne pas remporter le marché pour lequel je n'étais pas qualifié. À ma connaissance, l'affaire n'a pas abouti. "

De fait, la société DG Construction n'a pas obtenu le marché en question, aux dires de son dirigeant actuel.

4. Sur la base des constatations qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés :

A l'encontre du GETAP :

D'avoir, du 13 septembre au 25 octobre 1994, temporairement évincé la société SES de l'association GETAP, pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

D'avoir, lors de deux réunions des 29 et 30 juin 1995, fixé des prix minima de déflocage au m2, pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

A l'encontre des sociétés TI France et ATMF :

De s'être, dans le courant janvier 1994, concertées sur le montant des réponses à une offre concernant un marché de sous-traitance, pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur l'imputabilité des pratiques au Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP (" SDD-GETAP "):

Considérant que, in limine litis, le Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP expose que l'association GETAP visée dans la notification de griefs a été dissoute par décision de son assemblée générale extraordinaire du 9 décembre 1997 ; que, par voie de conséquence, la personne morale n'ayant plus d'existence légale, la procédure est éteinte à son encontre ;

Mais considérant que, le même jour, les membres de l'association dissoute ont constitué un syndicat appelé "Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP", dont ils sont membres actifs de droit (d du 4 des statuts du syndicat); qu'il résulte du procès-verbal de l'assemblée constitutive du syndicat, composée des anciens membres du GETAP, que le syndicat est en réalité né de la "transformation de l'association en syndicat" (point 2.2) et se situe dans le prolongement de l'action de cette association, par son objet qu'il englobe largement (2 des statuts); que, selon les dispositions de l'article 1.1 de ce procès-verbal, "la dévolution de l'actif net de l'Association GETAP dissoute le 9 décembre 1997 est acceptée au profit du syndicat tel que le rapport du trésorier de ladite association en fait état. Le syndicat reprend aussi les biens, droits, contrats (contrat de travail, contrats avec France Télécom, téléphone et fax)" ; que, dès lors, le syndicat SDD-GETAP assume la continuité économique et juridique de l'association GETAP; qu'il y donc lieu de rejeter l'exception d'extinction de la procédure et d'imputer au syndicat SDD-GETAP les pratiques éventuellement relevées à l'encontre de l'association GETAP ;

Sur l'exclusion de la société SES du GETAP:

Considérant que le Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP expose que l'exclusion, durant sept semaines, de la société SES de l'association GETAP a, sans doute, été effectuée en dehors des cas d'exclusion prévus par les statuts du GETAP, mais qu'elle n'avait aucun objet anticoncurrentiel, le véritable motif de la mise à l'écart de la société SES résidant dans l'existence de procédures pénales à son encontre ;

Mais considérant que les statuts en vigueur au moment de l'exclusion de la société SES ne prévoyaient, comme motif d'exclusion, ni les motifs allégués à l'époque par le GETAP, à savoir l'appartenance simultanée à un groupement ayant un objet similaire à celui du GETAP, ni les motifs aujourd'hui avancés dont il n'est d'ailleurs aucunement fait mention dans les procès-verbaux de réunion de l'association ; que ce n'est qu'après les faits, c'est-à-dire en octobre 1995, qu'a été introduite dans le 10 de l'article 8 la clause suivante : " Tout adhérent du GETAP s'interdit d'être membre d'une autre association au groupement ayant un rapport direct ou indirect avec le traitement de 1'amiante sous peine d'exclusion immédiate " ;

Considérant que l'appartenance au GETAP constituait, de 1994 à 1996, date à laquelle la mise en place de la qualification 1513 de Qualibat a écarté la référence au GETAP dans les annonces légales, un préalable indispensable à l'obtention de marchés de désamiantage ; qu'en effet, avant la création de cette norme en 1996, compte tenu du manque d'informations sur les acteurs du marché du désamiantage lorsque les premiers chantiers se sont ouverts, l'appartenance au GETAP était devenue une sorte de label valant qualification et conférant donc un avantage concurrentiel (le Code de bonne pratique du GETAP fait état d'un "label qualité GETAP"), si bien que les entreprises appartenant au GETAP étaient systématiquement, voire exclusivement consultées, ce qui explique la part de marché détenue par ces entreprises jusqu'en 1996 (70 % en 1995) ; que certains prescripteurs recommandaient, à l'époque, exclusivement l'utilisation d'entreprises membres du GETAP ; qu'au regard de ces éléments, présente un caractère anticoncurrentiel le refus d'adhésion d'une entreprise ou son exclusion dès lors qu'elle ne repose pas sur des critères objectifs, transparents et directement liés au souci de qualité licitement visé par l'association ;

Considérant que si, comme l'expose le syndicat, la société SES a obtenu un marché en décembre 1994, cette circonstance ne démontre pas l'absence d'objet anticoncurrentiel de son exclusion du GETAP et ne suffit pas à établir l'absence de tout effet ou de toute potentialité d'effet anticoncurrentiel de celle-ci ; qu'il ressort de l'instruction que la pratique d'exclusion injustifiée a eu pour objet et a pu avoir pour effet d'évincer temporairement du marché du désamiantage la société SES, entre le 13 septembre et le 25 octobre 1994 ; qu'elle constitue donc une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la concertation sur les prix:

Considérant que le syndicat expose que les réunions visées dans la notification de griefs ne tendaient pas à fixer des prix plancher pour les prestations de désamiantage mais à définir des fourchettes de prix en vue d'en préserver la qualité, cruciale pour la sécurité des consommateurs, et d'éviter la pratique de prix prédateurs par des entreprises peu scrupuleuses ; qu'en toute hypothèse, selon lui, la fixation de ces tarifs, courante dans la profession, n'aurait eu aucun effet concret sur le marché ;

Considérant, sur le premier point, qu'il est constant qu'à la date des pratiques en cause, il n'existait aucune réglementation spécifique des opérations de désamiantage, en dépit des risques élevés que ces opérations présentaient pour la santé publique, notamment pour les personnels affectés à ces travaux, et qui ne pouvaient être ignorés ; qu'en cet état, l'exigence d'adhésion au GETAP des entreprises consultées pour l'exécution des travaux formulée par les maîtres d'œuvre semble avoir été inspirée par la garantie de compétence technique et de conformité des travaux aux règles de l'art que cette adhésion représentait ; qu'il ne peut être exclu que des entreprises, en l'absence de réglementation, et pour présenter des offres de prix plus attractives, aient été tentées de réduire leurs coûts en renonçant à certaines mesures de sécurité dans l'exécution des travaux de désamiantage ; que, toutefois, il n'appartenait pas au GETAP de fixer un prix minimum exprimé en valeur absolue, applicable à toutes les entreprises, en dessous duquel toute offre était réputée constituer un prix prédateur ; qu'aucune démonstration n'a été apportée de ce que des prix inférieurs à ces prix minimums auraient eu un caractère prédateur au sens du droit de la concurrence ; qu'en tout état de cause, il n'appartient pas à une organisation professionnelle de se substituer aux autorités administratives et judiciaires compétentes pour qualifier de son propre chef de telles pratiques ; qu'enfin, l'association s'était précisément dotée des moyens de vérifier que ses membres respectaient les exigences de sécurité qu'elle avait fixées, ce qui lui assurait des possibilités de contrôle suffisantes ;

Considérant que les deux réunions des 29 et 30 juin 1995 ont eu pour résultat de définir, d'une part, un prix minimum et, d'autre part, des règles communes de détermination des prix du déflocage au m2 ; qu'elles constituent une tentative de "cristallisation" des prix du traitement de l'amiante, puisqu'elles ont pour objet de fixer les prix au m2 au niveau atteint en 1995, empêchant ainsi leur évolution à la baisse ; que le compte-rendu de la réunion du GETAP du 15 février 1994 fait bien apparaître que la préoccupation de rentabilité des entreprises membres était au coeur de la fixation de ces prix plancher ;

Considérant, sur le second point, que, si les effets de la concertation sur les prix effectivement constatés ont été limités, ils n'en sont pas moins vérifiés ; qu'on peut, en effet, constater que, si aucune entreprise membre du GETAP n'a été en mesure d'appliquer rigoureusement la règle de ne pas pratiquer de prix inférieurs à 650 F/m2, un nombre important de chantiers (environ 60) a respecté ce seuil minimal ; que la consigne a été encore mieux suivie en 1996 ; que, de plus, si l'on prend en compte le montant du chiffre d'affaires concerné par ces tarifications au dessous du seuil de 650 F/m², le constat s'affine ; qu'en 1995, les sociétés TI France (17,6 % de ses marchés seulement en dessous du seuil, représentant 7,6 % de son chiffre d'affaires) et Serpib (31,6 % des marchés et 28,3 % de son chiffre d'affaires), qui animaient le GETAP, avaient le mieux respecté le prix plancher ;

Considérant qu'indépendamment de leurs effets constatées, de telles pratiques sont régulièrement sanctionnées par le Conseil de la concurrence puisqu'elles ont clairement pour objet et pour effet potentiel de "faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse" ; que les justifications ici avancées pour expliquer la définition de prix minima, à savoir garantir un travail de qualité et assurer la sécurité des utilisateurs des bâtiments désamiantés, ne peuvent être retenues, le prix pratiqué et la qualité de la prestation n'étant pas nécessairement liés et cette dernière étant vérifiée par le système de contrôle mis en place par l'association ; que la concertation sur les prix a donc eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence par les prix entre les entreprises membres de l'association GETAP ; qu'elle est ainsi contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur le dépôt d'une offre de principe:

Considérant que la société TI France a déposé une offre de principe pour un marché de désamiantage en vue de couvrir l'offre d'un autre adhérent du GETAP, l'entreprise Heckett Multiserv SA; que le grief afférent à cette pratique a été notifié à la société Finauxa France ATMF, qui a repris en 1995 les activités de traitement de l'amiante de la société Heckett Multiserv SA;

Mais considérant que ce ne n'est que lorsque, entre le moment où l'infraction est commise et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre, la personne responsable de l'exploitation de cette entreprise a cessé d'exister juridiquement, qu'il convient de rechercher, dans un premier temps, l'ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de cet ensemble, afin d'éviter que, en raison de la disparition de la personne responsable de son exploitation au moment de l'infraction, l'entreprise ne puisse pas répondre de la commission de celle-ci; qu'en l'espèce, la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise Heckett Multiserv SA existe encore juridiquement et figure au registre du commerce sous le numéro B 687080044; que, dès lors, il convient de surseoir à statuer sur ce grief pour mettre en cause la société Heckett Multiserv SA ;

Sur les sanctions:

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, "le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours de 1'exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum est de dix millions de francs... " ;

Considérant que la gravité des pratiques imputables au Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP doit être appréciée au regard du label quasi syndical qui s'attachait à l'époque des faits à l'association GETAP ; qu'elle découle de l'objet même des ententes, visant, pour l'une, à exclure un opérateur économique du marché de désamiantage, et pour l'autre, à imposer des prix planchers pour les prestations d'enlèvement de l'amiante en place ; que, cependant, la durée de l'exclusion de la société SES a été brève ; que, si les consignes sur les prix ont été suivies par certains membres, cela n'a pas été le cas de façon systématique ; qu'ainsi, le dommage à l'économie est resté limité ; qu'en outre, il y a lieu de tenir compte de ce que, en l'absence, à l'époque des faits, de réglementation générale édictée par les pouvoirs publics en vue de prévenir les risques élevés pour la santé publique que présentaient les opérations de désamiantage, l'action de l'association GETAP a tenté, en partie, de pallier cette carence ; que, si cette circonstance ne suffisait pas à justifier les pratiques relevées, elle peut être prise en considération dans la détermination du montant de la sanction ;

Considérant que le montant annuel des cotisations du syndicat s'élevait en 1999 à 475 000 F ; qu'il convient, dès lors, eu égard aux éléments individuels et généraux ci-dessus exposés, d'infliger au syndicat une sanction pécuniaire de 65 000 F,

Décide :

Article 1er : Il est établi que le Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : Il est infligé au Syndicat du désamiantage et de la décontamination-GETAP une sanction pécuniaire de 65 000 F.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur le grief de pratique d'une offre de couverture pour mise en cause de la société Heckett Multiserv SA.