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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 17 octobre 1990, n° ECOC9010155X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société internationale de boisson

Défendeur :

Ministre chargé de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vengeon

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

Mmes Hannoun, Simon, MM. Canivet, Guerin

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Meurisse

Avocats :

Mes Le Forsonney, Greffe.

CA Paris n° ECOC9010155X

17 octobre 1990

La Société internationale de boisson (SIB), qui commercialise des sirops de fruits de haut de gamme sous la marque de fabrique " Fée des fruits " et des préparations concentrées sans sucre pour boissons aux fruits sous la marque de fabrique "Agruma", a dénoncé au Conseil de la concurrence, par lettre enregistrée le 1er septembre 1987, des pratiques constitutives d'abus de position dominante sur le marché des sirops de la part de la société Teisseire, à laquelle elle reproche d'avoir adressé le 5 juin 1986 une lettre circulaire portant le discrédit sur ses produits.

Par décision n° 90-D-12, rendue le 27 mars 1990, le Conseil de la concurrence a retenu que le marché en cause était celui des sirops - sans qu'il y ait lieu de faire de distinction selon leur conditionnement (en bouteilles ou en bidons) - et a considéré que la société Teisseire ne pouvait être regardée comme détenant sur ce marché une position dominante, de sorte qu'il ne pouvait lui être fait grief d'avoir méconnu les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, ni celles de l'article 8-1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par déclaration au greffe du 30 avril 1990 la société SIB a formé un recours contre cette décision et demande à la cour d'ordonner tout d'abord un complément d'instruction aux fins de déterminer notamment la position de la société Teisseire sur le marché considéré, son rôle au sein du Syndicat national des fabricants de sirop, et les agissements de celui-ci à son encontre.

Elle soutient en outre qu'il est d'ores et déjà établi que la société Teisseire occupe, du seul fait des parts qu'elle détient (27,90 p. 100) dans la vente de ses produits, une position dominante sur le marché des sirops, dont elle a abusé en diffusant le 5 juin 1986 une circulaire qu'elle interprète comme un dénigrement de ses propres produits, de nature à perturber le fonctionnement normal du marché.

Elle prie en conséquence la cour de réformer la décision du Conseil de la concurrence, de faire injonction à Teisseire de mettre fin aux pratiques dénoncées et de prononcer à son encontre une sanction pécuniaire.

La société Teisseire intervient en la cause, et demande aux termes de conclusions déposées le 3 juillet 1990 la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence et la condamnation de la société SIB au paiement d'une somme de 200 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de la totalité des dépens.

Le ministère de l'Economie, des Finances et du Budget dans ses observations comme le ministère public dans ses conclusions estiment que le recours doit être rejeté au motif que la société Teisseire ne peut être considérée comme occupant une position dominante sur le marché des sirops. A titre subsidiaire, le ministre de l'Economie fait valoir que la pratique de dénigrement reprochée à la société Teisseire ne saurait être qualifiée d'abus de position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur quoi, LA COUR :

I. Sur la recevabilité de la demande de jonction de la société Teisseire

Considérant que la société Teisseire, qui était partie en cause devant le Conseil de la concurrence, avait la faculté de se joindre à l'instance devant la présente cour, à la condition de respecter les conditions de forme et de délai stipulées à l'article 7 du décret du 19 octobre 1987 ;

Considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce ; qu'en effet la société Teisseire ayant reçu le 4 mai 1990 notification du recours formé par la SIB elle a remis au greffe une constitution d'avoué le 1er juin 1990 et dénoncé ses moyens par des conclusions du 3 juillet 1990 ; qu'il s'ensuit que, formée après le délai d'un mois prévu par l'article 7 du décret précité, sa demande de jonction d'instance est irrecevable ;

Qu'au surplus la mise en cause d'office de la société Teisseire n'apparaît pas nécessaire à l'examen du recours formé par la SIB.

Sur le fond :

Considérant que la notion de position dominante, qui s'entend comme le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective suppose que l'entreprise considérée occupe sur le marché une place prépondérante, que lui assure notamment l'importance des parts qu'elle détient dans celui-ci, la disproportion entre celles-ci et celles des entreprises concurrentes, comme éventuellement son statut, et ses modes d'action commerciale ;

Considérant qu'en l'espèce s'il est établi que la société Teisseire détient la plus forte part du marché des sirops (27,9 p. 100), cette simple constatation ne permet pas d'en déduire qu'elle dispose d'une position dominante au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Qu'il résulte en effet des éléments du dossier que le marché en cause, sans qu'il y ait lieu d'établir une distinction entre les sirops vendus en bouteilles ou en bidons, est caractérisé par une très grande hétérogénéité des entreprises et par une présence très forte des marques de distribution; qu'ainsi la société Berger concurrente de la requérante détient 17 p. 100 de ce marché, que l'ensemble des autres entreprises en maîtrisent 28,9 p. 100 et que les marques de distribution contrôlent 82,4 p. 100 des ventes de ces produits.

Que sur celles réalisées dans les magasins à grande surface ou par le canal de la grande distribution, Teisseire n'assure que moins du quart de ces ventes.

Qu'il s'ensuit que les pratiques imputées à cette société n'entrent dans le champ d'application ni du dernier alinéa de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, ni de l'article 8-1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et qu'il convient de rejeter l'ensemble des demandes de la SIB, et notamment des mesures d'instruction sollicitées en l'absence de toute position dominante de la société Teisseire.

Considérant que la demande de jonction de la société Teisseire ayant été déclarée irrecevable elle ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : Déclare la société Teisseire irrecevable en sa demande de jonction d'instance ; Rejette le recours formé par la Société internationale de boisson (SIB) à l'encontre de la décision 90-D-12 rendue le 27 mars 1990 par le Conseil de la concurrence ; Laisse les dépens à la charge de la SIB, à l'exception de ceux relatifs à l'intervention de la société Teisseire.