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Décisions

Cass. com., 5 mars 1996, n° 94-17.778

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Total Réunion Comores (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Économie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Rouvière, Boutet, SCP Piwnica, Molinié, Mes Ricard, Roué-Villeneuve

Cass. com. n° 94-17.778

5 mars 1996

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 1994) qu'en 1975, la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion (CCIR) a conclu une convention avec les sociétés Elf Antar France (société Elf) et Total Réunion Comores (société Total) relative à l'installation d'un dépôt de carburant et de lubrifiants et d'un réseau de distribution pour l'avitaillement en carburant des aéronefs sur l'aéroport de Saint-Denis-Gillot de la Réunion ; que, par cette convention, le droit d'occupation d'une partie de cet aéroport en vue de l'installation et de l'exploitation de ces dépôts et réseaux a été concédé pour une durée de trente ans à ces deux sociétés par la CCIR ; que cette dernière s'est engagée à n'octroyer aucune autre occupation du domaine public, mais s'est réservée la faculté, après agrément du ministre chargé de l'aviation civile, d'autoriser d'autres sociétés exerçant les mêmes activités à utiliser les installations existantes ; que les sociétés Elf et Total ont constitué deux groupements d'intérêt économique (GIE) pour la mise en œuvre des moyens permettant l'exploitation des opérations de " mise à bord " des carburants ; qu'il était prévu que les tiers autorisés à utiliser les installations de ces deux GIE se verraient appliquer, aux termes de l'article 12 de la convention, un tarif spécial déterminé à partir d'une formule paramétrique incluant des frais fixes d'exploitation et d'amortissement des installations, ainsi qu'une majoration égale à 5 % du prix affiché correspondant à la lettre " c " de cette formule ; qu'en outre un délai d'attente de trois ans était prévu pour les " passeurs " ; qu'entre 1988 et 1990 la société Esso a demandé à plusieurs reprises, tant à la CCIR qu'aux sociétés Elf et Total, d'avoir accès aux installations soit à titre de passeur, soit à titre de membre des GIE ; que, le 26 mars 1990, la CCIR a informé la société Esso qu'elle n'entendait pas modifier la Convention mais qu'elle lui laissait le soin de " négocier " avec les deux sociétés le montant de la formule paramétrique ; que la société Esso ayant saisi en 1991 le Conseil de la concurrence, la CCIR a invité, le 30 octobre 1991, le GIE ayant pour objet l'exploitation des installations de l'aéroport de Saint-Denis-Gillot, à examiner les conditions techniques et financières d'un accord de partenariat avec la société Esso ; qu'aucune suite n'ayant été donnée à cette invitation, le Conseil de la concurrence, après avoir notifié ses griefs aux sociétés Elf et Total, et ayant estimé que les manœuvres " dilatoires " des membres du GIE pour modifier le paramètre " c " étaient constitutives d'ententes et d'abus de position dominante au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a infligé à chacune des deux entreprises une sanction pécuniaire de 7 millions de francs ;

Sur les premiers moyens des pourvois n° 94-17.699 et n° 94-17.778, pris en leurs deux branches ; - Les moyens, tels qu'ils figurent en annexe, étant réunis ; - Attendu que par ces moyens pris d'une violation des articles 1er et suivants de la loi des 16-24 août 1970, du décret du 16 fructidor an III, des articles R. 223-2, R. 223-3 du Code de l'aviation civile, 7, 8, 9, 19 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sociétés Total et Elf font grief à l'arrêt d'avoir méconnu le principe de la séparation des pouvoirs en déclarant que le Conseil de la concurrence était compétent pour connaître de la licéité des clauses du contrat de concession de service public intervenu entre ces sociétés et la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion et d'avoir en violation des articles 4 et 12 du nouveau Code de procédure civile, dénaturé le litige en énonçant que celui-ci portait sur des pratiques indépendantes des modalités d'organisation de ce service public ;

Mais attendu que la cour d'appel après avoir constaté que le Conseil de la concurrence s'était prononcé sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Total et Elf pour empêcher la société Esso d'exercer des activités de distribution de carburéacteur sur l'aéroport de Saint-Denis-Gillot à la Réunion, le grief notifié à ces sociétés ne portant pas sur les modalités d'organisation du service public mais sur le refus tacite opposé à la société Esso Réunion de négocier la valeur du paramètre " c " contenu dans la formule du taux de passage malgré l'acceptation de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion, a pu décider, sans méconnaître l'objet du litige, que ces pratiques, indépendantes des modalités d'organisation de la concession de service public concernaient les activités de production, de distribution ou de services visés par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; d'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 94-17.699 pris en ses deux branches et le deuxième moyen du pourvoi n° 94-17.778 pris en ses deux premières branches ; - Les moyens, tels qu'ils figurent en annexe, étant réunis ; - Attendu que par ces moyens pris de la violation des articles 6.1 et 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1315 du Code civil, 16, 199 et suivants, 220 du nouveau Code de procédure civile et 18, 21 et 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sociétés Total et Elf font grief à l'arrêt d'avoir méconnu le principe du contradictoire en ne dénonçant pas à l'avance aux parties, l'audition d'un témoin que le Conseil de la concurrence se proposait d'entendre d'avoir énoncé que celles-ci ne disposaient pas du droit de faire entendre leurs propres témoins et d'avoir refusé la production des pièces permettant d'établir la violation des droits de la défense ;

Mais attendu que, s'il est vrai que le principe du contradictoire et du respect des droits de la défense implique que les parties ou leurs représentants puissent préalablement aux débats avoir connaissance du nom et de la qualité des témoins que le Conseil prévoit de faire entendre et, si les mêmes principes impliquent également la faculté pour les parties de demander au Conseil, qui en apprécie l'utilité, l'audition d'autres témoins, la cour d'appel a constaté, en la cause, que l'audition critiquée avait eu lieu en présence des représentants des sociétés Total et Elf sans qu'il soit allégué qu'ils aient alors soulevé l'irrégularité de cette mesure d'instruction et sans qu'ils aient contesté avoir été empêchés de poser leurs propres questions au témoin ou de faire entendre d'autres témoins; que l'arrêt a également relevé qu'il n'était pas soutenu que le rapporteur ait introduit de nouveaux griefs qui eussent dû faire l'objet d'une nouvelle notification, la cour d'appel a pu se prononcer ainsi qu'elle l'a fait ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 94-17.778 pris en sa troisième branche : - Attendu que la société Elf fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en annulation de la décision du Conseil de la concurrence du 19 octobre 1993, alors, selon le pourvoi, que, fût-ce en l'absence de griefs nouveaux, le fait pour le rapporteur de se livrer à un nouveau rapport, lu par lui à l'audience et comportant une "critique en règle" du mémoire en réponse de la partie recherchée implique l'obligation de le notifier préalablement, faute de quoi les droits de la défense sont à nouveau violés (violation des articles 16 du nouveau Code de procédure civile, 21, 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme) ;

Mais attendu que l'arrêt a relevé qu'il n'était pas allégué que le rapporteur, lors de l'audience devant le Conseil ait présenté de nouveaux griefs qui eussent dû faire l'objet d'une nouvelle notification ; que la cour d'appel a pu décider, qu'il n'y avait lieu, ni d'ordonner la production du rapport, ni de se reporter au procès-verbal de séance ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisièmes moyens des pourvois n°s 94-17.699 et 94-17.778 : - Les moyens, tels qu'ils figurent en annexe, étant réunis ; - Attendu que par ces moyens pris d'un défaut de base légale au regard des articles 7, 8, 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sociétés Total et Elf font grief à l'arrêt d'avoir relevé à l'encontre des sociétés cocontractantes des réticences opposées à la demande de la société Esso d'entrer dans le groupement, alors que, l'initiative des modifications des deux clauses du contrat ne leur appartenait pas, et que ces réticences étaient insuffisamment probantes pour établir le caractère illicite des pratiques qui leur étaient reprochées ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté qu'à la date de la saisine, contrairement à ce qu'affirmaient les auteurs des recours, que la société Esso s'était déjà heurtée à la réticence des sociétés Elf et Total France ; que la société Esso avait, dès le 5 septembre 1988, informé la CCIR qu'elle était intéressée par l'utilisation des installations de stockage et de distribution de carburéacteur sur l'aéroport de Saint-Denis de la Réunion ; que le 22 juin 1989, elle avait demandé aux sociétés Elf et Total de lui faire connaître les modalités juridiques et économiques d'un contrat de passage ou d'une entrée dans le groupement à "titre de participant" ; que restée sans réponse, cette demande avait été réitérée le 22 juillet 1989 ; que le 1er août 1989, la société Total, gérant du GEIAG, indiquait à la société Esso que sa demande serait examinée " lors du conseil semestriel de novembre 1989 " ; que ce comité n'avait pas été tenu de sorte que le 2 janvier 1990, la société Esso dénonçait au GEIAG son "attentisme" ; que le comité qui s'est réuni le 11 janvier suivant ne faisait nullement mention de la demande déposée par la société Esso Comores ; que dans sa lettre à la CCIR en date du 15 février 1990, la société Total faisait part à la CCIR de son hostilité à une mesure qui permettrait à ses concurrents de " participer aux profits alors qu'ils n'en avaient jamais assuré les risques " et de son souhait de réserver aux investisseurs audacieux l'exclusivité pendant quelques années du fruit de leurs investissements ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a, en justifiant légalement sa décision, estimé que les abus imputés par la société Esso aux deux sociétés reposaient non sur de simples allégations mais sur des éléments suffisamment probants à la date de la saisine ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 94-17.699 et le quatrième moyen du pourvoi n° 94-17.778 pris en ses deux branches : - Les moyens, tels qu'ils figurent en annexe, étant réunis : - Attendu que par ces moyens pris d'une violation des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de manque de base légale au regard de ces mêmes textes, les sociétés Total et Elf font grief à l'arrêt d'avoir défini le marché pertinent comme étant celui de la distribution du carburéacteur alors que la société Esso critiquait les abus concernant l'utilisation des installations ; qu'elles allèguent encore que l'aéroport de Saint-Denis de la Réunion ne constitue pas un marché en soi, au plan géographique, compte tenu de l'interdépendance entre les offres des différents aéroports, particulièrement celui de l'Ile Maurice ;

Mais attendu que l'arrêt a relevé qu'étaient en cause non pas les " éventuelles restrictions au libre jeu de l'offre et de la demande en matière d'opérations de stockage, de manutention et d'acheminement de carburéacteur, mais celles apportées au libre accès des passeurs éventuels sur le marché de la distribution du carburéacteur, par les sociétés mises en cause, prises comme distributeurs " ; que la cour d'appel a également énoncé qu'il ne peut être déduit de l'existence d'une certaine sensibilité de la demande aux prix pratiqués sur d'autres aéroports, tels que celui de l'Ile Maurice, et de la possibilité de procéder à des " emports " de carburants, que l'aéroport de Saint-Denis Gillot de la Réunion ne constitue pas un marché en soi ; qu'en effet, la technique des " emports " consistant à charger plus de carburants que nécessaire, dans les escales où son prix est plus avantageux, ne peut être érigée en principe ; qu'elle trouve ses limites, tant dans les paramètres commerciaux (objectifs de desserte et coûts d'exploitation) guidant avant toute autre considération le choix des escales, que dans les contraintes techniques et technologiques des aéronefs, liées par exemple à la charge maximale à l'atterrissage ou au décollage, aux conditions météorologiques ou à la longueur des pistes ; que la possibilité d'un avitaillement en carburéacteur à un moindre coût ne commande pas le choix de l'escale ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la société Esso critiquait seulement les abus concernant l'utilisation des installations, a pu décider ainsi qu'elle l'a fait ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche du pourvoi n° 94-17.778 : - Attendu que la société Elf fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, que le fait pour deux entreprises signataires conjointes d'une convention d'occupation temporaire du domaine public, ayant pour but d'assumer une mission de service public dans le cadre de deux GIE approuvés d'appliquer cette convention, ne peut légalement être constitutif d'une entente révélant une position dominante ; que les liens structurels critiqués n'étant que la mise en œuvre des obligations définies par la convention, élaborés par la Chambre de commerce et d'industrie, dans les conditions définies par les articles R. 223-2 et R. 223-3 du Code de l'aviation civile, et au vu d'un cahier des charges type lui-même approuvé, ne peuvent davantage être tenus pour révélant une position dominante collective sur le marché de référence ; que l'arrêt viole de ce chef les articles R. 223-2, R. 223-3 du Code de l'aviation civile, les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et suivants, 11, 12, 13 de la convention d'occupation temporaire du 17 janvier 1975 ; que l'arrêt est entaché de surcroît d'un défaut de réponse à conclusions dans la mesure où il n'examine pas directement le moyen tiré de ce qu'Elf et Total, tout en formant un " duopole " en vertu de la convention s'avéraient des entreprises concurrentes ainsi qu'il était démontré, dont les stratégies établies indépendamment l'une de l'autre ne pouvaient de ce fait être considérées comme constituant, a priori, et nécessairement, un groupe d'entreprises ayant une position dominante d'autant que seule, la CCIR pouvait s'opposer à l'entrée d'un nouvel opérateur sur le marché (défaut de réponse à conclusions, article 455 du nouveau Code de procédure civile) ;

Mais attendu que les notions d'entente et d'abus de position dominante, au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne sont pas exclusives l'une de l'autre et peuvent être le fait d'un groupement d'intérêt économique fut-il bénéficiaire d'une convention d'occupation temporaire du domaine public; qu'ayant constaté que les statuts des deux groupements d'intérêt économique constitués par les deux sociétés litigieuses subordonnaient l'admission de nouveaux membres à " l'accord unanime du Conseil d'administration ", que les décisions de tarifications étaient concertées ensemble et que leurs approvisionnements étaient assurés par des moyens logistiques communs, c'est en répondant aux conclusions prétendument omises, que la cour d'appel a décidé que ces deux sociétés avaient mis en place une stratégie commerciale commune et étaient en mesure de s'opposer à l'accès d'un nouvel opérateur sur le marché du carburéacteur; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen du pourvoi n° 94-17.699 et du pourvoi n° 94-17.778, pris en ses trois dernières branches : - Les moyens, tels qu'ils figurent en annexe, étant réunis ; - Attendu que par ces moyens pris d'une violation des articles 7, 8, 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de l'article 1134 du Code civil et de dénaturation de l'article 12 de la convention du 17 janvier 1975, les sociétés Total et Elf font grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elles avaient constitué une entente alors qu'elles n'avaient fait qu'appliquer strictement une convention d'occupation temporaire du domaine public, d'avoir dénaturé l'article 12 de la convention du 17 janvier 1975, et d'avoir fondé sa condamnation sur le refus par ces sociétés de remettre en cause le paramètre "c" figurant dans cette convention dont elle ne pourrait, au surplus, apprécier la licéité ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que les sociétés Total et Elf avaient refusé pendant deux ans, malgré l'autorisation donnée par le CCIR d'engager des négociations avec la société Esso sur la valeur à donner au paramètre "c" de la formule du taux de passage, ce tarif aboutissant à appliquer aux tiers utilisateurs du carburant une majoration du prix de vente ; qu'en l'état de ces constatations, hors toute dénaturation des dispositions de la convention litigieuse, et sans s'être prononcée sur la licéité de cette convention mais seulement sur ses modalités d'application, la cour d'appel a pu estimer que les agissements des sociétés Total et Elf étaient constitutifs de pratiques anticoncurrentielles ; que les moyens pris en leurs diverses branches ne sont pas fondés ;

Sur le sixième moyen, pris en ses deux premières branches du pourvoi n° 94-17.699 et le sixième moyen du pourvoi n° 94-17.778, pris en ses deux branches : - Les moyens, tels qu'ils figurent en annexe, étant réunis : - Attendu que par ces moyens pris d'une violation des articles 625 du nouveau Code de procédure civile, 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 2 du Code civil, les sociétés Total et Elf font grief à l'arrêt de les avoir condamnées en déterminant le montant de la sanction sur le chiffre d'affaires global des sociétés, tous secteurs confondus, de s'être fondé sur le chiffre d'affaires de l'année 1992 et de ne pas avoir caractérisé concrètement la gravité des dommages portés à l'économie ainsi qu'à celle du marché de référence ;

Mais attendu, en premier lieu, que les précédents moyens ayant été rejetés, la première branche du sixième moyen du pourvoi n° 94-17.778 doit l'être également ;

Attendu, en second lieu, que le montant maximum de la sanction étant, selon les dispositions de l'article 13 paragraphe 3 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, seules applicables en la cause, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos à la date de la décision du Conseil, c'est à bon droit que la cour d'appel a pris en considération le dernier exercice clos au moment où le Conseil de la concurrence a été appelé à sanctionner les agissements des deux sociétés ainsi que le chiffre d'affaires global de ces entreprises sans avoir à se référer au chiffre d'affaires du secteur d'activité où avait été commise l'infraction;

Attendu, enfin, que la cour d'appel, après avoir constaté que les sociétés Total et Elf, en s'abstenant de répondre aux demandes de la société Esso avaient créé artificiellement "une barrière" à son entrée sur le marché, a défini de façon concrète le préjudice qui en était découlé pour le transport aérien et l'économie de l'Ile de la Réunion, le surcoût de paiement du carburant entraîné par le paramètre "c" aux différents passeurs ayant été chiffré entre 1989 et 1991 à 19,4 millions de francs ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; Que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur le sixième moyen du pourvoi n° 94-17.699, pris en sa troisième branche : - Attendu que la société Total fait grief à l'arrêt de lui avoir infligé la même sanction qu'à la société Elf, alors, selon le pourvoi, que dans ses conclusions du 14 janvier 1994, la société Total Réunion Comores faisait valoir que la même sanction de 7 millions de francs a été infligée également à la société Elf, le Conseil de la concurrence ayant décidé qu'elles portaient une responsabilité égale dans la mise en œuvre de pratiques, et que dès lors, c'est à tort dans ces conditions, qu'il ne lui a pas été appliqué le même taux qu'à la société Elf, à savoir 0,015 % de son chiffre d'affaires, qu'en omettant de répondre à ce chef décisif des conclusions, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'appréciation du montant de la sanction implique que le Conseil de la concurrence se réfère aux seuls critères définis par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la cour d'appel ayant constaté que ces critères avaient été respectés et ayant vérifié, après le Conseil de la concurrence, que les deux sociétés avaient une responsabilité égale dans la mise en œuvre des pratiques litigieuses, n'avait pas à répondre à des conclusions qui étaient inopérantes, le montant de la sanction étant inférieur au maximum prévu par l'article 13 de l'ordonnance ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi ; Rejette les demandes présentées par le ministre de l'Economie des Finances et du Budget et par la société Esso Réunion sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.