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Conseil Conc., 15 juin 2000, n° 00-MC-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Demande de mesures conservatoires présentée par la société JPF Entertainment

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de M. Fertier-Pottier, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Pasturel, vice-présidente, , M. Cortesse, vice-président.

Conseil Conc. n° 00-MC-09

15 juin 2000

LE Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 6 mars 2000, sous les numéros F 1215 et M 257, par laquelle la société JPF Entertainment a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, la société JPF Entertainment et les sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, la société JPF Entertainment et les sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive entendus lors de la séance du 30 mai 2000 ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ;

Sur la saisine au fond :

Considérant que la société JPF Entertainment exerce une activité de commerce de gros notamment dans le secteur des jeux vidéo électroniques ; qu'elle expose que les pratiques tarifaires mises en œuvre par les sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France conduiraient, d'une part, à imposer aux distributeurs de leurs produits, un prix de revente et une marge minimum et, d'autre part, seraient discriminatoires ; que ces pratiques seraient ainsi constitutives d'une infraction au sens des articles 7, 8-1 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que les refus de ventes puis la rupture des relations commerciales décidées par ces mêmes sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France relèveraient, d'une part, d'un abus de position dominante et de dépendance économique, tels que définis par les articles 8-1 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et résulteraient, d'autre part, d'une entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre celles-ci ;

Considérant qu'en ce qui concerne, plus précisément, la société Sony Computer Entertainment France, la saisissante estime que les accords de coopération commerciale proposés ont pour objet et pour effet de créer une marge arrière disproportionnée et de relever artificiellement le seuil de revente à perte et, en conséquence, d'imposer un prix de revente et une marge minimum aux distributeurs ; que de telles pratiques conduiraient à une harmonisation des prix de vente au détail ; que, s'agissant des pratiques tarifaires discriminatoires, Sony Computer Entertainment France fixerait " de façon arbitraire pour chaque distributeur " un budget de coopération commerciale et que certains accords de coopération commerciale, dont JPF Entertainment n'aurait pas bénéficié, auraient été proposés à des concurrents ; que la saisissante mentionne à cet égard un accord de coopération commerciale intitulé " vos actions publi-promotionnelles en point de vente " dont aurait bénéficié un autre grossiste ; qu'elle soutient que des conditions tarifaires spécifiques auraient été octroyées à des enseignes de la grande distribution et produit sur ce point un prospectus de l'enseigne Auchan, intitulé " changeons la vie pour l'an 2000 ", mentionnant un prix promotionnel de 99 F pour un logiciel de jeu vidéo électronique intitulé " Crash Bandicoot 3 ", que JPF Entertainment aurait acquis à un prix de 289,35 F ; que, s'agissant du refus de vente et de la rupture abusive des relations commerciales, l'objet de ces pratiques serait d'évincer la société JPF Entertainment du secteur des jeux vidéo électroniques, en ne la livrant que partiellement, au profit d'autres distributeurs ; que, par ailleurs, Sony Computer Entertainment France organiserait une situation de pénurie sur le marché des consoles en vue de maintenir artificiellement un prix élevé et favoriserait la vente de logiciels de jeux vidéo électroniques, plus rentables que les consoles ;

Considérant qu'en ce qui concerne de la société Eidos Interactive France, la société saisissante fait valoir que les barèmes d'écart proposés ont pour objet et pour effet de créer une marge arrière disproportionnée, de relever artificiellement le seuil de revente à perte et, en conséquence, d'imposer un prix de revente et une marge minimum aux distributeurs ; que de telles pratiques conduiraient à une harmonisation des prix de vente au détail ; que la société Eidos Interactive France aurait mis en place en 1999 des conditions tarifaires discriminatoires et défavorables aux grossistes ; que les pratiques de refus de vente et de rupture des relations commerciales auraient pour objet d'évincer la société JPF Entertainment du secteur des jeux vidéo électroniques, en ne la livrant que partiellement au profit d'autres distributeurs ; que l'ensemble de ces agissements résulterait d'une entente entre les sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France ;

Considérant que sont substituables et, par conséquent, se trouvent sur un même marché, les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ; que le Conseil de la concurrence, dans une décision n° 95-D-62 du 26 septembre 1995 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques, avait retenu comme marchés pertinents le marché des consoles de jeux vidéo et le marché des logiciels de jeux vidéo électroniques ; qu'au stade actuel de la procédure et sous réserve d'une instruction au fond, il n'apparaît pas que les caractéristiques des produits offerts sur ces marchés, ainsi que les besoins des clients aient connu des évolutions de nature à modifier la définition des marchés pertinents précédemment retenue ;

Considérant que la société Sony Computer Entertainment France aurait réalisé en France, en 1999, avec la marque PlayStation, 63,8 % du chiffre d'affaires du marché des consoles de jeux vidéo électroniques ; que ses ventes représenteraient en volume 73,7 % des ventes totales ; qu'en 1999, ses principaux concurrents, Nintendo et Sega, détenaient des parts de marché respectives de 8 % et 28,20 % ; qu'il n'est donc pas exclu que la société Sony Computer Entertainment France soit en position dominante sur le marché des consoles de jeux vidéo électroniques ; que, sur le marché des logiciels, les parts de marché des sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France seraient respectivement de 10,46 % et 5,18 % ; que les deux leaders seraient les sociétés Nintendo et Infograms, qui détiendraient respectivement des parts de marché de 11,97 % et 10,91 % ; qu'il n'apparaît pas, à ce stade de l'instruction, que la société Sony Computer Entertainment France et la société Eidos Interactive France soient en position dominante sur le marché des logiciels de jeux vidéo électroniques ;

Considérant qu'il n'est pas exclu, sous réserve d'une instruction au fond, que les pratiques alléguées à l'encontre de la société Sony Computer Entertainment France, et consistant notamment en des refus de vente, rupture de relations commerciales, ou portant sur les conditions d'obtention des ristournes de fin d'année ou résultant des accords de coopération commerciale, soient susceptibles de constituer des pratiques prohibées par le titre III de l'ordonnance, dès lors, notamment, qu'elles auraient été mises en œuvre par une entreprise dont il n'est pas exclu qu'elle soit en position dominante sur le marché des consoles de jeux vidéo électroniques ;

Considérant, en revanche, s'agissant de la société Eidos Interactive France, qu'aucun élément ne permet de penser qu'elle se serait entendue avec la société Sony Computer Entertainment France en vue d'évincer la société JPF Entertainment des marchés des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques ; que la part de la société Eidos Interactive France sur le marché des logiciels de jeux vidéo est de 5,18 % ; que la saisine ne comporte aucun indice qui permettrait de penser que la société Eidos Interactive France détiendrait une position dominante sur le marché des logiciels de jeux vidéo électroniques ; que, dès lors, faute d'élément probant, la présente saisine doit être, en application de l'article 19 de l'ordonnance susvisée, déclarée irrecevable, en tant qu'elle met en cause des pratiques imputables à la société Eidos ;

Sur la demande de mesures conservatoires :

Considérant qu' aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les mesures conservatoires ne peuvent être prises que si la pratique dénoncée " porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ";

Considérant qu'accessoirement à sa saisine au fond, la société JPF Entertainment sollicite le prononcé de mesures conservatoires tendant à :

- introduire dans les conditions commerciales des sociétés Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France une clause garantissant une répartition non discriminatoire des livraisons et communiquer, dans un délai d'un mois à compter de la présente décision, les conditions commerciales ainsi modifiées à l'ensemble des distributeurs et grossistes ;

- faire figurer sur les factures, à titre de réduction de prix, les rémunérations que la société Sony Computer Entertainment France accorde habituellement en fin d'année dans le cadre des accords de coopération commerciale " plan d'achats ", " gestion centralisée ", " statistiques mensuelles " et " lancement des nouveautés ", et faire obligation à Sony Computer Entertainment France d'en informer l'ensemble de ses revendeurs, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision ;

- mentionner sur les factures, à titre de réduction de prix, la rémunération de 1 % prévue dans la première tranche du barème des " Ristournes pour progression de volume " figurant dans ses conditions commerciales de Sony Computer Entertainment France ;

- faire obligation à Sony Computer Entertainment France et Eidos Interactive France de communiquer leurs conditions commerciales et leur enjoindre de reprendre leurs relations commerciales avec JPF Entertainment ;

Mais considérant, en premier lieu, qu' il n'est pas établi que les pratiques dénoncées et notamment la diminution importante des approvisionnement de JPF Entertainment portant sur les produits commercialisés par la société Sony Computer Entertainment France aient, en raison de l'existence de sources alternatives d'approvisionnement et d'une diversification des activités de la société JPF Entertainment, porté une atteinte grave et immédiate à l'intérêt de l'entreprise plaignante; que le chiffre d'affaires de la société JPF Entertainment a augmenté de 55 % entre le premier trimestre 1999 et le premier trimestre 2000, et que le catalogue de la société JPF Entertainment publié en février 2000 continue de mentionner des produits commercialisés par la sociétés Sony Computer Entertainment France ;

Considérant, en second lieu, s'agissant de l'atteinte grave et immédiate qu'auraient porté les pratiques dénoncées à l'économie générale, à celle du secteur intéressé et à l'intérêt des consommateurs, que la part de marché de JPF Entertainment comme intermédiaire pouvait être estimée en valeur, en 1998, à un peu moins de 6 % sur le marché des consoles de jeux vidéo électroniques, et à un peu moins de 5 % sur le marché des logiciels de jeux vidéo électroniques ; que d'autres entreprises de commerce de gros sont présentes sur le secteur des jeux vidéo et qu'il résulte d'une étude de la société d'enquête GFK que l'ensemble des entreprises de commerce de gros assurait, en 1998, 21 % de la distribution des logiciels de jeux vidéo électronique ; que, selon la même étude, 42 % de la distribution de ces produits était effectuée par les hypermarchés ; qu'il n'est nullement établi que le réseau des petits détaillants, éventuellement susceptibles de rendre un service différent de celui rendu par les hypermarchés ou des grandes surfaces spécialisées, et dont l'activité est davantage liée à la présence de grossistes sur le marché, ait souffert des difficultés d'approvisionnement enregistrées par la société saisissante ; qu'il convient, d'ailleurs, de relever que le secteur a été marqué par une diminution constante du prix des consoles et des logiciels de jeux vidéo électronique ; qu'ainsi, le prix de la console PlayStation de Sony est passé en France de 2090 F, en septembre 1995, à 790 F, en septembre 1998 ; que le prix de vente moyen des logiciels de jeux vidéo électroniques de marque PlayStation de Sony est passé de 310 F au premier trimestre 1998 à 241 F au premier trimestre 1999 ; qu'aucun indice réel de pénurie n'a été ni allégué, ni constaté, sur les marchés des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques ;

Considérant que, par suite, en l'absence d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, il n'y a pas lieu au prononcé de mesures conservatoires,

Décide :

Article 1 : La saisine F 1215 est déclarée irrecevable en tant qu'elle vise les pratiques imputables à la société Eidos Interactive France.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 257 est rejetée.