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Décisions

Conseil Conc., 9 juillet 1991, n° 91-D-33

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques d'entente relevées dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (Alpes-de-Haute-Provence)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport de Mme Penichon, présenté par M. Jean-Claude Facchin, rapporteur de séance en l'absence de Mme Penichon, empêchée, dans sa séance du 9 juillet 1991, où siégeaient M. Pineau, vice-président, présidant ; MM. Blaise, Cabut, Cortesse, Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 91-D-33

9 juillet 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 6 décembre 1989 sous le numéro F 285, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre à l'occasion de la passation de marchés publics dans le secteur du bâtiment et du génie civil ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant demandé à présenter des observations orales entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A l'appui de sa saisine, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a transmis les résultats d'une enquête effectuée par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Les constatations opérées dans le cadre de cette enquête portaient sur des pratiques mises en œuvre par des entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics à l'occasion de la passation de neuf marchés publics concernant des travaux effectués dans la vallée de l'Ubaye :

1. Appels d'offres lancés en 1988 par la ville de Barcelonnette ;

2. Appel d'offres lancé en 1987 par la ville de Barcelonnette pour la réfection de la rue Jules-Béraud ;

3. Appel d'offres lancé en 1988 par la commune de Lauzet-Ubaye pour l'aménagement d'un espace public ;

4. Appel d'offres lancé en 1986 par le Sivom de la vallée de l'Ubaye ;

5. Appel d'offres lancé en 1986 par la commune de Saint-Pons relatif à l'aménagement du chemin départemental n° 9 ;

6. Appel d'offres lancé en 1988 par le département des Alpes-de-Haute-Provence ;

7. Appel d'offres lancé en 1987 par la direction des travaux du génie de Grenoble ;

8. Appel d'offres lancé en août 1987 par le conseil général des Alpes-de-Haute-Provence ;

9. Appel d'offres lancé en juillet 1986 par la direction des travaux du génie de Grenoble.

S'agissant du marché n° 2, sur les quatre entreprises retenues lors de l'appel de candidatures, deux ont déposé des offres : la SARL Rossetto pour un montant de 400 189,61 F et la SARL Olivero pour 360 000,43 F. Le lot a été attribué le 22 avril 1987 à la société Olivero par la commission d'ouverture des plis (pièce n° 8).

Lors de l'enquête, M. Pierre Rossetto, gérant de la SARL Rossetto, a remis aux enquêteurs un devis d'un montant de 385 331,40 F provenant, selon ses affirmations, de l'entreprise Olivero et portant la mention manuscrite " Mes prix sont à majorer à votre convenance " (pièce n° 9). L'intéressé a expliqué, dans ses observations du 25 août 1990, qu'il ne souhaitait pas soumissionner à cet appel d'offres et qu'il avait demandé des indications à la société Olivero afin d'établir une " offre de principe ".

S'agissant du marché n° 3, cinq entreprises ont soumissionné à cet appel d'offres lancé en septembre 1988 : les sociétés Olivero pour un montant de 455 224,57 F, Sicard pour 526 043,19 F, Rossetto pour 533 213,27 F, Spitalier pour 547 762,40 F, et Routière du Midi pour 590 820,72 F. Le marché a été attribué à la société Olivero (pièce n° 11).

M. Rossetto a communiqué aux enquêteurs un devis d'un montant de 533 213,27 F TTC correspondant à son offre, dont le premier feuillet porte la mention manuscrite " Rossetto, prix à porter sur votre offre " (pièce n° 12). L'intéressé a déclaré le 27 octobre 1988 : " De même en ce qui concerne le marché d'aménagement espace public de la commune de Lauzet-Ubaye (...), le devis quantitatif estimatif manuscrit d'un montant total de 533 213,27 F provient de l'entreprise Olivero et porte sur la page de garde la mention manuscrite au crayon "Rossetto, prix à porter sur votre offre", car, ne pouvant réaliser ces chantiers, j'ai voulu cependant répondre à l'architecte maître d'œuvre pour me faire connaître de celui-ci et j'ai demandé à l'entreprise Olivero de me donner des éléments de réponse " (pièce n° 10).

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

En ce qui concerne la procédure :

Considérant que, dans le dossier transmis à l'appui de la saisine, figure en annexe I un procès-verbal d'inventaire de documents communiqués par M. Jean-Maurice Spitalier en date du 27 octobre 1988, à onze heures et quinze minutes ; que ce document comporte trois pages toutes paraphées par les trois enquêteurs et une quatrième personne, mais qu'il ne comporte pas la ou les dernières pages, et notamment les signatures des enquêteurs et de la personne concernée et la mention qu'un double de ce procès-verbal a été remis à cette dernière ;

Considérant que, selon l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, les procès-verbaux font foi jusqu'à preuve contraire et qu'un double en est laissé aux parties intéressées ; que selon l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 les procès-verbaux sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations ; que par conséquent l'annexe I du dossier transmis ne peut être considérée comme un procès-verbal d'inventaire de documents communiqués régulièrement dressé ;

Considérant, dès lors, que les pièces mentionnées dans ce procès-verbal doivent être disjointes ; que les procès-verbaux d'audition et les documents complémentaires communiqués à l'occasion de l'enquête se référant, directement ou indirectement, au contenu de ces pièces, doivent également être écartés ; que les passages du rapport administratif qui sont établis à partir des renseignements puisés dans tous ces éléments du dossier ne peuvent davantage être utilisés ;

Considérant que l'article 47 de l'ordonnance dispose que les enquêteurs peuvent " accéder à tous locaux (...) à usage professionnel, demander la communication de (...) tous autres documents professionnels et en prendre copie " ; que le procès-verbal du 27 octobre 1988, à treize heures et trente minutes, d'inventaire des documents communiqués par M. Pierre Rossetto a été régulièrement dressé ; que la société Olivero, qui n'établit ni que les dispositions des articles 46 de l'ordonnance et 31 du décret du 29 décembre 1986 ont été violées ni que les droits de la défense n'ont pas été respectés, soutient que la demande des enquêteurs aurait dû " être faite dans le cadre de l'article 48 " de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, toutefois, les enquêteurs n'ayant procédé à aucune saisie de document, la procédure prévue à l'article 48 n'avait pas à être mise en œuvre ; que les règles de forme de l'article 47 ont été respectées ;

En ce qui concerne la prescription :

Considérant que les enquêteurs, agissant sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, ont obtenu communication par M. Rossetto de documents concernant deux marchés publics relatifs à des travaux effectués dans la vallée de l'Ubaye ; que le procès-verbal de cette opération établi le 27 octobre 1988 constitue un acte tendant à la recherche d'infractions aux règles de la concurrence commises par la société Rossetto, au sens de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; que cette pièce interrompt la prescription non seulement à l'égard de cette entreprise mais également vis-à-vis des autres sociétés, auteurs ou coauteurs des pratiques anticoncurrentielles que pourrait faire apparaître la procédure ;

En ce qui concerne l'administration de la preuve :

Considérant que la société Olivero fait observer que les enquêteurs ne se sont pas rendus dans ses locaux et n'ont recueilli ses déclarations ni sur les marchés concernés ni sur les documents et déclarations qui lui sont opposés ; qu'il y a lieu, toutefois, de relever qu'aucune des règles qui régissent les enquêtes ne fait obligation aux agents qui y procèdent ou au rapporteur du conseil de les interroger sur des pièces recueillies chez des tiers et dont le contenu peut leur être opposable ;

En ce qui concerne les marchés pertinents :

Considérant que la société Olivero relève que le marché de référence n'est pas défini ; qu'il y a lieu d'observer que le croisement des appels d'offres de l'Etat ou des collectivités publiques et des réponses des candidats a réalisé des marchés, c'est-à-dire la rencontre entre des demandes et des offres substituables entre elles ;

En ce qui concerne les pratiques constatées sur les marchés n° 2 et n° 3 passés par la ville de Barcelonnette et par la commune de Lauzet-Ubaye :

Considérant que le responsable de la société Olivero a fait valoir que rien ne permettait de supposer que les devis communiqués par M. Rossetto provenaient de son entreprise ; qu'il a, en outre, soutenu que le montant du devis remis par M. Rossetto pour le marché n° 2 ne correspondait à aucune des offres définitives ; que, toutefois, la mention portée sur les pièces n° 9 " mes prix sont à majorer à votre convenance " et n° 12 " Rossetto prix à porter sur votre offre ", jointe aux déclarations de M. Rossetto qui a reconnu avoir établi ses offres en liaison avec la société Olivero établissent suffisamment l'existence d'une concertation entre ces sociétés à l'occasion des deux marchés en cause ;

Considérant que les sociétés Olivero et Rossetto soutiennent que les échanges d'informations destinés à établir une " offre carte de visite " n'ont pu avoir un effet anticoncurrentiel ; que si le simple fait de déposer une offre de principe ne constitue pas en soi une pratique anticoncurrentielle, il n'en va pas de même lorsque cette offre est établie en concertation avec une autre entreprise; qu'en effet, l'intensité de la concurrence est susceptible d'être limitée lorsque le soumissionnaire alerté n'a plus à se préoccuper de la concurrence de l'entreprise considérée, que les indications communiquées portent sur les prix susceptibles d'être proposés, sur les moyens techniques qu'il est prévu d'employer ou encore sur la réalité du désir d'emporter le marché; qu'il importe peu que la pratique ait ou non effectivement faussé la concurrence dès lors qu'il est constaté qu'elle était de nature à produire cet effet;

Considérant qu'il est allégué que les agissements en cause n'ont pu porter atteinte au marché en raison du faible montant des appels d'offres concernés ou du fait que les prix proposés étaient compétitifs et souvent inférieurs aux estimations des maîtres d'ouvrage ; que des échanges d'information entre entreprises préalablement au dépôt de leurs offres à un même marché peuvent avoir pour effet de limiter la concurrence ; que l'importance des marchés considérés est sans incidence sur la constitution de l'infraction et n'est prise en compte que pour l'appréciation des suites à donner ;

En ce qui concerne la qualification des faits et les sanctions :

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que se trouvent prohibées par l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 les pratiques des entreprises Rossetto et Olivero constatées à propos des marchés n° 2 et n° 3 ;

Considérant qu'il n'est pas établi que les auteurs de ces pratiques puissent bénéficier des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance de 1986 ;

Considérant qu'il y a lieu, par application de l'article 13 de l'ordonnance de 1986 susvisée, de prononcer des sanctions pécuniaires à l'encontre des entreprises qui se sont livrées à ces pratiques ; que le plafond de ces sanctions doit être déterminé en fonction du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours de l'exercice 1990, tel qu'il a été communiqué par les entreprises ; qu'il convient ensuite de tenir compte, pour chacune de celles-ci, de ses capacités contributives, de la part prise dans les comportements sanctionnés, ainsi que des incidences correspondantes, réelles ou potentielles, sur les marchés concernés,

Décide : Article unique. - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- 80 000 F à l'entreprise Olivero ;

- 140 000 F à l'entreprise Rossetto.