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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 30 juin 1994, n° ECOC9410129X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Économie

Défendeur :

Canon Photo Video France (SA), Fuji Film France (SA), Nikon France (SA), Polaroïd France (SA), Minolta France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Mandel, M. Cailliau

Avoués :

SCP Bommart Forster, SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Taze Bernard, Belfayol Broquet, SCP Bollet Baskal

Avocats :

Mes Levita, Trouvin, Henriot-Bellargent, Karsenty, Bureau Francis Lefebvre

CA Paris n° ECOC9410129X

30 juin 1994

A la suite d'une enquête administrative ayant révélé que les sociétés Canon Photo Vidéo France SA, Nikon France SA, Minolta France SA, Fuji Film France et Polaroïd France limitaient la commercialisation des pièces détachées nécessaires à la réparation des appareils de leur marque, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence qui, par décision n° 93-D-36 du 28 septembre 1993, a :

- estimé que ces limitations pouvaient être justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d'un service après-vente de qualité ;

- mais a enjoint à la société Canon de modifier dans les contrats par elle conclus avec ses réparateurs agréés la clause d'exclusivité territoriale qu'ils comportaient.

Le ministre de l'Economie poursuit la réformation de cette décision en demandant de dire que les restrictions de concurrence provenant des cinq sociétés susvisées ne sont pas justifiées et constituent un abus de position dominante contraire à l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Formant un recours incident, la société Canon demande d'annuler la procédure suivie à son encontre et de la décharger de la condamnation dont elle fait l'objet.

Contestant le grief d'abus de position dominante invoqué à leur encontre, les sociétés Nikon, Minolta, Fuji et Polaroïd concluent au rejet du recours exercé par le ministre, les sociétés Minolta et Polaroïd sollicitant respectivement une indemnité de 20 000 F et de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Lors des débats, le représentant du ministère public a présenté des observations tendant à l'admission du recours.

Sur ce, LA COUR :

Sur la procédure :

Considérant que la société Canon soulève la nullité de la procédure suivie à son encontre en faisant valoir :

- que le Conseil de la concurrence a procédé le 5 juillet 1992 à une nouvelle notification de griefs sans qu'il y ait eu de nouvelle saisine ;

- qu'un procès-verbal entaché de nullité ne pouvait être utilisé ;

- qu'aucune des pièces sur lesquelles se fondait le rapport n'a été jointe ;

- que les griefs retenus à sa charge n'étaient pas précisés ;

Mais considérant que la requérante avait déjà soulevé les mêmes moyens devant le Conseil de la concurrence qui a exactement relevé, ainsi qu'il ressort des pièces versées aux débats :

- que la deuxième notification de griefs ne contenait aucun grief différent et que les parties ont bénéficié d'un nouveau délai de deux mois pour présenter leurs observations conformément aux dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que le procès-verbal d'audition du directeur général de la société Canon, dont la régularité n'est pas contestée, s'est substitué aux déclarations du secrétaire général de cette société ;

- que l'ensemble des annexes du rapport ont été envoyées aux parties qui ont disposé d'un délai supplémentaire de deux mois à compter de cet envoi pour déposer leurs observations écrites ;

- qu'enfin il était précisé à la page 19 du rapport que la clause d'exclusivité du contrat d'agrégation Canon était contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la société Canon reconnaît d'ailleurs elle-même dans ses conclusions que les irrégularités dénoncées ont été réparées et que, les nullités invoquées ayant été " purgées ", elle n'a plus la possibilité de les soulever devant la cour ;

Que, dès lors, son recours ne saurait être accueilli ;

Au fond :

Considérant que les sociétés poursuivies contestent le grief d'abus de position dominante formé à leur encontre, en faisant valoir en premier lieu qu'elles ne détiennent pas de position dominante sur le marché de la vente des appareils photographiques ainsi qu'il ressort des parts de marché relevées dans la décision déférée ;

Mais considérant que les pratiques restrictives qui leur sont reprochées concernent le marché plus spécifique de la réparation des appareils photographiques et de la vente des pièces détachées nécessaires à cet effet ;

Considérant que c'est à tort que les sociétés poursuivies prétendent que ce marché ne constituerait qu'un service après-vente ne pouvant être détaché du marché de la vente, dès lors que la réparation répond à une demande distincte des possesseurs d'appareils qui doivent pouvoir s'adresser à d'autres réparateurs qu'au vendeur initial ;

Considérant par ailleurs que pour être en mesure d'effectuer leur travail, les réparateurs doivent pouvoir se procurer les pièces de chaque marque d'appareils et que, celles-ci n'étant pas interchangeables, chacune des sociétés poursuivies détient sur la vente des pièces détachées de sa propre marque une position dominante ;

Considérant que les sociétés poursuivies contestent en second lieu avoir commis un quelconque abus de cette position, en faisant valoir que si elles s'opposent effectivement à la commercialisation des pièces détachées nécessaires à la réparation des appareils de leurs marques, ce refus se trouve justifié par le souci d'assurer un service après-vente de qualité ;

Mais considérant que cette nécessité n'est nullement démontrée, dès lors qu'il est constant que les réparations d'appareils d'autres marques d'une technicité équivalente (Pentax, Konica, Leica par exemple) sont effectuées par des réparateurs indépendants et alors surtout que les sociétés poursuivies elles-mêmes ne contestent pas devoir, en cas de demandes trop nombreuses, sous-traiter à des réparateurs indépendants les travaux que leurs propres ateliers ne peuvent assurer ;

Considérant par ailleurs que c'est en vain qu'elles font état du coût des installations requises pour les réparateurs indépendants, dès lors que c'est à ceux-ci qu'il incombe d'apprécier s'ils souhaitent ou non procéder aux investissements nécessaires et que le refus revendiqué de satisfaire à leurs demandes éventuelles constitue un abus de position dominante caractérisé ;

Considérant enfin que si la société Canon a pu licitement mettre en place un réseau de réparateurs agréés, c'est à juste titre que la décision déférée lui a enjoint de supprimer de ses contrats d'agréation la clause suivante : " Si des clients hors secteur lui adressaient du matériel à réparer, l'atelier agréé Canon devrait en référer à Canon Photo Vidéo France SA afin de connaître la suite à donner à ces envois " ;

Qu'en effet, si un réparateur agréé ne peut exercer son activité à l'extérieur du secteur concédé, il ne saurait lui être simultanément interdit de réparer des appareils reçus de clients ne résidant pas dans sa zone d'exclusivité ;

Que d'ailleurs la société Canon ne conteste pas le caractère abusif de la clause incriminée, en exposant qu'elle ne l'a pas étendue à ses nouveaux réparateurs ;

Considérant qu'il convient en conséquence de déclarer le ministre de l'Economie bien fondé en son recours et de faire injonction aux sociétés poursuivies, en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de mettre un terme à leur refus de principe de livrer les pièces nécessaires à la réparation de leurs appareils ;

Que toutefois cette injonction ne saurait être étendue à la société Canon, dès lors que la licéité de son réseau de réparateurs agréés a été admise par le ministre de l'économie sous réserve de la modification de la clause susvisée ;

Considérant que les sociétés Minolta et Polaroïd succombant en leurs prétentions, il n'y a pas lieu de faire droit à leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Déclare le ministre de l'économie bien fondé en son recours ; Enjoint aux sociétés Nikon France SA, Minolta France SA, Fuji Film France SA et Polaroïd France de ne pas s'opposer à l'avenir à la livraison de pièces détachées d'appareils de leurs marques qui leur seraient demandées par des réparateurs indépendants ; Rejette le recours de la société Canon Photo Vidéo France SA contre la décision déférée en ce qu'elle lui a enjoint de supprimer la clause figurant à l'article 2-2 des contrats par elle conclus avec ses réparateurs agréés ; Rejette les demandes présentées par les sociétés Minolta et Polaroïd sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Canon, Nikon, Minolta, Fuji et Polaroïd aux dépens.