Livv
Décisions

Conseil Conc., 30 septembre 1997, n° 97-D-70

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de la réparation automobile dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Isabelle Sévajols, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 97-D-70

30 septembre 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 17 juin 1992 sous le numéro F 514 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur de la réparation en carrosserie automobile dans le Nord­Pas­de­Calais ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les entreprises Carrosserie Copin, Carrosserie Saint Christian, Carrosserie Dupont père et fils, Carrosserie Delaby, Tiron, Socamat, Carrosserie Mathey, Carrosserie Dieryck, TCA carrosserie, Ducoulombier, Carrosserie Delattre, Legrand­Margez, Carrosserie Leman, Carrosserie P. Mory, Carrosserie Villaeys, Carrosseries basséennes, Carrosserie Martinet, Garage Degardin, Cetab, Carrosserie Delgrange, Pierre Pardoën, par le Conseil National des Professionnels de l'Automobile (CNPA), par le Groupement National des Carrossiers Réparateurs (GNCR), par la Fédération Nationale de l'Artisanat Automobile (FNA) et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants du CNPA, du GNCR, de la FNA, des entreprises TCA, Carrosserie Dune, Legrand­Margez, Carrosserie Delattre, Ducoulombier, Dieryck, Carrosserie Leman, Carrosserie P. Mory, Carrosserie Saint Christian, Carrosseries basséennes et Carrosserie Delgrange entendus, les entreprises Carrosserie Copin, Carrosserie Dupont père et fils, Carrosserie Delaby, Carrosserie Thérasse, Tiron, Socamat, Carrosserie Mathey, Carrosserie Villaeys, Carrosserie Martinet, Garage Degardin, Cetab, Pierre Pardoën ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci­après exposés :

I­ CONSTATATIONS

A- Le secteur

Le chiffre d'affaires du secteur de la réparation en carrosserie automobile était estimé en 1990 à 9,16 milliards de francs. Le nombre d'établissements spécialisés en carrosserie s'élevait alors à 7 400 en France, dont 250 environ dans les trois départements ayant fait l'objet de l'enquête administrative, le Nord, le Pas­de­Calais et la Somme.

La grande majorité des entreprises sont de petite taille et la concurrence s'exerce sur un ensemble de marchés de dimensions géographiques restreintes, les véhicules accidentés étant généralement réparés sur place.

Trois organisations syndicales représentatives des professionnels sont présentes dans les départements du Nord, du Pas­de­Calais et de la Somme : le Conseil National des Professionnels de l'Automobile (CNPA), le Groupement National des Carrossiers Réparateurs (GNCR) et la Fédération Nationale du Commerce et de l'Artisanat (FNCAA). La FNCAA, devenue Fédération Nationale de l'Artisanat Automobile (FNA), regroupe les organisations suivantes : dans le Nord la Chambre artisanale des garagistes motoristes, dans le Pas­de­Calais le Syndicat des artisans de l'automobile, et dans la Somme la Chambre professionnelle des métiers de l'automobile.

Les prestations liées à la réparation en carrosserie automobile correspondent, pour une part très importante de cette activité, à des opérations de remise en état après sinistre. Les compagnies d'assurance sont donc les principaux partenaires des carrossiers. Un système d'agrément fixe contractuellement les tarifs pratiqués pour les réparations avec les carrossiers qui sont agréés.

B- Les pratiques constatées

Une enquête administrative portant sur le secteur de la réparation en carrosserie automobile effectuée dans les départements de la Somme, du Nord et du Pas­de­Calais à la fin de l'année 1990 et au début de l'année 1991 a mis en évidence qu'au cours de réunions organisées par des syndicats professionnels des taux d'augmentation pour les tarifs horaires de main d'œuvre avaient été préconisés, qu'un article portant sur le calcul des prix de revient des travaux de peinture avait été publié dans la revue "L'officiel de l'automobile" et que trois organisations professionnelles s'étaient concertées pour qu'un taux horaire spécifique pour les travaux de peinture soit adopté.

1. Les recommandations tarifaires

Des déclarations de certains professionnels, il ressort qu'au cours d'une réunion organisée par le CNPA à la fin de l'année 1990, il a été préconisé une augmentation de 5 % des tarifs horaires de main d'œuvre pour l'année 1991. Par ailleurs, lors de la réunion organisée par le GNCR le 19 décembre 1990 à Lille, un taux de hausse de 4 % a été recommandé. Plusieurs entreprises représentées à cette réunion ont ensuite appliqué cette augmentation. Enfin, le 15 janvier 1991, pendant une réunion organisée par la FNCAA, une augmentation de 5 à 7 % a été recommandée.

2. La diffusion d'un article sur le prix de revient des travaux de peinture

Un article sur le prix de revient des travaux et produits de peinture a été publié dans le numéro du mois de mai 1991 de la revue "L'officiel de l'automobile".

La première partie de cet article comporte le paragraphe suivant : "Guy Martin estime que le "coût moyen réel de 3 heures de peinture se cible autour de 270 F, sans les produits et sans les fournitures". Ce coût de base, calculé sans prendre en compte les frais généraux de l'entreprise ne comporte également aucun salaire pour les dirigeants et bien entendu aucun bénéfice..., cette décomposition permet d'approcher de plus près le coût réel du poste peinture et constitue une base de calcul". M. Guy Martin était, à l'époque des faits, président de la commission "matériels" du Groupement des industries annexes à la carrosserie, composante de la Fédération française de la carrosserie.

La deuxième partie de cet article présente une étude sur "le prix horaire des produits peinture et ingrédients" et contient des tableaux de prix de revient horaire hors taxe et hors marge pour les ingrédients et les produits peinture.

3. L'accord sur un taux horaire spécifique pour les travaux de peinture

Dans son bulletin périodique "Le carrossier automobile" de février 1991, le CNPA a publié l'information suivante : "Outre l'accord de principe sur la facturation peinture à un taux spécifique TP indépendant des T1, T2 ou T3 et établi en fonction des coûts réels de l'entreprise, un deuxième point important a été annoncé lors de cette réunion : la création de la commission intersyndicale technique de la carrosserie".

Cette information fait référence aux usages professionnels en matière de tarification des prestations de carrosserie. En effet, certains professionnels de la carrosserie utilisent un taux horaire unique, d'autres différencient leurs tarifs en fonction de la nature et de la complexité des travaux effectués. Ils distinguent alors généralement deux ou trois taux horaires : T1, T2 et T3. Le tarif T1 correspond habituellement aux prestations de mécanique simple (ferrage, pose de pièces boulonnées...), le tarif T2 aux opérations complexes (reformatage, peinture, pièces soudées...) et le tarif T3 aux opérations de haute technicité (marbre). Les organisations professionnelles ont revendiqué une tarification spécifique pour les travaux de peinture située entre les tarifs T2 et T3.

II­ SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Considérant que, par lettre enregistrée le 17 juin 1992, le ministre de l'économie et des finances a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées lors d'une enquête effectuée en 1990 et 1991 en application des dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et relatées dans un rapport d'enquête daté du 18 décembre 1991 ;

Considérant qu'au cours de leurs investigations, les enquêteurs ont entendu des professionnels de la carrosserie exerçant leur activité dans les départements du Nord, du Pas­de­Calais et de la Somme ainsi que des responsables départementaux ou régionaux des organisations syndicales de ce secteur, le Conseil National des Professionnels de l'Automobile (CNPA), le Groupement National des Carrossiers Réparateurs (GNCR) et la Fédération Nationale du Commerce et de l'Artisanat (FNCAA) ;

En ce qui concerne la régularité de la communication des revues professionnelles :

Considérant qu'aux termes de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès­verbaux (...)" ;

Considérant que, si aux termes du rapport d'enquête : "L'essentiel des documents syndicaux relatif à la profession de carrossier ont été recueillis à l'occasion des interventions effectuées auprès des syndicats picards", aucun élément du dossier ne permet d'apprécier les conditions dans lesquelles ont été remis aux enquêteurs les extraits de la revue "L'officiel de l'automobile" du mois de mai 1991, joints en annexe 22 du rapport administratif ; que par ailleurs M. Watine, responsable du CNPA dans le département du Nord, et M. Dautricourt, secrétaire général du CNPA du Pas­de­Calais, ont transmis aux enquêteurs, par courriers des 23 et 26 juillet 1991, un bulletin syndical intitulé "Le carrossier automobile" daté de février 1991 ; que la transmission de M. Watine n'était accompagnée que d'une carte de visite portant la mention "De la part et avec les compliments de Monsieur Watine" ; que, par ailleurs, le bulletin syndical transmis par M. Bernard Dautricourt n'était accompagné que d'une carte de visite sans aucune mention ; qu'ainsi il y a lieu d'écarter ces pièces de la procédure, dès lors que la régularité de leur communication aux enquêteurs ne peut être établie ;

En ce qui concerne la régularité des procès­verbaux d'audition :

Considérant que l'entreprise Carrosseries basséennes a fait valoir en séance que devaient être écartés du dossier les procès­verbaux qui ne permettent pas d'établir que les personnes entendues au cours de l'enquête avaient été clairement informées de l'objet de l'enquête ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 47 de l'ordonnance : "Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures, et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications" ; que les procès­verbaux établis à la suite de ces enquêtes doivent répondre aux prescriptions de l'article 46 de l'ordonnance, selon lesquelles : "Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès­verbaux et, le cas échéant de rapports. Les procès­verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire." ; qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 : "Les procès­verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celles­ci, mention en est faite au procès­verbal" ;

Considérant que la preuve que les enquêteurs ont fait connaître clairement aux personnes interrogées l'objet de leur enquête peut être rapportée par la mention "faisant foi jusqu'à preuve contraire", que les agents de contrôle ont fait connaître cet objet à l'intéressé, sans qu'il y ait lieu de décrire cet objet ; qu'à défaut de visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi que de la mention de l'objet ou à tout le moins que celui­ci a été porté à la connaissance des personnes interrogées, le contrôle de la régularité des investigations porte sur le contenu des actes ; qu'il doit, à cette fin, être vérifié, par l'examen des déclarations, que l'agent verbalisateur n'a pas laissé la personne auditionnée dans l'ignorance de l'objet du contrôle ou ne l'a pas trompée sur son contenu ;

Considérant que les procès­verbaux de déclaration de M. Cuvilliers, M. Delattre, M. Martinet, M. Baron, Mme Baillion, M. Villaeys, M. Legrand, M. Lecocq, M. Mory, M. Leman, M. Barre, M. Mathey et de M. Nedoncelle ne portent pas mention du visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'objet du contrôle, pas plus du fait que celui­ci a été indiqué et ne sont accompagnés d'aucun acte attestant qu'une information des déclarants sur l'objet de l'enquête a été effectuée ; qu'en conséquence, seul un examen du contenu de ces actes peut permettre de s'assurer que ces personnes ont eu connaissance de l'objet de l'enquête et ont été en mesure d'apprécier la portée de leurs déclarations ;

Considérant que la reconnaissance par une personne auditionnée de sa participation à une entente prohibée ne peut être considérée comme régulièrement recueillie qu'autant qu'elle n'a pu se méprendre sur la portée de ses déclarations et sur le fait qu'elles pouvaient ensuite être utilisées contre elle ; qu'en l'espèce, à défaut de visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de la mention que les agents de contrôle ont fait connaître cet objet à l'intéressé ou, à tout le moins, que celui­ci a été porté à leur connaissance, M. Cuvilliers, M.Delattre, M. Martinet, M. Baron, Mme Baillion, M. Villaeys, M. Legrand, M. Lecocq, M. Mory, M. Leman, M. Barre, M. Mathey et M. Nedoncelle ont pu se méprendre sur la portée de leurs déclarations ; que la preuve du respect de l'obligation de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves ne peut se déduire simplement de la clarté et de la précision des déclarations, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles ont été énoncées en pleine connaissance de leur portée ; que, dans ces conditions, les procès­verbaux de déclaration de M. Cuvilliers du 17 juillet 1991, de M. Delattre du 19 février 1991, de M. Martinet du 27 février 1991, de M. Baron du 30 mai 1991, de Mme Baillion du 6 mars 1991, de M. Villaeys du 11 janvier et du 18 juin 1991, de M. Legrand du 16 mai 1991, de M. Lecocq du 23 janvier 1991, de M. Mory du 5 juin 1991, de M. Leman du 12 juin 1991, de M. Barre du 19 juin 1991, de M. Mathey du 21 février et du 30 août 1991 et de M. Nedoncelle du 17 juillet 1991 ont été établis de façon irrégulière et doivent être écartés de la procédure, ainsi que les pièces communiquées à l'occasion de ces auditions ;

Considérant que, dès lors que sont écartés du dossier les éléments recueillis dans des conditions irrégulières, la preuve des pratiques anticoncurrentielles n'est pas apportée,

Décide :

Article unique ­ Il n'est pas établi que le Conseil National des Professionnels de l'Automobile (CNPA), le Groupement National des Carrossiers Réparateurs (GNCR), la Fédération Nationale de l'Artisanat Automobile (FNA), les entreprises Pierre Pardoën, Carrosserie Copin, Carrosserie Saint Christian, Carrosserie Dupont père et fils, Carrosserie Delaby, Carrosserie Thérasse, Tiron, Socamat, Carrosserie Mathey, Villaeys, Ducoulombier, Carrosseries basséennes, Carrosserie Martinet, Carrosserie P. Mory, Carrosserie Leman, Carrosserie Delattre, Garage Degardin, Cetab, Legrand­Margez, Carrosserie Dieryck, TCA, Carrosserie Dune et Carrosserie Delgrange aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.