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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 19 septembre 2000, n° ECOC0000379X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Forum Cartes et Collections (SA)

Défendeur :

France Télécom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

MM. Carre-Pierrat, Savatier

Avoué :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau

Avocat :

Me Calvet.

CA Paris n° ECOC0000379X

19 septembre 2000

LA COUR statue sur le recours en réformation formé par la société Forum Cartes et Collections contre la décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-07 du 18 février 2000 qui a déclaré sa saisine irrecevable et a rejeté sa demande de mesures conservatoires.

Les faits :

La société Forum Cartes et Collections exerce une activité de vente par correspondance dans le secteur de la collection, de l'antiquité et de la brocante et a développé dans ce secteur une activité de serveur et de fournisseur de services télématiques.

Elle a souscrit plusieurs abonnements Télétel depuis 1987, qu'elle a demandé, en 1993, de faire placer sur le palier t44 du code 3615, qui est le palier tarifaire, applicable au client consultant le service, le plus élevé pour ce code.

Par lettre du 5 novembre 1998, la société France Télécom a écrit à chacun des fournisseurs de service pour les informer de ce qu'elle avait adopté un nouveau tarif d'abonnement applicable à compter du 1er décembre 1998. L'ancien prix unique d'abonnement de 252,95 F HT était remplacé par quatre niveaux de prix modulé en fonction des paliers tarifaires souscrits variant entre 200 F HT et 1 000 F HT, celui correspondant au pallier t44 du code 3615 étant de 600 F HT.

La société Forum Cartes et Collections a contesté cette mesure et a saisi le Conseil de la concurrence, par lettres des 9 et 16 novembre 1999, en faisant valoir que les pratiques de la société France Télécom relatives aux redevances d'abonnement des codes d'accès Télétel étaient susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par la décision déférée à la cour, le conseil a retenu que si la société France Télécom détient un monopole sur le marché des prestations nécessaires à la fourniture au grand public de services disponibles sur Minitel, il lui était loisible de relever ses tarifs, dès lors que cette augmentation n'a pas un objet ou un effet anticoncurrentiel, et a relevé que la saisine ne contient aucun élément probant à l'appui des allégations selon lesquelles la société France Télécom aurait abusé de sa position dominante.

Au soutien de son recours la société Forum Cartes et Collections, qui invoque une violation des dispositions de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce que le rapporteur et le rapporteur général n'ont pas assisté au délibéré, fait valoir que la société France Télécom a programmé la disparition de centaines de codes afin de faire cesser l'activité des petits sites générant peu de trafic pour accroître sa rentabilité, ce en quoi la mesure d'aménagement des redevances est discriminatoire. Elle prétend aussi que la mesure a pour but d'atteindre la compétitivité de concurrents potentiels à l'activité de fournisseur de services développée par la société France Télécom et de détourner l'activité Minitel vers son activité Internet.

Elle demande que la saisine soit déclarée recevable et que l'affaire soit renvoyée pour instruction au Conseil de la concurrence.

La société France Télécom demande à la cour de rejeter le recours de la société Forum Cartes et Collections et de confirmer la décision du Conseil de la concurrence. Elle prétend que les services Minitel et Internet constituent aujourd'hui un même marché pertinent sur lequel elle n'est pas en position dominante. Elle fait valoir que le réaménagement tarifaire n'avait aucun objet anticoncurrentiel et n'a eu aucun effet sur le jeu de la concurrence. Elle expose qu'elle a entendu corriger le déplacement des services grand public vers les paliers plus fortement tarifié au public opéré par les fournisseurs de services qui entendent ainsi obtenir une rémunération plus importante, ce qui a renchéri le coût à la minute du Télétel et a contribué à infléchir la consommation comme l'a relevé la Cour des comptes dans son rapport du 18 septembre 1998.

Le Conseil de la concurrence indique qu'aucun élément de fait ne lui a été présenté permettant de penser que le niveau des tarifs serait en lui-même abusif et que la baisse s'est appliquée de la même manière à l'ensemble des opérateurs présents sur le marché et qu'elle ne saurait être qualifiée au regard de l'article 8 de l'ordonnance au seul motif qu'elle représente une charge proportionnellement plus lourde pour certains opérateurs que pour d'autres.

Le ministre de l'économie conclut aux termes de ses observations écrites au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée. Il reconnaît qu'il ne peut être exclu que le marché des prestations nécessaires à la fourniture au grand public de services disponibles sur Minitel doive être reconnu comme pertinent. Il fait valoir qu'aucune augmentation n'était intervenue depuis dix ans, que le réaménagement, qui avait pour but de réorienter les services de grande diffusion vers des paliers tarifaires plus favorables à leurs utilisateurs, s'est appliqué indistinctement à tous les fournisseurs de services et que ceux-ci avaient la faculté de réorienter leurs services vers des paliers tarifaires plus bas. Il fait observer que la diminution du nombre de codes n'est pas significative, dès lors que certains codes étaient seulement réservés par leurs titulaires qui ne les exploitaient pas.

Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours.

Sur ce, LA COUR :

Sur la participation du rapporteur et du rapporteur général au délibéré:

Considérant que le moyen tiré de l'absence de participation du rapporteur et du rapporteur général au délibéré prévue sans voix délibérative à l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais contraire aux dispositions de l'article 18 de ce texte et de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ne saurait prospérer et doit être écarté ;

Sur l'audition des témoins :

Considérant que le Conseil de la concurrence n'est pas tenu de mentionner dans sa décision la teneur des interventions lors des débats dont le caractère contradictoire n'est pas mis en cause par l'appelante ; que le moyen pris de ce chef est inopérant;

Sur le fond :

Considérant qu'en application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la Conseil de la concurrence peut déclarer la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ d'application de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants;

Sur le marché concerné :

Considérant qu'il y a lieu de se placer au jour de la décision de réaménagement des tarifs pour examiner le marché auquel elle s'est appliquée ; qu'à cet égard, c'est en faisant une juste appréciation des faits de la cause que le conseil a retenu que, pour les fournisseurs de services, le recours au Minitel ou à Internet ne permettait pas d'atteindre la même clientèle, ni d'offrir des conditions de paiement comparables ; qu'en particulier, l'équipement requis de l'utilisateur n'était pas le même et le système de rémunération du fournisseur de service était différent, seul le Minitel offrant la possibilité d'une rémunération de ce fournisseur à la consultation, sans souscription d'un abonnement, puisque cette rémunération pouvait être recouvrée par la société France Télécom par le biais du coût de la connexion téléphonique facturée à l'utilisateur, cette société la reversant au fournisseur d'accès.

Considérant que le conseil a justement retenu que les prestations offertes n'étaient pas, à l'époque, substituables, la société France Télécom étant le seul opérateur à offrir aux prestataires de services informatiques le système de facturation Kiosque permettant d'intégrer le paiement du service rendu au consommateur à la facture téléphonique de ce dernier, et qu'elle était seule en mesure d'assurer la circulation de l'information entre les fournisseurs de service et les terminaux, notamment par sa filiale Transpac, seul opérateur à offrir un service de transport de données pour la fourniture de services télématiques ;

Considérant que le conseil en a exactement déduit que la société France Télécom détenait sur le marché pertinent une position dominante ;

Sur les faits invoqués :

Considérant que, comme l'a relevé le Conseil de la concurrence, le seul fait pour un opérateur occupant une position dominante sur un marché de relever ses tarifs est insuffisant pour caractériser une violation des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'il est établi que la décision dénoncée de modulation des abonnements a été annoncée par la société France Télécom qui l'a toujours justifiée par sa volonté de rééquilibrer la répartition des fournisseurs selon les paliers tarifaires des codes ; qu'ainsi elle en a délibéré avec les associations professionnelles de fournisseurs de services lors d'une réunion du 19 mai 1998 ; qu'elle a aussi consulté le Conseil supérieur de la télématique; qu'elle a respecté la procédure qui s'impose à elle, laquelle a, notamment, donné lieu à avis de l'Autorité de régulation des télécommunications;

Considérant que la société Forum Cartes et Collections n'apporte aucun élément de nature à mettre en doute la réalité de cet objectif; qu'au contraire la société France Télécom justifie de sa légitimité en produisant le rapport de la Cour des comptes du 18 septembre 1998, sur le bilan financier des programmes Télétel et Audiotel de France Télécom, qui dénonce la faible rentabilité du Télétel et constate que la société "subit le contrecoup de la politique tarifaire des fournisseurs de service qui préfèrent maximaliser à court terme leurs gains, quitte à entraîner ensuite une baisse de la consommation" ; qu'en effet, il apparaît que ces fournisseurs ont privilégié leurs offres sur des services à prix élevé afin d'obtenir un reversement plus important, d'autant que le coût de l'abonnement était identique quelque soit le pallier tarifaire retenu; que, d'ailleurs, la politique suivie par la requérante en est un exemple, celle-ci ayant progressivement fait passer l'ensemble de ses services sur le pallier t44 du code 3615 plus rémunérateur pour elle, mais aussi plus onéreux pour les consommateurs ;

Considérant que la société Forum Cartes et Collections ne convainc pas lorsqu'elle prétend que la mesure serait discriminatoire pour affecter plus durement les petits fournisseurs et qu'elle a favorisé les filiales de la société France Télécom présentes dans cette activité ;

Considérant que l'effet du réaménagement tarifaire sur les fournisseurs dont l'activité est réduite, de sorte que le renchérissement de l'abonnement, qui est une charge fixe, a induit une augmentation des charges proportionnellement plus élevée que celle subie par les fournisseurs dont l'activité générait plus de recettes, n'est pas susceptible d'établir, à lui seul, la discrimination alléguée ;

Considérant qu'en effet, il n'est pas dans la mission de la société France Télécom de garantir la viabilité économique de l'activité des fournisseurs de services qui doivent assurer celle-ci en générant des consultations suffisantes pour que le chiffre d'affaires tiré des reversements assure leur rémunération; qu'au contraire, la nouvelle politique mise en place par la société France Télécom, en ce qu'elle incite les fournisseurs à choisir un pallier tarifaire moins onéreux pour l'utilisateur, étend les possibilités qui leur sont offertes de trouver un équilibre économique à leur activité, ce qui passe nécessairement par une offre attractive pour le consommateur ;

Considérant que la société Forum Cartes et Collections n'explique pas en quoi les filiales de la société France Télécom seraient moins affectées par la hausse de l'abonnement qui est applicable à tous les fournisseurs ;

Considérant que l'allégation selon laquelle la mesure a eu pour effet de faire disparaître des milliers de services, n'est pas plus de nature à mettre en doute la réalité de l'objet de la mesure de réaménagement ; que la société Forum Cartes et Collections procède par simple affirmation, non étayée par des éléments de preuve, quand elle prétend que l'objectif inavoué de la mesure était de faire disparaître les petits fournisseurs pour accroître sa rentabilité ;

Considérant que cet effet sur le nombre de codes proposés n'établit pas plus que l'augmentation tarifaire litigieuse, qui s'est appliquée d'une manière uniforme à tous les fournisseurs de services, serait abusive ; que la limite acceptable ne saurait être fixée seulement en fonction du seuil de rentabilité des services proposés par la société Forum Cartes et Collections, comme celle-ci se borne à l'indiquer;

Considérant qu'il serait surprenant que, comme l'affirme l'appelante, la société France Télécom ait cherché à transférer l'activité Minitel, pour laquelle elle est en situation de monopole, sur l'Internet, pour laquelle elle se trouve soumise à une forte concurrence, se privant ainsi des ressources, qui aux termes du rapport de la Cour des comptes précité, n'assureront l'équilibre du bilan financier du programme Télétel qu'à partir de l'année 2001 ;

Considérant que la société Forum Cartes et Collections évoque encore la vente liée qui serait imposée aux souscripteurs d'abonnements sans fournir d'éléments sérieux de nature à caractériser une telle pratique qui ne saurait se réduire au fait que l'abonnement permettait aussi de bénéficier de différents services groupés, tels l'accès par le 3623 et le magazine bimestriel ;

Considérant, enfin, que l'imputation selon laquelle la société France Télécom a l'intention de faire disparaître l'annuaire papier "les pages Minitel", qui affectera l'ensemble des fournisseurs de services, n'est pas susceptible de conforter les allégations de la société Forum Cartes et Collections quant à la violation des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'inexécution par la société France Télécom de ses obligations contractuelles avancée par la société Forum Cartes et Collections, qu'il résulte de ce qui précède que cette société n'a pas apporté d'éléments suffisants, à l'appui de sa saisine, dès lors que ses allégations sont dépourvues de tout élément probant de nature à établir leur pertinence au regard d'une éventuelle application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il s'ensuit que la demande tendant à ce que soient ordonnées des mesures conservatoires, dont la nature n'est pas précisée, n'est pas fondée;

Considérant qu'il y a donc lieu de débouter la société Forum Cartes et Collections de son recours;

Par ces motifs: Rejette le recours de la société Forum Cartes et Collections. La condamne aux dépens.