Conseil Conc., 13 juin 1989, n° 89-D-22
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la société Phinelec
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section sur le rapport de M. J.-M. Paulot, dans sa séance du 13 juin 1989, où siégeaient: M. Laurent, président; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents; M. Azema, Me Flécheux, M. Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 12 février 1988 sous le numéro C 143 par laquelle la société Phinelec a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques, qu'elle estime anticoncurrentielles, des sociétés Innoge et Trouvay-et-Cauvin en ce qui concerne la distribution des raccords électrosoudables; Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu la décision n° 88-MC-05 du 29 mars 1988 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Phinelec; Vu les observations du commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus, et la société Phinelec ayant été avisée de la date de la présente séance; Retient les constatations (1) et adopte la décision (II) ci-après exposées:
I. CONSTATATIONS
A. - Le marché
Un raccord électrosoudable est un élément destiné à réaliser les jonctions de tubes polyéthylène par un procédé électro-thermique de soudage. Cette technique n'a pas de substitut en ce qui concerne les tuyaux de gaz, les autres techniques ayant été abandonnées (soudage bout à bout, raccords mécaniques).
Douze brevets ont été déposés: le premier en 1963 par la société Rollmaplast; le dernier, en 1983, par la société Innoge-Toutelectric.
Le raccord électrosoudable est actuellement très peu utilisé en dehors des opérations de soudage des canalisations de gaz même si les compagnies de distribution d'eau commencent à recourir à ce type de raccord. La France est le seul pays d'Europe à avoir généralisé l'utilisation de cette technique sur son réseau de distribution du gaz. Le marché a connu une expansion rapide: 50 000 assemblages par électro-soudage en 1980; près de 2 300 0000 en 1987. Le marché peut être évalué à 45 millions de F.
Les commandes de Gaz de France (GDF), acheteur quasi unique de ce produit, sont passées actuellement à cinq fournisseurs: Fischer (Suisse), Friederichsfeld (RFA), Rollmaplast (RFA), Serap (France) et Innoge, anciennement Toutelectric (Monaco). La part de marché de la société Innoge atteint 39,2 p. 100 en 1987, celle de Fischer et de Friedrichsfeld (qui avaient le même distributeur), 1 p. 100. La part de marché d'Innoge a rapidement progressé: 16,6 p. 100 en 1983, 28 p. 100 en 1984, 25,8 p. 100 en 1985, 35,5 p. 100 en 1986 et 39,2 p. 100 en 1987.
D'autres fournisseurs commencent à apparaître sur le marché tels que Wavin (Pays-Bas) et Durapipe (GB).
B. - La politique de distribution de la société Innoge
Cette société, dont le siège social est à Monaco, est, avec un chiffre d'affaires de moins de 30 millions de F en 1987, une société de petite taille qui, au contraire de ses concurrents, n'a pas une production diversifiée et réalise environ 70 p. 100 de ce chiffre d'affaires avec des produits destinés à un seul client (GDF).
Pour ces raisons, cette société n'a pas entendu supporter le coût d'un système de distribution et s'est tournée vers des entreprises, distributeurs habituels de produits à GDF: Phinelec et Trouvay-et-Cauvin.
Le 9 février 1981, Phinelec devenait le distributeur exclusif des raccords électrosoudables d'Innoge, alors en cours de mise au point, pour une durée de trois ans. Le 6 mai 1983, Innoge dénonçait ce contrat et décidait de confier la distribution à Trouvay-et-Cauvin, qui ne devint toutefois titulaire de la convention d'exclusivité que le 30 avril 1985. Ainsi, pendant près de deux ans, GDF pouvait se procurer des raccords Innoge auprès de Phinelec et de Trouvay-et-Cauvin qui fournissait cette dernière, aux termes d'accords passés en décembre 1984, à des prix identiques à ceux que lui faisait Innoge.
Par jugement en date du 18 décembre 1986, le Tribunal de première instance de Monaco condamnait la société Innoge à verser 600 000 F de dommages et intérêts à Phinelec en réparation du dommage causé par la rupture du contrat de distribution exclusive avant son terme. Appel a été fait de ce jugement par Phinelec qui demandait des dommages et intérêts de 8,2 millions de francs.
La société Phinelec soutient qu'elle se trouvait exclue des marchés GDF par des pratiques de prix discriminatoires des sociétés Innoge et Trouvay-et-Cauvin, qui tomberaient sous le coup des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
En ce qui concerne la compétence:
Considérant que le Conseil de la concurrence est compétent pour examiner des pratiques relevant des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre susvisée dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de restreindre la concurrence sur un marché; qu'ainsi la circonstance que la société Innoge soit immatriculée à Monaco ne fait pas obstacle à ce que le Conseil de la concurrence puisse connaître des effets sur le territoire français des contrats de distribution passés par cette société avec les sociétés Phinelec et Trouvay-et-Cauvin;
En ce qui concerne la rupture des relations commerciales entre Innoge et Phinelec:
Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil de la concurrence de statuer, en lieu et place du juge de droit commun, sur la rupture d'une concession exclusive; qu'en revanche, il lui appartient d'apprécier si la situation ainsi créée est susceptible d'avoir des incidences sur le fonctionnement du marché dans les conditions fixées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance susvisée;
Considérant que le seul fait que la société Phinelec n'a plus bénéficié, à l'issue d'une période de deux ans postérieure à la cessation de sa concession exclusive, des prix préférentiels qui lui étaient antérieurement consentis au titre de cette concession ne suffit pas à établir l'existence, de la part des sociétés Innoge et Trouvay-et-Cauvin, de pratiques relevant des articles 50 et 51 de l'ordonnance de 1945 susvisée et des articles 7 et 8 de l'ordonnance de 1986 également susvisée; que l'instruction n'a révélé aucun autre élément constitutif d'infraction à ces mêmes dispositions,
Décide:
Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.