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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 8 juin 1995, n° 11292-93

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gephav (SARL)

Défendeur :

Biotherm et Compagnie (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Monteil

Conseillers :

M. Besse, Mme Bardy

Avoués :

SCP Keime & Guttin, SCP Lefèvre & Tardy

Avocats :

Mes Helwaser, Henriot-Bellargent.

T. com. Nanterre, du 17 juin 1993

17 juin 1993

La société Gephav exploite, avenue Daumesnil à Paris un établissement sous l'enseigne Europe Beauté Santé, ayant pour objet le négoce de tous produits pharmaceutiques et cosmétiques et de toux ceux relevant du commerce de la santé et de la beauté. Elle se présente elle-même dans ses annonces publicitaires comme une parapharmacie, nouveau système de distribution de produits d'hygiène, cosmétologie, diététique, orthopédie, à l'exclusion de médicaments, à des prix inférieurs à ceux pratiqués dans les grandes pharmacies.

Elle a sollicité, dès son ouverture au début de l'année 1991, l'agrément de la société Biotherm.

Le 4 février 1991, la société Biotherm lui a adressé ses conditions générales de vente. Le 22 février 1991, la société Gephav a demandé à la société Biotherm le passage d'un représentant pour passer sa première commande. Sans réponse de la société Biotherm, elle a écrit, le 30 mai 1991, pour demander que soit concrétisée son intégration au réseau de distribution.

Le 28 juin, un représentant de la société Biotherm a visité le magasin de l'avenue Daumesnil ; aucune suite n'a été donnée à la demande. Une commande a été passée par la société Gephav le 2 décembre 1991. La société Biotherm a répliqué le 9 janvier 1992 qu'elle n'entendait pas commercialiser des produits de dermo-cosmétique, mais définissait ses produits selon les critères de la parfumerie de luxe et qu'elle ne pouvait pas donner suite à la demande d'Euro Beauté Santé.

La société Gephav a assigné la société Biotherm devant le Tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement du 17 juin 1993 :

- a dit que le refus d'agrément de la société Gephav par la société Biotherm est justifié,

- a débouté la société Gephav de ses demandes,

- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC.

Le tribunal a retenu, en se fondant sur une étude d'un organisme dénommé Lamco, que la création d'un nouveau point de vente dans le 12e arrondissement de Paris ne ferait qu'alourdir le prix de revient de la société Biotherme et des points de vente déjà existants et que le refus n'était ni arbitraire, ni discriminatoire.

Le 18 novembre 1993, après une nouvelle visite du point de vente, la société Biotherm a écrit à la société Gephav qu'elle avait donné un zéro éliminatoire pour la disponibilité du personnel, et qu'elle répondait négativement à la demande d'agrément.

La société Gephav fait appel ; elle demande :

Vu les articles 7 et 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- de dire que la société Biotherm a refusé de l'agréer au motif de la nouvelle méthode de commercialisation mise en place par elle dans les boutiques qui ne sont pas des officines de pharmacie alors que la société Gephav remplissait tous les critères qualitatifs édictés dans ses conditions générales de vente,

- de dire injustifié et anticoncurrentiel un tel refus de vente qui tend à exclure à priori un canal de distribution,

- de dire que l'inscription de la société Gephav sur une liste d'attente a été invoquée après introduction de l'instance, uniquement pour les besoins de la cause, que cette liste n'est pas fiable et ne préserve aucunement du risque d'arbitraire,

- de dire que la société Biotherm ne justifie aucunement de la limitation quantitative de son réseau de distribution sélective sur le 12e arrondissement de Paris,

- de dire qu'en tout état de cause la société Biotherm s'est expressément engagée à l'agréer au plus tard le 1er septembre 1993 et de constater qu'elle n'a pas respecté ses engagements,

- de dire que la société Gephav a subi un préjudice important, savoir sa perte de chance de réaliser des gains avec les produits Biotherm depuis deux ans,

En conséquence,

- d'infirmer le jugement,

- d'ordonner à la société Biotherm de procéder à l'agrément de la société Gephav dans son réseau de distribution sélective ainsi que de livrer les produits commandés le 2 décembre 1991, le tout sous astreinte de 10 000 F par jour à compter de l'arrêt à intervenir,

- de condamner la société Biotherm à payer 1 million de francs à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi, perte de gains, 500 000 F pour le préjudice moral pour refus de vente injustifié et 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Biotherm demande :

- de confirmer le jugement,

- de condamner la société Gephav à lui payer 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle conteste formellement que le refus d'agrément qu'elle a opposé à la société Gephav est motivé par la méthode de communication de cette dernière. Elle soutient qu'elle admet les formes modernes de distribution à condition que les points de vente aient une image de luxe ; elle a établi des conditions générales d'agréments conformes aux critères admis par la Commission des communautés européennes et estime que la société Gephav ne répond pas au moins à l'une des conditions : la disponibilité du personnel pour l'activité de conseil.

La société Gephav réplique que les critères appliqués par la société Biotherm ne sont pas objectifs et sont appliqués de manière discriminatoire. Elle conteste l'existence de listes d'attente dans les divers arrondissements de Paris et estime injustifiée la limitation des dépositaires dans le 12e arrondissement.

Elle soutient que le critère de conseil à la clientèle n'est pas exigé des autres distributeurs et que son magasin a un nombre suffisant de personnes compétentes ; que la société Biotherm n'indique pas le ratio exigé pour que le nombre de personnes compétentes soit considéré comme suffisant.

Elle fait observer que la société Gephav a modifié sa position entre le 9 janvier 1992 et le 18 novembre 1993, que le second refus d'agrément est tout aussi injustifié que le premier.

La société Biotherm en réponse fait valoir qu'à la suite de la suppression des critères quantitatifs, elle a dû redéfinir de manière plus rigoureuse ses conditions qualitatives.

Elle explique les motifs de sa réponse initiale par la nécessité d'attendre la publication des décisions de la Commission des communautés européennes.

Discussion :

Considérant que la licéité du réseau de distribution sélective que la société Biotherm entend constituer n'est pas contestée, qu'il est admis que le fabricant d'un produit qu'il entend vendre comme un produit de luxe peut définir lui-même ses critères de sélection et choisir le niveau auquel il entend placer la distribution de ses produits ;

Considérant que la société Biotherm doit établir que les critères qu'elle a inclus dans ses contrats et qu'elle met en œuvre sont des critères objectifs, de caractère qualitatif ;

Considérant qu'en l'espèce la société Gephav reproche à la SNC Biotherm d'avoir varié dans la motivation de son refus d'agrément, d'avoir laissé entendre au début qu'elle ne s'opposait pas à l'intégration de la société Gephav à son réseau, puis d'avoir fondé son premier refus sur les modalités de vente de la société Gephav et enfin, mais seulement après avoir reçu une nouvelle demande, d'avoir indiqué que les critères de sélection n'étaient pas remplis ;

Considérant qu'on ne peut reprocher à la société Biotherm d'avoir modifié les motifs de son refus pour tenir compte des décisions de la Commission des communautés européennes publiées le 18 janvier 1992 ; qu'il importe de noter que la société Biotherm, lorsqu'elle a envoyé à la société Gephav ses conditions générales de vente en vigueur début 1991, n'a pas pris le moindre engagement et que les exigences de qualification professionnelle, d'installation du point de vente, de service, de conseil et de démonstration figuraient déjà ses conditions ;

Considérant que c'est sans aucune faute de sa part que la société Biotherm a indiqué dans sa lettre du 9 janvier 1992 à Euro Santé Beauté, que ses produits étaient commercialisés sur la base des critères de la parfumerie de luxe et non pas de la dermo-cosmétique ;

Considérant qu'il est admis que la commercialisation de produits de luxe, selon les techniques de la grande distribution, fait perdre à ces produits leur renommée et le caractère luxueux que veut leur conférer le fabricant;

Considérant que la société Biotherm, à la suite de la seconde demande d'agrément d'Euro Santé Beauté a précisé les motifs pour lesquels elle ne pouvait pas agréer le point de vente ; qu'il s'agit de l'application de critères objectifs appliqués d'une manière qui n'est pas discriminatoire ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le 12e arrondissement comporte un nombre important de dépositaires Biotherm et que l'admission d'un détaillant supplémentaire impose au fabricant des frais qui ne s'avèrent pas rentables ;

Considérant que la société Biotherm a constaté dans un rapport de visualisation du point de vente des 29 octobre et 4 novembre 1993 que les critères qualitatifs n'étaient pas atteints ; qu'en effet la visite contradictoire effectuée par un membre de la direction régionale de la société Biotherm, en présence de la directrice du magasin et du directeur de la société Gephav, a attribué au point de vente une note de 0/20, éliminatoire, pour le chiffre d'affaires détail réalisé en produits de soin par personne affectée à la vente et la même note éliminatoire pour l'organisation du conseil à la vente ;

Considérant que l'application stricte des conditions figurant dans le contrat de distribution agréé ne peut être reprochée au fournisseur dès lors que l'objectivité de ses constatations n'est pas discutable ; qu'en l'espèce, la société Gephav réalise un chiffre d'affaires par personne affectée à la vente qui est de beaucoup supérieur à celui des points de vente Biotherm, que la société Gephav reconnaît elle-même dans ses dernières conclusions qu'elle vend les produits en libre service, ce qui implique que le conseil à la clientèle est réduit;

Considérant que le refus d'agrément opposé par la société Biotherm, à la demande de la société Gephav, est donc fondé; qu'il y a lieu de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Biotherm la totalité des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement du 17 juin 1993, Condamne la société Gephav à payer à la société Biotherm Distribution la somme de 20 000 F (vingt mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la société Gephav aux dépens et accorde à la SCP Lefèvre & Tardy, avoués, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.