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Décisions

Conseil Conc., 19 novembre 1991, n° 91-D-51

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques des sociétés Compagnie générale des eaux, Communication développement, Lyonnaise communication et leurs filiales intéressant le secteur de la distribution par câble des programmes de télévision

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en fonction plénière sur le rapport de M. Paître, dans sa séance du 19 novembre 1991, où siégeaient : M. Laurent, président : MM. Béteille, Pineau, vice-présidents ; MM. Blaise, Bon, Cortesse, Fries, Gaillard, Mmes Hegelsteen, Lorenceau, MM. Sargos, Schmidt, Sloan, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 91-D-51

19 novembre 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 12 septembre 1989 sous le numéro F 270 par laquelle la SARL TV Mondes a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques des sociétés Compagnie générale des eaux, Communication développement, Lyonnaise communications et leurs filiales intéressant le secteur de la distribution par câble des programmes de télévision ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée notamment par la loi n° 90-1170 du 29 décembre 1990 ; Vu les observations de la société Réseaux câblés de France, de l'exploitant public France Télécom, des sociétés Compagnie générale de vidéocommunication, Générale d'images, Planète, Ciné-cinéma, Lyonnaise communications, Paris TV câble, TV Mondes, Société régionale de communication, Communication Développement, Canal J ; Vu les observations du ministre des postes et télécommunications ; Vu la lettre en date du 13 août 1991 par laquelle le rapport a été notifié au ministre de la culture et de la communication ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement ; Vu les avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant demandé à présenter des observations orales entendus ; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. CONSTATATIONS

Le marché considéré dans la présente décision, qui intéresse la commercialisation auprès des exploitants de réseaux câblés de télédistribution des programmes thématiques francophones de télévision, s'est progressivement constitué à partir de la décision, prise en Conseil des ministres le 3 novembre 1982, d'équiper les zones urbanisées du territoire de réseaux câblés de vidéocommunication. Ces infrastructures devaient permettre, notamment, un meilleur accès aux programmes de radiodiffusion sonore et de télévision, que celui offert par la diffusion hertzienne terrestre.

Le régime juridique des réseaux câblés a tout d'abord été fixé par une loi du 1er août 1984 et son décret d'application du 18 janvier 1985. L'initiative de la mise en œuvre des réseaux appartenait aux communes ou groupements de communes ; leur construction était prise en charge par l'Etat, et leur exploitation commerciale confiée, sur autorisation de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, à des sociétés d'économie mixte dans lesquelles, par dérogation aux principes posés par la loi du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d'économie mixte locales, les collectivités locales pouvaient être minoritaires. Un réseau à caractère expérimental a été ouvert en septembre 1984 à Biarritz ; le premier réseau du " plan câble " a été mis en exploitation le 21 décembre 1985 à Cergy-Pontoise.

Cinquante sites étaient engagés dans le dispositif, mais peu de réseaux étaient opérationnels lorsque le régime juridique des réseaux câblés a été redéfini par les articles 33 et 34 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et leur décret d'application du 29 décembre 1987. Conservant l'initiative de l'établissement des réseaux, communes et groupementsde communes ont obtenu de choisir librement constructeur et exploitant, en faisant appel, le cas échéant, à des sociétés à capitaux entièrement privés. Dès avant l'intervention de ces textes, l'Etat avait renoncé à construire d'autres réseaux que ceux des cinquante premiers sites retenus dans le plan câble. L'autorisation d'exploitation commerciale, délivrée par l'autorité régulatrice de l'audiovisuel (Commission nationale de la communication et des libertés puis Conseil supérieur de l'audiovisuel), précise le nombre et la nature des services à distribuer sur le réseau (ce qu'il est convenu d'appeler le plan de service) et peut être assortie de conditions, par exemple l'obligation de retransmettre les programmes diffusés par voie hertzienne normalement reçus dans la zone.

Les communes ont confié l'exploitation commerciale des réseaux à des opérateurs privés ; ou bien directement, ou bien, comme dans le cas des cinquante réseaux du plan câble, par l'intermédiaire de sociétés d'économie mixte, à charge pour celles-ci, dans la plupart des cas, de déléguer l'exploitation à une société privée.

Le " contrat d'opérateur " comporte transfert pur et simple à l'opérateur de la charge de l'exploitation du réseau. Si ce contrat prévoit, conformément aux dispositions législatives précitées, que le choix des programmes dont l'ensemble est appelé à former le " plan de service " est fait conjointement par l'opérateur et par la collectivité, il y est également stipulé que l'opérateur fait son affaire des relations avec les fournisseurs de service, sans que les communes puissent, alors même qu'une chaîne figure dans le plan, imposer les conditions commerciales de sa diffusion.

A. Les exploitants de réseau

Les collectivités ont fait appel le plus souvent aux partenaires habituels dans la gestion des services locaux que sont la Générale des eaux, la Lyonnaise des eaux et la Caisse des dépôts et consignations.

Au sein du groupe de la Compagnie des eaux, l'activité de câblo-opérateur a été prise en charge par une division Télédistribution, bientôt constituée en société en nom collectif, la Compagnie générale de vidéocommunication (CGV), qui gère les réseaux par l'intermédiaire de sociétés en nom collectif à compétence régionale dites Téléservice. La CGV a acquis le contrôle de l'ensemble de cette branche d'activité lorsqu'elle est devenue en mai 1988 actionnaire à 75 p. 100 de la société Région Câble créée en septembre 1986 pour exploiter les réseaux câblés de la région Nord Pas-de-Calais. Le nombre des réseaux gérés par les sociétés Téléservice et par Région Câble est passé de 32 en août 1989 à 48 en septembre 1990 et 55 en septembre 1991. Le nombre des abonnés ayant signé des contrats individuels était de 70 332 en août 1989, 135 705 en septembre 1990 et 204 336 en septembre 1991. En septembre 1990, les réseaux exploités par la CGV comportaient 1 073 719 prises raccordables sur un total de 2 408 866. Son chiffre d'affaires de l'exercice 1990 a été de 152 900 000 F.

Le groupe de la Caisse des dépôts et consignations a créé une société anonyme, Communication Développement (CD), qui a ellemême créé, pour gérer les réseaux, des filiales locales sous la forme de sociétés anonymes. Le nombre de réseaux exploités par des filiales de CD est passé de 9 en août 1989 à 25 en septembre 1990, puis 39 en septembre 1991. Le nombre des abonnés ayant signé des contrats individuels était de 46 505 en août 1989, 51 292 en septembre 1990 et 79 216 en septembre 1991.

Au sein du groupe de la Lyonnaise des eaux-Dumez, les réseaux sont gérés localement par des agences sans personnalité morale qui dépendent d'une société en nom collectif, Lyonnaise Communications (LC). Le réseau de Paris, comptant 22 445 abonnés en août 1989 et environ 50 000 en septembre 1990, est exploité par la société d'économie mixte locale Paris TV Câble dont LC détient 59 p. 100 du capital, le surplus étant réparti entre la ville de Paris (30 p. 100) et CD (11 p. 100). Le nombre total de réseaux gérés par LC, directement ou indirectement, n'a guère varié entre août 1989 et septembre 1991, passant de 8 à 11 ; les abonnés ayant signé des contrats individuels étaient au nombre de 43 072 en août 1989, 78 739 en septembre 1990 et 115 039 en septembre 1991.

Le réseau câblé de Bordeaux présente la particularité d'être exploité par une société dont le capital est réparti entre la Compagnie financière de Montenay filiale de la Compagnie générale des eaux (38 p. 100), LC (38 p. 100) et CD (18 p. 100). II comptait 1 740 abonnés ayant signé un contrat individuel en août 1989, 4 972 en septembre 1990 et 8 563 en septembre 1991.

Au cours de réunions périodiques entre des responsables de CGV, de CD et de LC, sont notamment évoqués les rapports avec les pouvoirs publics, l'information des abonnés sur les programmes, la technologie à privilégier s'agissant des programmes à conditions d'accès.

Les filiales de la Compagnie générale des eaux, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Lyonnaise des eaux-Dumez ne sont pas seules à gérer les réseaux. Interviennent en qualité de câblo-opérateurs France Télécom, qui a pris en charge l'exploitation commerciale du réseau qui dessert Biarritz, Anglet et Bayonne, Electricité de France et Télédiffusion de France, qui exploitent le réseau d'Audun-le-Tiche, des sociétés à capitaux majoritairement, mais non exclusivement, publics (quatre comptant 13 670 abonnés en août 1989 et six comptant 23 278 abonnés ayant signé un contrat individuel en septembre 1990) et les sociétés Citécâble, Eurocâble, Réseaux câblés de France et la Société régionale de communication, qui exploitaient six réseaux comptant 1 751 abonnés individuels en août 1989, onze réseaux comptant 24 084 abonnés en septembre 1990 et vingt et un réseaux comptant 45 683 abonnés en septembre 1991.

B. Les programmes thématiques francophones réservés au câble

Les réseaux comportaient, à l'origine, un minimum de quinze canaux, sur lesquels les exploitants de réseaux se sont efforcés de proposer les programmes les mieux à même de susciter la décision d'abonnement et de fidéliser les abonnés.

Les exploitants ont tout d'abord disposé des programmes diffusés par voie hertzienne terrestre et par satellite, qui, ou bien ne sont pas réservés à la distribution par câble, ou bien ont vocation à une diffusion internationale.

Dès 1985, alors même que l'exploitation des réseaux n'avait pas commencé, sont apparus des projets de programmes thématiques francophones destinés à n'être diffusés que sur les réseaux câblés. Les initiateurs de ces projets pensaient que la reprise sur les réseaux câblés des différents programmes diffusés, par ailleurs, par voie hertzienne terrestre ou par satellite était nécessaire, mais pas suffisante, pour rendre le câble compétitif avec les autres modes de télédistribution. Le groupe Hachette a ainsi créé un programme destiné au public des moins de treize ans baptisé Canal J ; à la fin de la même année, la SARL TV Mondes s'est constituée, avec pour objet la réalisation à partir de productions cinématographiques et documentaires du tiers monde ou ayant trait au tiers monde, d'un programme destiné aux réseaux câblés sur le thème des cultures différentes du monde.

1. Les programmes édités par des filiales des groupes câbloopérateurs

A partir de 1987, des filiales ont été chargées, au sein des groupes de la Compagnie générale des eaux, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Lyonnaise des eaux-Dumez, d'éditer des programmes en vue d'alimenter les plans de service des réseaux dont d'autres filiales des mêmes groupes prenaient par ailleurs en charge l'exploitation. Le moyen utilisé a consisté en des prises de participation dans des sociétés éditrices de programmes existants ou en la création de programmes nouveaux.

En 1987-1988, la création ou la reprise, à l'initiative des groupes ayant une activité de câblo-opérateur, de programmes destinés au câble s'est faite en partenariat, soit avec d'autres groupes ayant la même activité, soit avec des intervenants étrangers au câble, mais ayant des compétences en matière de télévision.

La Générale d'images, filiale de la Compagnie générale des eaux, a tout d'abord créé avec le groupe britannique WH Smith, en septembre 1987, pour éditer un programme sur le thème du sport, une société TV Sports dont le capital a été réparti entre les deux initiateurs du projet (42 p. 100 chacun), avec une participation de 10 p. 100 de la société CD à laquelle a bientôt succédé sa filiale Sinedi, créée pour prendre en charge l'activité d'édition de programmes. Une convention comportant un accord type annexé a été signée avec la CGV en vue de la diffusion du programme de TV Sport sur les réseaux dépendant de cette société. Le programme est également largement diffusé sur les réseaux qui dépendent de LC et de CD, en exécution de contrats dont les clauses sont très semblables à celles du contrat conclu avec CGV

Le 28 janvier 1988, un accord est intervenu entre le groupe Europe 1 d'une part, les sociétés CD, LC et Générale d'images d'autre part, en vue d'une participation à la société éditrice du programme Canal J, à raison de 34 p. 100 pour Europe 1 communications, 34 p. 100 pour CD puis sa filiale Sinedi, 16 p. 100 pour LC et 10 p. 100 pour Générale d'images ; CD a quatre des dix sièges du conseil d'administration et la présidence de la société.

Le même jour, les sociétés CD, LC et Compagnie générale des eaux (division Télédistribution) ont passé avec la société Canal J une convention prévoyant la reprise du programme Canal J par les réseaux câblés présents et futurs gérés directement ou indirectement par elles, conformément aux clauses d'un contrat type annexé à la convention. En exécution de cet accord, ce programme a été repris par l'ensemble des réseaux des trois plus importants câblo-opérateurs, au fur et à mesure de leur mise en exploitation commerciale. Il a en outre été acheté par les exploitants de la plupart des autres réseaux et est aujourd'hui le programme thématique le plus diffusé par câble.

CD édite, en association avec LC et l'Agence FrancePresse, un programme vidéographique d'information " Canal Info ", établi à partir des dépêches de l'Agence France-Presse ; le capital de la Société de production et de diffusion vidéographique, constituée en vue de l'édition de ce programme, est aujourd'hui détenu par Sinedi (43,75 p. 100), LC et l'Agence France-Presse (25 p. 100 chacun).

En 1988-1989, chaque groupe câblo-opérateur a créé des chaînes réservées à ses propres réseaux.

La Générale d'images a créé, à la fin de 1988, les chaînes Planète (faite de magazines, de reportages et de documentaires réalisés dans des pays francophones), CinéCinema (programme à conditions d'accès avec une version librement accessible, CinéSpectacle) et Canal bis, compose de modules vidéographiques sur la météorologie, l'astrologie, la bourse ou les programmes du câble. Ces trois programmes ont été aussitôt diffusés sur les réseaux dépendant de la CGV, sur une note de son directeur transmettant le 22 février 1989 aux présidents et gérants des sociétés Télé-service les contrats types correspondants.

LC édite Paris-Première, destinée aux réseaux de la région parisienne, composée de spectacles, d'œuvres cinématographiques et d'émissions-magazines sur Paris et, depuis décembre 1988, Ciné Folies, dont les programmes sont faits de cinéma, de sport, et d'émissions de divertissement.

A partir de l'été 1989, les trois groupes sont revenus à une politique de partenariat.

L'évolution en ce sens a commencé, le 21 juillet 1989, par la signature par la Générale d'images et CD d'une convention aux termes de laquelle CD s'engageait à faire inscrire le programme Planète dans les plans de service des réseaux actuellement ou ultérieurement gérés par elle, conformément aux stipulations d'un contrat type annexé à la convention. Puis un accord de principe est intervenu en mars 1990 entre la Générale d'images, Sinedi et Canal Plus, auxquels LC s'est jointe en décembre 1990. En application de cet accord, le programme Ciné-Cinéma est désormais édité par une société dont le capital est réparti entre la Générale d'images (30 p. 100), Canal Plus (30 p. 100), Sinedi (20 p. 100) et LC (20 p. 100), et le programme Planète par une société dont le capital est réparti entre la Générale d'images (35 p. 100), Canal Plus (35 p. 100), Sinedi (17 p. 100) et LC (13 p. 100).

2. Les clauses d'exclusivité contenues dans les contrats de distribution de certains programmes thématiques réservés au câble

L'examen du dispositif contractuel en exécution duquel sont diffusés les programmes thématiques francophones a révélé que plusieurs d'entre eux bénéficient d'une exclusivité sur les réseaux.

Le contrat type de diffusion de la chaîne Canal J, annexé à la convention du 28 janvier 1988 par laquelle CD, LC et la Compagnie générale des eaux se sont engagées à reprendre le programme Canal J sur leurs réseaux respectifs, comporte une clause aux termes de laquelle les exploitants de réseau réservent à Canal J l'exclusivité de la distribution d'une chaîne principalement destinée au public enfants-jeunesse sur son service de base.

Les contrats types de diffusion des chaînes Planète, Ciné-Cinéma et Canal bis comportent une clause semblable à celle qui se trouve dans le contrat de Canal J, à ces différences près que l'exclusivité vaut pour l'ensemble du plan de service, sans distinction entre le service de base et le service optionnel, et qu'elle est assortie de la faculté pour l'éditeur de s'opposer pendant six mois à la reprise, sur les réseaux diffusant l'une de ses chaînes, de toute autre chaîne dont les programmes auraient, au moins pour partie, un contenu proche.

Ces clauses ne suscitent pas un accord unanime : les représentants des sociétés Lyonnaise Communications et Paris TV Câble se sont, lors de leurs auditions, affirmés hostiles à leur maintien dans les contrats qui les lient à la société Canal J ; le directeur général de la société TV Sport n'a nullement regretté, lors de son audition, que le programme qu'il édite ne bénéficie d'aucune exclusivité sur les réseaux qui le diffusent. 3. L'impossibilité pour TV Mondes d'accéder aux réseaux Avant 1987, année de mise en exploitation des premiers réseaux (dont celui de Paris), TV Mondes, qui avait besoin de temps pour constituer un fonds de programmes, ne pouvait développer une activité commerciale. En 1987, tout en continuant sa recherche de programmes dans divers pays, elle a pris contact avec les filiales exploitantes de réseaux de la Compagnie générale des eaux, de la Lyonnaise des eaux et de la Caisse des dépôts et consignations.

Après négociations avec la division télédistribution de la Compagnie générale des eaux, TV Mondes a signé le 12 décembre 1988 avec la société Téléservice Languedoc-Roussillon un accord prévoyant la diffusion de son programme à titre expérimental et gratuit pendant trois mois sur le réseau de Montpellier. Durant cette expérience, TV Mondes a diffusé, chaque jour, pendant cinq ou six heures réparties entre matinée et soirée avec une interruption dans l'après-midi, cependant que Canal J, Planète et TV Sport diffusaient en continu, respectivement dix à douze heures, quinze heures et neuf heures. TV Mondes proposait onze heures de programmes nouveaux chaque semaine, Planète, quinze heures, Canal J, dix heures.

Durant cette période, et profitant de ce que la technologie du réseau de Montpellier permet de connaître, à tout moment, le programme choisi par chacun des 3 800 abonnés que comptait le réseau à l'époque, le Centre national d'étude des télécommunications (CNET), dépendant de France Télécom, a effectué du 12 décembre 1988 au 13 mars 1989 une mesure de l'audience de TV Mondes et des autres chaînes thématiques francophones. De cette étude, il ressort d'une part que l'audience moyenne de TV Mondes en matinée, mesurée par le ratio " nombre moyen de foyers d'abonnés regardant la chaîne/nombre moyen de foyers d'abonnés regardant la télévision ", s'est établie à 1,73 p. 100, très en deçà de l'audience moyenne de la seule chaîne thématique francophone diffusée au même moment, Canal J, qui s'établissait à 10,04 p. 100, d'autre part que l'audience moyenne de TV Mondes de 20 h 30 à 0 h 30 était de 0,80 p. 100, la moitié de celle de Planète (1,6 p. 100), mais proche de celle de TV Sport (1,17 p. 100, ramenée à 0,78 p. 100 si on exclut le lundi, jour où l'audience de cette chaîne est particulièrement élevée).

Les programmes de TV Mondes ont été en outre diffusés, également au cours du premier trimestre de 1989, par le réseau de MassyPalaiseau, dans l'Essonne, et par le réseau de Villeurbanne, dans le Rhône. Cette diffusion est intervenue gratuitement, pendant une période de test du bon fonctionnement des installations, avant le début de l'exploitation commerciale et sans qu'aucune convention ait été passée avec l'opérateur technique (France Télécom) ou avec l'opérateur commercial (dans les deux cas, des filiales de CGV) ; elle n'a donné lieu à aucune mesure d'audience.

A l'issue de ces diffusions expérimentales, CGV a proposé à TV Mondes de reprendre son programme sur ses réseaux à la fin de 1990, au tarif de 1,50 F (HT) par abonné et par mois. A titre de comparaison, le taux de base de rémunération des programmes thématiques Canal J, TV Sport et Planète, diffusés par les réseaux câblés en exécution de contrats écrits, était pour ces trois programmes en janvier 1989 de 6 F (HT) par abonné et par mois, et le taux de rémunération du programme vidéographique Canal bis de 3 F (HT) par abonné et par mois. Ces derniers taux ont été calculés en fonction des charges des chaînes, de telle sorte que celles-ci puissent envisager un équilibre d'exploitation à partir de 500 000 abonnés. TV Mondes n'a pas accepté la proposition qui lui était faite, laissant entendre qu'elle s'accommoderait d'un tarif de 3 F (HT) par abonné et par mois ; cette contre-proposition n'a pas été retenue par le câbloopérateur et les négociations se sont interrompues.

Le 2 mars 1989, LC a donné son accord de principe pour la diffusion du programme de TV Mondes, pendant trois mois et gratuitement, par les réseaux de Paris, BoulogneBillancourt, Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret, mais TV Mondes, incapable de supporter les frais de cette nouvelle diffusion à l'essai, y a renoncé.

Enfin, le 11 avril 1989, une convention a été passée entre TV Mondes et la société Lorraine Citévision, exploitante du réseau de Saint-Avold, filiale de CD. Cette convention, qui avait été négociée directement avec CD, prévoyait la diffusion des programmes de TV Mondes pendant trois ans, moyennant le versement à la chaîne de 6 F par abonné et par mois. La convention est restée lettre morte, TV Mondes estimant ne pas pouvoir assumer la charge de programmes qui ne seraient diffusés que sur un seul réseau de dimension restreinte.

II. A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Sur la procédure :

En ce qui concerne l'étendue de la saisine :

Considérant que la société TV Mondes a demandé au Conseil d'examiner le fonctionnement du marché du câble, décrit comme celui où se confrontent l'offre de programmes thématiques francophones et les besoins des exploitants de réseaux câblés, et suggéré la qualification au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 de certaines pratiques qu'elle impute à des opérateurs intervenant sur ce marché en qualité d'exploitant de réseaux ou d'éditeur de programmes ; que, saisi dans ces conditions, le Conseil, qui n'instruit pas une plainte et qui n'est lié ni par les faits énoncés par l'acte de saisine ni par les qualifications proposées, peut, sans avoir à se saisir d'office, examiner, et, le cas échéant, qualifier au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance susvisée, toute pratique intéressant le fonctionnement du marché considéré, révélée lors des investigations auxquelles il a été procédé à la suite de la saisine ; que le Conseil peut, en particulier, qualifier au regard de l'article 7 de l'ordonnance susvisée, l'introduction, dans les contrats de diffusion de certains programmes thématiques francophones d'une clause reconnaissant une exclusivité thématique au profit de l'éditeur ;

En ce qui concerne la régularité des auditions :

Considérant qu'aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou de son décret d'application du 29 décembre 1986 ne fait obligation au rapporteur qui procède à une audition de détailler, dans la convocation, les questions particulières qui seront posées à la personne entendue ; que celle-ci doit seulement être avisée du cadre général dans lequel se situe son audition ; que les convocations adressées au directeur des activités de programmes de la société Lyonnaise Communications et au directeur général de Paris TV Câble précisaient qu'il était procédé à leur audition à la suite d'une saisine de la société TV Mondes mettant en cause des pratiques des sociétés Compagnie générale des eaux, Communication Développement et Lyonnaise Communications, elles-mêmes ou par l'intermédiaire de leurs filiales ; qu'ainsi les intéressés ont été avisés du contexte dans lequel se situait leur audition ; que les sociétés Lyonnaise Communications et Paris TV Câble ne sont dès lors pas fondées à demander qu'il ne soit pas tenu compte des déclarations recueillies au cours de ces deux auditions, concernant notamment les clauses d'exclusivité thématique contenues dans les contrats de diffusion de certains programmes thématiques ;

Sur le marché soumis à examen :

Considérant que le marché à prendre en considération est celui où se confrontent l'offre de programmes thématiques francophones et une demande, exprimée par les exploitants des réseaux câblés de télédistribution établis en France ; que ce marché est distinct du marché, situé en amont, des concessions d'exploitation des réseaux, et du marché, situé en aval, sur lequel les plans de service sont commercialisés auprès des abonnés ;

Sur l'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

En ce qui concerne l'entente alléguée entre les exploitants de réseaux et les éditeurs de programmes liés à la Compagnie générale des eaux, à la Caisse des dépôts et consignations et à la Lyonnaise des eaux-Dumez :

Considérant que la position d'exploitant de réseau qu'occupent les filiales correspondantes de la Compagnie générale des eaux, de la société Lyonnaise des eaux-Dumez et de la Caisse des dépôts et consignations leur confère une situation privilégiée quant au choix des programmes thématiques appelés à être diffusés respectivement par chacun de leurs réseaux ; qu'il en va d'autant plus ainsi que ces mêmes exploitants ont créé des sociétés communes de production destinées à alimenter les réseaux câblés ; qu'ils sont dès lors en mesure d'exercer une influence sur le fonctionnement du marché ci-avant défini ;

Mais considérant que ces seules constatations ne sont pas suffisantes, en l'état du dossier et à défaut d'autres éléments de preuve, pour établir l'existence d'une entente entre les exploitants de réseaux tendant à éliminer les éditeurs indépendants du marché des programmes thématiques, alors d'ailleurs qu'aucune disposition législative ne fait obstacle au cumul des fonctions d'exploitant de réseau et d'éditeur de programmes ;

En ce qui concerne l'exclusivité thématique reconnue à certains programmes :

Considérant qu'il résulte des constatations consignées au I de la présente décision que le contrat type de diffusion de la chaîne Canal J, auquel sont conformes les contrats de diffusion de cette chaîne sur les réseaux, comporte une clause aux termes de laquelle l'exploitant du réseau réserve à Canal J l'exclusivité de la distribution d'une chaîne principalement destinée au public enfants-jeunesse sur la partie du plan de service accessible à tous les abonnés ; que les contrats types de diffusion des chaînes Planète, Ciné-Cinéma et Canal bis, auxquels sont conformes les contrats de diffusion de ces chaînes par les réseaux, comportent une clause semblable à celle qui se trouve dans le contrat de Canal J, l'exclusivité valant pour l'ensemble du plan de service, sans distinction entre la partie accessible à tous et la partie optionnelle, et étant assortie de la faculté pour l'éditeur du programme de s'opposer pendant six mois à la reprise de toute nouvelle chaîne dont les programmes auraient, au moins pour partie, un contenu proche ; que de telles clauses ont au moins potentiellement pour effet d'interdire ou de limiter l'accès au marché d'éditeurs concurrents proposant aux réseaux des programmes ayant un thème proche de ceux bénéficiant de l'exclusivité ;

Considérant que les éditeurs bénéficiaires de ces clauses font valoir qu'elles sont à l'origine d'un progrès économique au sens de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la mise en œuvre d'un nouveau mode de distribution de programmes de télévision ouvrant une perspective d'enrichissement de l'offre et l'existence d'une offre de programmes thématiques francophones réservés au câble sont des facteurs de développement de ce mode de télédistribution ; qu'elles peuvent, dans cette mesure, être assimilées à des éléments de progrès économique ;

Mais considérant que les programmes bénéficiaires de l'exclusivité sont rémunérés en fonction du nombre d'abonnés des réseaux qui les diffusent ; que, s'agissant d'émissions destinées à la jeunesse, de documentaires, de productions cinématographiques et d'informations vidéographiques, c'est-à-dire de thèmes qui, tous, intéressent des publics variés, il n'apparaît pas que le risque de diminution des abonnements pouvant résulter de la coexistence, dans un plan de service, de programmes ayant le même thème, soit si important qu'il ne puisse être laissé à l'appréciation de l'exploitant du réseau, dont les recettes dépendent également du nombre des abonnements ; que les allégations des éditeurs sur ce point ne sont assorties d'aucun commencement de preuve ; que, dès lors, il ne peut être soutenu que l'existence des clauses d'exclusivité est indispensable pour atteindre l'objectif de progrès considéré, condition posée par l'article 10 susmentionné ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les clauses d'exclusivité susanalysées tombent sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et, dès lors qu'elles sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres de la Communauté économique européenne en faisant obstacle à la diffusion en France de programmes édités à partir des autres Etats, sous le coup des dispositions du premier paragraphe de l'article 85 du traité de Rome ; qu'elles ne trouvent pas de justification dans les dispositions du 2° de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il y a lieu, en application des dispositions du premier alinéa de I'article 13 de l'ordonnance, d'enjoindre, aux exploitants de réseaux et aux éditeurs de programmes de mettre fin à cette pratique contractuelle ;

Sur l'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'il résulte des constatations consignées dans la partie I de la présente décision que le principe et les modalités de la diffusion des programmes thématiques francophones par les réseaux dépendant de la Compagnie générale de vidéocommunication, de Communication Développement et de Lyonnaise Communications sont en fait déterminés par ces trois sociétés ; qu'ainsi, chacune d'elles doit être regardée comme détenant une puissance d'achat mesurable par le rapport entre le nombre d'abonnements aux réseaux qui dépendent d'elle et le nombre total des abonnements ;

Considérant qu'il n'est pas établi que ces sociétés aient entre elles des liens financiers ou commerciaux qui puissent les faire considérer comme un groupe d'entreprises ayant ensemble une position dominante sur le marché ; qu'il ressort d'ailleurs des pièces du dossier qu'elles ont adopté des positions différentes dans leurs rapports avec la société TV Mondes ;

Mais considérant que, dès 1989, la Compagnie générale de vidéocommunication a géré, par l'intermédiaire des sociétés Téléservice et de Région Câble, environ 40 p. 100 des abonnements aux réseaux câblés, alors qu'à la même époque l'ensemble formé par Paris TV Câble et Lyonnaise Communications n'en gérait que 26 p. 100 et Communication Développement 24 p. 100 ; qu'en septembre 1990, les pourcentages correspondants étant de 42,37 p. 100 et 16,01 p. 100, la puissance d'achat de la filiale de la Compagnie générale des eaux, qui, en outre, disposait de 45 p. 100 des prises raccordables, était devenue équivalente à la somme de celles de Communication Développement, Paris TV Câble et Lyonnaise Communications ; que, dans ces conditions,la diffusion par les réseaux exploités par la Compagnie générale de vidéocommunication est, pour un éditeur de programmes, sans équivalent sur le marché, et commande la continuation de son activité ; que,compte tenu des caractères spécifiques de ce marché, les conditions d'une situation de dépendance économique des éditeurs, et en particulier de TV Mondes, vis-à-vis de la Compagnie générale de vidéocommunication sont réunies ;

Considérant que la Compagnie générale de vidéocommunication a proposé à TV Mondes, en vue d'une diffusion de son programme, un taux de rémunération aux trois quarts inférieur à celui que ce câblo-opérateur verse habituellement aux éditeurs de programmes thématiques francophones ; que les caractéristiques quantitatives de la programmation de TV Mondes ne sont pas de nature, à elles seules, à justifier une telle différence de traitement ; que,si la Compagnie générale de vidéocommunication allègue que le programme présente un faible intérêt commercial, elle n'apporte aucun élément propre à corroborer cette allégation ; qu'au contraire les mesures d'audience effectuées sur le réseau de Montpellier font apparaître que l'audience du programme de TV Mondes n'est pas notablement inférieure à celle des programmes TV Sport et Planète ; que,dans ces conditions, la Compagnie générale de vidéocommunication doit être regardée comme ayant réservé à TV Mondes un traitement commercial discriminatoire, présentant le caractère d'un abus, prohibé par l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve cette société ; qu'il y a lieu de faire application de l'article 13 de l'ordonnance et d'infliger à la Compagnie générale de vidéocommunication une sanction pécuniaire en tenant compte à la fois des conséquences de cette pratique sur le marché et de la capacité financière de l'entreprise ;

Considérant enfin que, par l'article 17 de la loi n° L. 90-1170 du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications, l'article 34 de la loi susvisée du 30 septembre 1986 a été complété par un 4° qui ajoute aux obligations qui peuvent être imposées aux exploitants de réseau celle de distribuer " un nombre minimal de programmes édités par des personnes morales indépendantes de l'exploitant effectif du réseau " ; qu'il y aura lieu de procéder, dans un délai de deux ans, à un nouvel examen de la situation du marché, à la lumière des prescriptions de la présente décision et des dispositions législatives précitées,

Décide :

Art. 1er - Il est enjoint aux sociétés Canal J, Générale d'images, Planète, Ciné-Cinéma, Compagnie générale de vidéocommunication, Communication Développement, Lyonnaise Communications, Paris TV Câble, Réseaux câblés de France, Société régionale de communication et à l'exploitant public France Télécom, substitué à l'Etat, de supprimer, dans un délai maximum de six mois, les clauses d'exclusivité thématique figurant dans les contrats de diffusion des programmes Canal J, Planète, CinéCinéma et Canal bis, et de cesser d'adopter de telles clauses à l'avenir.

Art. 2. - II est infligé à la Compagnie générale de vidéocommunication une sanction pécuniaire d'un montant de 1 000 000 F.

Art. 3. - A l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la notification de la présente décision, il sera fait rapport au Conseil par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur le fonctionnement du secteur de la distribution par câble des programmes de télévision.