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Décisions

Cass. com., 14 novembre 1995, n° 94-17.397

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nikon France (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Économie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard.

Cass. com. n° 94-17.397

14 novembre 1995

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 1994) que le ministre de l'Economie a saisi en 1989 le Conseil de la concurrence de certaines pratiques en usage dans le secteur de la vente de pièces détachées destinées aux appareils photographiques, qu'il considérait comme contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il exposait que certains fabricants ou importateurs d'appareils, tels que Canon, Minolta, Nikon, Fuji et Polaroïd se réservaient l'exclusivité des réparations et ne procédaient à la commercialisation d'aucune pièce détachée intégrée au boîtier de l'appareil photographique ; que le Conseil de la concurrence, par décision en date du 28 septembre 1993, a estimé que ces pratiques étaient "justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d'un service après-vente de qualité, élément essentiel de l'image de marque du fabricant et qui ne peut être assuré, sans le contrôle permanent de l'importateur, que par des agents ayant des compétences techniques et un outillage appropriés et bénéficiant d'une formation initiale et continue" ; qu'ayant estimé en outre que cette "politique" n'avait pas pour objectif d'éliminer un concurrent assurant antérieurement cette activité, le Conseil a décidé que les pratiques dénoncées ne pouvaient être regardées comme prohibées au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le ministre de l'Économie a formé, le 5 novembre 1993, un recours devant la cour d'appel tendant à faire réformer cette décision ;

Sur le premier moyen pris en ses cinq branches : - Attendu que la société Nikon France (société Nikon) fait grief à l'arrêt de lui avoir enjoint de ne pas s'opposer à la livraison de pièces détachées d'appareils de sa marque, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle faisait valoir dans ses écritures qu'aucun grief ne lui avait été notifié par le président du Conseil de la concurrence, de sorte que le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget n'était pas recevable à demander sa condamnation à raison de griefs qui ne lui ont été notifiés par le président du Conseil de la concurrence ; qu'en omettant de répondre à ce moyen pertinent, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le recours en réformation d'une décision du Conseil de la concurrence s'exerce, devant la Cour d'appel de Paris, dans les limites du litige qui est soumis au Conseil de la concurrence, dont l'objet est défini par les griefs retenus par le rapport et notifiés à l'entreprise poursuivie, par le président du Conseil de la concurrence ; qu'en déclarant recevable et bien fondé, le recours en réformation exercé par le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget et en sanctionnant à raison de prétendues pratiques anticoncurrentielles, tandis que le Conseil de la concurrence n'avait notifié aucun grief à cette entreprise, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions des articles 15, 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 18 du décret du 29 décembre 1986, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; alors, encore, que le Conseil de la concurrence et, sur le recours exercé à l'encontre de ses décisions, la Cour d'appel de Paris, ne peuvent retenir à la charge d'une entreprise que des griefs retenus par le rapport, préalablement notifiés par le président du Conseil de la concurrence ; qu'en condamnant la société sur la base de griefs qui ne lui avaient pas été notifiés, sans renvoyer les parties devant le Conseil de la concurrence aux fins d'un complément d'instruction et, le cas échéant, d'une notification d'éventuels griefs, la Cour d'appel de Paris a derechef, violé les textes susvisés ; alors qu'en s'abstenant, à tout le moins, d'énoncer les griefs qu'elle envisageait de retenir à l'encontre de la société Nikon et de rouvrir les débats aux fins de permettre à celle-ci de présenter des observations sur ces griefs, la Cour d'appel de Paris, a également violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, ensemble le principe du contradictoire ; et alors, enfin, qu'en ne mettant pas la société Nikon en mesure de s'expliquer utilement sur les griefs retenus, la Cour d'appel de Paris a également violé les articles 15, 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 18 du décret du 29 décembre 1986, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la société Nikon ayant conclu à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence, sans tirer aucune conséquence juridique de son argumentation concernant l'absence de notification de griefs de la part du président du Conseil de la concurrence, la cour d'appel n'avait pas à répondre à ce qui n'était qu'un simple argument ; que le moyen pris en ses diverses branches, qui fait ressortir des griefs nouveaux mélangés de fait et de droit, est, dès lors irrecevable et ne peut être accueilli ;

Mais sur le deuxième moyen pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 8 alinéa 1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - Attendu que pour enjoindre à la société Nikon France de ne pas s'opposer à la livraison de pièces détachées d'appareils de sa marque qui lui seraient demandées par des réparateurs indépendants, la cour d'appel relève que les pratiques concernent le marché spécifique de la réparation des appareils photographiques et de la vente des pièces détachées nécessaires à cet effet ; que c'est à tort que les sociétés poursuivies prétendent que ce marché ne constituerait qu'un service après-vente ne pouvant être détaché du marché de la vente, dès lors que la réparation répond à une demande distincte des possesseurs d'appareils qui doivent pouvoir s'adresser à d'autres réparateurs qu'au vendeur initial ; que les réparateurs doivent être en mesure de se procurer les pièces de chaque marque d'appareils et que celles-ci n'étant pas interchangeables, chacune des sociétés poursuivies détient sur la vente des pièces détachées de sa propre marque une position dominante ;

Attendu qu'en se déterminant par ces motifs impropres à établir que la vente des pièces détachées formait un marché économique, suffisamment identifiable pour être distinct du marché général des appareils photographiques ou de leur réparation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

Et sur le quatrième moyen pris en sa quatrième branche : - Vu les articles 8 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - Attendu que pour décider que la société Nikon avait commis un abus de position dominante et que cette pratique n'était pas justifiée par le souci d'assurer un service après-vente de qualité, l'arrêt relève que la nécessité de ce service après-vente n'est nullement démontrée dès lors que les réparations d'appareils d'autres marques d'une technicité équivalente sont effectuées par des réparateurs indépendants ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi sans vérifier si les pratiques dénoncées n'étaient pas justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d'un service après-vente de qualité, qui ne peut être assuré sans le contrôle permanent de l'importateur que par des agents ayant des compétences techniques et un outillage approprié et bénéficiant d'une formation initiale et continue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard des textes susvisés;

Par ces motifs, Casse et annule, en toutes dispositions concernant la société Nikon Fance, l'arrêt rendu le 30 juin 1994, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.