Conseil Conc., 18 novembre 1992, n° 92-D-62
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la société Biwater
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Adopté, sur le rapport de Mme Picard, par MM. Béteille, vice-président, présidant la séance, Fries, Mme Hagelsteen, MM. Schmidt, Sloan, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 11 avril 1990 sous le numéro F 315 par laquelle la société Biwater a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la société Pont-à-Mousson ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les décisions n° 90-MC-08 du 10 mai 1990, n° 90-MC-10 du 4 juillet 1990 et n° 92-MC-08 du 14 avril 1992 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :
I. CONSTATATIONS
A. Le marché
La fonte ductile, qui a remplacé dans les années cinquante la fonte grise, a des propriétés mécaniques remarquables, qui découlent, d'une part, de la forme sphéroïdale du graphite qu'elle contient, d'autre part, de sa forte teneur en carbone : résistance à la traction, résistance aux chocs, allongement important, résistance à la compression et à la surpression, résistance à l'abrasion. C'est également un matériau pour lequel, avec le développement de la protection au zinc, les problèmes de corrosion sont bien maîtrisés. Ces qualités expliquent que la fonte ductile soit un matériau auquel il est fait largement appel en matière de canalisations, d'autant que s'y ajoute une très grande facilité de pose, grâce notamment aux joints à emboîtement automatique. La gamme des tuyaux et raccords s'étend du diamètre 60 mm au diamètre 1 800 mm.
Les canalisations en fonte ductile sont utilisées dans différents domaines d'application : adduction en eau potable, assainissement, irrigation, transport de gaz ou d'autres fluides. Ces canalisations font l'objet d'une normalisation spécifique.
En France, l'essentiel de la production et de la commercialisation de ces produits concerne aujourd'hui l'adduction en eau potable et l'irrigation avec 85 p. 100 de la production en tonnage, l'assainissement représentant environ 10 p. 100 et les usages industriels 5 p. 100.
Adduction en eau potable et assainissement sont des services publics placés sous la responsabilité des collectivités locales ; celles-ci assurent la construction et l'exploitation de leurs réseaux en régie directe ou confient ces missions à des sociétés privées par contrat d'affermage, de concession ou encore sous la forme de la régie intéressée. Une étude réalisée en 1990 par la Chambre nationale de l'hygiène publique estime à 558 000 km la longueur du réseau d'adduction en eau potable, l'ensemble du territoire étant équipé, alors que les besoins en assainissement demeurent importants.
La demande de canalisations résultant du programme de travaux liés à l'extension ou au renouvellement du réseau émane le plus souvent de la collectivité maître d'ouvrage. Elle est formulée dans des appels d'offres, beaucoup plus rarement dans des marchés négociés, dont la préparation et la rédaction relèvent du maître d'œuvre. Ce rôle peut être assuré par les services techniques locaux, par les ingénieurs des directions départementales de l'équipement (DDE) ou des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF), dans le cadre des concours qu'apportent traditionnellement ces agents aux collectivités locales, par le gestionnaire du réseau ou encore par des cabinets d'études privés.
Ces marchés portent, dans la quasi-totalité des cas, non seulement sur la fourniture de canalisations mais aussi sur la pose de celles-ci. Ce sont donc les entreprises de pose de canalisations qui seront les acheteurs de matériaux, étant observé que liées par les documents contractuels, celles-ci agissent comme vecteur de la demande publique. Les entreprises de pose de canalisations s'adressent en général directement aux fabricants, le négoce ne représentant que moins de 10 p. 100 des livraisons.
La société Pont-à-Mousson est le seul fabricant de canalisations en fonte ductile en France. Elle assure 98 p. 100 des ventes sur le territoire national, le reste étant constitué des canalisations commercialisées par la société Biwater SA, filiale du groupe anglais Biwater. La société Pont-à-Mousson a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires de 4 146 MF dont 1 704 MF à l'exportation.
Les ouvrages d'adduction d'eau potable, d'irrigation ou d'assainissement utilisent également des canalisations fabriquées en d'autres matériaux, tels l'amiante-ciment, le béton, l'acier ou encore les matières plastiques (PVC, polyéthylène, PVR). Il n'existe pas de statistiques permettant de connaître l'importance de ces différents matériaux par domaine d'application, tant en ce qui concerne les réseaux installés que les extensions.
La pose de canalisations est précédée d'études techniques qui prennent en compte, eu égard aux besoins à satisfaire, différents critères tels que les conditions de service du réseau, les contraintes mécaniques, la configuration du terrain, la nature des sols, les agressions internes (caractéristiques de l'eau transportée) et externes (caractéristiques des sols), qui permettent de déterminer les contraintes auxquelles doit pouvoir répondre le matériau choisi, eu égard à ses propriétés physiques et mécaniques.
Le premier élément défini est le diamètre de la canalisation. L'observation des utilisations montre que la fonte et les matières plastiques sont presque les seuls matériaux utilisés dans les petits diamètres (60-150 mm). Entre 150 et 300 mm, sont utilisés outre la fonte, l'acier et le PVC (surtout jusqu'à 200 mm) ainsi que l'amiante-ciment et le polyéthylène, mais de façon marginale. Au-delà de 300 mm, on trouve essentiellement l'acier et le béton à côté de la fonte, matériau qui domine jusqu'aux plus grands diamètres. En adduction d'eau, principal domaine d'application de la fonte ductile, les canalisations sont livrées, pour plus des deux tiers des tonnages, dans des diamètres compris entre 60 et 300 mm.
Chacun des matériaux utilisés dans les réseaux d'adduction d'eau ou d'assainissement présente des caractéristiques techniques spécifiques. L'acier, dont les qualités mécaniques sont similaires à la fonte, nécessite des précautions à la pose et reste sensible à la corrosion, sauf à prévoir des protections qui accroissent les coûts de la canalisation. Le béton n'est utilisé que dans des diamètres relativement importants (au-delà de 300 mm), pour des pressions de service faibles. Les avantages du PVC - insensibilité à la corrosion, à l'abrasion et à l'encrassement, bonne tenue vis-à-vis des agents chimiques, légèreté, facilité de mise en œuvre, coût relativement peu élevé - sont contrebalancés par des qualités mécaniques peu élevées et une fragilité croissante avec le vieillissement.
L'emploi de canalisations en polyéthylène est déconseillé à proximité de réseaux de chauffage urbain et d'égouts industriels, de même que dans les zones fortement imprégnées d'hydrocarbures, sauf à prévoir des protections adaptées. L'amiante-ciment, fragile aux chocs, est utilisée pour des pressions faibles et moyennes.
Les avantages spécifiques de la fonte et les inconvénients que peuvent présenter les autres matériaux expliquent que, sous certaines contraintes de réseaux et dans certains diamètres, il existe des préconisations techniques pour la fonte. C'est en particulier le cas lorsque les sols sont instables, pour des canalisations soumises à de fortes contraintes de roulement ainsi que pour des réseaux supportant de fortes pressions. C'est ainsi un matériau très utilisé en agglomération.
Les différences de prix des différents matériaux sont très importantes. Ainsi, pour le diamètre 110 mm, un mètre linéaire de tuyau en PVC pour l'adduction en eau potable est vendu environ 45 F, tandis que le mètre linéaire de tuyau en fonte est vendu environ 99 F dans le diamètre 100 mm.
Les différents matériaux sont distribués par des réseaux différents : ainsi, le PVC est distribué pour près de 90 p. 100 par le négoce, tandis que, pour la fonte, les entreprises de pose de canalisations sont, comme il a été indiqué plus haut, dans la quasi-totalité des cas en relation directe avec les fabricants.
On constate l'existence d'importants réseaux de canalisations en fonte ductile en France qui vient conforter un a priori favorable des prescripteurs en faveur de ce matériau eu égard à ses propriétés spécifiques. Comme la poursuite de l'extension d'un réseau ou son renouvellement dans un même matériau en facilite la gestion, l'uniformité de matériau permettant de résoudre plus facilement les problèmes d'approvisionnement, de stockage et de maintenance, cette situation favorise l'utilisation de la fonte ductile.
Les règlements d'appels d'offre font référence dans environ deux tiers des cas à tel ou tel matériau, prévoyant parfois la fourniture de linéaires de différents matériaux et beaucoup plus rarement proposant une variante entre deux matériaux.
B. Les pratiques relevées
1. La diffusion d'informations relatives à la normalisation
Au cours du second trimestre 1989, la société Pont-à-Mousson a élaboré une note de cinq pages (document 1) comportant :
- Une lettre dont la teneur est la suivante :
" Pont-à-Mousson
" DVF/JPL/CS Nancy, le
" Monsieur,
" Suite à votre demande, nous vous adressons ci-joint une copie des articles 75 et 272 du Code des marchés publics, ainsi que des articles 13 et 18 du décret n° 84-74 du 26 janvier 1984. Ces textes rendent obligatoire la référence aux normes françaises homologuées dans les marchés de l'Etat, des collectivités et de leurs établissements respectifs.
" Les produits de canalisation en fonte ductile de Pont-à-Mousson SA respectent la normalisation française homologuée.
" En particulier, nous nous permettons d'attirer votre attention sur les points suivants :
" Longueur des tuyaux : la norme NFA 48-806 prévoit trois longueurs possibles : 6, 7 et 8 mètres. Les tuyaux de Pont-à-Mousson mesurent 6, 7 ou 8 mètres (selon les diamètres nominaux).
" Joints : la norme NFA 48-806 stipule que (art. 3) l'assemblage des tuyaux peut être réalisé avec différents types de joints définis dans les normes particulières NFA 48-870 ou, à défaut, par les catalogues des fabricants.
" En ce qui concerne les joints automatiques non verrouillés, il existe une norme particulière (NFA 48-870). Celle-ci fait donc foi. Le joint standard de Pont-à-Mousson SA est conforme à cette norme.
" Pression d'épreuve : la norme NFA 48-806 fixe les pressions d'épreuve auxquelles doivent être soumis les tuyaux en usine.
" Série K9 :
" DN<300 60
" 300 < DN <600 50
" 600 < DN < 1000 40
" 1000 < DN < 2000 32
" Pont-à-Mousson respecte ces exigences.
" Revêtements :
" Les revêtements des tuyaux en fonte ductile de Pont-à-Mousson SA respectent la normalisation française homologuée, et en particulier les normes suivantes :
" NFA 48-852 (revêtement extérieur au zinc).
" NFA 48-901 (prescriptions générales pour le revêtement intérieur du mortier de ciment centrifugé) mais aussi la norme NFA 48-902 (contrôle de composition du mortier fraîchement appliqué).
" Sachant l'importance que vous accordez au respect de la législation française, qui passe par celui de la normalisation, nous espérons que ces quelques éléments vous permettront de contribuer à sa meilleure application.
" Nous nous tenons à votre disposition pour toute information complémentaire. "
- Deux feuillets comportant le texte, d'une part, des articles 75 et 272 du Code des marchés publics et, d'autre part, des articles 13 et 18 du décret n° 84-74 du 26 janvier 1984 portant statut de la normalisation.
- La liste des normes françaises homologuées en matière de canalisations en fonte ductile.
Le responsable de la gestion commerciale " Eau et irrigation France " de la société Pont-à-Mousson a déclaré : " C'est une note qui a été établie afin de permettre à notre réseau commercial de répondre à un certain nombre de questions soulevées par la maîtrise d'œuvre. Ce document a été diffusé de façon interne. Sa rédaction date du second trimestre 1989 et répond aux questions posées par la maîtrise d'œuvre lors de l'apparition de Biwater sur le marché français. "
Dans le cadre de l'appel d'offres lancé le 9 décembre 1989 par le syndicat intercommunal des eaux de Vern-Chantepie pour l'extension du réseau d'eau potable, M. Denis Gaspard de l'agence de Nantes de la société Pont-à-Mousson a envoyé une lettre le 1er février 1990 à l'ingénieur de la subdivision de Rennes-Sud de la direction départementale de l'équipement, chargé du dossier, lettre qui reprend l'argumentaire de la lettre type ci-dessus citée et, dans son intégralité, le dernier paragraphe de celle-ci :
" Sachant l'importance que vous accordez au respect de la législation française, qui passe par celui de la normalisation, nous espérons que ces quelques éléments vous permettront de contribuer à sa meilleure application. "
Dans ce marché, la société Forclum, entreprise moins disante, retenue par la commission d'appel d'offres réunie le 22 janvier 1992 et qui se proposait de poser des produits Biwater, a finalement été écartée au profit de la société Marc, placée en 'seconde position, et qui soumissionnait avec des produits Pont-à-Mousson.
Par ailleurs, lors de l'enquête administrative, M. Jacq, ingénieur à la direction départementale de l'agriculture de Belfort, a déclaré : " La société Pont-à-Mousson nous a contactés à plusieurs reprises pour nous rappeler que leurs tuyaux étaient conformes aux normes françaises et pour nous laisser entendre que les tuyaux Biwater ne l'étaient pas. " L'instruction a révélé que le supérieur hiérarchique de cet ingénieur avait eu une conversation téléphonique le 9 octobre 1989 avec un agent de la société Pont-à-Mousson, qui a été transcrite sous la forme d'une note qui précise les différences techniques que Pont-à-Mousson a alors fait valoir entre les tuyaux Pont-à-Mousson et Biwater et dont le texte est le suivant :
" Tuyaux Biwater :
" D'après une conversation téléphonique avec Pont-à-Mousson, les tuyaux Biwater différeraient des tuyaux Pont-à-Mousson sur les points suivants :
- longueur de 5,5 m au lieu de 6, 7 ou 8 mètres
- joints tyton et non standard ou express ;
- ciment intérieur projeté et non pas turbiné, type CHF ;
- pressions d'épreuve en usine de 24 à 38 p. 100 plus faibles que celles concernant les tuyaux Pont-à-Mousson.
" Signé J. Dumont. "
Enfin, dans un courrier du 27 mars 1990, le président de la société Agostini à Bastia signalait à la société Biwater qu'il avait reçu dans le courant du mois de mars 1990 un document de plusieurs pages à en-tête de la société Pont-à-Mouson remis par son représentant légal en Corse, les établissement Lançon, le " mettant en garde quant à l'homologation des tuyaux Biwater en énumérant les différentes non-conformités aux normes françaises homologuées ".
Parmi les documents que Biwater a déclaré avoir obtenu de l'entreprise Agostini figuraient également deux feuillets (document 2), ne comportant aucun en-tête commercial ni signature, portant en titre " Biwater " et dont la société saisissante dénonce également la diffusion par la société Pont-à-Mousson, puisque mettant directement en cause ses produits
" Tuyaux. - Longueur :
" La norme NFA 48-806 prévoit trois longueurs possibles 6, 7 et 8 mètres. La longueur 5,50 de Biwater n'est pas mentionnée. Elle est donc hors la norme.
" Pression d'épreuve en usine :
" Lorsque Biwater annonce les pressions d'épreuves en usine, elles sont entre 17 et 67 p. 100 inférieures à celles exigées par la norme française homologuée NFA 48-806, pour les diamètres supérieurs ou égaux à 200.
" Joints :
" L'emploi du joint tyton dont sont équipés les tuyaux et raccords Biwater est exclu de fait par la normalisation française. En effet, la norme NFA 48-806 (joint express) et la norme NFA 48-870 (joint standard) ne mentionnent pas le joint tyton. Il ne peut donc pas être utilisé sur les marchés publics français.
" Norme ISO 2531 :
" Biwater revendique le respect de la norme ISO 2531 ; dans la mesure où les normes françaises homologuées restent dans les différents domaines couverts par la norme ISO, celle-ci n'a aucune valeur en France.
" Revêtements :
" Les revêtements intérieurs des tuyaux Biwater sont obtenus à partir d'un ciment Portland, projeté par centrifugation mécanique.
" Ce n'est pas un ciment centrifugé : il est projeté par une turbine. La qualité est bien moindre que celle obtenue par la centrifugation du tuyau. D'autre part, le CHF utilisé par Pont-à-Mousson offre de bien meilleures caractéristiques de résistance aux eaux pures et aux eaux agressives que le ciment Portland. "
" Pièces à brides et tubulures brides :
" Biwater ne propose pas de raccords à brides mobiles. C'est un moins, car les brides mobiles permettent une orientation correcte hors des montages des vannes et autres appareillages. "
Si l'audition du directeur de l'entreprise Agostini n'a pas permis de confirmer que ce document figurait parmi ceux qu'il avait reçus du représentant de Pont-à-Mousson en Corse, les établissements Lançon, le directeur de cette dernière entreprise a toutefois indiqué qu'il avait eu connaissance de ces documents et a déclaré°: " Il est tout à fait possible que mes services aient informé ce client en lui remettant les documents 1 et 2, que pour ma part je ne considère pas comme une mise en garde, mais comme une information. "
2. Les interventions dans le cadre des marchés publics
a) La réalisation d'études de sol préalables
La société Pont-à-Mousson réalise des études de sol, qui comportent trois volets, topographique, géologique et géo-électrique, ainsi que des conseils quant à la protection à apporter à la canalisation en fonte. Ces études sont engagées dans certains cas avant même le lancement d'appels d'offres et ne sont pas rémunérées en tant que telles.
Un responsable de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF) de Meurthe-et-Moselle a déclaré : " Pour les marchés publics impliquant des poses de canalisations, nous utilisons les études de terrains qui sont faites par la société Pont-à-Mousson lorsque cette société a estimé que les marchés en question l'intéressent et seraient compatibles avec les matériaux qu'elle fabrique. "
L'utilisation de ces études par la DDAF de la Loire est également avérée, le directeur indiquant à une entreprise souhaitant voir homologuer les produits Biwater, " vous voudrez bien faire préciser par cette société la nature des encadrements techniques (études de sol préalables à la pose, par exemple) qu'elle peut être amenée éventuellement à fournir sur ces chantiers. "
La société Biwater ne propose pas d'études préalables qu'elle estime relever de la maîtrise d'œuvre, même si elle peut réaliser des études de sol permettant de déterminer la protection nécessaire à la canalisation.
b) Les interventions en cours de consultation
Au cours de la procédure de passation de marchés publics, l'intervention d'agents de la société Pont-à-Mousson a été constatée.
La société saisissante ayant dénoncé l'intervention de la société Pont-à-Mousson au cours de la procédure de passation des marchés publics, l'enquête administrative a permis de mettre en évidence que dans le cadre de l'appel d'offres lancé par le syndicat mixte des collectivités du Sud-Est de la Loire-Atlantique pour le renforcement de la canalisation d'alimentation en eau potable des communes de Vertou et Machecoul, la société Pont-à-Mousson était intervenue pour " faire modifier les contraintes techniques (résistance à la corrosion) prévues au cahier des charges et contestait le montant des estimations faites par le cabinet Praud ", selon les termes d'une fiche d'information établie le 14 mars 1990 par la direction départementale de la concurrence et de la répression des fraudes de Nantes à la suite de l'ouverture des plis, document qui précise que " par ailleurs, les élus n'ont pas caché que l'entreprise avait entrepris des démarches pour les rencontrer avant la date limite de remise des offres ".
Dans le marché lancé par la communauté urbaine de Strasbourg pour le raccordement du réseau de Reichstett à l'émissaire ouest le maître d'ouvrage a requis, après l'ouverture des plis, un revêtement intérieur des canalisations pouvant résister à des fluides de pH compris entre 4 et 12, correspondant aux caractéristiques des tuyaux pour l'assainissement de Pont-à-Mousson, mais ne permettant pas à l'entreprise attributaire du marché de poser les canalisations Biwater envisagées, celles-ci ne pouvant résister qu'à l'agressivité de fluides compris entre 5 et 12.
Dans le marché à commandes passé en janvier 1990 par l'Office d'équipement hydraulique de la Corse (OEHC), on constate que l'analyse des offres tient compte d'une modification de l'offre, faite par Pont-à-Mousson en cas de fractionnement du marché par renchérissement de 5 ou 10 p. 100 sur la partie du marché lui restant acquise, conduisant à augmenter le montant total du marché et donc à rendre sans intérêt tout partage de la fourniture.
Enfin, l'instruction a permis de mettre en évidence des cas où le maître d'ouvrage (syndicat mixte d'amenée d'eau potable des Garrigues) où le maître d'œuvre (DDAF de la Loire, DDAF de l'Isère) a imposé aux entreprises de pose de canalisations de faire connaître la provenance des canalisations en fonte dans leur offre.
3. Les interventions auprès des entreprises de pose
Il a été constaté des cas dans lesquels, après l'ouverture des plis, l'entreprise Pont-à-Mousson a proposé à l'entreprise de pose de canalisations attributaire du marché, disposée à s'approvisionner en produits de la société Biwater sur la base des prix de laquelle elle avait soumissionné, de s'aligner sur le montant de l'offre faite par Biwater de sorte à amener l'entreprise à s'approvisionner en produits Pont-à-Mousson.
Dans le cas de l'appel d'offres lancé par le SIAEP de Lawarde-Mauger-Hallivillers, l'entreprise STAG, à Villers-Bretonneux, après avoir négocié avec les sociétés Pont-à-Mousson et Biwater, a soumissionné avec la fourniture de cette dernière société qui lui avait fait l'offre la plus avantageuse et a été déclaré attributaire du marché. Son président a indiqué lors de son audition : " Ayant été déclaré attributaire du marché, peu de temps après, l'agent Pont-à-Mousson nous a contactés au téléphone s'étonnant de ne pas avoir encore reçu commande pour ce marché de Lawarde-Mauger. Nous lui avons répondu qu'il n'aurait pas la commande. Aussitôt il s'est proposé de s'aligner sur son concurrent, qu'il a tout de suite identifié. "
Le même processus a été constaté dans le marché passé pour l'extension de la zone industrielle de Reventin-Vaugris en mars 1990. M. Fournier et M. Bauchiero de l'entreprise Bauchiero, attributaire du marché, ont déclaré : " Pour le lot tuyaux fonte, nous avions consulté les deux fournisseurs Biwater et Pont-à-Môusson... Pont-à-Mousson nous a ensuite contactés pour savoir s'il avait obtenu le marché. Nous lui avons répondu négativement, car un fournisseur était mieux placé que lui. Sur ce marché, il y avait besoin de présenter nos fournisseurs au district de la ville de Vienne, car nous avions voulu que nos fournisseurs soient payés directement. Nous avons montré les produits Biwater (sur catalogue) au district de la ville de Vienne qui a accepté les produits Biwater. Entre-temps, Pont-à-Mousson nous a fait une nouvelle proposition de prix équivalente à celle de Biwater (communication téléphonique)... Les services techniques de Vienne nous ont dit... que l'on pouvait prendre les deux fournisseurs à part égale (50 p. 100). "
En Corse, le directeur des Etablissements Lançon, agent dépositaire de Pont-à-
Mousson, a déclaré avoir négocié une remise tarifaire de 30 p. 100 pour la fourniture de 6 000 mètres de tuyaux en fonte à un groupement d'entreprises, qu'il qualifie de " remise conjoncturelle ne faisant en aucun cas référence à un prix de marché ", et ajoute : " De toute façon, cette remise a été accordée en réponse à une remise de 28 p. 100 consentie par Biwater après plusieurs échanges à la baisse. "
Le gérant d'une entreprise de bâtiment et travaux publics à Aubres (26) a déclaré lors de l'enquête administrative : " Je vous fais remarquer que depuis que Biwater est sur le marché français Pont-à-Mousson me propose de s'aligner sur le prix Biwater. "
Enfin, il est apparu à travers les déclarations du gérant de la SARL Soget, à Saint-Martin-d'Hères (38400), lors de l'enquête administrative que Pont-à-Mousson avait proposé des remises tarifaires de 14 p. 100 sur la fourniture de tuyaux dans un appel d'offres lancé en avril 1990 par la commune du Bourg-d'Oisans, pour lequel Biwater avait fait une offre plus avantageuse, mais encore s'était engagée à offrir la même remise dans un marché ultérieur lancé par la commune de Huez-en-Oisans. De la même façon, le directeur de la société EBBTP a déclaré que Pont-à-Mousson lui avait consenti des remises sur des fournitures non spécifiques au marché en cours de négociation.
II. Sur la base des constatations qui précèdent, le conseil
Sur le marché pertinent :
Considérant, en premier lieu, que si les canalisations destinées à l'adduction d'eau potable, à l'irrigation ou à l'assainissement peuvent être réalisées en différents matériaux(polyéthylène, PVC, PRV, fonte ductile, amiante-ciment, acier, béton), l'utilisation de ceux-ci est conditionnée tant par la nature des fluides transportés que par les caractéristiques de l'environnement et les contraintes de réseaux, compte tenu des qualités propres à chacun; qu'ainsi la fonte ductile est utilisée essentiellement pour l'adduction d'eau potable et l'irrigation ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de, la documentation technique versée aux débats que les différents matériaux en cause présentent des caractéristiques propres qui rendent chacun d'eux plus particulièrement adapté sous certaines contraintes de réseaux eu égard à la nature des sols, aux conditions de l'environnement, de l'hydrogéologie ainsi que des fluides transportés; que, notamment, les avantages spécifiques de la fonte ductile - résistance à la traction, allongement important, haute limite élastique notamment - rendent ce matériau particulièrement adapté dans les réseaux soumis à des fortes charges de roulement ou des contraintes de pression ; que, de même, l'existence de vastes réseaux en fonte ductile favorise leur renouvellement ou leur extension dans ce même matériau, l'uniformité facilitant la gestion du réseau, diminuant les problèmes d'approvisionnement, de stockage et de maintenance et par-là même abaissant les coûts d'exploitation ; qu'ainsi qu'il est admis dans l'expertise produite par la société Pont-à-Mousson, il y a, en ce qui concerne l'adduction d'eau potable et l'irrigation, " une certaine insubstituabilité " entre les matériaux;
Considérant que la faible substituabilité entre les tuyaux de différents types de matériaux est également attestée par le fait que, dans près des deux tiers des appels d'offres, le maître d'ouvrage spécifie le matériau qu'il entend utiliser pour les tuyaux d'un diamètre donné sans offrir aux entreprises de pose soumissionnaires la possibilité de proposer une variante avec des tuyaux d'un autre matériau; qu'en outre un représentant de la Compagnie générale des eaux, qui commande régulièrement environ 15 p. 100 des canalisations en fonte ductile produites par Pont-à-Mousson, a déclaré lors de l'instruction : " Il y a un marché de la fonte, eu égard aux réseaux en place, à la nature du sol, aux conditions, climatiques et dans une gamme de diamètre déterminé. Il y a des préconisations techniques pour la fonte qui est un matériau dont on ne peut pas se passer aujourd'hui " ;
Considérant, en troisième lieu, que les tuyaux sont également différenciés par leurs diamètres qui vont de 60 mm à plus de 1 800 mm ; que les diamètres des canalisations nécessaires à un maître d'ouvrage sont fonction de l'emploi auquel il les destine et dépendent de paramètres hydrauliques (débit, perte de charge, vitesse) et économiques dans le cas de conduites par refoulement ;
Considérant dès lors qu'il convient d'apprécier si, pour une partie substantielle de la gamme, les tuyaux en fonte ductile sont considérés par les maîtres d'ouvrage comme suffisamment différents des autres tuyaux de même diamètre pour constituer un marché spécifique ;
Considérant qu'il résulte des éléments produits par la société Pont-à-Mousson que plus de 71 p. 100 des linéaires et environ 54 p. 100 des tonnages de canalisations posés annuellement sont composés de tuyaux dont le diamètre est compris entre 60 mm et 151 mm ; que les livraisons de cette société en tuyaux de ces dimensions ont représenté pour les années 1988-1989-1990 40 p. 100 des tonnages et 64 p. 100 des linéaires qu'elle a livrés pour l'adduction d'eau potable et l'irrigation ;
Considérant que les canalisations posées dans ces dimensions sont principalement en fonte ductile, en PVC ou en polyéthylène, les autres matériaux n'ayant qu'une importance marginale ; que cependant l'utilisation des tuyaux de fonte est peu fréquente dans les diamètres inférieurs à 100 mm et celle du polyéthylène est quasiment inexistante au-delà de 100 mm ; qu'il reste cependant à apprécier s'il existe dans cette partie de la gamme une substituabilité suffisante entre les tuyaux de fonte et ceux en PVC
Considérant qu'il n'est pas contesté que les prix des tuyaux en fonte ductile de diamètre compris entre 60 mm et 151 mm sont très supérieurs à ceux des tuyaux de diamètres similaires en PVC; que pour un même linéaire le prix des tuyaux en PVC est compris entre la moitié et les deux tiers du prix des tuyaux en fonte ductile ; que de telles différences de prix révèlent que les maîtres d'ouvrage qui acceptent de payer des surprix de 50 p. 100 à 100 p. 100 pour avoir des tuyaux en fonte ductile leur attribuent des qualités spécifiques et ne les considèrent donc pas comme substituables aux tuyaux en PVC; que ces tuyaux constituent donc un marché particulier;
Considérant qu'en dépit des éléments susanalysés la société Pont-à-Mousson soutient que les canalisations en fonte ductile et en PVC de diamètres compris entre 60 mm et 300 mm appartiendraient au même marché en se fondant sur une étude économétrique ;
Mais considérant que l'étude produite ne saurait être retenue dès lors, d'une part, que la démarche suivie appelle des réserves méthodologiques notamment en raison du fait que les données brutes ont été transformées sans justification apparente et que ces transformations déterminent les résultats obtenus, d'autre part que les résultats obtenus, à les supposer fiables, ne permettent pas d'établir si la substituabilité alléguée entre les canalisations en PVC et en fonte est, sur ces diamètres, suffisante pour considérer qu'elles appartiennent à un même marché ; qu'en tout état de cause on ne saurait se fonder sur une étude limitée aux années 1981-1987 pour établir qu'il existait en 1990-1991, au moment des faits examinés, une substituabilité entre les produits en cause
Considérant, enfin, que l'argumentation présentée par la société Pont-à-Mousson et selon laquelle des canalisations en fonte et en PVC seraient simultanément utilisées dans les mêmes réseaux ne saurait contredire les éléments ci-dessus analysés dès lors qu'il est constant qu'un même réseau peut comporter des éléments soumis à des contraintes différentes ou des tuyaux de tailles variables;
Sur l'application de l'article 7 de l'ordonnance :
Considérant, en premier lieu, que si l'entreprise saisissante allègue que certains maîtres d'ouvrages publics auraient une attitude systématiquement négative à l'égard de ses produits, un tel comportement, à le supposer établi, relèverait de la décision de choix des fournitures et travaux prise par l'acheteur public, décision qui ne constitue pas un acte de production, de distribution ou de service, seuls actes auxquels s'applique l'ordonnance du 1er décembre 1986 en application de son article 53 ;
Considérant, en second lieu, que l'instruction n'a pas mis en évidence de pratiques d'ententes prohibées entre la société Pont-à-Mousson et les maîtres d'œuvre privés ou publics ou entre cette société et les sociétés gestionnaires des réseaux d'adduction d'eau potable ; que, de même, il n'est pas établi que ces derniers auraient adhéré à des consignes qui leur auraient été dictées par la société Pont-à-Mousson pour contraindre les entreprises de pose de canalisations à ne pas utiliser les produits de la société Biwater ; que s'il est notamment reproché aux maîtres d'œuvre de faire référence dans les cahiers des charges des marchés de travaux publics aux appellations de joints " express 2 GS " et " standard 2 GS ", ces dénominations ne- constituent pas des marques appartenant à la société Pont-à-Mousson mais des références à deux types de joints, correspondant aux normes en vigueur NF A 48-860 et NF A 48-870 ;
Sur l'application de l'article 8 de l'ordonnance :
Sur l'existence de la position dominante:
Considérant que la société Pont-à-Mousson, qui est le seul producteur national de canalisations en fonte ductile et assure 98 p. 100 des ventes de ces canalisations sur le territoire national, dispose d'un quasi-monopole sur le marché des tuyaux en fonte ductile de diamètre inférieur à 151 mm;
Sur les interventions auprès des maîtres d'œuvre et des maîtres d'ouvrage :
Considérant qu'il ressort des constatations consignées dans la partie I de la présente décision qu'en effectuant des études de sol, la société Pont-à-Mousson apporte aux maîtres d'œuvre et aux maîtres d'ouvrage une prestation annexe qui, précisant notamment les modalités de protection adéquates eu égard à la nature des sols, peuvent s'avérer utiles en vue de la pose des canalisations en fonte ductile ; que ces études, que pourrait également mener la société Biwater, ne sont pas de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché ;
Considérant par ailleurs que l'instruction n'a pas permis d'établir que la société Pont-à-Mousson serait à l'origine des modifications apportées aux spécifications concernant les matériaux faisant l'objet de l'appel d'offres lancé par la communauté urbaine de Strasbourg pour le raccordement du réseau de Reichstett à l'émissaire Ouest de Strasbourg, après l'ouverture des plis, et alors que l'entreprise attributaire du marché présentait les produits Biwater au maître d'ouvrage ; que la société Biwater ne conteste pas que ses produits ne pouvaient répondre aux spécifications ainsi précisées ;
Considérant également que la preuve de l'intervention de la société Pont-à-Mousson dans la rédaction des documents contractuels du marché à commandes passé en janvier 1990 par l'OEHC ou dans l'analyse des offres de ce marché par la commission d'appel, d'offres n'est pas apportée par la seule constatation que la définition des prestations et fournitures aurait avantagé la société Pont-à-mousson, titulaire du précédent marché, et que le rapport devant la commission d'appel d'offres n'aurait présenté qu'une variante en cas de fractionnement du marché relative au montant de l'offre faite par Pont-à-Mousson, sans prévoir une possibilité pour la société Biwater de faire de nouvelles propositions ;
Considérant qu'il ressort également de l'instruction que les interventions de la société Pont-à-Mousson en direction du maître d'œuvre au cours de la consultation relative au marché lancé par le syndicat mixte des collectivités du Sud-Est de Loire-Atlantique-Alimentation en eau potable (renforcement de la canalisation entre les communes de Vertou et Machecoul) ont eu pour objet de préciser que la protection au zinc des canalisations en fonte ductile ne rendait pas nécessaire la mise en place de manchons en polyéthylène dans les zones où la résistivité des sols était comprise entre 3 000 et 5 000 [omega]/cm ; que ces interventions ne présentent pas de caractère anticoncurrentiel ; que, par ailleurs, la teneur des interventions de cette même société dans ce marché auprès des élus n'a pas été établie ;
Considérant, enfin, que si la société Biwater dénonce le fait que la société Pont-à-Mousson serait intervenue auprès de certains maîtres d'ouvrage ou maîtres d'œuvre pour' que ceux-ci contraignent les entreprises de pose à indiquer dans leur offre le nom de leur fournisseur de canalisations, aucun élément de preuve n'a été apporté par l'instruction au soutien de cette allégation ;
Sur la diffusion d'informations relatives à la normalisation :
Considérant que, selon les déclarations du responsable de la gestion commerciale " Eau et Irrigation France " de Pont-à-Mousson, la circulaire comportant des informations relatives à la normalisation des canalisations en foncte ductile, dont la teneur est ci-dessus rapportée, était destinée " à répondre à un certain nombre de questions soulevées par la maîtrise d'œuvre " ; que la société Pont-à-Mousson fait valoir que cette circulaire n'a fait l'objet d'une diffusion que dans son réseau commercial ; qu'il résulte cependant du texte même des premier et dernier paragraphes de cette circulaire qu'elle était destinée à être diffusée auprès des maîtres d'œuvre et des maîtres d'ouvrage ; qu'il est établi que les agents commerciaux de Pont-à-Mousson ont pu reprendre certains éléments de cette circulaire dans des courrier et conversations téléphoniques avec des maîtres d'œuvre ; qu'ainsi le courrier adressé le 1er février 1990 par un ingénieur de l'agence locale de Nantes de la société Pont-à-Mousson à l'ingénieur de la subdivision de Rennes-Sud de la DDE à propos d'un appel d'offres du syndicat intercommunal des eaux de Vern-Chantepie s'appuie sur l'argumentaire de la circulaire, en citant les quatre questions (longueurs des tuyaux, joints, pression d'épreuve, revêtements) sur lesquelles la société Pont-à-Mousson faisait porter son appréciation par rapport à la normalisation dans la circulaire et reprend le dernier paragraphe de celle-ci ; qu'en outre il n'est pas contesté que cette circulaire a été envoyée à la société Lançon, représentant de Pont-à-Mousson en Corse, qui l'a diffusée à des entreprises de pose comme la société Agostini à l'occasion du marché Sivom de la Marana en mars 1990 ;
Considérant que si la société Pont-à-Mousson soutient que la circulaire en cause avait un contenu objectif et ne faisait aucune référence à Biwater, il apparaît qu'elle a été élaborée au moment de l'arrivée de Biwater sur le marché et était destinée à dissuader les maîtres d'œuvre et d'ouvrage de se fournir auprès de Biwater, seule autre source possible d'approvisionnement en tuyaux de fonte ductile ; que tel est le sens de la dernière phrase de cette circulaire aux termes de laquelle la société Pont-à-Mousson " espère " que les éléments qu'elle a présentés permettront aux destinataires de contribuer à la " meilleure " application de cette norme, ce qui sous-entend que le fait de se fournir auprès du seul autre producteur de tuyaux en fonte ductile constituerait une moins bonne application de cette norme ;
Considérant, en outre, que les déclarations d'un ingénieur de la direction départementale de l'agriculture à Belfort établissent que cette circulaire a aussi constitué la trame à partir de laquelle était élaborée par les services commerciaux de Pont-à-Mousson une argumentation pour le moins incomplète dès lors que la norme internationale ISO-253 I à laquelle sont conformes les produits Biwater a été reconnue équivalente à la norme chef de file NF A 48-801 relative aux éléments de canalisations en fonte ductile pour conduite avec pression homologuée par l'Afnor, ladite argumentation visant à suggérer explicitement que sur les différentes questions évoquées dans la circulaire - longueur, joints, revêtement intérieur et pression d'épreuves en usine - les produits Biwater n'étaient pas conformes aux normes françaises homologuées ; que, par ailleurs, les documents transmis par l'entreprise de travaux publics Agostini à Biwater, documents sans en-tête qui accompagnaient la circulaire que l'entreprise Agostini avait reçue du représentant légal de Pont-à-Mousson en Corse lors de la consultation de ce dernier concernant le marché Sivom de la Marana, reprennent la même argumentation que celle analysée ci-dessus, argumentation qui met en cause explicitement la conformité des tuyaux Biwater aux normes homologuées en France ;
Considérant que contrairement aux allégations de la société Pont-à-Mousson, ses interventions ne se sont pas limitées à des réponses aux questions des maîtres d'œuvre ou d'ouvrages sur ses propres tuyaux comme l'indique le procès-verbal d'audition de l'ingénieur des travaux ruraux de la direction départementale de l'agriculture de Belfort, lequel a déclaré°: " (...) la société Pont-à-Mousson nous a contactés à plusieurs reprises pour nous rappeler que leurs tuyaux étaient conformes aux normes françaises et pour nous laisser entendre que les tuyaux Biwater ne l'étaient pas ".
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Pont-à-Mousson a, sous couvert de rappel des règles relatives à la normalisation dans les marchés publics, mis en œuvre une pratique ayant pour objet et pouvant avoir pour effet d'inciter les maîtres d'ouvrage, les maîtres d'œuvre et les services techniques à se détourner des produits Biwater, notamment lorsque cette société avait fait des offres plus compétitives que celles de Pont-à-Mousson, en leur suggérant que ces tuyaux n'étaient pas conformes aux normes homologuées en France, lesquelles sont d'application obligatoire dans ce type de marchés; que cette pratique, qui émane d'une entreprise en position dominante et dont l'influence est d'autant plus importante qu'implantée de longue date, elle était, jusqu'à l'arrivée de Biwater sur le marché le seul fournisseur de canalisations en fonte ductile, était de nature à faire obstacle de façon artificielle à l'entrée d'un concurrent sur ce marché, et est visée par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Sur les pratiques en matière de prix :
Considérant que dans les marchés de pose de canalisations en fonte ductile, l'entreprise de pose soumissionnaire, qui doit compter dans son offre le prix des tuyaux qu'elle va poser ainsi que les frais de pose, s'adresse fréquemment à plusieurs fournisseurs pour leur demander les prix de fournitures qu'ils consentiraient pour le marché en cause ; qu'elle retient la proposition la plus intéressante afin d'établir sa soumission en rajoutant ses coûts propres de pose ; que dans certains cas l'entreprise soumissionnaire organise un processus d'enchère à la baisse entre les fournisseurs potentiels conduisant ces derniers à revoir leurs propositions initiales; que ces processus de confrontation des offres obligent chacun des fournisseurs qui souhaite être retenu à faire les propositions les plus compétitives possibles en permettant ainsi aux maîtres d'ouvrages de bénéficier du plein effet de la compétition entre les fournisseurs de canalisations ;
Mais considérant que ce processus peut être faussé lorsque l'un des fournisseurs qui détient une position dominante, loin de faire les propositions de fournitures les plus compétitives qu'il peut consentir à l'entreprise de pose soumissionnaire au moment où celle-ci élabore l'offre qu'elle va déposer, se réserve la possibilité, dans le seul cas où cette entreprise remporterait le marché sur le fondement d'une proposition de fourniture concurrente, de renégocier sa proposition; qu'une telle procédure permet à l'entreprise ayant une position dominante de limiter artificiellement son risque de voir le marché en cause lui échapper tout en lui évitant d'avoir à proposer, avant la conclusion du marché, les prix les plus compétitifs possibles aux entreprises de pose; qu'il lui suffit en effet grâce à cette pratique de limiter ses efforts, d'une part, aux seuls cas où il s'avère, une fois connu le résultat de l'appel d'offres, que son concurrent a effectivement fait une proposition plus intéressante que la sienne et, d'autre part, au seul montant strictement nécessaire pour évincer ce concurrent du marché ; que d'ailleurs, la circonstance que ce concurrent serait lui-même à nouveau sollicité pour baisser son prix en réponse à la modification de la proposition faite initialement par l'entreprise en position dominante ne ferait pas, à la supposer établie, disparaître la potentialité d'effet anticoncurrentiel de la pratique dans la mesure où le maître d'ouvrage ne peut bénéficier des enchères ayant lieu une fois que le marché a été attribué ;
Considérant que la société Pont-à-Mousson a mis en œuvre une telle pratique lors de l'appel d'offres lancé en octobre 1989 par le SIAEP de Lawarde-Mauger-Hallivillers ; qu'ayant appris que l'entreprise de pose Stag avait retenu l'offre plus intéressante de la société Biwater, elle a, postérieurement à l'attribution du marché à Stag, diminué son offre en alignant son prix sur celui de Biwater afin d'éliminer cette dernière ; qu'elle a procédé de la même façon après l'attribution à l'entreprise Bauchiero du marché passé par le syndicat intercommunal de Reventin-Vaugris en mars 1990 dans lequel Biwater n'a finalement obtenu que moins de la moitié du lot canalisations ;
Considérant que la société Pont-à-Mousson ne saurait valablement soutenir que les cas susmentionnés de renégociation du prix de ses fournitures, après attribution du marché à une entreprise de pose ayant choisi l'offre de son concurrent, ne peuvent constituer une stratégie globale d'élimination qui serait seule prohibée ; qu'en effet, ces pratiques étaient de nature à permettre à la société Pont-à-Mousson de limiter le montant des concessions tarifaires à consentir et ont eu par elles-mêmes un objet et un effet anticoncurrentiel sur les marchés concernés;
Considérant, enfin, que la société Pont-à-Mousson ne peut utilement faire valoir que la pratique de prix dénoncée résulterait des comportements de la société Biwater, qui aurait initié un " processus d'enchère " en faisant aux entreprises de pose de canalisations des offres de prix inférieures à ses propres prix que ces comportements ne sauraient toutefois ni justifier les pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société Pont-à-Mousson ni leur enlever leur caractère anticoncurrentiel ;
Sur l'application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et d'infliger à la société Pont-à-Mousson une sanction pécuniaire dans la limite du chiffre d'affaires hors taxe qu'elle a réalisé en France en cours de l'année 1991, dont le montant non contesté s'élève à 2,442 milliards de francs ;
Considérant qu'il y a lieu d'apprécier les effets réels ou potentiels sur le marché des pratiques irrégulières constatées ; qu'en premier lieu, la diffusion d'indications relatives à la normalisation a pu durablement inciter les maîtres d'œuvre et les maîtres d'ouvrage à donner la préférence aux produits Pont-à-Mousson, empêchant ainsi la société Biwater d'acquérir les références nécessaires pour se développer sur le marché français ; qu'en deuxième lieu, si les pratiques de prix reprochées n'ont été établies que dans deux marchés dont le montant global s'élevait pour celui de Lawarde-Mauger à 1 080 258,85 F et pour celui de Reventin-Vaugris à 6 581 000 F, le premier prévoyant la fourniture de 2 500 mètres de canalisations de diamètre 200 et le second de 2 000 mètres de canalisations de diamètre 200 et de 100 mètres de diamètre 100, il convient de retenir également que de tels comportements n'ont pas eu seulement pour objet et pour effet d'éliminer Biwater de ces marchés publics, mais ont également pu avoir pour effet de décourager la société Biwater de tenter d'entrer en compétition avec la société Pont-à-Mousson sur d'autres marchés.
Décide :
Article 1er
Il est enjoint à la société Pont-à-Mousson de cesser de diffuser des indications relatives à la normalisation de nature à entraver l'entrée en concurrence avec ses propres produits de ceux de la société Biwater.
Article 2
Il est infligé à la société Pont-à-Mousson une sanction pécuniaire de 3 millions de francs.
Article 3
Dans un délai maximum de trois mois suivant sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publiée, aux frais de la société Pont-à-Mousson, dans le Moniteur des travaux publics et la Gazette des communes et des départements. Cette publication sera précédée de la mention : " Décision du Conseil de la concurrence en date du 18 novembre 1992 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Pont-à-Mousson ".