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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 2 avril 1996, n° FCEC9610090X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Progec (SA), Compagnie générale de travaux hydrauliques Sade (SA), Zurletti Constructions (SARL), Sotram (SARl), Dehe Cogifer TP (SA), Dehe TP (SA), BEC Frères (SA), Sogéa Sud Est (SNC), Tuyaux Bonna (SA), Gardiol (SA), Garrigues (SA), Colas Midi-Méditerrannée (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Mandel, M. Weill

Avoués :

Me Hello, SCP Regnier, SCP Verdun-Gastou, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Galtier, Bregi, Terrier, Baldo, Bourdou, Donnedieu de Vabres, Brunois, Blum, SCP Rambaud Martel, Association Jacques Vitoux-Odile Meyung-Marchand.

CA Paris n° FCEC9610090X

2 avril 1996

Par décision n° 95-D-23 du 14 mars 1995 relative à des pratiques relevées à l'occasion de onze marchés d'aménagements hydrauliques et divers travaux publics dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon, le Conseil de la concurrence (le conseil) a :

- articles 1er et 2 : infligé à quinze entreprises des sanctions pécuniaires d'un montant compris entre 2 000 F et 5,5 millions de francs;

- article 3 : ordonné la publication de sa décision aux frais des entreprises sanctionnées ;

- article 4 : ordonné une notification de griefs à deux autres entreprises.

Dix de ces entreprises, énumérées en tête du présent arrêt, ont introduit un recours contre cette décision, la société Progec s'en étant désistée en cours d'instance.

Lesdites entreprises prétendent ensemble, pour partie d'entre elles, ou individuellement, que la décision :

- doit être annulée pour des détournements de procédure commis lors des enquêtes menées auprès, d'une part, de la société Gardiol et, d'autre part, de la société Cardaillac, tant en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les enquêteurs se sont fait communiquer les documents, fondement de la poursuite, qu'en ce qui concerne la signature des procès-verbaux et de la remise de leur copie aux entreprises concernées;

- doit, en toute hypothèse, être réformée au motif que le marché pertinent n'a pas été défini par le conseil, qu'en tout ou partie, la preuve des pratiques litigieuses n'est pas rapportée et que les entreprises en cause n'y sont pas impliquées, et enfin, que les sanctions pécuniaires infligées sont disproportionnées et insuffisamment motivées.

Le ministre de l'économie, formant recours incident, demande à la cour de :

- réformer la décision attaquée en ce qui concerne le montant des sanctions infligées aux sociétés Sade, Colas, Midi Méditerranée, Zurletti Constructions et Garrigues Travaux Publics BTG;

- juger que les sanctions infligées par le conseil à ces sociétés ne sont pas proportionnées à la gravité des pratiques en cause dans la mesure où elles ont participé chacune à une concertation illicite pour un seul marché, mais également à la situation financière de la société Garrigues;

- prononcer en conséquence des sanctions de l'ordre de 0,25 p. 100 de leur chiffre d'affaires à l'encontre desdites sociétés à l'exception de la société Garrigues en difficulté financière, pour laquelle la sanction devrait correspondre à 0,1 p. 100 de son chiffre d'affaires;

- porter de 1 million à 2 millions de francs la sanction infligée à la société Colas Midi Méditerranée qui a déjà fait l'objet de sanctions pour des pratiques similaires.

Le Conseil de la concurrence a présenté des observations écrites sur les moyens ponant sur le montant des sanctions prononcées.

Le ministère public a conclu au rejet des moyens de procédure ainsi qu'à ceux touchant au fond.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que, par courrier en date du 25 janvier gec ayant indiqué renoncer expressément à son recours, il y a lieu de constater son désistement;

Sur les moyens de procédure :

Considérant que la société Gardiol ainsi que les sociétés Sogea, Bec Frères et Tuyaux Bonna concernées par les documents établis par cette entreprise sollicitent l'annulation de la décision attaquée en invoquant notamment des irrégularités affectant le procès-verbal du 3 octobre 1990;

Considérant, en droit, que l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en application duquel les agents de l'administration sont intervenus à l'agence régionale de la société Gardiol, dispose que " les enquêteurs peuvent accéder à tous les locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication de livres, factures ou tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications ";

Qu'aux termes de l'article 31 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 les procès-verbaux sont rédigés dans le plus bref délai, énoncent la nature, le date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués et sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations ;

Que l'apposition de signatures sur un procès-verbal a pour objet de certifier, jusqu'à preuve du contraire, la sincérité et l'exactitude du déroulement des investigations; que " la personne concernée par les investigations " au sens du décret précité est celle ayant effectivement participé auxdites investigations et non le représentant légal de la société pris en cette qualité, s'il n'a pas lui-même été témoin des opérations menées par les enquêteurs;

Considérant, en fait, que selon les mentions du procès-verbal établi le 3 octobre 1990 les enquêteurs ont été reçus à 9 h 30 au siège de l'agence de la société Gardiol par M. Perrot, responsable de l'agence, et par M. Lecaron, chargé d'études, puis par M. Schnoering, président du directoire de la société;

Considérant que la société Gardiol soutient, sans être contredite, que M. Schnoering n'est arrivé à l'agence de la société qu'entre 11 h 30 et midi, alors que les investigations avaient commencé dès 9 h 30, ainsi qu'il résulte du procès-verbal, en présence et avec l'assistance de MM. Lecaron et Perrot, lesquels n'ont pas signé ledit procès-verbal; que celui-ci n'a été signé que par le seul M. Schnoering qui n'était pas présent lors du déroulement des opérations;

Que la réserve faite par M. Schnoering dans ce procès-verbal ne saurait, au motif qu'elle se référerait à tort à l'application de l'article 48 de l'ordonnance et au défaut d'autorisation de perquisition par le président du tribunal de grande instance, par a contrario, la régularité de l'enquête au regard de l'article 47 du même texte et de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986;

Qu'il s'ensuit que les mentions et signatures portées sur l'acte dressé par les enquêteurs pour relater leurs opérations ne permettent pas à la cour de contrôler si, comme l'affirme la requérante, le commencement de leur intervention a excédé les limites de l'article 47 susvisé;

Considérant, en conséquence, que ledit procès-verbal, qui porte atteinte aux droits de la défense, doit être annulé et que doivent être écartés des débats les éléments de preuve recueillis à l'occasion de l'opération qu'il rapporte;

Considérant que la société Colas Midi-Méditerrranée sollicite, pour ce qui la concerne, l'annulation du procès-verbal du 3 octobre 1990 établi à l'occasion de l'enquête menée auprès de l'entreprise Cardaillac, ainsi que de la procédure subséquente;

Qu'elle fait essentiellement valoir que:

- l'enquête initiée par le ministre de l'économie, délimitée selon ses instructions, aux marchés d'aménagement hydraulique, a été irrégulièrement étendue en cours d'exécution aux marchés de génie civil ;

- le procès verbal est fondamentalement vicié en ce qu'il ne mentionne ni la nature du contrôle ni l'objet de l'enquête.

Considérant, en droit, que ni l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui prohibe les pratiques anticoncurrentielles sur un marché, ni l'article 47 du même texte, qui définit les pouvoirs des enquêteurs nécessaires à sa mise en œuvre n'interdisent à l'autorité ayant prescrit l'enquête de délimiter préalablement celle-ci et d'en modifier ultérieurement l'étendue;

Que le ministre de l'économie peut en effet réunir dans un même dossier des pratiques constatées sur différents marchés de travaux publics, dès lors que chacun d'eux suppose la mise en œuvre, pour partie au moins, de techniques, de matériels et de qualifications de même nature et qu'ils ont été exécutés par les mêmes entreprises;

Que ce pouvoir de l'administration, alors même que l'enquête administrative n'est pas soumise au principe de la contradiction, doit toutefois s'exercer dans les limites fixées par l'article 31 du décret précité et de l'obligation de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves;

Que les procès verbaux ne faisant foi que jusqu'à preuve contraire et les mentions prévues à l'article 31 du décret précité n'étant pas édictées à peine de nullité, la preuve de l'accomplissement des formalités peut être recherchée dans d'autres énonciations du procès verbal ou dans des éléments extrinsèques à celui-ci ;

Considérant, en fait, que le procès-verbal critiqué (cote n° 40), qui constate la communication de pièces par l'entreprise Cardaillac, a été signé de M. Nervi, conducteur de travaux, et ne comporte aucune indication de la nature et de l'étendue des contrôles effectués;

Que la mention du procès-verbal selon laquelle M. Nervi communique les pièces dont l'inventaire est joint au procès-verbal, " sur instruction de M. Cardaillac ", dirigeant de l'entreprise, ne saurait établir la preuve de la connaissance et de l'étendue de l'enquête, donnée tant au chef d'entreprise qu'au chef de travaux, de l'objet et de l'étendue des investigations ainsi que de son éventuelle extension à d'autres marchés que ceux de l'aménagement hydraulique;

Que, la cour n'étant pas mise en mesure de s'assurer qu'il a été satisfait à l'obligation de loyauté devant présider à la recherche des preuves, il y a lieu d'annuler ledit procès-verbal et que doivent être écartés des débats les éléments de preuve recueillis à l'occasion des opérations qu'il rapporte;

Sur la portée des annulations prononcées :

Considérant que les procès-verbaux établis à l'occasion des enquêtes menées auprès des entreprises Gardiol et Cardaillac et les actes qui en sont la suite, dont la nullité est constatée, concernent les marchés suivants :

- construction d'un réservoir d'eau à Saint-Antonin-du-Var à l'occasion de laquelle était retenue l'entente entre les sociétés Gardiol et Zurletti ;

- construction du réservoir de la Millière-Haut (sociétés Gardiol, Dehe Cogifer, Sade et Progec);

- construction d'un dessableur à Saint-Jean-la-Rivière (sociétés Gardiol et Sogea Sud-Est);

- aménagement hydro-agricole de la basse vallée de l'Hérault (sociétés Gardiol et Bec Frères);

- réalisation d'ouvrages hydrauliques sur l'autoroute A 570 (sociétés Gardiol et Bec Frères);

- construction d'un réservoir d'eau à Adissan (sociétés Gardiol et Garrigues);

- aménagement hydraulique de la vallée de Cavalon et du Sud-Lubéron (sociétés Gardiol et Tuyaux Bonna) ;

- travaux de rectification et d'élargissement du chemin départemental n° 74 (sociétés Cardaillac et Colas Midi-Méditerrannée).

Qu'en conséquence il y a lieu d'écarter des débats les procès-verbaux et les procédures subséquentes ayant concerné les marchés qui viennent d'être rappelés ;

Qu'en raison de l'annulation totale de ces procédures depuis leur origine la cour n'est pas en mesure d'examiner les pratiques retenues qui ont donné lieu à sanction sur le fondement exclusif desdites procédures ;

Considérant, en revanche, qu'en ce qui concerne le marché pour la construction du réservoir de la Millière-Haut les poursuites et la décision attaquée sont fondées, outre sur les documents communiqués le 3 octobre 1990 par la société Gardiol, qui sont écartés du débat, sur un document communiqué le même jour par la société Progec, sans que la communication faite par Progec ait été induite par la communication faite par Gardiol;

Que, ne se fondant que sur la communication de pièces faite par la société Progec, la cour examinera, en conséquence, les moyens de fond développés par les sociétés requérantes retenues comme ayant participé à une entente sur ce marché ; que seront, en outre, examinées les conditions de passation du marché relatif à la réalisation de travaux de goudronnage et VRD à Six-Fours, dont la régularité de ta procédure d'enquête n'est pas contestée ;

Sur le fond :

En ce qui concerne la définition du marché pertinent:

Considérant que certains des requérants soutiennent que la décision attaquée les sanctionne pour avoir échangé des informations avec des concurrents sans avoir défini le marché pertinent sur lequel les pratiques anticoncurrentielles ont été constatées;

Mais considérant que chaque marché public constitue, par la rencontre d'offres et de réponses des candidats sur des prestations ou des fournitures substituables, un marché pertinent dont le conseil a, sans encourir le grief qui lui est fait, donné une définition suffisante dans sa décision;

Sur les pratiques contestées:

1. Marché de la construction du réservoir de la Millière-Haut (sociétés Gardiol, Dehe, Sade et Progec):

Considérant que les sociétés Gardiol, Dehe et Sade, seules demanderesses au recours, contestent la valeur probante du document remis par la société Progec, qui s'est désistée de son recours au motif que ce document n'est pas daté et a été établi après l'ouverture des plis;

Mais considérant que la preuve de l'antériorité de concertations par rapport au dépôt de l'offre peut résulter, à défaut de date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques, et notamment avec le résultat des appels d'offres;

Considérant, en l'espèce, que l'antériorité de l'échange d'informations est attestée par le fait que figurent sur le tableau communiqué par la société Progec les noms des sociétés qui n'ont pas, finalement, soumissionné;

Que le document ne peut avoir été établi par la société Progec après que les résultats du marché ont été connus, dès lors que les indications qu'il fournit sur les soumissions des sociétés Dehe, Sade et surtout Progec, qui a établi ce document, ne correspondent pas exactement au contenu des offres définitives de ces sociétés;

Que ces constatations sont corroborées par les déclarations d'un dirigeant de cette société, précisant qu'il avait bien pris contact avec ses concurrents avant l'ouverture des plis et qu'au dernier moment certains prix avaient été modifiés à la baisse;

Que l'argument selon lequel l'échange d'informations n'aurait été fait que dans la perspective d'une éventuelle sous-traitance relève d'une simple affirmation que les parties ne justifient par aucune pièce propre à établir un tel projet;

Qu'en tout état de cause le fait de soumissionner à un appel d'offres sans mentionner le recours à un sous-traitant implique que l'entreprise réalise elle-même les travaux et que dans le cas contraire elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence;

Que la pratique ainsi caractérisée, susceptible d'avoir eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché, constitue en conséquence une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

2. Marché relatif à la réalisation de travaux de goudronnage et VRD à Six-Fours (sociétés Sotram et Marion):

Considérant que la société Sotram soutient qu'elle n'a jamais eu l'intention de commettre une fraude au préjudice du maître de l'ouvrage; qu'elle conteste l'entente qui lui est reprochée en soutenant qu'elle avait fait connaître ses prix à la société Marion à titre de simple information, cette dernière souhaitant seulement que son nom figure parmi les concurrents sans avoir l'intention d'obtenir le marché;

Mais considérant que l'entente par échange d'informations, dont la caractérisation n'exige pas l'existence d'une intention frauduleuse, est reconnue par la société Sotram;

Considérant que la pratique dite de l'offre " carte de visite " permettant à une entreprise de se faire connaître du maître de l'ouvrage, sans chercher à obtenir le marché, aussi fréquente soit-elle et provoquée par le comportement de donneurs d'ordres publics quant à l'exigence d'une participation habituelle des entreprises intéressées à leurs appels d'offres, ne peuvent être tenues pour licites dès lors que, par les échanges d'informations sur les prix, elles trompent les maîtres de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché concerné;

Que l'entreprise désirant réellement soumissionner dans l'espoir d'obtenir le marché, qui communique ses prix à son concurrent afin de permettre à celui-ci de faire une offre " carte de visite ", contribue dans la même mesure à cette tromperie;

Que les pratiques reprochées à la société Sotram, ayant pu avoir, en conséquence, pour effet de fausser le jeu de la concurrence, constituent une entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur les mises hors de cause:

Considérant que, par la suite du retrait des débats des procès-verbaux et pièces communiquées lors des enquêtes effectuées le 3 octobre 1986 auprès des sociétés Gardiol et Cardaillac, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés Sogea, Bec Frères, Garrigues, Tuyaux Bonna, Colas Midi Méditerranée et Zurletti, qui ont formé recours contre la décision les ayant sanctionnées ou qui ont été mises en cause par recours incident du ministre de l'économie; qu'il n'y a pas lieu à sanction à leur encontre;

Sur les sanctions:

I. En ce qui concerne la gravité des faits et le dommage à l'économie:

Considérant que les sociétés restant en cause soutiennent, dans leur ensemble, que les sanctions infligées par le conseil sont disproportionnées au regard de la gravité des faits et du dommage causé à l'économie;

Qu'elles font valoir à l'appui de leur demande de suppression ou de réduction de ces sanctions que les pratiques en cause concernent peu de soumissionnaires et un seul marché de faible montant, dévolu à un prix inférieur aux estimations du maître de l'ouvrage, que, les travaux étant de haute technicité, les marchés n'ont pas été nécessairement attribués en fonction d'un critère de prix et que la mise en œuvre récente de l'ordonnance de 1986 au moment des faits justifie une application de sanctions modérées;

Mais considérant que la gravité des pratiques reprochées constituant des ententes pour fixer en commun des prix et les imposer au marché est caractérisée par l'entrave directe au libre fonctionnement de ce marché et par le fait qu'elles concernent des marchés publics, partant des fonds publics;

Que les maîtres de l'ouvrage, conduits à croire que les entreprises qui se sont concertées avaient établi leurs offres séparément, ont été trompés sur la réalité et l'étendue de la concurrence; que les entreprises n'ayant pas pris part aux ententes subissent, pour leur part, un handicap dans la mesure où les pratiques mises en œuvre par les entreprises parties à l'entente tendaient à les évincer du marché;

Que la circonstance que les sociétés soumissionnaires qui ont eu recours à un échange d'informations pour chacun des marchés considérés soient en nombre limité par rapport à l'ensemble des entreprises appelées à soumissionner ne prive pas cet échange d'informations de son effet restrictif de concurrence;

Que le fait que des échanges d'informations aient pu ne pas avoir été suivis d'effet lorsque l'entreprise la moins disante n'est pas choisie en raison, notamment, de la haute technicité des travaux, est dépourvu de portée dès lors qu'aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont prohibées les actions concertées lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence;

Que la tromperie de l'acheteur public, érigée en système, perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l'ordre public économique;

2. En ce qui concerne l'assiette et le montant des sanctions:

Société Gardiol :

Considérant qu'il n'est, en définitif, établi à l'encontre de cette entreprise qu'une seule entente avec les sociétés Dehe Cogifer, Sade et Progec à l'occasion du marché pour la construction du réservoir de la Millière-Haut;

Que la société Gardiol est intervenue sur un marché d'un montant de 3,3 millions de francs; qu'elle n'est pas fondée à soutenir la licéité des offres " cartes de visite ", lesquelles ont, ainsi qu'il a été dit précédemment, pour effet de tromper le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence;

Considérant qu'en application du principe de la proportionnalité des sanctions en tenant compte, tout en respectant le principe de leur individualisation, à la fois du dommage causé à l'économie et de la situation de la société, mais aussi de la gravité des faits par rapport à ceux commis par les autres entreprises dans ce même secteur, il y a lieu de réduire la sanction prononcée par le conseil à la somme de 350 000 F représentant 0,25 p. 100 du chiffre d'affaires de cette société, qui s'élevait, pour l'exercice 1993, à 137 255 762 F ;

Entreprise Compagnie générale de travaux hydrauliques Sade :

Considérant que la société Sade reproche à la décision attaquée de n'avoir pas retenu l'autonomie de l'agence régionale de Marseille, auteur des pratiques reprochées;

Qu'elle expose que la sanction infligée à la société Sade, qui ne peut être considérée comme le concepteur de la pratique anticoncurrentielle, n'est proportionnée ni au dommage causé à l'économie, ni à la gravité des faits, ni à la situation financière déficitaire de l'agence de Marseille;

Mais considérant, d'abord, que les documents produits par la requérante n'établissent pas que cette agence, même inscrite au registre du commerce et disposant de comptes bancaires propres, ait été affranchie des directives et contrôles de la société Sade à laquelle elle est subordonnée, ni qu'il lui ait été consentie une véritable autonomie quant à l'affectation de ses résultats;

Considérant ensuite que le marché à l'occasion duquel la société Sade a participé à une entente est d'un montant de 3,3 millions de francs, que le maître de l'ouvrage a bien subi un dommage du fait de cette entente dans la mesure où il n été trompé sur la réalité du jeu de la concurrence;

Que, même si l'entente reprochée à la Sade ne concerne qu'un marché, le poids économique de cette société, qui appartient au groupe important de la Compagnie générale des eaux, est de nature à créer un entraînement de sociétés de moindre poids économique à participer à ce type de pratique, causant un dommage incontestable à l'ordre public économique;

Que, pour respecter le principe de la proportionnalité des sanctions, ainsi qu'il a été dit précédemment pour la société Gardiol, il y a lieu de faire droit au recours incident du ministre de l'économie et de porter le montant de la sanction prononcée par le conseil à 0,25 p. 100 du chiffre d'affaires de la société Sade, qui s'élevait pour 1993 à 2 617 943 112 F, soit à la somme de 6,5 millions de francs;

Société Dehe Cogifer TP :

Considérant qu'il résulte des documents produits que le 19 juin 1992 la société Cogifer a absorbé la société des entreprises A. Dehe, auteur des pratiques illicites en cause, avec effet rétroactif au 1er janvier 1992 ; que, par assemblée générale du même jour, la société Cogifer a fait apport à la société Cogifer TP, constituée à cet effet, de la plupart des actifs reçus de la société des Entreprises A. Dehe ;

Que, par décision de l'assemblée générale du 21 juin 1994, l'ensemble de l'activité Génie civil et canalisations de la société Dehe Cogifer TP, l'objectif de l'opération étant de séparer ces activités de celles, traditionnelles, de travaux ferroviaires de la société Cogifer, a été apporté à la société Dehe TP avec effet rétroactif au 1er janvier 1994;

Qu'il s'ensuit que, à la date à laquelle le conseil a statué, la continuité économique et fonctionnelle de la société des Entreprises A. Dehe était assurée non par la société Dehe Cogifer TP, mais par la société Dehe TP, filiale autonome de cette dernière; qu'en conséquence doit être pris en compte pour la détermination de l'assiette de la sanction le chiffre d'affaires de la société Dehe TP qui s'est élevé au 31 décembre 1994 à 155 580 775 F;

Que la société Dehe TP s'est livrée aux pratiques anticoncurrentielles ci-dessus rappelées sur un marché de 3,3 millions de francs et a communiqué à ses concurrents les prix qu'elle était susceptible de déposer;

Considérant que, pour tenir compte du chiffre d'affaires devant servir de base à l'assiette de la sanction, du dommage à l'économie, de la gravité des faits et de la situation de l'entreprise, il y a lieu de réformer la décision du conseil et de fixer la sanction pécuniaire devant être infligée à la société Dehe TP à la somme de 400 000 F, représentant 0,25 p. 100 de son chiffre d'affaires.

Que la société Dehe Cogifer TP doit être mise hors de cause;

Société Sotram :

Considérant que la société Sotram n'est pas plus fondée que la société Gardiol à soutenir la licéité de l'" offre carte de visite " faite par la société Marion; que le dommage à l'économie résulte de la tromperie du maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence; que le montant du bénéfice tiré du marché par l'entreprise est sans influence sur le montant de celle-ci, l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 fixant la sanction par référence non au bénéfice, mais au chiffre d'affaires de l'entreprise;

Que le prix du marché concerné s'étant élevé à 104 844 F et le chiffre d'affaires pour l'exercice 1993 à la somme de 15 256 846 F, le conseil a fait une juste appréciation du montant de la sanction en la fixant à 38 000 F, soit 0,25 p. 100 dudit chiffre d'affaires;

Considérant qu'il y a lieu d'accorder, dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil, à la société Colas Midi Méditerranée qui en fait la demande la capitalisation des intérêts des sommes devant lui être restituées ;

Que l'équité commande qu'il ne soit pas fait application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs: Constate le désistement de la Société Progec SA, Annule les procès-verbaux établis le 3 octobre 1990, à l'occasion des enquêtes menées auprès des entreprises Gardiol et Cardaillac, Annule, en conséquence, la décision n'95-D-23 rendue le 14 mars 1995 par le Conseil de la concurrence en ce qu'elle a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre des sociétés: Sogea Sud-Est; Bec Frères SA; Garrigues; Tuyaux Bonna; Colas Midi Méditerranée; Zurletti Constructions; Dit n'y avoir lieu à sanction à leur encontre; Réformant la décision: Met hors de cause la société Dehe Cogifer TP; Inflige les sanctions pécuniaires suivantes: 6 500 000 F à la société Compagnie générale de travaux hydrauliquesSade; 400 000 F à la société Dehe TP; 350 000 F à la société Gardiol; Rejette le recours formé par la Sotram; Dit que le Trésor public restituera aux sociétés concernées le trop-perçu des sanctions prononcées; Dit que les intérêts des sommes restituées à la société Colas Midi Méditerranée seront dus à compter de la notification du présent arrêt valant commandement de payer et porteront intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil ; Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Laisse les dépens à la charge des sociétés requérantes.