Livv
Décisions

Cass. com., 9 avril 1996, n° 94-13.293

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Pompes funèbres générales du Sud-Est (Sté)

Défendeur :

SRDSF (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

Mes Luc-Thaler, Ricard.

Cass. com. n° 94-13.293

9 avril 1996

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 25 février 1994), qu'en 1989, la société Pompes funèbres de France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles à son égard de la part de la société Roblot, absorbée en 1991 par la société Pompes funèbres du Sud-Est; qu'il était fait grief à cette entreprise d'avoir abusé de la position dominante qui était la sienne, en sa qualité de concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres pour l'ensemble des communes de Cannes, Antibes, le Cannet, Mandelieu, Mougins, Téhoule et Vallauris, en détournant la clientèle pour des prestations ne relevant pas de son monopole; que le Conseil ayant constaté l'existence de certaines de ces pratiques, pour la période de 1986 à 1990, a condamné la société des pompes funèbres du Sud-Est à une sanction pécuniaire de un million de francs; que cette société a formé un recours contre cette décision;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Pompes funèbres du Sud-Est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté partiellement son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle avait la faculté de présenter, devant la cour d'appel, un moyen de défense différent de celui dont l'arrêt attaqué a retenu qu'elle l'avait présenté devant le Conseil de la concurrence; qu'en le niant, la cour d'appel a violé l'article 1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, les dispositions du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, et l'article 563 du nouveau Code de procédure civile, et alors, d'autre part, que les constatations de l'arrêt ne font nullement apparaître que l'agglomération prise en compte constitue un domaine limité de substituabilité de produits et services; que négligeant, d'ailleurs, de s'interroger, comme elle y était invitée, sur l'importance des transferts de défunts d'Antibes à Cannes, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pas déclaré irrecevable l'argumentation de la société Pompes funèbres du Sud-Est, selon laquelle les agglomérations de Cannes et d'Antibes formeraient deux marchés géographiquement distincts; qu'elle a seulement constaté que cette entreprise développait une argumentation différente de celle qu'elle avait soutenu devant le Conseil de la concurrence;

Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que la société Roblot était concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres à Cannes, Antibes, Mandelieu, Mougins, Le Cannet, Théoule et Vallauris et qu'elle assurait ce service au moyen de ses deux agences de Cannes et d'Antibes, la cour d'appel, en relevant que ces sept communes formaient un marché géographique spécifique pour l'organisation des funérailles des personnes décédées localement, et sans avoir à faire d'autres recherches, a légalement justifié sa décision;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième et le troisième moyen, pris en leurs diverses branches et qui sont réunis : - Attendu que la société Pompes funèbres du Sud-Est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté partiellement son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un marché, au sens géographique, ne peut, par cela seul qu'il existe au regard du critère de substituabilité, constituer une part substantielle du marché intérieur; que la cour d'appel a violé l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à tout le moins, entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de ce texte ; alors, d'autre part, qu'une agglomération ne peut a priori être considérée comme délimitant un marché géographique constituant une part substantielle du marché au sens de la même disposition au regard de laquelle l'arrêt attaqué est en toute hypothèse entaché d'un défaut de base légale; alors, en outre qu'est indifférente pour l'appréciation du caractère dominant de la position d'une entreprise sur un marché local, la considération de la position de cette entreprise sur le plan national; qu'en prenant en compte l'appartenance de la société à un "groupe économique puissant", la cour d'appel a violé l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; et alors enfin, ainsi que la société Roblot l'a fait valoir dans ses écritures, que la répartition des parts d'un marché entre concurrents ne peut avoir de signification que secondaire; que le critère principal de la position dominante ne peut être que celui de la possibilité pour une entreprise de s'abstraire de la pression de ses concurrents; qu'en refusant de prendre ce critère en considération, la cour d'appel a méconnu l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt a seulement énoncé, sans se fonder sur cette seule circonstance, que l'appartenance à un groupe économique puissant, occupant une position de "leadership" sur le plan national dans un secteur d'activité, est un indice qui peut, parmi d'autres, être retenu pour caractériser une position dominante;

Attendu, en second lieu, que la position dominante d'un producteur sur un marché géographiquement délimité se définit par la valeur économique qu'il développe par rapport à l'activité considérée; que la cour d'appel ayant constaté que la société Roblot en détenant le monopole du service extérieur des pompes funèbres dans l'agglomération des sept communes litigieuses réalisait la majeure partie des convois funéraires, de 58 % à 68 % selon les années, outre 5 % réalisés par sa filiale les Pompes Funèbres Azuréennes, a justifié la position dominante économique que cette entreprise détenait sur une partie substantielle du marché intérieur;

Attendu, enfin, qu'en relevant qu'étaient admis à l'Athanée de Cannes, dont elle avait la concession, "dans 90 % des cas les corps des personnes décédées dans l'agglomération des sept communes", la cour d'appel a également justifié la difficulté pour les entreprises concurrentes, d'échapper à la position dominante détenue sur ce marché par la société Roblot; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ces trois branches : - Attendu que la société Pompes funèbres du Sud-Est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté partiellement son recours, alors que, selon le pourvoi, d'une part, en affirmant qu'elle ne contestait que le caractère systématique de la pratique litigieuse, et avançait que les familles avaient pu faire appel "parfois" à une autre entreprise pour l'organisation des funérailles, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige tel qu'il résultait des écritures de la société Roblot et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; qu'en effet, la société Roblot s'est attachée à montrer que le grief ne reposait que sur la considération de trois cas, dépourvus de toute signification, que dans tous ces cas, les familles s'étaient, pour l'organisation des funérailles, adressées à d'autres entreprises, et en outre, que la possibilité même du fait reproché se trouvait, pour les établissements d'Antibes, disposant tous d'une morgue, exclue; alors que, d'autre part, méconnaissant les écritures de la société Roblot, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil; et alors, enfin, que relevant l'existence de la contestation de la société Roblot, la cour d'appel ne pouvait, sans entacher son arrêt d'un défaut de base légale au regard de l'article 8 de l'ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986, totalement négliger, comme elle l'a fait, d'examiner cette contestation;

Mais attendu que la cour d'appel appréciant souverainement les faits résultant de l'enquête diligentée par le Conseil de la concurrence, a constaté l'existence d'une pratique abusive de la part de la société Roblot, exploitante de la chambre funéraire dîte "Athanée" de Cannes, consistant à transférer les corps de personnes décédées dans les établissements privés de retraite et à facturer aux familles les frais de transfert, sans s'assurer de leur accord; qu'ayant relevé que cette société contestait seulement le caractère systématique de cette pratique, ce qui n'avait pas pour effet de faire disparaître son caractère illicite, c'est sans méconnaître l'objet du litige et les écritures de la société Roblot que la cour d'appel a statué ainsi qu'elle a fait; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Pompes funèbres du Sud-Est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté partiellement son recours, alors que, selon le pourvoi, d'une part, que, n'apportant pas le moindre élément de réponse à la contestation détaillée de la société, dont elle a constaté l'objet, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; alors que, d'autre part, en renversant la charge de la preuve, la cour d'appel a violé les articles 8-1 et 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 1315 du Code civil;

Mais attendu que la cour d'appel, se fondant sur la décision du Conseil de la concurrence et l'enquête administrative qui l'a précédée, a également constaté l'existence d'une pratique abusive de la part de la société Roblot consistant à présenter aux clients des prix non détaillés et des accessoires de haut de gamme sans que ceux-ci puissent choisir des prestations moins onéreuses; qu'ayant relevé que cette société contestait seulement le caractère systématique de cette pratique sans apporter de justification permettant d'étayer cette contestation, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle a fait; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Et sur le sixième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Pompes funèbres du Sud-Est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté partiellement son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel a écarté l'un des griefs retenus par le Conseil de la concurrence (consistant dans le fait de n'avoir pas fourni, aux agences de funérailles certains produits ou services), grief dont la considération avait conduit le Conseil à prononcer la sanction; que la cour d'appel ne pouvait donc, sans violer l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, maintenir une sanction dont le prononcé requiert l'appréciation de la gravité de chacun et de tous les griefs retenus ; et alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que la cour d'appel devait à tout le moins prendre en compte, pour apprécier le montant de la sanction, le chiffre d'affaires réalisé dans le périmètre d'activité de la société au moment des faits; qu'en affirmant que la sanction prononcée par le Conseil de la concurrence était inférieure à ce chiffre d'affaires, la cour d'appel n'a nullement procédé à cette appréciation en fonction dudit chiffre d'affaires et qu'elle a de la sorte violé l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que le montant maximum de la sanction est, aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos; que la cour d'appel, après avoir constaté que la société Pompes funèbres du Sud-Est ne contestait pas "le bien fondé de l'assiette de la sanction" qui était, lors du dernier exercice clos, en 1992, de 494 MF, ce dont il résultait qu'il n'y avait pas lieu de prendre en considération le chiffre d'affaires dans "l'ancien périmètre d'activité" de la société Roblot, a pu, en se fondant sur les divers éléments établissant la gravité des faits reprochés à la société litigieuse et sans prendre en considération l'abandon d'un des griefs retenu par le Conseil de la concurrence, décider qu'il n'y avait pas lieu de réduire le montant de la sanction; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Sur la demande formé par le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que le ministre demande, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 12 000 francs;

Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.