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Conseil Conc., 26 juin 1990, n° 90-D-22

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Secteur des carburants aviation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport de M. Schwartz dans sa séance du 26 juin 1990 où siégeaient : M. Béteille, vice-président, présidant; MM. Flécheux, Fries, Mme Lorenceau, M. Schmidt, membres.

Conseil Conc. n° 90-D-22

26 juin 1990

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 23 septembre 1988 sous le numéro F 186, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la Société de manutention de carburant aviation; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu les observations de la Société de manutention de carburant aviation ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

Utilisé exclusivement par les avions à réaction, le carburéacteur est acheté par les compagnies aériennes, pour chaque aéroport, à un prix " mis à bord ". Deux de ces acheteurs, Air France et Air Inter, ont une place prééminente. Les quantités de carburéacteur livrées à Roissy et à Orly représentent les trois quarts de la consommation totale. Les livraisons sur l'aéroport de Roissy représentent le double des livraisons sur l'aéroport d'Orly.

Les six principales compagnies pétrolières opérant sur le territoire national sont présentes à Orly et Roissy. Il s'agit de Shell, Esso, Elf, Mobil, Total et BP. En 1986, elles occupaient 93,5 p. 100 du marché national. Elles sont les seules présentes à Orly. A Roissy, elles sont en concurrence avec Agip, Fina et Texaco.

Sur chaque aéroport les compagnies vendent le produit à un prix global incluant la mise à bord. Cette dernière opération est assurée soit individuellement par chaque compagnie, soit par l'intermédiaire de groupements d'intérêt économique. Mais les opérations de stockage sur le site de l'aéroport et d'acheminement du carburéacteur vers les points de livraison, seules opérations visées par la présente décision, nécessitent de lourds investissements (oléoréseaux, cuves de stockage, etc.). En France, ce sont les compagnies pétrolières qui, traditionnellement, prennent en charge ces investissements. C'est ainsi qu'à Roissy et Orly les six principales compagnies opérant en France sont groupées au sein d'une société au capital de 7,2 MF, la Société de manutention de carburant aviation (SMCA), pour prendre en charge ces investissements.

Aéroport de Paris, établissement public, a concédé une partie de son domaine afin que ladite société puisse réaliser les équipements nécessaires. Cette concession confère à la SMCA un monopole pour l'acheminement et le stockage du carburéacteur à Orly et Roissy. Les six actionnaires de la SMCA sont en même temps ses seuls clients à Orly.

Trois compagnies pétrolières non actionnaires, Agip, Fina et Texaco utilisent les installations de la SMCA à Roissy. Ces compagnies sont appelées " passeurs ", dénomination qui les distingue des autres compagnies qui sont à la fois clientes et actionnaires de la SMCA La part de marché de ces passeurs sur l'aéroport de Roissy est passée de 10 p. 100 en 1985 à 17 p. 100 en 1987.

En contrepartie de son monopole, la SMCA doit assurer une neutralité et une égalité de traitement entre les utilisateurs. Toute société pétrolière doit pouvoir devenir actionnaire de la SMCA dès lors qu'elle remplit les conditions techniques indispensables. Le cahier des charges auquel est assujettie la SMCA exige, outre cette ouverture du capital, un barème unique de prix.

En 1983, la SMCA a mis en place à Roissy un tarif dégressif. De ce fait, le passeur opérant alors à Roissy, la société Fina, a payé un prix moyen supérieur de 8 à 9 p. 100 au prix moyen payé par les actionnaires clients.

Par ailleurs, les prix moyens pratiqués à Roissy sont supérieurs de 40 p. 100 à ceux pratiqués à Orly, aéroport d'où sont absents les passeurs. Les bénéfices de la SMCA proviennent à 90 p. 100 de Roissy, alors que cet aéroport ne représente que 63 p. 100 des volumes traités par la société.

II. A LA LUMIÈRE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÉDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Considérant que la Société de manutention de carburant aviation (SMCA), dont le capital est détenu à égalité par les six principales compagnies pétrolières opérant sur le territoire national (Shell, Esso, Elf, Mobil, BP, Total), bénéficie, à l'aéroport d'Orly et à celui de Roissy, d'une concession d'occupation du domaine d'Aéroports de Paris, Etablissement public de l'Etat; qu'elle dispose d'un monopole des installations d'acheminement et de stockage du carburéacteur sur ces deux sites; que toutes les compagnies pétrolières sont par suite tenues d'utiliser lesdites installations pour l'approvisionnement de leurs clients;

Considérant, en premier lieu, que la différenciation des prix pratiqués par la SMCA entre les aéroports d'Orly et de Roissy pour le stockage et l'acheminement du carburéacteur ne revêt pas le caractère d'une discrimination ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les compagnies pétrolières ; qu'en effet, chaque aéroport constitue un marché distinct pour les opérations de stockage et de manutention, les prestations offertes sur différents aéroports n'étant pas substituables entre elles pour les compagnies aériennes compte tenu des contraintes qui s'imposent à elles; qu'en outre, il résulte des pièces du dossier que les investissements fixes nécessaires pour la réalisation de ces opérations ne sont pas identiques à Orly et à Roissy et qu'ils n'ont pas été réalisés à la même époque ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il n'est pas établi que la dégressivité en fonction des quantités traitées résultant du barème appliqué par la SMCA pour l'aéroport de Roissy revête le caractère d'une discrimination ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter abusivement la concurrence entre les actionnaires de la SMCA et les "passeurs" ; que si les passeurs, livrant de moindres quantités de carburéacteur que les actionnaires de la SMCA, peuvent être conduits à payer plus par unité que ces derniers, le principe d'une dégressivité du barème peut être justifié par l'existence de coûts fixes associés aux prestations fournies à chaque client indépendamment des quantités de carburéacteur qu'il livre que cette dégressivité reste faible, l'écart maximum entre le client bénéficiant des meilleures conditions et le plus petit client étant de l'ordre de 8 à 9 p. 100 des prestations fournies et son incidence sur le coût total du carburéacteur livré par les compagnies pétrolières n'étant que de 0,5 p. 100 ; qu'enfin cette dégressivité n'a pas eu pour effet de limiter la croissance des ventes des compagnies livrant les plus faibles quantités ainsi que l'atteste le fait que leurs parts dans les livraisons de carburéacteur sur cet aéroport ont augmenté entre 1985 et 1990 au détriment de la part des compagnies qui livraient, au début de la période, les quantités les plus importantes;

Considérant, en troisième lieu, qu'un niveau moyen artificiellement élevé du barème établi par la SMCA pourrait, dans certaines circonstances et, notamment, si le capital de cette société était fermé, avoir pour objet ou pour effet d'entraver abusivement le développement des passeurs et de fausser le jeu de la concurrence entre ces derniers et les compagnies pétrolières actionnaires de la SMCA; qu'en effet, dès lors que le prix moyen du barème est supérieur aux coûts de la SMCA, ce prix ne constitue que pour partie une charge pour les actionnaires de la SMCA, les profits de cette dernière leur étant entièrement redistribués, alors qu'ils constituent pour sa totalité une charge pour les passeurs; que dans ces conditions, la SMCA pourrait, en accroissant abusivement le prix de barème, diminuer de façon artificielle la compétitivité relative des passeurs par rapport à celle de ses actionnaires sans que ces passeurs puissent remédier à cette situation ;

Mais considérant que le capital de la SMCA n'est pas fermé, chacun des passeurs ayant la possibilité d'entrer dans le capital de cette société à parité avec les autres compagnies pétrolières s'il l'estime avantageux, compte tenu du niveau du barème applicable à tous les clients de celle-ci; que les conditions d'entrée dans le capital de la SMCA, si elles impliquent un investissement financier non négligeable, fonction de la valeur de remplacement des équipements de cette société tant à Roissy qu'à Orly, ne peuvent être considérées comme étant discriminatoires à l'égard de passeurs; qu'en outre, les pièces du dossier établissent que la part de marché des "passeurs" à Roissy est passée de 10 p. 100 en 1985 à 13,8 p. 100 en 1988 et à 16,2 p. 100 pour les six premiers mois de 1989 au détriment de celle des actionnaires de la SMCA, la part de la société Fina, qui avait refusé de devenir actionnaire de la SMCA, devenant d'ailleurs plus importante que celle de la société Shell qui participe au capital de la SMCA: qu'ainsi il n'est pas établi, dans les circonstances de l'espèce, que l'élaboration, par la SMCA, d'un barème de prix applicable aux prestations offertes sur l'aéroport de Roissy ait eu pour objet ou pu avoir pour effet de restreindre abusivement la concurrence entre les passeurs et ses actionnaires.

Décide :

Article unique - Il n'est pas établi que la SMCA ait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.