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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 20 septembre 1990, n° ECOC9010142X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Établissements André Barbot (SA), Coopérative agricole des huiles essentielles de Bourbon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gourlet

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Canivet, Guerin, Bargue, Mme Favre

Avoués :

SCP Verdun-Gastou, SCP Garrabos-Alizard

Avocats :

Mes Scialom-Dion, Fallourd.

CA Paris n° ECOC9010142X

20 septembre 1990

Le 11 mars 1988, la société "Etablissements André Barbot" a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte contre la CAHEB (Coopérative agricole des huiles essentielles de Bourbon), en soutenant que cette coopérative, qui avait refusé de lui livrer une commande de 200 kg d'essence de géranium par elle passée en décembre 1987, se livrait à des pratiques contraires aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Après avoir dans une première décision du 12 juillet 1988, rejetant les mesures conservatoires sollicitées, ordonné une mesure d'instruction sur la plainte ainsi déposée, le Conseil de la concurrence a, par décision 90-D-10 du 7 février 1990, estimé au vu du rapport d'enquête qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure.

La société Établissements André Barbot a formé un recours en réformation de cette seconde décision.

Elle expose à cet effet :

- que le litige l'opposant à la CAHEB concerne le marché des huiles essentielles à la Réunion, et plus spécialement celui de l'essence de géranium Bourbon, dont elle était l'un des exportateurs ;

- qu'afin de stabiliser le marché, un protocole a été conclu le 16 avril 1964 entre la CAHEB, chargée de procéder à la collecte et au stockage de cette essence de géranium, et le syndicat des exportateurs, aux termes duquel ceux-ci devaient acheter 80 p. 100 de leurs besoins à la CAHEB qui s'engageait en contrepartie à ne réaliser aucune vente directe à l'exportation ;

- qu'ultérieurement la CAHEB ayant obtenu en 1977 l'autorisation préfectorale d'exporter directement une partie de la production, un expert, M. Gessa, a été désigné en 1979 à la demande des exportateurs et qu'à la suite de sa médiation, il a été décidé que le tonnage exporté par la coopérative ne pourrait dépasser 30 p. 100 de la récolte de l'année précédente ;

- qu'à partir de 1985, la CAHEB a cessé de respecter ce quota pour exporter 50 p. 100 de la production en 1986, 71, 5 p. 100 en 1987 et la totalité en 1988 ;

- qu'enfin, alors qu'elle lui avait passé en décembre 1987 une commande de 200 kg d'essence de géranium au prix nu-courtier contractuellement prévu, la CAHEB a refusé de procéder à cette livraison, en lui notifiant que les transactions se faisaient dorénavant au prix FOB ;

Elle demande en conséquence:

1° De dire que la CAHEB a rompu unilatéralement les liens contractuels qui l'unissaient à la société Etablissements André Barbot et que les faits ci-dessus dénoncés constituent des pratiques prohibées par l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou subsidiairement par l'article 86 du traité de Rome ;

2° D'ordonner à la CAHEB de suspendre la pratique consistant pour elle à décider des quotas de répartition de ses stocks actuels entre les différents demandeurs (courtiers et exportateurs locaux), cette pratique la conduisant à s'attribuer le monopole des exportations des essences de géranium ;

3° D'ordonner à la CAHEB de respecter les termes du rapport Gessa, à savoir:

Ne pas exporter elle-même directement plus de 30 p. 100 de la production d'essence de géranium dont elle dispose ;

Honorer les commandes passées par les partenaires locaux de façon à procéder à la distribution de l'essence de géranium qu'elle détient et collecte entre les différents demandeurs au prorata de leur participation effective passée à l'exportation de ces produits ;

Vendre l'essence de géranium aux courtiers locaux non au prix FOB, mais au prix nu-courtier qui avait toujours été pratiqué et n'avait jamais été remis en cause ;

4° De condamner enfin la CAHEB à payer à la société Etablissements André Barbot la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le ministre de l'Economie a présenté des observations dans lesquelles, après avoir demandé d'écarter des débats une pièce qui aurait été produite par la requérante après la date limite fixée pour le dépôt des mémoires, il a réfuté le grief d'abus de position dominante par elle invoqué, en contestant en outre son état de dépendance économique.

Le 13 juin 1990, la CAHEB est intervenue en la cause en demandant de rejeter les prétentions de la société Etablissements André Barbot et de la condamner à lui payer une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Enfin, le Ministère public a conclu également au rejet du présent recours.

Sur ce, LA COUR :

Sur la communication de pièces:

Considérant qu'après avoir déposé le 13 mars 1990 74 pièces au soutien de son recours, la société Etablissements André Barbot a procédé le 24 avril, puis le 20 juin 1990 au dépôt de trois nouvelles pièces portant les numéros 75, 76 et 77 et relatives à divers courriers par elle reçus récemment ;

Considérant que le ministre chargé de l'Economie demande d'écarter ces dernières pièces des débats en raison de leur production tardive ;

Mais considérant que l'ordonnance du délégué du premier président rendue conformément aux dispositions de l'article 8 du décret du 19 octobre 1987, fixait au 20 juin 1990 la date limite pour le dépôt des mémoires en réplique ;

Considérant que ces mémoires peuvent être étayés par la production de nouvelles pièces tendant à établir le bien-fondé des prétentions des parties et que dès lors les pièces produites par la société Etablissements André Barbot avant la limite susvisée doivent être déclarées recevables.

Sur la recevabilité de l'intervention de la CAHEB :

Considérant que par conclusions du 13 juin 1986, la CAHEB a demandé de lui donner acte de ce qu'elle constituait avoué sur le recours formé par la société Etablissements André Barbot et de déclarer recevables les moyens par elle développés en réplique aux griefs de la requérante ;

Mais considérant que si la CAHEB était recevable à intervenir devant la cour dès lors qu'elle y avait intérêt pour la conservation de ses droits, cette intervention aurait dû s'effectuer dans le délai prescrit par l'article 7 du décret du 19 octobre 1987 ; que par suite les conclusions déposées par cette coopérative près de deux mois après l'expiration de ce délai ne peuvent qu'être déclarées irrecevables.

Considérant par ailleurs que sa mise en cause d'office n'apparaît pas nécessaire à l'examen du recours formé contre la décision de non-lieu déférée.

Sur le fond:

Considérant que la société Etablissements André Barbot reproche essentiellement à la CAHEB d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de l'essence de géranium-bourbon en modifiant les conditions de commercialisation de ce produit.

Mais considérant que s'il est constant que la CAHEB bénéficie d'une position dominante sur le marché en question, l'abus de cette position ne serait répréhensible au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que si elle pratiquait des conditions de vente discriminatoires susceptibles d'affecter la situation de la concurrence.

Or, considérant qu'ainsi que l'a à juste titre relevé la décision déférée, la CAHEB demeurait libre de modifier les modalités de commercialisation de l'essence de géranium-bourbon et que la société Etablissements André Barbot ne saurait soutenir que cette modification s'est effectuée dans des conditions discriminatoires, dès lors qu'elle en avait été régulièrement informée au même titre que l'ensemble des autres partenaires du marché litigieux.

Considérant par ailleurs que la modification effectuée par la CAHEB dans ses conditions de distribution n'a eu ni pour objet, ni pour effet de restreindre la capacité d'approvisionnement des utilisateurs du produit en question et n'a donc pu influencer la situation de la concurrence sur ce marché.

Considérant qu'il s'ensuit que le grief d'abus de position dominante ne saurait être retenu.

Considérant que la société Etablissements André Barbot reproche également à la CAHEB de l'avoir placée dans un état de dépendance économique et d'avoir porté atteinte à son image de marque.

Mais considérant qu'après avoir relevé que la vente d'essence de géranium Bourbon ne représentait que 2,07 p. 100 du chiffre d'affaires de la société Etablissements André Barbot qui exerce une activité de négociant en tabac, véhicules automobiles et produits alimentaires, la décision déférée en a exactement déduit que ce second grief n'était pas davantage fondé, dès lors que, d'une part, la vente du produit litigieux n'était pas indispensable à la poursuite de leurs autres activités et que, d'autre part, ils conservent la possibilité de se maintenir sur le marché de l'essence de géranium en l'achetant aux nouvelles conditions fixées par la CAHEB.

Considérant enfin que c'est en vain que la société Etablissements André Barbot invoque au soutien de son recours les dispositions de l'article 86 du traité de Rome qui ne sauraient davantage recevoir application en la cause pour les raisons ci-dessus exposées.

Considérant qu'il s'ensuit que cette société doit être déclarée mal fondée en son recours tendant à la réformation de la décision déférée et que ses demandes tendant à enjoindre à la CAHEB de respecter les conditions de commercialisation antérieures seront rejetées.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant que la société Etablissements André Barbot succombant en son recours, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que par ailleurs la CAHEB ayant été déclarée irrecevable en son intervention, sa demande présentée sur le fondement du même article sera également rejetée.

Par ces motifs : Déclare la Coopérative agricole des huiles essentielles de Bourbon (CAHEB) irrecevable en son intervention ; Rejette le recours formé par la société Etablissements André Barbot à l'encontre de la décision numéro 90-D-10 rendue le 7 février 1990 par le Conseil de la concurrence ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Etablissements André Barbot aux dépens à l'exception de ceux relatifs à l'intervention de la CAHEB qui resteront à sa charge.