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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 16 janvier 1992, n° ECOC9210017X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pierre Rossetto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Vengeon

Présidents :

Mme Ezratty, M. Canivet

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

M. Guerin, Mme Pinot

Avocat :

Me Treffs.

CA Paris n° ECOC9210017X

16 janvier 1992

Par décision n° 91-D-33 du 9 juillet 1991 relative à des pratiques d'ententes relevées dans le secteur du bâtiment et des travaux publics du département des Alpes-de-Haute-Provence, le Conseil de la concurrence a constaté que, préalablement au dépôt de leurs offres en vue de l'adjudication de deux marchés de travaux publics, les entreprises Rossetto et Olivero ont procédé à des échanges d'informations ayant pu avoir pour effet de limiter la concurrence et leur a infligé des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de 140.000 F et 80.000 F.

Selon les motifs de cette décision, la preuve des pratiques sanctionnées réside dans des devis établis par la société Olivero se trouvant au siège de la société Pierre Rossetto et portant des mentions manuscrites faisant état, en des termes non équivoques, de concertation entre les deux entreprises sur le montant des offres déposées par la dernière nommée.

Contre cette décision, la société Pierre Rossetto a formé un recours en annulation au soutien duquel elle fait valoir que les enquêteurs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont obtenu dans des conditions irrégulières les documents à partir desquels sont caractérisées les pratiques sanctionnées.

Elle prétend, à cet effet, que, ayant accédé aux locaux de l'entreprise le 27 octobre 1988 en application de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les enquêteurs ont outrepassé leurs pouvoirs et violé les droits de la défense :

- en exigeant de René Tron, comptable de l'entreprise, sous la menace de poursuites pénales, la communication de documents qu'en l'absence du représentant qualifié de la société celui-ci n'avait pas le pouvoir de délivrer ;

- en formulant en des termes imprécis et généraux une demande de communication de documents aboutissant en fait à une fouille systématique des dossiers d'appels d'offres auxquels l'entreprise a soumissionné au cours des trois dernières années ;

- en procédant eux-mêmes à la fouille des armoires de classement et des dossiers qu'ils en ont extraits.

La société requérante fait en outre valoir que le conseil a fait une appréciation erronée des faits, en retenant comme pratiques illicites des offres de principe qui n'avaient pas pour objet de fausser le jeu de la concurrence.

À titre subsidiaire, l'entreprise Rossetto prie enfin la Cour de réformer la décision en réduisant le montant de la sanction pécuniaire qu'elle estime sans proportion avec sa situation financière.

Aux termes de ses observations, le ministre de l'économie, des finances et du budget expose :

- que l'attestation établie par René Tron et produite aux débats par la requérante ne peut valoir preuve contraire aux énonciations du procès-verbal dressé par les enquêteurs, duquel il résulte que les documents en cause leur ont été spontanément remis par Pierre Rossetto, gérant de la société portant son nom ;

- que les offres établies par ladite société en concertation avec l'entreprise Olivero tombent sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que les sanctions pécuniaires infligées tiennent compte des capacités contributives de chacune des deux entreprises en cause, de la part qu'elles ont prise dans les comportements illicites constatés ainsi que de leur incidence sur les marchés concernés.

Conformément aux dispositions de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le conseil a déposé des observations écrites :

- soulignant, d'une part, que la société requérante n'établit pas l'illégalité du procès-verbal d'inventaire des documents communiqués, dressé par les enquêteurs et signé de son gérant ;

- estimant, d'autre part, que si le fait pour une entreprise d'établir unilatéralement une offre de principe n'est pas une pratique anticoncurrentielle, est en revanche constitutive d'une telle pratique la concertation avec un concurrent en vue de déterminer le prix déposé.

Le ministère public a conclu au rejet du recours au motif que la force probante du procès-verbal établi par les enquêteurs ne peut être contestée par les seules affirmations du préposé de la société en cause.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en application duquel les agents de l'administration sont intervenus au siège de la société Pierre Rossetto, dispose que " les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication de livres, factures ou tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements ou justifications " ;

Considérant que, selon les mentions du procès-verbal établi le 27 octobre 1988, les enquêteurs ont été accueillis au siège de la société requérante par Pierre Rossetto, son gérant, qui leur a spontanément remis les documents ensuite utilisés dans le cours de la procédure à titre de preuve des pratiques litigieuses;

Mais, considérant que, si sont contestés par le ministre de l'économie, des finances et du budget les termes de la déclaration sur l'honneur établie par le préposé de ladite société le 23 août 1991 et selon lesquels les agents de l'administration auraient eux-mêmes procédé à la fouille des meubles et dossiers, il n'est pas mis en doute qu'ils ont été reçus dans les locaux de l'entreprise par René Tron en présence duquel ils ont commencé leurs investigations, avant l'arrivée sur place de Pierre Rossetto qui a ensuite signé le procès-verbal;

Qu'il s'ensuit que les mentions de l'acte dressé par les enquêteurs pour relater leurs opérations ne rendent pas compte de la partie de celles-ci qu'ils ont effectuée en la seule présence et avec le concours de René Tron; que par son caractère incomplet ce procès-verbal ne permet pas à la Cour de contrôler si, comme l'affirme la requérante, le commencement de leur intervention au sein de l'entreprise a excédé les limites du texte susvisé;

Considérant en conséquence que ledit procès-verbal qui porte atteinte aux droits de la défense doit être annulé, que doivent être écartés des débats les éléments de preuve recueillis à l'occasion de l'opération qu'il rapporte et déclarée nulle la décision du conseil fondée sur lesdits éléments de preuve;

Par ces motifs, Annule la décision du Conseil de la concurrence ; Laisse les dépens à la charge du Trésor.