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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 26 juin 1991, n° 90-17689

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LCJ Diffusion (SA)

Défendeur :

Laboratoires Polive (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rabate

Conseillers :

Mmes Edin, Collomp

Avoués :

SCP Bollet Baskal, Me Valdelièvre

Avocats :

Mes Daubriac, Léger.

T. com. Paris, du 19 juill. 1990

19 juillet 1990

LA COUR statue sur l'appel interjeté le 27 juillet 1990 par la société LCJ Diffusion d'une ordonnance de référé rendue le 19 juillet 1990 par le Président du Tribunal de commerce de Paris qui a dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande tendant à faire condamner la société Polive à lui livrer sous astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance, les produits visés dans sa commande du 8 janvier 1990 et l'a condamnée aux dépens.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 janvier 1990, à laquelle était joint un diplôme de pharmacien, la société LCJ Diffusion, déclarant posséder un magasin situé 45, rue Censier à Paris 5e, répondant pleinement aux conditions de la vente sélective mise en place par les laboratoires de dermo-pharmacie, et avoir déjà reçu l'agrément des grandes marques telles que Roc, Pierre Fabre, Vichy, a passé commande à la société Polive de divers produits des marques Dodie, Sagesse, OB et Ruby, en indiquant qu'en cas de refus de vente, elle lui demandait de lui en préciser les raisons et en lui proposant de la rencontrer en ses locaux pour démontrer leur totale adéquation aux normes de distribution.

La société des Laboratoires Polive a accusé réception de cette commande, le 17 janvier 1990, mais en précisant que seuls, les détaillants sont habilités à distribuer ses gammes de produits.

Elle a joint à sa lettre un document comportant les conditions d'agrément des produits des laboratoires Polive et ses conditions générales de vente en demandant à la société LCJ Diffusion de lui indiquer par écrit la manière dont elle pensait répondre à l'ensemble de ces critères.

La société LCJ Diffusion a répondu le 5 février 1990 que les conditions exigées correspondaient parfaitement au profil de son point de vente ; qu'elle ne pouvait toutefois répondre, dans un premier temps, à la clause " 2-2 Présentation des produits " car elle ne possédait que 4 des 7 marques nécessaires mais qu'elle allait procéder rapidement au référencement des marques manquantes en vue d'obtenir un environnement conforme aux conditions d'agrément.

Le 21 mars 1990, la société LCJ Diffusion a réitéré sa commande en faisant remarquer que l'environnement des marques ne peut, aux termes du contrat, constituer un obstacle à la vente des produits Polive.

Par courrier du 15 mai 1990 faisant suite à ceux des 5 février et 21 mars de LCJ Diffusion, la société des Laboratoires Polive a indiqué que LCJ Diffusion ne répondait pas à l'ensemble de critères requis pour les deux motifs principaux suivants :

- preuve non rapportée qu'elle offrira l'environnement demandé dans le délai de six mois,

- vente par correspondance ne permettant pas de répondre à l'alinéa 2-1 (lieu de vente) des conditions d'agrément, ni à l'alinéa 3-2 (conseil des produits), étant précisé que des produits Polive figurant sur le catalogue, il était demandé instamment à LCJ Diffusion d'en arrêter la vente.

Par lettre du 22 mai 1990, la société LCJ Diffusion a répondu en contestant la licéité des conditions générales de vente ainsi que l'existence de ventes par correspondance.

C'est dans ces circonstances de droit et de fait que la société LCJ Diffusion, par assignation du 10 juillet 1990 visant expressément le trouble manifestement illicite à elle causé par le refus de vente prohibé par les dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a saisi le juge des référés commerciaux qui a rendu l'ordonnance déférée à la Cour.

A l'appui de son appel, la société LCJ Diffusion qui soutient que le premier juge l'a déboutée à tort de sa demande en raison de l'existence d'une contestation sérieuse, fait essentiellement valoir qu'ayant manifesté sans ambiguïté son désir de se soumettre aux règles établies par le vendeur pour l'achat de ses produits, il appartenait à la société Polive d'honorer sa commande, quitte à annuler le contrat si, postérieurement, les conditions n'étaient pas remplies, ainsi que le prévoient ses conditions générales de vente (page 2-2).

Elle demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance et, après avoir constaté que la société Polive s'est rendue coupable du refus de vente, prohibé par les dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, ce faisant, lui a causé un trouble manifestement illicite, de la condamner à lui livrer, sous astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, les produits visés dans la commande du 8 janvier 1990 et à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société des Laboratoires Polive qui sollicite la confirmation de l'ordonnance et la condamnation de la société LCJ Diffusion à lui payer la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article susvisé, réplique que la société LCJ Diffusion qui prétend satisfaire aux conditions posées par le vendeur mais conteste la validité des conditions de vente, est loin de manifester " sans ambiguïté " le désir de se soumettre aux règles établies par les Laboratoires Polive.

Elle fait observer que son réseau de distribution sélective satisfait aux conditions de validité prescrites par l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et correspond aux nécessités d'une distribution adéquate, caractérisée, notamment, par le service rendu au consommateur.

Invoquant les motifs pour lesquels elle n'a pas donné suite à la commande (absence d'environnement de marques, pratique de ventes par correspondance, mauvaise foi de la société LCJ Diffusion qui vend au moins depuis avril 1989 ses produits en violation de ses réseaux de distribution, mauvaise foi encore, caractérisée par ses mensonges et son attitude agressive), elle soutient qu'il n'y a pas trouble manifestement illicite, ce qui exclut " la compétence " du juge des référés.

L'affaire, plaidée à l'audience du 14 mai 1991, a été renvoyée à la demande des avocats en continuation à l'audience du 28 mai suivant pour permettre aux parties de conclure sur l'existence du contrat de distribution sélective.

La société LCJ Diffusion soutient alors que le contrat de distribution agréée n'ayant jamais été produit, il convient d'en déduire qu'il n'existe pas de distributeurs agréés et que les obligations des revendeurs résultent seulement des conditions générales de vente ; que dès lors, la société Polive n'ayant pas respecté ses propres obligations de livraison des produits commandés au prix préalablement fixé, elle est elle-même en droit de lui opposer l'adage " non adimpleti contractus ".

La société des Laboratoires Polive qui verse aux débats un contrat-type de distributeur agréé, réplique que le raisonnement de la société LCJ Diffusion selon lequel la livraison d'une première commande est libre, est contraire à la fois au droit et à la logique, alors que, dans sa lettre de commande du 8 janvier 1990, elle se référait elle-même " aux conditions de la distribution sélective mises en place par les laboratoires de dermo-pharmacie ".

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il est constant que le document adressé par la société des Laboratoires Polive à la société LCJ Diffusion comporte deux parties bien distinctes, la première étant intitulée : " Conditions d'Agrément des Produits des Laboratoires Polive " et devant aboutir, si le postulant remplit ces conditions, à la signature d'un contrat de distributeur agréé dont un exemplaire type est régulièrement versé aux débats ;

que ce n'est qu'après signature de ce contrat que les produits commandés font l'objet de livraisons qui sont alors soumises à l'acceptation par le client des " Conditions générales de vente " constituant la deuxième partie du document ;

qu'ainsi, le moyen tiré de l'exception " non adimpleti contractus " est inopérant en l'espèce ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ... lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 ;

que la société des Laboratoires Polive soutient que son réseau de distribution sélective satisfait précisément aux conditions prévues par l'article 10-2 de l'ordonnance susvisée ;

que sur ce point, elle n'est pas démentie par la société LCJ Diffusion qui se borne, dans ses écritures à indiquer qu'elle a manifesté, sans équivoque ni ambiguïté, sa volonté de se soumettre aux conditions mises en place par Polive ;

qu'au demeurant, s'agissant de produits dits para-pharmaceutiques qui, pour certains, incorporent des éléments conformes à la pharmacopée, ou sont conçus en lignes de produits ayant chacun une spécificité nécessitant un conseil éclairé d'un professionnel, il apparaît légitime, dans l'intérêt du consommateur, que des conditions tenant aux lieux de vente, à la qualité de présentation, à l'environnement de marques de qualité et à la possibilité de demander conseil à un professionnel, soient exigés par le fabricant, dès lors qu'elles constituent des critères objectifs, ce qui est le cas en l'espèce, et ne sont pas appliquées de façon discriminatoire ;

Considérant que pour ne pas répondre favorablement à la commande faite par la société LCJ Diffusion, la société Polive soutient que LCJ Diffusion ne répond pas à la condition d'environnement de marques, qu'elle vend par correspondance, ce qui exclut la condition de conseil, et que, vendant déjà des produits de la gamme Polive, au mépris du réseau de distribution mis en place, sa demande d'agrément n'est pas faite de bonne foi ;

Considérant que, sur ce dernier point, en l'absence d'autres éléments, le seul fait que la société LCJ Diffusion commercialise, au moins depuis avril 1989, des produits relevant du réseau de distribution sélective de Polive, ne peut constituer en lui-même un acte fautif de nature à établir sa mauvaise foi ;

que la société Polive ne peut davantage se retrancher derrière la condition d'environnement de 7 marques de prestige énumérées à titre indicatif, dès lors qu'elle a elle-même admis que cet environnement n'est pas indispensable pour la première livraison et a prévu que le contrat sera annulé si la condition n'est pas remplie dans le délai de six mois ;

qu'en revanche, il ressort des documents versés aux débats par Polive qui ne sont pas sérieusement démentis par la société LCJ Diffusion, que cette société qui édite un catalogue des produits revendus, ne se contente pas de vendre dans son magasin mais pratique également la vente au consommateur par correspondance, sous couvert, notamment, de comités d'entreprise, à une époque postérieure à la commande du 8 janvier 1990;

qu'une telle pratique apparaissant contraire aux conditions relatives au lieu de vente et à l'organisation d'un conseil à la vente, la société LCJ Diffusion ne démontre pas que le refus par la société des Laboratoires Polive d'honorer sa commande constitue un trouble manifestement illicite sur lequel elle fonde sa demande;

que, pour ces motifs substituant ceux du premier juge, l'ordonnance déférée sera confirmée ;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable que la société des Laboratoires Polive conserve la charge de ses frais non taxables ;

Considérant que la société LCJ Diffusion qui supporte les dépens, ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs substituant ceux du premier juge : Confirme l'ordonnance déférée. Y ajoutant : dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société LCJ Diffusion aux dépens d'appel et admet Me Valdelièvre, avoué, au bénéfice de l'article 699 du code susvisé.