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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 25 janvier 1996, n° 2478-93

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LCJ Diffusion (SA)

Défendeur :

Roc (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

M. Frank, M. Boilevin

Avoués :

SCP Lefevre, Tardy, Me Bommart

Avocats :

Mes Daubriac, Jourde.

T. com. Nanterre, du 8 déc. 1992

8 décembre 1992

Rappel des faits et de la procédure

Les laboratoires Roc, qui produisent et commercialisent des produits dermo-esthétiques, ont signé avec la société LCJ Diffusion, le 21 octobre 1988, un contrat de détaillant agréé pour un point de vente sis 45, rue Censier à Paris (5e). En février 1991, la société Roc acceptait un deuxième point de vente de la SA LCJ Diffusion sis rue de la Convention.

Ayant acquis la certitude que la SA LCJ Diffusion pratiquait un système de vente par correspondance au moyen de catalogues, la société Roc résiliait le contrat du 21 octobre 1988 par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 septembre 1991. Elle saisissait peu de temps après le Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir constater la résiliation du contrat précité et sollicitait la condamnation de la société LCJ Diffusion à lui payer des dommages et intérêts. C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement entrepris qui a accueilli la demande et a condamné la société LCJ Diffusion à verser à la société Roc la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts, toutes causes confondues.

Pour statuer comme ils l'ont fait, les juges consulaires ont essentiellement retenu :

- d'une part, que dans la mesure où l'étanchéité du réseau de distribution sélective était assurée, l'utilisation des grossistes par la SA Roc n'était pas contraire aux dispositions de la distribution sélective ;

- d'autre part, que la SA LCJ Diffusion n'avait pas apporté la preuve d'un défaut d'étanchéité du réseau de la société Roc, pas plus d'ailleurs que de pratiques discriminatoires de sa part ;

- enfin que la SA LCJ Diffusion s'était rendue coupable d'une vente par correspondance consécutive à une commande de la société Les Engrais Christian Gardinier du 14 juin 1991.

Exposé des thèses en présence et des demandes des parties

La société LCJ Diffusion, appelante, soutient tout d'abord que la société Roc connaissait parfaitement ses méthodes de vente, dès mars 1990, et qu'elle n'en avait pas moins continué à lui vendre des volumes de produits hors de proportion et a agréé un second point de vente.

Elle s'attache ensuite à démontrer l'absence d'étanchéité du réseau de distribution sélective, reprochant en outre à la société Roc de s'être rendue coupable d'une attitude discriminatoire à son encontre.

A titre subsidiaire, elle soutient que les dommages et intérêts alloués à son adversaire devraient être considérablement réduits.

Elle demande en résumé à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de déclarer la société les laboratoires Roc non recevable, ni fondée en sa demande de résiliation du contrat en date du 21 octobre 1988 aux torts exclusifs de la société LCJ Diffusion et en paiement de dommages et intérêts sur quelque fondement que ce soit, l'en débouter,

- de constater que le contrat en date du 25 février 1991 n'a pas été résilié et qu'il ne peut être fait grief à LCJ de commercialiser des produits Roc,

- de recevoir la société LCJ Diffusion en ses demandes reconventionnelles,

- de constater le caractère non étanche du réseau de distribution sélective invoqué par la société les laboratoires Roc,

- de constater que la dénonciation par la société les laboratoires Roc du contrat du 21 octobre 1988 est injustifiée et fautive,

- de condamner la société les Laboratoires Roc à payer à la société LCJ Diffusion la somme de 502 764 F,

- de la condamner à payer 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- et de la condamner aux entiers dépens et autoriser la SCP Lefevre & Tardy, avoués, à recouvrer directement ceux la concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

La société Roc s'attache à réfuter, point par point, l'argumentation de l'appelant, qu'il s'agisse de son information sur les pratiques de LCJ Diffusion, et de l'étanchéité du réseau.

Elle s'emploie à démontrer que cette dernière a commis des fautes, qu'il s'agisse de la vente par correspondance ou de l'approvisionnement auprès d'un autre distributeur agréé. Elle lui reproche en outre d'avoir engagé sa responsabilité en poursuivant la commercialisation de ses produits après la résiliation du contrat.

Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris, outre la condamnation de la société LCJ Diffusion à lui payer 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Sur le bien fondé de la résiliation du contrat :

Considérant que l'argumentation de LCJ Diffusion conduit à analyser les griefs qu'elle formule à l'encontre de la société Roc tirés, d'une part de la connaissance qu'aurait eu celle-ci de ses méthodes de commercialisation qu'elle aurait tolérées, et d'autre part, de l'absence d'étanchéité des réseaux de distribution sélective ;

Sur la connaissance et la tolérance de la société Roc des pratiques de LCJ Diffusion :

Considérant que les pièces produites aux débats établissent au contraire que la société Roc, dès qu'elle a eu connaissance de rumeurs concernant la notation par LCJ Diffusion de ses obligations contractuelles, l'a immédiatement mise en garde ;

Considérant que c'est ainsi qu'ayant appris, courant 1990, que son détaillant agréé procèderait à la diffusion d'un catalogue qui pouvait permettre la vente par correspondance, en contravention aux articles 3 et 5 du contrat, la société Roc lui adressa, le 5 mars 1990 un courrier lui enjoignant de faire cesser de telles violations si elles étaient avérées ;

Considérant que nonobstant les dénégations de LCJ Diffusion (lettre du 27 mars 1990), la société Roc, devant la persistance de rumeurs, fit procéder à un contrôle de stocks le lendemain d'une livraison et s'étonna de ce que la quasi totalité des produits livrés ne soit plus sur le point de vente, sollicitant des explications bien peu convaincantes de la société LCJ Diffusion qui faisait état d'un " concours de circonstances " lié à des inondations qui l'auraient contrainte à déménager les produits ;

Considérant par suite que la société Roc établit ainsi avoir toujours attiré l'attention de la société LCJ Diffusion sur le respect de ses obligations contractuelles, cette dernière démentant alors de façon énergique les griefs formulés à son encontre, mettant les rumeurs sur le compte de la " jalousie " de ses concurrents ;

Considérant que ce n'est qu'en juin 1991, que la société Roc eut finalement la preuve formelle des violations perpétrées par la société LCJ Diffusion, consistant dans la vente par correspondance pratiquée au profit de la société " Les engrais Christian Gardinier ", à Agen, au moyen de catalogues ;

Considérant que la société LCJ Diffusion ne peut dès lors soutenir que la société Roc aurait connu et couvert ses manquements qui ont conduit à la résiliation du contrat ;

Sur l'étanchéité du réseau :

Considérant que la société LCJ Diffusion prétend ensuite apporter la preuve de la non-étanchéité du réseau de distribution sélective de la S.A. Roc et donc l'impossibilité par celle-ci de lui reprocher ses propres méconnaissances du contrat ;

Considérant que le seul fait que certaines autres pharmacies pratiqueraient des ventes par correspondance, est dénué de portée dès lors que la société Roc ignorait une telle situation qu'elle n'a donc ni acceptée ni même tolérée ;

Considérant qu'il apparaît que la société Roc s'est employée à faire en sorte lorsqu'elle en avait connaissance, que de tels agissements cessent ; que c'est ainsi qu'elle avait agi lorsqu'elle avait appris les agissements de la pharmacie Labbé et qu'elle devait par la suite procéder (pièces 1à 8 du dossier de plaidoirie de la société Roc) ;

Considérant que les manquements dont la société LCJ Diffusion s'est rendue coupable et consistant à pratiquer un mode de vente par correspondance, en contravention aux dispositions contractuelles, sont particulièrement graves; que le contrat de détaillant agréé de la SA Roc prévoit en effet expressément un certain nombre d'obligations à la charge du détaillant qui tendent à préserver le cadre dans lequel les produits sont vendus et à s'assurer de la qualité du service rendu;

Considérant qu'il est de l'essence même de la distribution sélective et du contrat de détaillant agréé, que la commande soit exclusivement passée dans le seul lieu de vente agréé, et ce auprès d'un personnel qualifié assurant pleinement le devoir de conseil au consommateur;

Considérant que la diffusion du produit hors du cadre fixé est de nature, par l'atteinte à son image de marque dans le public, à nuire à son existence même en tant que produit de qualité;

Qu'un tel manquement, en raison de sa gravité, justifie la résiliation du contrat, ce, d'autant que la société Roc, avait préalablement mis en demeure la société LCJ Diffusion d'avoir à cesser ses infractions ;

Considérant de surcroît qu'il est établi que la société LCJ Diffusion a après la rupture du contrat, et alors qu'elle avait été mise en demeure de cesser la commercialisation des produits Roc, refusé de restituer son stock et s'est approvisionnée auprès d'un autre distributeur agréé, la Pharmacie Labbé, ainsi qu'il résulte des bons de livraison produits aux débats ; que ce faisant la société LCJ Diffusion a engagé sa responsabilité délictuelle ; que le tribunal a exactement interdit à la société LCJ Diffusion sous astreinte, la diffusion de ses produits ;

Sur la réparation du préjudice de la société Roc

Considérant que la société Roc, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a fixé le montant de son préjudice à la somme de 500 000 F ;

Considérant que l'importance des manquements contractuels comme des fautes quasi délictuelles commis par la société LCJ Diffusion justifient la condamnation à une telle somme en réparation du préjudice subi par la société Roc ;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant que l'équité justifie en outre de ne pas laisser à la charge de la société Roc les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; Dit la société LCJ Diffusion recevable mais mal fondée en son appel ; Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant ; Condamne la société LCJ Diffusion à payer à la société Roc la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; et aux dépens, lesquels seront recouvrés directement par Maître Bommart, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.