Conseil Conc., 16 janvier 1996, n° 96-MC-01
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires présentée par la société EDA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de Mme Anne Lepetit par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, MM. Bon, Marleix, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 23 novembre 1995 sous les numéros F 812 et M 175, par laquelle la société EDA (anciennement Eurodollar France) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur (CCINCA), qu'elle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires; Vu le traité du 25 mars 1957 modifié instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 85 et 86; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application; Vu l'arrêté interministériel du 24 janvier 1956 portant concession de l'aménagement de l'entretien et de l'exploitation de l'aérodrome de Nice-Côte d'Azur à la chambre de commerce et d'industrie de Nice; Vu les observations présentées par la société EDA, par la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur et par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants de la société EDA et de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur entendus;
Considérant que la société EDA (Eurodollar France jusqu'au 31 août 1995), entreprise de location de véhicules disposant d'un réseau d'agences, dont certaines sont installées dans des aéroports français, a été acquise en septembre 1993 par la société Le Nouveau Jour contrôlée par la société de taxis G 7, qui compte également parmi ses filiales la société ADA, entreprise de location de véhicules pratiquant le discompte tarifaire; que la société EDA, propriétaire d'un fonds de commerce de location de véhicules situé dans l'emprise de l'aéroport de Nice était bénéficiaire jusqu'au 31 août 1995 d'une convention avec la chambre de commerce et d'industrie Nice-Côte d'Azur (CCINCA) portant autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour l'exercice de son activité de location sur l'aéroport international de Nice-Côte d'Azur, sous la marque Eurodollar France " à l'exclusion de toute autre (marque) " en ce qui concerne la location de véhicules de tourisme; qu'à titre provisoire elle a été autorisée, à compter du 1er septembre 1995, à maintenir son activité sous la marque Mattei dont elle détient les droits d'exploitation;
Considérant que la société EDA fait état des refus répétés opposés par les responsables de la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur à l'introduction de la marque ADA dans l'aéroport de Nice; qu'elle produit la lettre en date du 13 mars 1995 par laquelle la chambre de commerce et d'industrie refuse de modifier la convention et rappelle que " l'autorisation est accordée à Eurodollar France pour l'exploitation de la marque Eurodollar " et qu'elle ne peut " donner de blanc-seing pour l'exploitation, par une autre société, d'une autre marque "; qu'elle joint une seconde lettre en date du 30 août 1995, par laquelle le président de la chambre de commerce et d'industrie lui oppose le même refus au motif que " la convention qui nous lie a été conclue de manière intuitu personae avec la société Eurodollar France, pour la location de véhicules exclusivement "; qu'elle produit la lettre en date du 24 octobre 1995 par laquelle le président de la chambre de commerce et d'industrie lui oppose un refus définitif et lui demande de libérer les lieux dans un délai d'un mois en indiquant : " Il ne nous apparaît pas opportun d'accueillir une marque supplémentaire de location sur l'aéroport Nice-Côte d'Azur, compte tenu notamment du maintien de la marque Eurodollar, désormais exploitée par la marque Citer et du fait du problème de manque d'espace sur Nice-Côte d'Azur. De plus, pour ce qui concerne plus particulièrement la marque ADA, elle ne correspond pas en l'état de son positionnement aux standards que nous souhaitons voir offrir aux passagers de Nice-Côte d'Azur : présence internationale, système de réservation central, possibilités de location one way ... Il va de soi que si votre société répondait dans l'avenir à ce critère de sélection correspondant aux attentes de la clientèle, notamment internationale, nous serions alors prêts à réexaminer votre demande "; qu'elle produit, en outre, deux courriers adressés par les directeurs de l'exploitation et de la concession de l'aéroport de Nice-Côte d'Azur, en date des 30 novembre et 6 décembre 1995, exigeant le retrait de panneaux d'affichage des prix apposés à l'intérieur des comptoirs de son agence, et rappelant "qu'à défaut de vous y conformer, votre autorisation d'occupation pourra être révoquée", ainsi qu'une lettre en date du 3 novembre 1995 adressée par le chef de l'agence de l'aéroport de Nice au président-directeur général de la société EDA, l'informant qu'une offre d'emploi lui aurait été présentée par la chambre de commerce pour occuper un poste chez Europcar;
Considérant que l'auteur de la saisine soutient que la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur vise par ces pratiques à " la préservation des marchés concédés aux autres loueurs ", que " les obstacles dressés à l'utilisation de la marque ADA découlent en réalité des craintes, suite au rachat d'Eurodollar par ADA, de voir arriver sur l'aéroport un discounter susceptible de venir perturber l'activité de location de voitures qui s'y exerce ", que " la CCINCA s'est concertée avec d'autres gestionnaires d'aéroports pour faire échec à l'accès au marché par la société ADA ", notamment lors d'une réunion tenue à Montréal les 8 et 9 septembre 1995; qu'il " est donc démontré que la CCINCA fait sciemment échec au fonctionnement normal du marché de la location de véhicules dans les aéroports en interdisant à une société titulaire d'une convention d'occupation du domaine public d'exercer librement son activité commerciale et d'entrer en concurrence, notamment par les prix et la politique commerciale, avec les grands loueurs (Hertz, Avis, Europcar) qui représentent 90 p. 100 de la location de véhicules dans les aéroports " et que la chambre de commerce et d'industrie " abuse de sa position dominante et fausse le jeu de la concurrence sur le marché de la location de véhicules "; que ces pratiques, selon la société saisissante, sont contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ainsi qu'à celles des articles 85 et 86 du traité de Rome, dès lors, que l'aéroport de Nice-Côte d'Azur, qui accueille 6,1 millions de passagers dont 37 p. 100 d'étrangers, constituerait une partie substantielle du marché commun;
Considérant que la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur fait valoir que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de compétence du Conseil de la concurrence; qu'elle soutient que le retrait de l'autorisation d'occupation du domaine public accordée le 30 décembre 1994 à la société Eurodollar France pour l'exploitation de la marque Eurodollar est " intervenu le 1er septembre 1995 du seul fait de la perte par la société Eurodollar France devenue EDA du droit d'exploiter la marque Eurodollar ... " et que le refus ensuite opposé par lettre du 24 octobre 1995 à la société EDA d'occuper une dépendance aéroportuaire pour y exploiter la marque ADA est un acte de gestion du domaine public d'un établissement public de l'Etat concessionnaire de l'exploitation de l'aéroport et relève de la mise en œuvre d'une prérogative de puissance publique; que, " lorsqu'elle choisit une entreprise plutôt qu'une autre pour occuper une partie du domaine public dans l'enceinte de l'aéroport en vue d'assurer la location de véhicules sans chauffeur, la CCINCA ne peut être regardée comme exerçant une activité de production, de distribution ou de service visée par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ";
Mais considérant que, si la régularité de l'octroi ou du retrait d'une autorisation d'occupation du domaine public ne peut être appréciée que par le juge administratif, il est constant que la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur donne par ces autorisations accès à des emplacements du domaine public aéroportuaire à des entreprises concurrentes de location de véhicules, moyennant le versement d'une redevance liée à leur exploitation; que ces activités constituent des activités de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant qu'au stade actuel de la procédure et sous réserve de l'instruction de l'affaire au fond, il ne peut être exclu que les pratiques dénoncées par la société EDA puissent entrer dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en revanche, s'il n'est pas exclu que l'aéroport de Nice-Côte d'Azur constitue pour certaines des activités qui sont exercées dans son enceinte une partie substantielle du marché commun au sens des articles 85 et 86 du traité de Rome, tel n'est pas le cas de l'activité de location de véhicules de tourisme dans cette zone aéroportuaire, les pratiques dénoncées n'étant pas, au surplus, de nature à affecter le commerce entre Etats membres;
Considérant que la société EDA, accessoirement à sa sasine au fond, a présenté, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance susvisée, une demande de mesure conservatoire consistant à enjoindre à la chambre de commerce et d'industrie de Nice-Côte d'Azur "de maintenir aux conditions prévues par la convention avec Eurodollar France, devenue EDA, les relations commerciales avec EDA, en s'abstenant d'intervenir pour fausser la concurrence entre les loueurs de véhicules sur le marché de l'aéroport international de Nice-Côte d'Azur dans l'attente de la décision au fond"; qu'elle a demandé plus précisément qu'il soit fait injonction à la CCINA "de cesser de fausser le jeu de la concurrence entre les loueurs, notamment en restreignant la liberté de la société EDA de fixer librement ses prix et d'en informer le consommateur conformément à l'article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986", ainsi que de "s'abstenir de perturber le marché de la location de véhicules et de déstabiliser l'entreprise EDA en tentant de débaucher les salariés... pour le compte de concurrents";
Considérant que, dès lors que la société EDA continue, depuis le 1er septembre 1995, de bénéficier de l'autorisation d'occupation du domaine public donnée par la chambre de commerce et d'industrie, le nombre d'entreprises de location de véhicules de tourisme présentes dans l'aéroport de Nice-Côte d'Azur ne se trouve pas réduit; que, dans la mesure ou cette société est autorisée à continuer d'exercer son activité de loueur de véhicules de tourisme et d'appliquer sous la marque Mattei, ainsi qu'elle l'a reconnu en séance, la politique commerciale et tarifaire qu'elle a librement choisie, le choix des passagers de l'aéroport qui souhaitent louer un véhicule de tourisme sans chauffeur n'est pas affecté, tant en ce qui concerne les tarifs que les services offerts et les conditions de location; qu'il n'est donc pas établi que les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate à l'entreprise plaignante, au secteur intéressé ou à l'intérêt des consommateurs; qu'en conséquence, compte tenu de cette situation, il n'y a pas lieu de prononcer de mesures conservatoires,
Décide :
Article unique : - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 175 est rejetée.