Conseil Conc., 26 mars 1991, n° 91-D-15
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques d'entente relevées à l'occasion de marchés de travaux d'entretien et de construction conclus par la commune de Baie-Mahault (Guadeloupe)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en commission permanente sur le rapport de M. Xavier Beuzit dans sa séance du 26 mars 1991, où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 20 septembre 1989 sous le numéro F 273 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans des marchés publics passés par la commune de Baie-Mahault ; Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945, modifiées, respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu le décret n° 47-223 du 23 juillet 1947 autorisant les ministres à déléguer, par arrêté, leur signature, modifié ; Vu les lettres du 26 octobre 1990 du président du Conseil de la concurrence notifiant aux parties la transmission du dossier à la commission permanente, conformément aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; Vu les observations présentées par la société Sofamat, l'EURL Lomba, MM. Harry Thorinius, Alexis Sheikboudou, Adolphe Ramassamy, Joseph Rozas, Camille Dublin et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de M. Dublin et des entreprises Ramassamy et Sheikboudou entendus, les autres parties ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés.
I. - CONSTATATIONS
La municipalité de Baie-Mahault a, de 1986 à 1988, fait procéder, à treize reprises, à des travaux par différentes entreprises ci-après désignées :
1. Travaux de construction d'un fossé bétonné, terrain Chalder, exécutés par l'entreprise Ramassamy, pour un montant de 226 197,09 F en 1986 et 1987 ;
2. Travaux de voirie et construction de ponceaux à Bragelogne, Touville et Calvaire, exécutés par l'entreprise Ramassamy, pour un montant de 240 140,62 F en 1986 et 1987 ;
3. Travaux de réparation de la chapelle La Retraite, exécutés par l'entreprise Pradel, pour un montant de 349 808 F en 1987 ;
4. Travaux de réparation du lavoir Café, exécutés par l'entreprise Pradel, pour un montant de 340 130 F en 1988 ;
5. Travaux chemins communaux Dugazon et Dumonter, exécutés par l'entreprise Pradel, pour un montant de 338 625 F en 1988 ;
6. Travaux de réfection de la toiture de l'école mixte du bourg, exécutés par l'entreprise Bevis, pour un montant de 345 612,50 F en 1987 et 1988 ;
7. Travaux de l'école de Calvaire, exécutés par l'entreprise Bevis pour un montant de 347 440 F en 1987 et 1988 ;
8. Travaux du stade municipal, construction des sanitaires et des vestiaires, exécutés par l'entreprise Lomba, pour un montant de 321 411,73 F en 1987 ;
9. Travaux du stade municipal, aménagements extérieurs, exécutés par l'entreprise Lomba, pour un montant de 247 320,95 F en 1987 ;
10. Travaux de confection de cloisons à l'hôtel de ville, exécutés par l'entreprise H. Thorinius, pour un montant de 327 677,91 F en 1988 ;
11. Travaux de ferronnerie et de menuiserie au foyer rural de Wonche, exécutés par l'entreprise H. Thorinius, pour un montant de 338 496,40 F en 1988 ;
12. Travaux de clôture du stade municipal, exécutés par l'entreprise Pris'com, pour un montant de 348 000 F en 1988 ;
13. Travaux d'entretien des rues, zone industrielle de Jarry, exécutés par l'entreprise Sheikboudou, pour un montant de 340 000 F en 1987.
La municipalité, n'obtenant pas de l'autorité de tutelle l'autorisation de mandater le règlement de ces travaux pour lesquels elle n'avait lancé aucun appel d'offres, a demandé aux entreprises ci-dessus désignées et aux maîtres d'œuvre éventuellement concernés d'organiser, sur le fondement d'arrêtés pris par son maire entre le 3 décembre 1987 et le 14 septembre 1988, des procédures fictives d'appels d'offres, les marchés conclus devant donner lieu à des offres de couverture.
Pour les travaux 1 et 2, les entreprises Assor et Tisseur ont déposé des offres de couverture établies par l'architecte mandaté par la commune, M. Dublin, qui a reconnu avoir antidaté les devis et actes d'engagement afin de procéder à la régularisation recherchée.
Pour les travaux 3, 4 et 5, les entreprises Lomba et Barvo (marché 3), Job et Lomba (marché 4), Sulino et Barvo (marché 5) ont déposé des offres de couverture établies par l'architecte de la commune, M. Valmorin, afin de faire apparaître l'entreprise Pradel comme moins disante. M. Valmorin a reconnu avoir antidaté les devis estimatifs des soumissionnaires. Seul M. Lomba conteste avoir signé les offres établies en son nom.
Pour les travaux 6 et 7, les entreprises Ismael et Rabinaud (marché 6) et Tisseur et Andreze-Louison (marché 7) ont déposé des offres de couverture à la suite de réunions entre le dirigeant de l'entreprise Bevis et les autres soumissionnaires.
Pour chacun des travaux 8 et 9, les entreprises Calif et Pradel ont déposé des offres de montants supérieurs aux montants des travaux exécutés par l'entreprise Lomba. Tandis que M. Lomba soutient avoir présenté une offre sans s'être soucié des offres concurrentes, MM. Calif et Pradel reconnaissent avoir signé des devis dactylographiés à la mairie sans pour autant être intéressés par les marchés.
Pour chacun des travaux 10 et 11, les entreprises Mephon et A. Thorinius ont déposé des offres de couverture au bénéfice de l'entreprise H. Thorinius dont le dirigeant a reconnu avoir sollicité et obtenu des offres de complaisance.
Pour les travaux 12, les dirigeants des entreprises Garbin et Rozas reconnaissent avoir établi des offres de couverture. De même, pour les travaux 13, il est établi que l'entreprise Tisseur a établi une offre de couverture.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Sur la procédure :
Considérant que si, par la lettre susvisée, le ministre a saisi le Conseil de la concurrence de l'ensemble des pratiques relevées à l'occasion de seize marchés publics passés par la commune de Baie-Mahault, l'hétérogénéité des activités concernées par ces marchés conduit à examiner lesdites pratiques par secteur d'activité ; que la présente décision aura trait à celles relevées dans le secteur du bâtiment et des travaux publics ;
Considérant que MM. Dublin, Skeikboudou et Ramassamy soutiennent que la saisine est irrecevable pour avoir été signée non par le ministre lui-même mais par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; que l'article 11 ne prévoyant pas que le ministre ait la faculté de déléguer son pouvoir de saisine, il appartiendrait en tout état de cause au délégataire de justifier d'une délégation expresse ;
Mais considérant que les ministres sont autorisés, en application du décret n° 47-223 du 23 janvier 1947 modifié susvisé, à déléguer, par arrêté, leur signature ; que, par arrêté du 18 juillet 1988, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a donné délégation permanente au signataire de la lettre de saisine pour signer, dans la limite de ses attributions et au nom du ministre, tous actes, arrêtés, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets ; que la saisine du conseil par le délégataire du ministre entre dans les actes autorisés par la délégation susvisée ;
Considérant que MM. Dublin et Ramassamy prétendent également que les faits qui leur sont reprochés étant antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ce texte ne leur est pas applicable que ne peut recevoir davantage application l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, faute d'une saisine antérieure de la commission de la concurrence, puisque le Conseil de la concurrence ne pourrait exercer les pouvoirs de sanction antérieurement dévolus au ministre chargé de l'économie que si le rapport prévu par l'article 52 de la même ordonnance a déjà été notifié aux intéressés ;
Mais considérant que, dans le cas où les faits constatés sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'absence de vide juridique résulte de l'application des règles de fond contenues dans l'ordonnance du 30 juin 1945, dans la mesure où les qualifications énoncées par celles-ci sont reprises par le nouveau texte ; que si son article 59 précise les règles applicables aux procédures qui étaient en cours lors de son entrée en vigueur, on ne saurait déduire de ce texte par a contrario l'équivalent d'une péremption ou d'une prescription des faits antérieurs à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance au seul motif qu'à cette date ils n'auraient pas fait l'objet d'actes de constatation et de procédure ; qu'en l'absence de ces actes le Conseil de la concurrence est compétent pour examiner les faits qui lui sont soumis et les qualifier, sur la base du nouveau texte, dès lors qu'il se trouve en présence de pratiques tombant sous le coup des prohibitions édictées à la fois par cette ordonnance et celle du 30 juin 1945 susvisée ;
Considérant que les pratiques afférentes aux deux marchés de travaux attribués à l'entreprise Ramassamy se situent, sans que ce fait soit contesté, au mois d'août 1986 ; que la prescription a été interrompue le 20 décembre 1988 par les procès-verbaux d'audition de MM. Dublin et Ramassamy ;
Au fond :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'entreprise Lomba se soit concertée avec d'autres entreprises pour présenter elle-même des offres de couverture et pour solliciter de telles offres ; que, dès lors, cette entreprise doit être mise hors de cause ;
Considérant qu'en revanche, en ce qui concerne chacun des autres marchés de travaux, les entreprises soumissionnaires reconnaissent s'être prêtées à un simulacre de mise en concurrence ayant pour objet de régulariser les commandes antérieurement passées, et à propos duquel ont été établies des offres de complaisance; que les architectes Valmorin et Dublin, en préparant et en établissant eux-mêmes les pièces nécessaires à la constitution des dossiers des entreprises, ont participé à leur concertation;
Maisconsidérant qu'en l'espèce l'initiative de ces opérations a été le fait de la municipalité; que, dans ces conditions, il ne saurait, en tout état de cause, être infligé de sanction aux entreprises susmentionnées,
Décide :
Article unique. - Il n'y a pas lieu de prononcer de sanction à l'encontre des différentes parties mentionnées au I de la présente décision.