CA Versailles, 13e ch., 23 février 1995, n° 3844-93
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Chanel (SA)
Défendeur :
LV (SA), Arcadie (SARL), SBL (SARL), Jardin de Vénus (SARL), Codip Centre Maine Montparnasse (SNC), LVCA (SARL), Danielle (SARL), Ela Parfums (SARL), Grande Parfumerie Montmartre Ordener (SARL), Parfumerie du Maine (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Monteils
Conseillers :
M. Besse, Mme Bardy
Avoués :
Mes Robert, Jupin
Avocats :
Mes Severe, Cavalie.
La SA Chanel d'une part, les sociétés LV SA et Arcadie SARL d'autre part, font appel d'un jugement du 15 janvier 1993 par lequel le Tribunal de commerce de Nanterre :
- a dit les sociétés LV et Arcadie recevables mais mal fondées en leurs demandes et les en a déboutées,
- a dit recevables et bien fondées les demandes des sociétés SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA et Danielle, ordonnant à la société Chanel de satisfaire les commandes de ces sociétés et lui faisant défense de reprendre leurs stocks et matériel accessoires,
- a dit la société Chanel recevable et bien fondée en sa demande reconventionnelle dirigée contre la société LV et a constaté que cette dernière a violé les obligations mises à sa charge par la clause " commercialisation " de son contrat,
- a désigné Me Dymant, Huissier 14 rue Littré 75006 Paris pour dresser procès-verbal de constat des restitutions par la société LV des stocks et matériels, ce sous astreinte provisoire de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification du présent jugement et pendant 30 jours, passé quel délai il sera fait droit,
- a dit la société Chanel mal fondée en le surplus de ses demandes, l'en a débouté en toutes fins que celles-ci comportent,
- a condamné la société Chanel à payer à chacune des sociétés SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA et Danielle la somme de 10.000 F à titre de dommages et intérêts, déboutant celles-ci du surplus et les sociétés LV et Arcadie de leurs demandes à ce titre ;
- a condamné la société LV à payer à Chanel la somme de 10.000 F à titre de dommages et intérêts, déboutant cette dernière du surplus de sa demande,
- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- a condamné la société Chanel aux dépens et à payer à chacune des sociétés SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA et Danielle la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
- a débouté la société Arcadie de sa demande au titre de l'article 700 du NCPC et les parties du surplus de leurs demandes respectives à ce titre.
Les sociétés SBL SARL, Jardin de Vénus SARL, Codip Centre Maine Montparnasse, LVCA SARL, Danielle SARL, Arcadie SARL, LV SA font partie d'un groupe, connu sous le nom de Groupe LV Kléber, car la société mère est située Avenue Kléber, Paris 16e.
En 1991, ce Groupe était constitué d'une douzaine de parfumeries implantées en majorité à Paris, dans l'ouest et le nord de la France.
Le Groupe appartient et il est géré par MM. Budnik et Senik.
Jusqu'en juillet 1991, dix des parfumeries du groupe bénéficiaient d'un contrat de distribution agréé Chanel.
L'article VI du contrat autorise l'une ou l'autre des parties contractante à résilier le contrat pour infraction aux obligations définies aux dispositions du contrat sous le numéro 1, 2, 4, 5.
La clause IV précise que le contrat est conclu en considération de la personnalité du mandataire social ou du dirigeant effectif ou enfin du responsable du point de vente.
La clause VI-c) précise que toute infraction commise par le distributeur agréé ou par l'un quelconque de ses dirigeants de fait ou de droit, dans le cadre d'un autre contrat quel qu'il soit le liant à Chanel, justifie la mise en jeu de la clause de résiliation.
L'article 4, intitulé " Commercialisation " dispose que le distributeur agréé " s'engage à ne vendre les produits que sur le marché français, au détail, à des consommateurs directs, et s'interdit donc de céder les produits sous quelque forme que ce soit à toute collectivité, à tout négociant français ou étranger, grossiste ou détaillant, à ne pas recourir à la vente par correspondance, ou en règle générale à toute vente en dehors du lieu de vente désigné. Cette clause ne fait pas obstacle à la possibilité par le distributeur agréé de consentir des conditions spéciales pour la vente des produits à des membres de collectivités ou de comités d'entreprise ... sous réserve que lesdits membres se déplacent pour effectuer personnellement et individuellement en tant que consommateur directs, leur achat, dans le point de vente faisant l'objet du contrat... "
Au début du mois de mai 1991, la société Foncina, 14 rue de Siam à Paris (16e), qui est une société immobilière d'investissement, a passé commande à une société La Parfumerie de divers produits de parfumerie au nombre desquels deux produits Chanel.
Un récapitulatif de commande lui a été adressé le 3 mai 1991 avec le prix à payer comprenant la remise, et la mention : N° de client à rappeler au dos de chaque chèque, à ordre de La Parfumerie.
La société Foncina a réglé par chèque Société Générale le 13 mai 1991. Ce chèque a été complété à réception par la mention LV et payé au compte de la société LV à la BNP Agence Trocadéro.
La société Foncina a fait effectuer le 24 juin 1991 un constat sur le contenu du colis reçu. L'huissier a constaté la présence d'un sac plastique contenant deux produits Chanel sur lequel était agrafé une fiche indiquant la nature des produits et leur Code.
La société Foncina a fait une nouvelle commande par télécopie du 25 juin 1991 adressée à M. Philippe Chevrel, société La Parfumerie ; trois produits Chanel y étaient inclus.
M. Chevrel a indiqué sur un courrier comportant le tampon de la parfumerie Kléber LV SA, gestion comptabilité à Vitry sur Seine, qu'il existait un minimum de 2.000 F par commande.
Le colis a néanmoins été livré par la poste et la société Foncina a fait établir un nouveau constat le 8 juillet 1991. L'huissier a constaté qu'il s'agissait d'une boîte PTT, que l'expéditeur était la société LV 9, rue Marat à Vitry sur Seine, le destinataire Foncina, et que trois produits Chanel y étaient inclus.
Par lettre du 24 juillet 1991, la société Chanel a notifié à la société LV Kléber la cessation à compter de ce jour des relations commerciales avec six points de vente :
- 85, avenue Kléber (75016) Paris
- 4, rue Claude Chahu (75016) Paris
- 49, avenue du Maine (75014) Paris
- 3, rue de Penthièvre (75008) Paris
- 119, rue Ordener (75018) Paris
- 125, rue de Sèvres (75006) Paris
La même notification a été faite le même jour à la société Codip, Centre Commercial Montparnasse, au motif des liens juridiques étroits avec la société LV, gérant de Codip et M. Senik gérant de la SARL Arcadie, gérant associé de Codip et directeur général de LV.
Il en a été de même pour la société SBL, Paris 14e, pour la SARL Jardin de Vénus à Clichy, (M. Budnik gérant de SBL étant aussi directeur général de LV), la Parfumerie Kléber, société LVCA à Lorient, (M. Senik étant à la fois directeur général de LV et gérant de LVCA).
Les sociétés LV, SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA ont assigné Chanel en référé afin de l'obliger à satisfaire leurs commandes.
Une ordonnance du 12 août 1991 a rejeté la demande de la société LV, et a accueilli celle des autres sociétés, obligeant Chanel à satisfaire les commandes normales et notamment le réassort.
Sur appel de la société Chanel, la Cour de céans a amendé l'ordonnance et a ordonné à la société Chanel de satisfaire les commandes normales de réassort de la société LV, confirmant pour le surplus.
Cet arrêt a été cassé par arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 23 novembre 1993, au motif qu'en déclarant irrecevables les conclusions en réponse et les pièces déposées par l'appelante, Chanel, la veille de l'audience à jour fixe, la cour d'appel avait violé l'article 918 du NCPC.
Les sociétés LV, SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA, Danielle SARL, et Arcadie SARL ont assigné la société Chanel devant le Tribunal de commerce de Nanterre aux mêmes fins que celles du référé et ont demandé des dommages et intérêts à titre provisionnel et une expertise pour chiffrer leur préjudice. Elles ont soutenu que Chanel tentait de les exclure de son réseau de distribution parce qu'elles pratiquaient une politique de prix réduits, qu'elle avait tendu un piège à un stagiaire de LV ; que LV n'avait pas manqué à ses obligations, que la clause du contrat interdisant la vente par correspondance était illicite, abusive, discriminatoire ; que chaque société, autre que LV, avait un contrat propre de distributeur agréé, qu'il n'était pas possible de le résilier, MM. Budnik et Senik n'ayant personnellement commis aucune faute.
Par jugement du 15 janvier 1993, le Tribunal de commerce de Nanterre a statué dans les termes rappelés plus haut. Il a retenu que LV avait violé les dispositions du contrat de distribution agréé, même si les ventes par correspondance avaient été peu nombreuses, mais il a estimé que la clause VI A alinéa 3 du contrat n'était pas applicable aux quatre sociétés, autre que LV, qui n'avaient pas elles-mêmes commis de violation du contrat de distribution dont elles bénéficiaient personnellement.
La société Chanel, appelante, demande :
- de réformer partiellement le jugement,
- de constater que les conditions de mise en jeu de la clause de résiliation du contrat des sociétés SBL, Codip, Jardin de Vénus et LVCA étaient en l'espèce réunies,
- de dire qu'elle a pu à bon droit faire application de cette clause,
- de constater que du fait qu'elles sont dirigées par M. Senik, les sociétés Arcadie et Danielle ne peuvent être considérées par Chanel comme des demandeurs de bonne foi,
- de dire légitime le refus de vente aux sociétés Arcadie et Danielle en vertu de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
- de condamner in solidum les sociétés SBL, Codip, Jardin de Vénus, LVCA et Danielle à lui verser 100.000 F sauf à parfaire pour le préjudice subi du fait des livraisons de produits qu'elle s'est vue contrainte de leur consentir contre son gré durant le cours de la procédure,
- de les condamner in solidum ainsi que la société Arcadie à verser 60.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société LV et la société Arcadie, également appelantes, demandent :
- de réformer partiellement le jugement,
- d'ordonner à la société Chanel de satisfaire leurs commandes,
- de lui faire défense de reprendre les stocks et matériels accessoires marqués Chanel dans les boutiques de la société LV,
- de condamner Chanel à payer deux sommes de 100.000 F à titre provisionnel et deux sommes de 10.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C aux sociétés LV et Arcadie,
- de désigner un expert pour déterminer les préjudices subis du fait des refus de vente opposés par Chanel.
Les sociétés SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA, Danielle, Arcadie et LV demandent :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à Chanel de satisfaire les commandes de SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA et Danielle et a interdit de reprendre leurs stocks et matériels accessoires,
- de condamner Chanel à leur verser 60.000 F au titre de l'article 700 du NCPC,
- de désigner un expert aux mêmes fins que les autres sociétés du Groupe.
La société Chanel demande :
En ce qui concerne la société LV SA
- de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nanterre le 15 janvier 1993,
- de débouter la société LV SA de toutes ses demandes et la dire mal fondée en son appel,
- de constater que la société LV SA a violé les obligations mises à sa charge par la clause l-2° " Lieu de vente " et l-4° " Commercialisation ",
A titre subsidiaire, de prononcer la résiliation judiciaire des contrats à compter du 24 juillet 1991,
- de condamner la SA LV et les SARL Ela Parfums, Grande Parfumerie Montmartre Ordener et Parfumerie du Maine à restituer à Chanel le matériel de publicité et de démonstration, propriété de Chanel, sous astreinte de 1.000 Frs et le stock de produits invendus sous astreinte de 1.000 F par produit infractionnel, à compter de la décision à intervenir,
- de confirmer la désignation d'un huissier de justice pour contrôler les restitutions dans les conditions décrites à la clause VII du contrat,
En ce qui concerne les sociétés Jardin de Vénus, Codip, LVCA et SBL
- de réformer le jugement dont appel,
- de les débouter de toutes leurs demandes,
Vu l'article VI-c) du contrat,
- de dire que les faits fautifs sont imputables aux dirigeants de la société LV SA,
Subsidiairement,
- de dire et juger que l'article VI-c) ne distingue pas entre les infractions commises personnellement par les dirigeants d'une société distributeur agréé et celles commises ès qualités,
- de constater que MM. Budnik et Senik, directeurs généraux de la société LV SA sont mandataires sociaux des sociétés Jardin de Vénus, LVCA, Codip et SBL,
- de dire et juger que l'infraction qu'ils ont commise ès qualités de directeurs généraux de la société LV SA emporte résiliation des contrats desdites sociétés,
Constater en tout état de cause :
- que la société LV SA est dirigeant de fait des sociétés Jardin de Vénus, LVCA et SBL,
Donner acte à Chanel des résiliations intervenues le 24 juillet 1991,
Très subsidiairement, de prononcer lesdites résiliations avec effet au 24 juillet 1991,
- de condamner les sociétés SBL, Codip, LVCA et Jardin de Vénus à restituer à Chanel le matériel de publicité et de démonstration, propriété de Chanel, sous astreinte de 1.000 F et le stock de produits invendus sous astreinte de 1.000 F par produit infractionnel, à compter de la décision à intervenir,
- de confirmer la désignation d'un huissier de justice pour contrôler les restitutions dans les conditions décrites à la clause VII du contrat,
En ce qui concerne les sociétés Danielle et Arcadie
- de les débouter de toutes leurs demandes,
- de constater que la société LV et/ou MM. Budnik et Senik sont les dirigeants de droit et/ou de fait des sociétés Danielle et Arcadie,
- de dire les demandes d'agrément présentées par les détaillants de mauvaise foi, et anormales au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Subsidiairement,
- de constater qu'en tout état de cause que les parfumeries Danielle, située à Paris 180 rue Lecourbe et Arcadie située 55, rue de l'Arcade ne remplissent pas les critères qualitatifs requis pour être agréées,
Sur l'ensemble des demandes adverses
- de débouter les sociétés adverses de toutes leurs demandes,
- de constater leur carence quant à la preuve du préjudice qu'elles auraient subi,
- de les débouter de leur demande d'expertise,
Sur la demande reconventionnelle de Chanel
- de condamner chacune des sociétés LV, SBL, LVCA et Jardin de Vénus, Danielle et Arcadie in solidum à verser à Chanel la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts, soit la somme de 700.000 F,
- de les condamner au paiement d'une somme de 100.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Les sociétés LV, SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA, Danielle, Arcadie demandent subsidiairement :
- de dire que la faute commise par la société LV en livrant à la société Foncina cinq produits Chanel en juin et juillet 1991, si elle peut justifier de la résiliation des contrats de distribution Chanel dont elle disposait à l'époque, ne saurait en elle-même établir la mauvaise foi de la société et de ses dirigeants, en conséquence,
- de dire Chanel irrecevable et mal fondée à opposer cette faute aux sociétés autres que LV et irrecevable à opposer cette faute à LV pour refuser la conclusion de nouveaux contrats annuels de distribution.
La société Chanel demande :
- de dire que la faute de LV résulte de la constatation matérielle des faits sans qu'il soit nécessaire d'établir la mauvaise foi des sociétés et de leurs dirigeants,
- de condamner in solidum les sociétés à lui payer 3.386.064,60 F représentant la marge brute réalisée par elles sur la vente des produits Chanel à compter du 12 août 1991 pour les filiales et du 14 novembre 1991 pour LV SA jusqu'à fin décembre 1994,
- d'ordonner la publication d'un extrait de la décision à venir dans deux journaux dont Cosmetic News et Le Figaro dans la limite de 20.000 F aux frais des sociétés du Groupe.
La veille de l'audience, les sociétés Ela Parfums, la Grande Parfumerie Montmartre Ordener, la Parfumerie du Maine interviennent volontairement, étant devenues propriétaires des fonds de commerce de chacune des trois parfumeries LV.
Discussion
Considérant que les sociétés Ela Parfums, la Grande Parfumerie Montmartre Ordener, Parfumerie du Maine sont devenues propriétaire des fonds de commerce anciennement propriété de LV ; qu'elles sont recevables en leur intervention, que le présent arrêt leur est en conséquence opposable ;
Considérant que la société LV soutient que la cause officielle de la résiliation du contrat par la société Chanel, la vente par correspondance, n'est pas établie, que les ventes auxquelles elle a procédé ne sont pas contraires aux engagements contractuels, que le manquement est trop léger pour être sanctionné par une résiliation, et que Chanel applique le contrat avec mauvaise foi et discrimination à son égard ; qu'elle entend faire différencier une vente par correspondance, qu'elle dénie avoir faite et une vente à distance ; qu'elle admet cependant que la vente par correspondance est prohibée par l'article 1-4 du contrat de la convention mais soutient qu'il s'agit d'une vente à distance, c'est-à-dire par téléphone, et avec livraison au domicile de l'acheteur ;
Considérant que la clause contractuelle à laquelle se réfèrent les parties stipule sous l'article 1.4) que le distributeur agréé... s'engage à ne pas recourir à la vente par correspondance ou, en règle générale à toute vente en dehors du lieu de vente ci-dessus désigné... que cette clause est sans ambiguïté, qu'elle oblige le distributeur à ne céder les produits que dans le lieu de vente agréé par Chanel, à un acheteur qui se " déplace pour effectuer personnellement et individuellement " son achat dans le point de vente, qu'il est donc tout à fait artificiel d'opérer une distinction entre la vente consentie après réception d'une lettre ou celle consentie après réception d'une communication téléphonique, les deux systèmes ayant la même conséquence, prohibée, de cession du produit à un acquéreur qui ne se déplace pas pour effectuer un achat direct au point de vente ;
Considérant que la société LV ne peut donc être suivie dans cette tentative de démonstration, qu'au surplus, il est établi que les ventes à la société Foncina sont bien des ventes par correspondance, qu'en effet, la société Foncina a commandé à la société LV le 3 mai 1991 deux produits Chanel, mentionnés sur un bon de commande retiré d'un catalogue diffusé en 1990, puis en 1991, par des lettres circulaires adressées à divers comités d'entreprise, par une société intitulée La Parfumerie ; que " La Parfumerie " a adressé à la société Foncina (dont le dirigeant est également dirigeant des parfumeries à l'enseigne Patchouli) un récapitulatif de commande en lui indiquant les modalités de commandes pour l'avenir et le paiement ; qu'une seconde commande a été faite par la société Foncina par télécopie, que la livraison a été effectuée par poste depuis le lieu de stockage des parfumeries Kléber ;
Considérant qu'il est donc établi que la vente a été faite par correspondance et en dehors du lieu de vente de la société distributrice LV ; qu'il est également constant, et non contesté, que le paiement a été encaissé par LV, qui sous la dénomination La Parfumerie pratiquait cette forme de vente ; que la violation des dispositions contractuelles sus rappelées est évidente ; qu'il importe peu que dans le cas précis de la société Foncina les ventes aient été limitées, qu'il suffit d'une vente pour que la violation du contrat soit caractérisée ;
Considérant qu'il y a lieu de constater en outre qu'il s'agissait d'une organisation systématique, destinée à drainer la clientèle des comités d'entreprise par la diffusion de catalogues, qui bien qu'anonymes ont été établis par la société LV SA, que le distributeur agréé avait bien pris soin non seulement de cacher sa véritable identité par une dénomination générale adaptable - La Parfumerie - mais aussi d'ouvrir un compte bancaire différent de celui qui était utilisé dans les relations avec Chanel ;
Considérant que ces mesures étaient prises dans le but avéré de masquer les agissements de la société LV et de rendre très difficile l'établissement de la preuve des manquements aux obligations contractuelles, qu'elles démontrent que LV SA et ses dirigeants n'ignoraient pas qu'ils contrevenaient aux accords, et qu'ils avaient pris toutes précautions pour n'être pas découverts et maintenir le caractère occulte de leurs pratiques ;
Considérant que c'est donc à bon droit que le Tribunal a débouté LV SA de ses demandes tendant à faire condamner Chanel à lui livrer ses produits, et a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ces dispositions s'appliquant à toutes les succursales de LV SA et notamment aux intervenantes, société Ela Parfums, société la Grande Parfumerie Montmartre Ordener, société Parfumerie du Maine ;
Considérant que la société Chanel pour obtenir que la décision de résiliation soit appliquée également aux autres sociétés du Groupe Kléber, fait valoir que le contrat qui la lie aux distributeurs agréés repose sur la bonne foi des cocontractants, qu'il est conclu en considération de la personnalité du mandataire social, ou du dirigeant de l'entreprise, que l'article VI ne distingue pas selon que l'infraction a été commise par le dirigeant dans le cadre d'un contrat le liant personnellement ou non à Chanel ; qu'elle fait observer que les sociétés du Groupe Kléber forment une entité économique unique, qu'elles sont souvent filiales à 100 % de la société LV, qu'elles ont toutes l'enseigne Kléber, que les produits acquis auprès des fabricants sont livrés à Vitry et répartis selon les besoins entre les différents magasins du Groupe, que les dirigeants sont identiques et détiennent la majorité du capital social, que tous les contrats de distributeurs agréés sont signés par M. Senik, directeur générale de LV SA ;
Considérant que les parfumeries en cause, SARL SBL, SARL Jardin de Vénus, société Codip, SARL LVCA (Lorient) reprennent l'argumentation développé devant le Tribunal, et font observer qu'elles-mêmes n'ont commis aucune violation des clauses du contrat, et que leurs dirigeants n'ont personnellement rien à se reprocher ; que les demandes de Chanel sont irrecevables, car on ne doit tenir compte que des stipulations contractuelles précises, et non pas de leur " esprit " ;
Considérant qu'il a été démontré plus haut que la pratique de la société LV SA entrait dans le cadre d'un système destiné à contourner les interdictions contenues dans le contrat auquel cette société avait adhéré ;
Considérant que les sociétés du Groupe Kléber sont étroitement liées, que leurs dirigeants sont les mêmes, MM. Budnik et Senik, que leur politique commerciale est bien évidemment la même et leurs méthodes identiques ;
Considérant que c'est l'un des dirigeants, M. Senik, qui a signé tous les contrats de distribution conclus avec Chanel, que la plupart des commandes faites au fournisseur émanent de " La Parfumerie Kléber, Direction " pour être livrées aux divers points de vente, et doivent être facturées à Parfumerie Kléber société LV, qui assure le règlement ;
Considérant que la clause VI c, alinéa 3 du contrat, dispose que toute infraction commise par le détaillant agréé ou par l'un quelconque de ses dirigeants de fait ou de droit dans le cadre d'un autre contrat quel qu'il soit le liant à Chanel, justifie la mise en jeu de la clause de résiliation ;
Considérant que le contrat de distribution est conclu en considération de la personnalité du mandataire social, que ce contrat est résilié de plein droit au cas de changement de direction du fonds de commerce, qu'il est donc nécessaire que la confiance entre les dirigeants du Groupe et la société Chanel soit maintenue pendant toute la durée du contrat ;
Considérant que MM. Budnik et Senik ne peuvent se décharger de la responsabilité qui leur incombe sur l'un quelconque de leur préposés, que celui-ci agissait dans le cadre de ses fonctions et suivait des directives qui lui avaient été données, qu'on peut en outre observer que le premier catalogue diffusé auprès des comités d'entreprises a été édité avant l'embauche de M. Chevrel par LV SA ;
Considérant en conséquence que les pratiques reprochées à LV SA autorisaient Chanel à appliquer la clause résolutoire pour la totalité des contrats de distribution conclus avec les sociétés du Groupe ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes des sociétés SBL, Jardin de Vénus, Codip, LVCA ;
Considérant que les sociétés Danielle et Arcadie avaient sollicité leur agrément Chanel qu'elles font partie du Groupe Kléber, que la société Chanel a refusé de les agréer non seulement à titre subsidiaire en raison de l'insuffisance des critères qualitatifs exigés, mais surtout par référence aux dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les demandes n'étant pas faites de bonne foi ;
Considérant que le candidat distributeur ne peut solliciter son agrément sans s'engager à respecter les règles de la distribution sélective, qu'il est exclu que les sociétés Arcadie et Danielle adhèrent de bonne foi à un contrat que les autres membres du groupe n'ont pas respecté ;
Considérant que le refus opposé par Chanel à la demande d'agrément est donc justifié, qu'il n'y a pas lieu à expertise pour apprécier les qualités des points de vente, que le jugement sera également émendé en ce qu'il a fait droit à la demande de la société Danielle ;
Considérant que la société Chanel demande sa restitution des matériels de publicité et démonstration qui sont sa propriété ainsi que du stock de produits invendus, qu'il y a lieu de faire droit à ces demandes dans les mêmes conditions que celles qui ont été décidées par le jugement dont appel ;
Considérant que la société Chanel demande de condamner les sociétés LV, SBL, LVCA, Jardin de Vénus, Danielle et Arcadie à lui verser des dommages et intérêts qu'elle a tout d'abord chiffré à 700.000 F puis porté à 3.386.064,60 F, représentant la marge brute réalisée par les sociétés du Groupe pendant toute la période de livraisons sur injonction judiciaire ;
Considérant que le préjudice subi par la société Chanel n'est pas de nature économique, qu'il n'est pas fonction du profit réalisé par les distributeurs, qu'il résulte, comme le dit elle-même la société Chanel, de la poursuite des ventes par un Groupe dont les agissements déloyaux étaient connus de la profession ; qu'il est donc moral ; qu'il y a lieu de l'apprécier en tenant compte de la durée des agissements de la publicité donnée au litige qui opposait le Groupe Kléber à son fournisseur, des difficultés remontrées par Chanel auprès des autres détaillants ; que la Cour possède les éléments suffisants pour fixer à 1.000.000 F les dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande de publication d'un extrait de la présente décision ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Chanel la totalité des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement du 15 janvier 1993 en ce qu'il a débouté la société LV SA de ses demandes, a accueilli la demande de la société Chanel contre la société LV SA, a désigné un huissier pour constater la restitution des stocks et matériels, a ordonné une astreinte et a condamné la société LV à payer des dommages et intérêts à la société Chanel et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du NCPC, L'infirme pour le surplus, Déboute les sociétés Jardin de Vénus, Codip, LVCA et SBL de leurs demandes, Donne acte à la société Chanel des résiliations intervenues le 24 juillet 1991 et les déclare bien fondées ; Condamne la société SBL, LVCA, Jardin de Vénus et Codip à restituer à la société Chanel le matériel de publicité et démonstration, propriété de Chanel, ainsi que le stock d'invendus sous astreinte de 1.000 F (mille francs) par jour de retard, commençant à courir trois jours après la signification du présent arrêt, Dit que cette restitution sera effectuée sous le contrôle d'un huissier, et désigne Me Dymant 14, rue Littré à Paris (75006) pour dresser procès-verbal de constat dans les conditions prévues à l'article VII du contrat de distribution pour les magasins du groupe sis à Paris, Renvoie la société Chanel à faire désigner un huissier compétent pour les magasins situés en dehors de Paris, Déboute les sociétés Danielle et Arcadie de leurs demandes, Condamne in solidum les sociétés LV SA, SBL, LVCA, Codip, Jardin de Vénus, Danielle et Arcadie à verser à la société Chanel la somme de 1.000.000 F (un million de francs) à titre de dommages et intérêts, Les condamne sous la même solidarité à payer à la société Chanel la somme de 80.000 F (quatre ving mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Ordonne la publication d'un extrait du présent arrêt dans deux journaux au choix de la société Chanel, aux frais des sociétés LV, SBL, Codip, LVCA, Jardin de Vénus, Danielle et Arcadie dans la limite de 20. 000 F (vingt mille francs), Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne in solidum les sociétés LV, SBL, Codip, LVCA, Jardin de Vénus, Danielle et Arcadie aux dépens de première instance et d'appel et accorde à Me Robert avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.