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Décisions

Cass. com., 10 mars 1992, n° 90-16.298

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Loisirs (SARL), Syndicat des écrivains de langue française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Jéol

Avocats :

SCP Boré, Xavier, SCP Guiguet, Bachelier, Potier de la Varde, Me Ricard.

Cass. com. n° 90-16.298

10 mars 1992

LA COUR : - Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la société France Loisirs (la société) a formé un recours contre une décision du Conseil de la concurrence en date du 28 novembre 1989, relative à des pratiques jugées illicites dans le secteur de la vente du livre par " clubs ", qui lui enjoignait de modifier ses contrats de cession de droits afin, notamment, de limiter l'application de la clause d 'exclusivité aux seules ventes par abonnement, correspondance et courtage, et en la condamnant à une sanction de 20 millions de francs ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de nullité de la procédure tirée de l'audition de M. Gagnière, directeur du programme Livre de la société, par le rapporteur sans communication préalable du dossier, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence doivent, aux termes de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, être pleinement contradictoires ; que le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense ne serait pas assuré si le représentant de la personne visée dans l'acte de saisine du Conseil de la concurrence était entendu sans avoir eu préalablement communication du dossier déjà constitué contre l'entreprise intéressée ; qu'en limitant arbitrairement la phase contradictoire de la procédure à celle postérieure à la notification des griefs à la personne intéressée et en énonçant en conséquence que l'audition de M. Gagnière représentant de France Loisirs sans communication préalable du dossier était régulière, la cour d'appel a violé les articles 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; alors, d'autre part, que l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 indiquant que les parties peuvent consulter le dossier dans le délai de deux mois courant à compter de la notification des griefs n'apporte aucune restriction au droit de communication du dossier préalable à toute audition du représentant de l'entreprise visée dans l'acte de saisine du conseil de la concurrence ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, que l'arrêt attaqué constate que les déclarations de M. Gagnière, entendu sans communication préalable du dossier, ont été retenues à l'encontre de la société France Loisirs dans le rapport, dans la notification des griefs et dans la décision du Conseil de la concurrence ; qu'il s'ensuit que le rapporteur a obtenu de M. Gagnière, sinon des aveux, du moins des déclarations compromettantes et que l'ignorance dans laquelle ce dernier a été tenu des éléments déjà réunis contre France Loisirs au cours de l'enquête a été exploitée pour obtenir des nouveaux éléments de preuve contre cette entreprise ; qu'en énonçant que cette audition n'était pas entachée de manœuvres destinées à faire obstacle aux droits de la défense, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui en résultaient, violant par là-même les articles 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le rapporteur du Conseil de la concurrence agissant dans le cadre des pouvoirs d'enquête visés par l'article 45, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui n'imposent pas que l'intéressé soit, à cette occasion, assisté d'un conseil, a entendu M. Gagnière en présence de son avocat sur les faits " clairement exposés dans l'acte de saisine qui lui avait été préalablement communiqué " ; qu'il résulte, par ailleurs, des dispositions des articles 18 et suivants de l'ordonnance et de l'article 20 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 que le représentant de la société pouvait, après avoir reçu notification des griefs, demander à consulter le dossier et à être entendu par le rapporteur, en présence de son avocat, pour répondre aux accusations portées à son entreprise et présenter ainsi des observations complémentaires ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas méconnu les droits de la défense ; que le moyen pris en ses trois premières branches n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche : - Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le mémoire du commissaire du Gouvernement n'ouvre pas aux parties en cause, quelles que soient les observations qu'il comporte, un délai de réponse de deux mois, alors que, selon le pourvoi, la notification des griefs à l'entreprise concernée ouvre un délai de deux mois lui permettant de formuler ses observations en réponse ; que dans ses observations déposées quinze jours avant l'audience le commissaire du Gouvernement a demandé le prononcé d'une amende de 20 millions de francs justifiée selon lui par le risque de disparition de la société Le Grand Livre du Mois qu'entraîneraient les pratiques incriminées ; que s'agissant d'un grief nouveau la société France Loisirs aurait dû disposer d'un délai de réponse de deux mois ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et ensemble les droits de la défense ;

Mais attendu ainsi que l'a relevé à bon droit l'arrêt, que, même si les observations du commissaire du Gouvernement donnent aux faits et documents soumis au Conseil une interprétation différente de celles proposées par le rapport, il ne peut s'agir de griefs nouveaux au sens de l'article 21 de l'ordonnance ; que ces observations, qui correspondent à la position prise par l'administration ne peuvent se confondre avec le rapport émanant du Conseil qui est notifié aux parties et qui contient l'ensemble des griefs retenus à leur encontre ; d'où il suit que le moyen pris en sa quatrième branche n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; - Attendu que pour rejeter le recours de la société contre la décision du Conseil de la concurrence la cour d'appel a relevé que le marché de la vente du livre par clubs constitue un marché de référence spécifique ; que les ouvrages diffusés par les clubs sont sélectionnés ; qu'ils sont systématiquement reliés et présentés dans les catalogues permettant aux lecteurs de déterminer leurs choix à partir de résumés et critiques ; qu'ils sont accessibles par correspondance et par des boutiques spécialisées même s'ils sont réservés à une clientèle d'adhérents ayant choisi, en contrepartie d'obligations d'achat, ce mode d'accès à la littérature par les facilités qu'il procure, les services qui l'accompagnent et les réductions de prix qu'il propose ; qu'il résulte de ces caractéristiques du produit, de sa clientèle et de son mode de distribution que pour les consommateurs les livres offerts à la vente par ce moyen ne sont pas substituables à d'autres ;

Attendu qu'en se déterminant par ces motifs impropres à établir, qu'eu égard à son objet déterminé par référence au caractère substituable des produits, la vente des livres par clubs formait un marché économique suffisamment identifiable pour être distinct du marché général du livre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

Et sur le quatrième moyen : - Vu l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - Attendu que, pour rejeter le recours de la société contre la décision du Conseil de la concurrence fixant la somme de 20 millions de francs le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, la cour d'appel a apprécié cette sanction en fonction de la position dominante que cette société " occupe sur le marché de la vente du livre par clubs, telle que ci-dessus caractérisée, du montant de son chiffre d'affaires en France, de la puissance financière du groupe international auquel elle appartient et en raison de la gravité des pratiques incriminées visant à éliminer toute forme de concurrence sur le marché dont il s'agit " ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser les éléments propres à déterminer le montant maximum de la sanction prévue par l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et, sans apprécier s'il existait une proportionnalité entre la peine prononcée et la gravité des faits relevés et le dommage porté à l'économie du marché de référence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen de cassation, pris en ses diverses branches et sur les deuxième, troisième et quatrième branches du troisième moyen de cassation ; Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 mai 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour faire droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.