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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 21 mai 1990, n° ECOC9010078X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France-Loisirs (SARL)

Défendeur :

Editions Gallimard (SA), Le Grand Livre du mois (SA), Syndicat des écrivains de la langue française, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hannoun (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Canivet, Guérin, Bargue, Mme Mandel

Avoué :

Me Blin

Avocats :

SCP Fourgoux, Mes Epstein, Kiejman, Zylberstein.

CA Paris n° ECOC9010078X

21 mai 1990

La société France-Loisirs a formé un recours contre la décision n° 89-D-41, prononcée le 28 novembre 1989 par le Conseil de la concurrence, relative à des pratiques constatées dans le secteur de la vente du livre par "clubs" et par laquelle :

Il a enjoint :

1° A la société France-Loisirs de modifier ses contrats de cession de droits afin de :

a) Limiter l'application de la clause d'exclusivité aux seules ventes par abonnement, correspondance et courtage ;

b) Supprimer la clause par laquelle l'éditeur s'engage à refuser toute demande de solde et d'offre publicitaire émanant d'un autre club pendant la période d'exclusivité ;

2° A la société des éditions Gallimard de supprimer toute clause contractuelle obligeant un club à vendre un ouvrage au prix éditeur au-delà du neuvième mois après la première publication.

Il a infligé à la société France-Loisirs une sanction pécuniaire de vingt millions de francs.

Et il a ordonné dans un délai de six semaines, à compter de la date de notification de sa décision, la publication du texte intégral de celle-ci :

a) Aux frais de France-Loisirs dans les quotidiens Le Figaro et Le Monde ;

b) Aux frais de la société des éditions Gallimard dans le périodique Livre-Hebdo.

Les sanctions concernant la requérante ont été prononcées au motif que, sur le marché spécifique de la vente du livre par clubs, elle occupe une position dominante dont elle a abusé :

En introduisant dans les contrats de cession de droits conclus avec les éditeurs :

- des clauses d'exclusivité empêchant toutes autres éditions susceptibles de lui faire concurrence ;

- des clauses par lesquelles l'éditeur s'engage à refuser toutes demandes de solde ou d'offre publicitaire de bienvenue émanant d'un autre club ou d'une organisation concurrente pendant la période d'exclusivité, et en intervenant auprès des éditeurs pour empêcher la société Le Grand Livre du mois (GLM) de vendre, à prix réduits, à ses adhérents, des ouvrages également publiés par France-Loisirs, sans que de telles pratiques, qui tombent sous le coup, successivement dans le temps, des dispositions des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, puissent être justifiées au regard des articles 51 du premier texte cité et 10 du second.

Conformément aux dispositions de l'article 7, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987, le délégué du premier Président a, par ordonnance du 5 mars 1990, mis d'office en cause la société GLM et la société des éditions Gallimard.

En outre, par conclusions déposées le 29 mars 1990, le Syndicat des écrivains de langue française est volontairement intervenu dans l'instance à titre accessoire.

Au soutien de son recours, la société France-Loisirs prétend à titre principal que la décision déférée est nulle en ce que :

- en violation des dispositions des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le rapporteur du Conseil de la concurrence a, avant la notification des griefs et sans communication préalable du dossier, procédé à l'audition d'un responsable de la société France-Loisirs et retenu les déclarations de celui-ci comme éléments de preuve des pratiques sanctionnées ;

- les faits visés, notamment dans le troisième grief, sont antérieurs à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans que des actes de constatations et de procédure aient été accomplis sous l'empire de l'ordonnance du 30 juin 1945 antérieurement applicable ;

- dans ses observations devant le Conseil de la concurrence, le commissaire du Gouvernement a formulé un nouveau grief, sans que la société France-Loisirs ait eu la possibilité d'y répondre dans les conditions prévues par l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur les questions de procédure, la requérante fait encore observer que la société GLM, qui n'a pas introduit de recours, mais a seulement été appelée à intervenir, est irrecevable à saisir la cour de demandes propres visant à contester la licéité des pratiques qu'elle a instaurées depuis la décision du Conseil de la concurrence.

A titre subsidiaire, la société requérante conclut à la réformation de la décision déférée en soutenant que :

- c'est par une analyse erronée que le Conseil de la concurrence a estimé qu'il existait un marché spécifique de la vente du livre par clubs, distinct du marché général du livre ;

- ni sur ce marché général, ni sur celui de la vente du livre par clubs, limité au seuls ouvrages de littérature, elle n'occupe de position dominante ;

- elle n'a en tout cas pas abusé de cette prétendue domination et qu'en particulier les clauses incriminées qui, par leur caractère limité et les situations auxquelles elles s'appliquent, n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence, ne peuvent constituer des abus et qu'elle n'a procédé à aucune pression sur les éditeurs pour les contraindre à imposer aux autres clubs, dans leurs contrats ou dans les faits, des pratiques restrictives de concurrence ;

- le mode de distribution des livres qu'elle met en œuvre, à l'équilibre financier duquel les clauses litigieuses sont indispensables, assure la promotion et la diffusion de la littérature dans des conditions qui profitent tout à la fois aux auteurs, aux éditeurs et aux lecteurs ; qu'il lui permet par conséquent de bénéficier des exonérations prévues par les articles 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Encore à titre subsidiaire, la société requérante demande la réduction sensible du montant de la sanction pécuniaire de 20 millions de francs qui lui a été infligée, en se référant aux principes d'équité et de proportionnalité selon lesquels doivent être fixées de telles sanctions et en faisant valoir que le Conseil avait initialement limité à 500 000 F le maximum de la sanction encourue, en lui proposant, conformément aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, un renvoi devant la commission permanente auquel elle s'est opposée en demandant le renvoi au Conseil ;

Contestant chacun des moyens de défense invoqués par la société France-Loisirs, la société GLM conclut au rejet du recours.

Elle fait en outre observer que, depuis le prononcé de la décision, la société requérante fait une application illimitée de la clause d'exclusivité comprise dans ses contrats, se réservant ainsi, sur chaque ouvrage concerné, le monopole complet de la vente par clubs.

L'intervenante prie en conséquence la cour de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure aux fins de vérification de l'exécution par la société France-Loisirs des injonctions du Conseil de la concurrence.

Reprenant l'argumentation développée devant le Conseil de la concurrence, la société des Editions Gallimard conteste le caractère anticoncurrentiel de la clause insérée dans un contrat conclu avec la société GLM et obligeant celle-ci à vendre l'ouvrage au prix fixé par l'éditeur au-delà du neuvième mois après sa première publication.

Aux termes du mémoire qu'il a déposé, le Syndicat des écrivains de langue française prétend que, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles ont été écartées par les auteurs des œuvres concernées, les clauses litigieuses ne peuvent être tenues pour illicites et que pour cette seule raison la décision soumise à recours doit être annulée.

Le ministre chargé de l'Economie dans ses observations, comme le Ministère public dans ses conclusions, estiment que le recours doit être rejeté et font en outre observer que les demandes présentées par la société GLM et l'intervention volontaire accessoire du Syndicat des écrivains de langue française sont irrecevables.

Sur quoi LA COUR :

I. - SUR LA PROCEDURE :

a) Sur la recevabilité des demandes de la société GLM et de la société des Editions Gallimard :

Considérant que, mise en cause d'office, par application de l'article 7, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987, en raison de ce que le recours risquait d'affecter leurs droits ou leurs charges, la société des Editions Gallimard et la société GLM qui, parties à la décision du Conseil de la concurrence, n'ont pas formé de recours contre celle-ci, ne peuvent qu'étayer ou soutenir les prétentions de l'une ou l'autre des parties sans en formuler de leur chef; qu'en conséquence, les demandes dont elles ont saisi la cour, la première pour voir constater la licéité d'une clause définitivement sanctionnée, la seconde pour voir statuer sur les nouvelles pratiques mises en œuvre par la société France-Loisirs, doivent être déclarées irrecevables;

b) Sur la recevabilité de l'intervention du Syndicat des écrivains de langue française :

Considérant que le Syndicat des écrivains de langue française, qui n'était pas partie en cause devant le Conseil de la concurrence, intervient volontairement, à titre accessoire, pour informer la cour de sa position dans un litige portant sur les conditions de diffusion des œuvres littéraires et, plus spécialement, pour donner son avis sur la licéité des pratiques sanctionnées au regard des droits et des intérêts des auteurs; que son intervention doit être reçue dès lors que, située dans les limites et conditions fixées par les dispositions de l'article 330 du NCPC, elle se borne à soutenir les prétentions de la société requérante aux fins d'assurer la conservation de ses propres droits;

c) Sur la nullité de la procédure :

Considérant que les pratiques mises en œuvre antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peuvent être postérieurement constatées à la double condition que les règles de fond applicables selon les qualifications prévues par le nouveau texte soient les mêmes que celles résultant de l'ordonnance du 30 juin 1945 antérieurement applicable et que ces faits ne soient pas couverts par la prescription ;

Que contrairement à ce que soutient la société requérante, par une interprétation erronée de l'article 59 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il n'est pas nécessaire que des actes de constatation ou de procédure aient été faits sous l'empire du texte ancien ;

Considérant que les pratiques d'abus de position dominante reprochées à la société France-Loisirs étaient sanctionnées par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, comme elles le sont par celles de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'elles ne remontent pas à plus de trois ans du premier acte de constatation ; qu'il s'ensuit que le moyen de nullité tiré d'une prétendue violation des règles d'application de la loi dans le temps doit être rejeté ;

Considérant que par lettre du 12 avril le ministre chargé de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constatées dans le secteur de la vente du livre par clubs, que le Président dudit Conseil a, le 5 juillet 1988, désigné un rapporteur, qu'il a ensuite procédé, le 20 février 1989, à la notification des griefs et à celle du rapport, le 28 juillet suivant ;

Considérant que préalablement à la notification des griefs le rapporteur a, le 28 novembre 1988, procédé à l'audition de M. Gagnière, directeur du "programme livre" de la société France-Loisirs, lequel a été convoqué par une lettre à laquelle était jointe copie de l'acte de saisine et l'informant de ce qu'il pouvait être assisté d'un conseil, conformément aux dispositions de l'article 20 du décret du 29 décembre 1986 ;

Considérant que, si l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 indique que la procédure devant le Conseil de la concurrence est pleinement contradictoire, l'article 21 précise que la communication du dossier n'est requise, lorsque la saisine est suivie d'une notification des griefs, que corrélativement à cet acte de procédure ;

Considérant toutefois que l'enquête préalable à laquelle les rapporteurs sont habilités à procéder par application de l'article 45, alinéa 2, de l'ordonnance précitée qui permet, sans communication de la procédure aux personnes entendues, de procéder à toutes recherches et vérifications sur les pratiques incriminées, ne doit pas aboutir à compromettre irrémédiablement les garanties de la défense ; qu'en conséquence, si le rapporteur peut obliger les représentants de l'entreprise à fournir les renseignements nécessaires sur les faits et documents relatifs à la saisine, il ne peut cependant, en usant de procédés déloyaux, susciter des personnes entendues des déclarations qui les amèneraient à avouer l'existence de pratiques illicites dont il appartient au Conseil de la concurrence de rapporter la preuve ;

Considérant qu'en l'espèce l'audition de M. Gagnière, assisté de son conseil, a porté sur des faits clairement exposés dans l'acte de saisine qui lui avait été préalablement communiqué ; qu'il a été amené à fournir des explications sur les caractéristiques du marché concerné, sur les méthodes de distribution de l'entreprise à laquelle il appartient, sur les clauses d'exclusivité comprises dans les contrats conclus avec les éditeurs, enfin sur des correspondances, qui lui ont été soumises, échangées par d'autres entreprises ;

Considérant en conséquences qu'il n'est pas établi que cette audition ait été entachée de manœuvres destinées à faire échec aux garanties de la défense ; qu'il s'ensuit que, même si elle n'a pas été précédée d'un libre accès au dossier et si les déclarations du représentant de l'entreprise en cause ont été reprises dans la notification des griefs, dans le rapport et ensuite dans la motivation de la décision, il n'en résulte pas pour autant qu'elle puisse entraîner l'annulation de la procédure pour violation soit des principes d'équité et de loyauté du procès résultant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, soit du principe du contradictoire, soit enfin des droits de la défense ;

Considérant que les observations que le commissaire du Gouvernement peut présenter devant le Conseil de la concurrence par application de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne peuvent constituer des griefs au sens de l'article 21 de ce texte; que dès lors, même si elles retiennent des faits et documents soumis au Conseil une interprétation différente de celle proposée par le rapport, son mémoire n'œuvre pas aux parties en cause le délai de deux mois pour y répondre prévu par le texte susvisé; qu'en outre la société France-Loisirs a pu, dans la défense orale qu'elle a présentée lors de l'audience, librement contester l'allégation du commissaire du Gouvernement selon laquelle l'effet potentiel des pratiques incriminées risquait d'aboutir à la disparition du GLM; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de l'article 21 de l'ordonnance précité doit être rejeté ;

II. - SUR LE FOND :

Considérant que c'est par une juste analyse des données économiques soumises à son appréciation que le Conseil de la concurrence a estimé que le marché de la vente du livre par clubs constitue un marché de référence spécifique;

Qu'il suffit de relever que les ouvrages diffusés par les clubs sont sélectionnés en fonction de l'intérêt qu'ils offrent pour un large public et des forts tirages qu'ils représentent, qu'ils sont systématiquement reliés et présentés dans des catalogues permettant au lecteur de déterminer ses choix à partir de résumés et critiques, qu'ils sont accessibles soit par correspondance, soit dans des boutiques spécialisées mais, dans tous les cas, réservés à une clientèle d'adhérents ayant délibérément choisi, en contrepartie d'obligations d'achat, ce mode d'accès à la littérature, par les facilités qu'il procure, les services qui l'accompagnent et les réductions de prix qu'il propose ;

Qu'il résulte de ces caractéristiques spécifiques au produit, à sa clientèle et à son mode de distribution que, pour les consommateurs, les livres offerts à la vente par ce moyen ne sont pas substituables à d'autres, même si, comme le fait observer la société requérante, les lecteurs n'opèrent pas entre les deux modes d'acquisition des choix exclusifs et si certains éditeurs tentent de mettre en place, à partir des points de vente traditionnels des procédés commerciaux visant à capter la clientèle des clubs ;

Considérant que trois distributeurs interviennent sur ce marché : le Cercle du nouveau livre, qui en 1987 comptait 5 500 adhérents pour un chiffre d'affaires de 2,7 millions de francs, le Grand Livre du mois, qui en 1986 réunissait 638 000 adhérents et réalisait un chiffre d'affaires de 291 millions de francs, enfin, France-Loisirs, qui recense actuellement 4 300 000 adhérents et totalise un chiffre d'affaires de 1,97 milliard de francs;

Considérant que la requérante soutient que doivent être compris dans ce marché les livres offerts à la vente dans les magasins à grandes surfaces sous le label "Succès du livre", empruntant certaines caractéristiques des produits offerts par les clubs sans toutefois imposer ni formalités d'adhésion ni obligations d'achat ;

Considérant que, même en tenant compte de ce dernier type de publication, et si comme le prétend la société France-Loisirs la comparaison doit être limitée aux seuls ouvrages de littérature générale, cette société occupe, sur ce marché de référence, une position dominante tant par les parts qu'elle détient, par l'importance de son chiffre d'affaires eu égard à celui qui est réalisé dans tout le secteur de l'édition de littérature générale que par la puissance financière des groupes qui la contrôlent;

Considérant que les pratiques incriminées sont à examiner au regard des dispositions de la loi du 10 août 1981 relatives au prix du livre ; qu'il doit être à ce sujet relevé, qu'alors que les deux autres clubs publient des ouvrages moins de neuf mois après la mise en vente de la première édition et doivent de ce fait respecter, durant cette période, le prix initial de vente au public fixé par l'éditeur, la société France-Loisirs ne propose à ses adhérents que des ouvrages publiés depuis plus de neuf mois lui permettant, en tant qu'entreprise diffusant par courtage, abonnement ou correspondance, de pratiquer d'emblée des prix inférieurs et des ventes à primes ; qu'en outre, à partir du vingt-quatrième mois de la première publication, l'obligation de respecter des prix imposés disparaît pour tous les détaillants, autorisant, entre autres, la vente en librairie des éditions en format de poche à prix réduit ;

Considérant qu'il est d'abord fait grief à la société France-Loisirs d'avoir, occasionnellement avant 1987 et systématiquement ensuite, fait figurer dans les contrats de cession de droits conclus avec les éditeurs :

- une clause d'exclusivité aux termes de laquelle ceux-ci s'engagent à ne pas céder ou exploiter personnellement, durant une période de un an, les droits d'une édition, qu'elle soit en présentation reliée ou en format de poche, qui pourrait directement ou indirectement faire concurrence à sa propre édition ;

- une autre clause selon laquelle, si l'ouvrage a déjà fait l'objet d'une cession en vue d'une édition de poche, d'une édition concurrente ou d'une "édition club", l'éditeur s'engage à l'en avertir et à refuser toute demande de solde ou d'offre publicitaire de bienvenue émanant d'un autre club ou d'une organisation concurrente ;

Considérant que le Conseil de la concurrence a relevé à juste titre que, si les clauses des contrats de cession de droits accordant un droit exclusif de reproduction ou de diffusion d'un ouvrage ne sont pas illicites par principe, les stipulations précitées ont un objet manifestement anticoncurrentiel en ce qu'elles visent à éliminer toute forme de concurrence, notamment par les prix, durant la période où la société France-Loisirs exploite elle-même les droits acquis sur l'œuvre ;

Que cet objet anticoncurrentiel n'est atténué ni par le nombre restreint d'ouvrages concernés par ces clauses eu égard à l'ensemble de la production littéraire, ni par leur durée limitée, ni par la faculté laissée aux éditeurs d'y souscrire, dès lors qu'elles affectent les œuvres à succès réalisant les tirages les plus élevés pendant toute la durée utile d'exploitation par France-Loisirs dont le poids économique et, par suite, la force contraignante à l'égard des éditeurs est déterminante dans la conclusion des contrats ;

Considérant que c'est précisément en abusant de cette position dominante que la société requérante est intervenue auprès de certains éditeurs pour les amener à empêcher la société GLM de procéder à des offres promotionnelles sur des livres qu'elle distribuait elle-même et qu'il importe peu que certaines de ces démarches se référaient aux droits d'exclusivité qu'elle avait acquis sur les ouvrages litigieux puisqu'en elles-mêmes les clauses dont le strict respect était recherché sont illicites;

Considérant qu'il peut être admis, ainsi que le soutient la société France-Loisirs, que la diffusion à laquelle elle procède d'un nombre important d'ouvrages littéraires, à prix réduit, auprès d'une clientèle qui n'achèterait pas de livres dans les réseaux traditionnels de distribution, permettant de prolonger la durée d'exploitation de ces œuvres tout en assurant à ses cocontractants des droits garantis, contribue au progrès économique et réserve à la fois aux auteurs, aux éditeurs et aux lecteurs une partie équitable du profit qui en résulte ;

Mais considérant que les clauses sanctionnées n'apparaissent nullement indispensables au progrès économique recherché ; que la puissance financière, le caractère performant de son système de distribution, l'amplitude de son réseau commercial, la fidélité de sa clientèle d'adhérents et la variété des services qu'elle propose lui permettent en effet de résister à la concurrence par les prix que réserve la loi du 10 août 1981 sans imposer à ses partenaires les restrictions contractuelles incriminées ;

Qu'en outre, pratiquant elle-même les promotions et offres publicitaires aux nouveaux adhérents, elle se donne les moyens de lutter contre la concurrence que lui impose la société GLM par ces procédés qu'elle ne peut légitimement interdire en imposant aux éditeurs des stipulations contractuelles illicites ;

Considérant que si la loi du 11 mars 1957 impose aux auteurs, par son article 54, de garantir à l'éditeur l'exercice paisible du droit cédé, cette prescription ne rend cependant pas obligatoires les cessions exclusives, lesquelles peuvent faire l'objet de conventions contraires, notamment, comme en l'espèce, dans les contrats de sous-édition ;

Qu'en outre, en disposant que l'éditeur est tenu de donner à l'œuvre une exploitation permanente et suivie, l'article 57 de la loi citée, qui réserve expressément les usages commerciaux, ne saurait affranchir, avec ou sans l'accord des auteurs, les entreprises d'édition et de distribution, des règles d'ordre public de la concurrence ;

Considérant que ces dispositions légales ne sauraient par conséquent justifier par elles-mêmes, en référence au paragraphe 1er de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les abus de position dominante imputés à la société France-Loisirs, ni les rendre indispensables à l'objectif de progrès économique qu'elles prétendent atteindre, au sens du second paragraphe de ce texte ;

Considérant que, de ce qui précède, il résulte que c'est à bon droit que le Conseil de la concurrence a décidé que les pratiques mises en œuvre par la société France-Loisirs tombent sous le coup des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans qu'aucun fait les justifie au regard de l'article 10 de ce texte et, pour les pratiques antérieurs à la date d'entrée en vigueur de ladite ordonnance, sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 sans pouvoir être justifié au regard de son article 51;

III. - SUR LA SANCTION PECUNIAIRE :

Considérant que les entreprises convaincues de pratiques anticoncurrentielles peuvent se voir infliger une sanction pécuniaire d'un montant maximum de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ; que cette sanction doit être fixée en proportion de la gravité des pratiques retenues, de leur incidence économique, de la position de ces entreprises sur les marchés concernés et de leur situation financière ;

Considérant qu'en fonction de la position dominante qu'elle occupe sur le marché de la vente du livre par clubs, telle que ci-dessus caractérisée, du montant de son chiffre d'affaires en France, de la puissance financière du groupe international auquel elle appartient et en raison de la gravité des pratiques incriminées visant à éliminer toute forme de concurrence sur le marché dont s'agit, le Conseil de la concurrence a fait une juste application des critères susvisés en fixant à la somme de vingt millions de francs le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société France-Loisirs ;

Par ces motifs : Reçoit le Syndicat des auteurs de langue française en son intervention ; Déclare irrecevables les demandes formées de leur chef par la société des Editions Gallimard et par la société Le Grand Livre du mois ; Rejette le recours ; Laisse les dépens à la charge du requérant.