Conseil Conc., 15 mars 1994, n° 94-D-19
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Secteur du déménagement à Bordeaux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de Mme Marie-Jeanne Texier par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, MM. Blaise, Gicquel, Robin, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le 17 juillet 1992 sous le numéro F 524 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constatées dans le secteur du déménagement à Bordeaux ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la SARL Demeco Bordeaux, l'entreprise Hontas Déménagements, la Société talençaise de déménagements, la SARL Kangourou Déménagements, la SARL Déménagements Dubedat et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de l'entreprise Hontas Déménagements, de la Société talençaise de déménagements et des sociétés Déménagements Dubedat, Kangourou Déménagements et Demeco Bordeaux entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (Il) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - Le secteur d'activité
1. Les marchés concernés
a) Le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux
Pour faire réaliser le déménagement des ouvrages et matériels divers de la bibliothèque municipale Mably, la ville de Bordeaux a procédé à un appel d'offres ouvert publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics en octobre 1990. La date limite de remise des offres était fixée au 8 novembre 1990.
La commission technique chargée de l'ouverture des plis, qui s'est réunie le 13 novembre 1990, a constaté que douze offres avaient été présentées. Celles-ci ont été classées en cinq groupes, en fonction de la valeur technique des prestations, des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des candidats, ainsi que du délai d'exécution. A l'issue de ce classement, la commission technique a retenu dans le groupe supérieur trois offres jugées très bonnes, en précisant qu'à son avis, l'offre la plus complète et la meilleure était celle présentée conjointement par l'entreprise Hontas Déménagements et la Société talençaise de déménagements (STD).
La commission d'appel d'offres a finalement retenu l'offre présentée par la société Bretagne Déménagements, qui était la moins-disante des trois entreprises classées dans le groupe supérieur.
b) Le marché du déménagement des particuliers
Par ailleurs, le conseil a été saisi de pratiques concernant le marché du déménagement des particuliers dans le département de la Gironde, marché qui ne fait l'objet d'aucune réglementation spécifique.
2. Les entreprises en cause
Cinq entreprises sont en cause dans les pratiques qui ont été relevées : Hontas Déménagements, Déménagements Dubedat, Kangourou Déménagements, Société talençaise de déménagements (STD) et Demeco Bordeaux.
A l'exception de la SARL Demeco Bordeaux, qui appartient au groupe Demeco, créé en 1965 et constitué de plus de soixante-dix membres actionnaires, les entreprises en cause, si elles sont juridiquement indépendantes, sont néanmoins unies par des liens personnels. En effet, M. Michel Hontas, qui dirige l'entreprise en nom personnel Hontas Déménagements, est également le gérant des SARL Déménagements Dubedat, Kangourou Déménagements et STD. Cependant, ces entreprises se présentent comme totalement indépendantes au plan commercial :
M. Michel Hontas a notamment déclaré : "...être propriétaire des SARL Kangourou et Dubedat que j'ai rachetées alors qu'elles étaient en difficulté. Ces entreprises sont indépendantes de l'entreprise Hontas bien que j'en sois le gérant (...) Sur le plan commercial, les entreprises Hontas, Dubedat et Kangourou sont totalement indépendantes. M. Rullier est le responsable effectif de la société Kangourou..."
M. Rullier, lié à la société Kangourou Déménagements par un contrat d'agent commercial signé le 2 avril 1990, a déclaré : "Les sociétés Kangourou, Dubedat et Hontas sont trois sociétés différentes, possédant un compte d'exploitation séparé. M. Hontas est gérant de la SARL Kangourou depuis la prise de possession de la société en 1989-1990. J'assure moi-même la prospection pour la société... "
B. - Les pratiques relevées
1. Sur le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux
Parmi les douze offres qui ont été présentées, l'une, d'un montant de 2 398 092 F, émane conjointement de l'entreprise en nom personnel Hontas Déménagements et de la Société talençaise de déménagements (STD), et une autre, d'un montant de 2 672 058 F, de la société Kangourou Déménagements.
En premier lieu, il apparaît que M. Michel Hontas, dirigeant de l'entreprise en nom personnel Hontas Déménagements et gérant de la SARL Kangourou Déménagements, et M. Rullier, lié à la SARL Kangourou Déménagements par un contrat d'agent commercial, ont décidé de présenter ce dernier, signataire de l'acte d'engagement pour le compte de la société Kangourou Déménagements, comme le gérant de ladite société, afin que les liens personnels existant entre les entreprises soumissionnaires n'apparaissent pas. M. Rullier s'est effectivement présenté comme le gérant de la société Kangourou Déménagements dans la fiche de renseignements annexée à l'acte d'engagement de cette société, ainsi qu'il l'a d'ailleurs expressément reconnu.
En deuxième lieu, les entreprises Hontas Déménagements et Kangourou Déménagements ont également, préalablement au dépôt de leurs offres, échangé des informations sur les conditions de réalisation des opérations et les moyens techniques à mettre en œuvre, ainsi que le révèle la présence de documents portant l'en-tête de l'entreprise Hontas Déménagements dans le dossier de la SARL Kangourou Déménagements relatif au déménagement de la bibliothèque municipale.
En troisième lieu, l'offre présentée par le groupement Hontas Déménagements-STD est inférieure de 20,1 p. 100 au coût de l'opération estimé globalement à 3 000 000 F par la ville de Bordeaux. Selon les déclarations de M. Hontas, cette soumission à 2 398 092 F TTC "équivaut à 2 022 000 F HT, soit 2 000 journées-homme à 1 000 F la journée. Ce prix a été tiré car une journée-homme moyenne s'établit à 1 200-1 500 F. Ce coût est celui qui a été établi par mon comptable... ". En réalité, le prix hors taxes indiqué par M. Hontas correspond à 2 022 journées-homme et non à 2 000, et il n'est pas tenu compte du prix des fournitures annexes nécessaires.
L'offre présentée par la société Kangourou Déménagements est inférieure de 11 p. 100 au coût de l'opération tel qu'estimé par la ville de Bordeaux. M. Rullier a déclaré : "J'ai évalué un nombre de journées d'hommes nécessaires : 80 journées à 1 500 F la journée en occupant 10 personnes. Je prends en compte les emballages fournis, le scotch, les étiquettes, les rangements, le bullpack". Selon cette déclaration, le montant global hors taxes de l'offre de la société Kangourou Déménagements, qui s'élevait à 2 253 000 F, correspondait à un coût de main-d'œuvre de 1 200 000 F (80 x 1 500) et un coût de fournitures annexes égal à 1 053 000 F.
L'examen comparé de ces deux offres révèle des incohérences dans l'évaluation de la main-d'œuvre nécessaire à la réalisation des opérations (2 000 journées-homme dans un cas, 800 dans l'autre) ainsi qu'une surévaluation manifeste du coût des fournitures annexes par la société Kangourou Déménagements.
2. Sur le marché du déménagement des particuliers
L'examen de 38 dossiers de clients de la société Kangourou Déménagements, recueillis dans l'entreprise et portant sur les années 1990 et 1991, a mis en évidence l'existence de pratiques concertées entre les entreprises Hontas Déménagements, Kangourou Déménagements, Déménagements Dubedat et Demeco Bordeaux.
Ces pratiques consistent en des échanges d'informations sur les prestations à effectuer et sur les prix, en vue de l'établissement de devis de couverture destinés à faire apparaître comme moins-disante une entreprise préalablement déterminée.
L'existence de ces échanges d'informations résulte clairement du contenu même des dossiers examinés :
- dans vingt et un des dossiers examinés et provenant de la société Kangourou Déménagements, on trouve des brouillons de devis ou des devis émanant de l'entreprise Hontas Déménagements ou de la société Déménagements Dubedat ;
- en outre, dans quinze des dossiers examinés apparaît la mention "devis concurrentiel" où "devis contradictoire", assortie d'indications explicites : "Dossier H. - Devis contradictoire" ou "Dossier H. - Devis concurrentiel" ou "Devis concurrentiel. - Dossier H" ou "Pour Demeco. Devis concurrentiel" ou "Devis concurrentiel pour Labardan" (M. Labardan est le sous-directeur de la SARL Demeco Bordeaux) ;
- enfin, des instructions très explicites relatives à l'établissement de devis concurrentiels ou contradictoires, échangées le plus souvent par télécopies et signées Sandrine (secrétaire de Kangourou Déménagements), Bénédicte (secrétaire de direction de Hontas Déménagements) ou Bruno (employé, à l'époque des faits, par Déménagement Dubedat), ont été trouvées dans dix-neuf des dossiers examinés.
Ainsi, dans le dossier Honoré (pièces cotées 259 à 263), on trouve la copie d'une note signée Bruno, adressée à Sandrine : "Peux-tu me faire 1 D Kangourou + cher. Je te joins mes devis Hontas + Dubedat du client Honoré. C'est Dubedat qui passe. Tu auras tous les éléments. Me faire passer ton double par fax avant d'envoyer ton original. Merci."
Dans le dossier Nabet (pièces cotées 264 à 269), on trouve une télécopie adressée à Sandrine : "Peux-tu me faire 2 devis contradictoires, 1 Dubedat + 1 Kangourou (penser à majorer le cubage et majorer les prix) pour le dossier Nabet. Je te joints mon devis H pour les coordonnées. Il faut envoyer chaque devis dans des enveloppes séparées (dont une société qui prend en charge). Merci d'avance. Me faire parvenir tes doubles par fax."
Dans le dossier Leborgne (pièces cotées 270 à 276), on trouve la copie d'une lettre signée Sandrine : " ... Pourriez-vous si c'est possible me communiquer par fax le prix (détaillé) que je vais indiquer au client... (Je pense que c'est pour vous.) Merci. Sandrine."
Dans le dossier Demiaute (pièces cotées 291 à 301), on trouve une note adressée à Maryline (secrétaire comptable de la société STD), comportant les mentions suivantes : "Devis Demiaute ci-joint. Me dire si ça va... M. Demiaute étant un ami d'enfance de M. Hontas... voulait travailler avec vous - mais savait que Kangourou et Hontas = pareil - car quand il m'a app. sur K avait demandé M. Hontas. C'est un confrère du réseau qui l'envoyait."
Dans le dossier Bence (pièces cotées 341 à 351), on trouve une fiche client portant les mentions manuscrites suivantes : "Faire les trois devis H & D en sachant que K est n° 1."
Dans le dossier Tisserand (pièces cotées 361 à 367), on trouve une lettre signée Sandrine (secrétaire de Kangourou Déménagements) adressée à Bénédicte (secrétaire de direction de l'entreprise Hontas Déménagements) : "STP peux-tu vérifier si devis militaire contradictoire te convient. C'est un dossier Dubedat. Ci-joint le devis D que Bruno a fait + mon devis K que je dois expédier. (attends ton feu vert). Merci."
Dans le dossier Stephani (pièces cotées 368 et 369), on trouve notamment le brouillon d'un devis Hontas Déménagements comportant la mention : "Pour celui-là faire 2 Hontas + 2 Kangourou (pas d'inventaire)."
Dans le dossier Quedru (pièces cotées 383 à 392), on trouve la copie d'une lettre sans en-tête ni signature : "Pour Quedru tu n'as qu'à faire un tout petit peu + cher que nous. + 200 F environ ", la copie d'une lettre de Sandrine adressée à Bénédicte ou Bruno : "SVP avez-vous été faire la visite pour M. Quedru à Ext Caudéran - Si oui, quel prix avez-vous fait? pour que je fasse mon devis, car nous avions aussi été appelé, mais comme vous étiez déjà dessus, M. Rullier n'avait pas été faire la visite", ainsi qu'un brouillon non signé comportant les indications suivantes : "Voir avec G. Rullier quel prix il veut faire. Il y a Hontas dessus également."
Dans le dossier Lafon (pièces cotées 402 à 408), on trouve la copie d'une lettre signée Bruno adressée à Sandrine : "Peux-tu me faire 1 D K pour le dossier Lafon. Tu fais + cher comme d'habitude. C'est pressé... "
Le dossier Lebé / CRD Total (pièces cotées 414 à 428) comprend la copie d'une lettre signée Bruno, adressée à Sandrine, dont le contenu est le suivant : "Je t'envoie comme je t'en ai parlé le dossier Lebé à adresser à CRD Total France... Fais tes 3 D Kangourou ÷ cher comme tu sais et envoie-les ce soir ou demain au plus tard" ; ainsi que la copie d'un billet adressé à Bruno et signé S (Sandrine) : "Je t'envoie par fax ton dossier CRD Total France Mr Lebé. Me dire si ça te convient avant que je l'expédie".
Le dossier Beyrie (pièces cotées 429 à 433) comprend notamment une télécopie expédiée par Hontas Déménagements, reproduisant une fiche de calcul de prix comportant la mention manuscrite : "Peux-tu me faire le devis Dubedat."
Le dossier Lambillotte (pièces cotées 438 à 445) comprend une lettre signée Bruno, adressée à Sandrine, dont le contenu est le suivant : "Je t'envoie le dossier du client Lambillote pour lequel j'ai déjà fait 2 devis H + D. Peux-tu me faire troisième s'il te plaît... M'envoyer ton double..."
Le dossier Josse (pièces Cotées 446 à 452) contient une note signée Bruno, adressée à Sandrine, dont le contenu est le suivant : "Peux-tu me faire 1 D K pour le client Josse. Je te joints mes 2 D H + D : comme modèle. Tu y trouveras les renseignements. Tu n'as qu'à majorer ton px."
Le dossier Gery (pièces cotées 453 à 460) contient une télécopie adressée par Bruno à Sandrine : "S'il te plaît, peux-tu me faire 1 devis K pour M. Gery. Tu trouveras tous les renseignements sur mon devis et sur la fiche... ", ainsi qu'un mot de Sandrine adressé à Bruno : " Voici ci-joint mon devis Kangourou pour ton client Gery. Te convient-il ?... "
Le dossier Bogaers (pièces cotées 467 à 477), comprend un courrier signé Bruno, adressé à Sandrine, dont la teneur est la suivante : "Peux-tu me faire un devis K pour ce client. Il faut que tu sépares chaque prestation comme je l'ai fait..., tu m'en adresses une copie... "
Le dossier Renard (pièces cotées 478 à 489) comprend un mot adressé à Sandrine par Bruno : "Peux-tu me faire 1 D militaire K plus cher... Je te joints mon devis D comme modèle", ainsi qu'un mot adressé à Bruno par Sandrine : "STP Peux-tu regarder si le devis militaire te convient afin que je puisse le taper et l'envoyer directement au client. Par contre, peux-tu me donner : - étage adresse de départ ; - date ou mois prévu du Dgt ; - me faire passer renseignements pour que je fasse inventaire (25M3) c'est ça ? ".
Le dossier Moringnane (pièces cotées 490 à 494) contient un mot adressé par Bruno à Sandrine, comportant la mention "Dossier H - Devis concurrentiel", dont la teneur est la suivante : "Peux-tu me faire un devis concurrentiel K pour ce client (Moringnane). Je te joins mon devis... Tu peux envoyer ton devis quand tu l'auras fait, mais n'oublie pas de m'adresser ton double par fax... ".
Le dossier Sibella (pièces cotées 537 à 554) contient un mot adressé à Bénédicte : "Merci de faire établir 2 devis p. clt. Sibella. Tout en sachant que K est bénéficiaire... Indications suivent."
Le dossier Daumats-Libs (pièces cotées 569 à 582) contient une note datée du 3 mai 1991 : "... étant donné que le déménagement était payé par la société, j'ai donc proposé les 3 devis. Mme Daumats était d'accord... ", une note adressée à Bénédicte (secrétaire de direction de l'entreprise Hontas) : "Est-ce que tu pourrais me faire un devis H plus cher et l'envoyer par fax... Je t'envoie par fax mon devis K + D (le K que je vais env. par fax ce matin et le B que j'expédie par courrier... STP envoie-moi ton devis par fax...", ainsi qu'une note signée Sandrine, adressée à Bénédicte" ... concernant dossier Daumats - comme je n'avais pas de nouvelles j'ai appelé ce matin. Ne nous prends pas. Pourtant, nous avions fait les trois devis. Mais avait également fait appel à Demeco - qui sont bien plus meilleur marché que nous. Eux - 17 000 F. Nous - 29276,50 F".
Au plan quantitatif, des échanges d'information apparaissent dans 35 des 38 dossiers examinés :
Ils revêtent un caractère quasi-systématique entre l'entreprise Hontas Déménagement, la SARL Kangourou Déménagement et la SARL Déménagements Dubedat, puisque des concertations entre certaines de ces sociétés apparaissent dans 31 des dossiers examinés ;
- des traces de concertation entre ces trois entreprises apparaissent dans douze des dossiers examinés ;
- des traces de concertation entre la société Kangourou Déménagements et l'entreprise Hontas Déménagements apparaissent dans seize des dossiers examinés ;
- des traces de concertation entre les entreprises Kangourou Déménagements et Déménagements Dubedat apparaissent dans deux des dossiers examinés ;
- des traces de concertation entre l'entreprise Hontas Déménagements et la société Déménagements Dubedat apparaissent dans un des dossiers examinés.
M. Rullier, directeur commercial de la société Kangourou Déménagements, a d'ailleurs admis l'existence de ces pratiques, même s'il en minimise la portée. Il a déclaré : "Il arrive que nous établissions, exceptionnellement, des devis qualifiés de contradictoires, comme vous le notez dans les dossiers."
Par ailleurs des éléments de concertation entre la SARL Kangourou Déménagements et la SARL Demeco Bordeaux apparaissent dans quatre dossiers. Dans les observations qu'elle a présentées sur la notification de griefs qui lui a été adressée, la SARL Demeco reconnaît expressément avoir fait établir des devis de couverture dans les dossiers en cause "pour des clients qui pour des raisons qui leur sont propres... ont fait le choix de la SARL Demeco Bordeaux et devaient fournir à leur employeur deux devis supplémentaires".
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la procédure :
Considérant que les entreprises Hontas Déménagements, Déménagements Dubedat, Kangourou Déménagements et STD font valoir que la saisine est irrecevable en raison des irrégularités qui affecteraient le déroulement de l'enquête administrative ainsi que la procédure suivie devant le Conseil ;
En ce qui concerne le déroutement de l'enquête :
Considérant, en premier lieu, que les entreprises précitées soutiennent qu'une enquête doit porter sur un marché préalablement et limitativement défini ; qu'elles font valoir que trois documents mentionnés dans l'introduction du rapport d'enquête de l'administration (la fiche d'indice d'action anticoncurrentielle du 28 décembre 1990 établie par l'unité "Marchés publics" de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Gironde, la note de transmission par laquelle cette fiche d'indice a été portée à la connaissance de l'administration centrale le 9 avril 1991 et la note du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en date du 14 mai 1991 prescrivant une enquête) ne figurent pas au dossier et que cette absence constitue une violation des droits de la défense ; qu'elles soutiennent également qu'il résulterait du rapport administratif que l'enquête devait être limitée au marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux et aux entreprises qui soumissionnent habituellement aux principaux appels d'offres lancés par les collectivités publiques locales ; qu'elles en déduisent que les enquêteurs auraient ainsi outrepassé leurs pouvoirs en étendant leur enquête au marché du déménagement des particuliers et en procédant à des investigations auprès d'entreprises qui ne participent pas habituellement aux appels d'offres lancés par les collectivités publiques ;
Considérant, toutefois, qu'aux termes des dispositions de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 "Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de la présente ordonnance." ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration compétente de justifier les raisons pour lesquelles elle a, de sa propre initiative, décidé de procéder à une enquête en application des dispositions de l'article 47 de l'ordonnance en produisant des notes internes éventuellement échangées entre ses services extérieurs et sa direction générale préalablement au déclenchement de cette enquête; que, de même, aucune disposition ne limite la capacité des agents habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie de procéder à de telles enquêtes lorsqu'ils les estiment nécessaires pour l'application de l'ordonnance ou ne soumet cette faculté à l'obligation de se limiter à un marché préalablement et spécifiquement désigné; qu'au surplus, contrairement aux allégations des parties, il ne ressort nullement du rapport administratif que l'enquête prescrite par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes aurait été limitée aux entreprises ayant soumissionné au marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux et ne concernait pas l'activité des entreprises vis-à-vis des particuliers ; qu'en effet, ce rapport énonce simplement dans son introduction que "le directeur général de la DGCCRF a prescrit une enquête auprès de certaines entreprises de déménagement de Bordeaux, notamment celles qui soumissionnent habituellement aux principaux appels d'offres lancés par les collectivités publiques" ;
Considérant, en deuxième lieu, que les entreprises susmentionnées soutiennent que la demande de communication de documents formulée par les enquêteurs au siège de la société Kangourou Déménagements était générale ; que les enquêteurs ont obtenu la copie de documents dont ils ignoraient l'existence et qu'ils ne pouvaient identifier et qu'ils se sont placés abusivement dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors qu'ils auraient dû placer leur enquête dans le cadre de l'article 48 de ladite ordonnance ;
Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 47 de l'ordonnance précitée : "Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transports à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels..." ; qu'il ressort des mentions du procès-verbal relatant les opérations auxquelles ont procédé les enquêteurs, le 11 septembre 1991, au siège de l'entreprise Kangourou Déménagements, qu'il a été demandé à une secrétaire, Mme Soucaze-Guillous, la "communication de pièces et documents relatifs aux études et devis effectués par la société, au cours des années 1990 et 1991" ; que cette demande, qui portait sur des documents à caractère strictement professionnel, n'était ni générale ni imprécise ; que les documents dont il est soutenu que les enquêteurs auraient obtenu copie alors qu'ils en ignoraient l'existence et qu'ils n'étaient pas en mesure de les identifier, figuraient dans les dossiers des clients pour lesquels des études et des devis avaient été effectués par la société Kangourou Déménagements au cours des années 1990 et 1991 et qui étaient précisément demandés par les enquêteurs ; que, dans ces conditions, il ne peut être sérieusement soutenu que les enquêteurs auraient outrepassé les pouvoirs qui leur sont conférés par les dispositions précitées ;
Considérant, en troisième lieu, que les entreprises susmentionnées font valoir que les personnes entendues par les enquêteurs auraient dû être avisées de la possibilité de se faire assister par un conseil ;
Considérant, toutefois, que si l'article 20 du décret du 29 décembre 1986 susvisé prévoit, dans son second alinéa que "les personnes entendues peuvent être assistées d'un conseil", ces dispositions ne s'appliquent qu'aux auditions auxquelles peuvent procéder le cas échéant, les rapporteurs; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les personnes entendues par les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à l'occasion des enquêtes auxquelles il peut être procédé sur le fondement des dispositions de l'article 47 de l'ordonnance peuvent être assistées d'un conseil; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les personnes interrogées lors de l'enquête administrative auraient dû être averties oralement de la possibilité de se faire assister par un conseil n'est pas fondé;
Considérant, en quatrième lieu, que les entreprises susmentionnées exposent que les différents procès-verbaux ne comportent pas le libellé des questions posées par les enquêteurs aux personnes entendues et que le contenu des réponses démontre que les enquêteurs ont mis les personnes interrogées en mesure de s'accuser elles-mêmes, en violation du principe de la non-auto-incrimination ;
Considérant, toutefois, que lesdites entreprises, qui, se bornent à viser de façon très générale et imprécise "les différents procès-verbaux des personnes interrogées", n'apportent aucune preuve de manœuvres ou de procédés déloyaux auxquels se seraient prêtés les enquêteurs en vue de susciter des personnes entendues des déclarations les amenant à avouer l'existence de pratiques illicites ;
Considérant, en cinquième lieu, que les entreprises susmentionnées soutiennent qu'il y aurait une contradiction entre les deux procès-verbaux établis le 17 septembre 1991, à 11 heures, puis à 12 h 45, quant au moment exact où M. Rullier a pris connaissance des documents communiqués aux enquêteurs par Mme Soucaze-Guillous ;
Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que les enquêteurs se sont rendus dans les locaux de la société Kangourou Déménagements le 17 septembre 1991, à 11 heures ; qu'ils ont demandé à Mme Soucaze-Guillous, secrétaire de cette société, alors seule présente dans les locaux, la communication de documents relatifs aux études et devis effectués par l'entreprise ; que M. Rullier, directeur commercial de la société, ayant regagné les lieux à 12 h 30, a été entendu par les enquêteurs à 12 h 45 ; que ces opérations ont été consignées dans deux procès-verbaux distincts ; que le procès-verbal établi le 17 septembre 1991, à 11 heures, comporte la liste des pièces et documents communiqués à la demande des enquêteurs ; qu'il résulte des énonciations finales, d'ailleurs non contredites, de ce procès-verbal que "M. Rullier, directeur commercial de la société Kangourou regagnant les locaux de la société à 12 h 30, prend connaissance des documents photocopiés" ; que, contrairement à ce que soutiennent les entreprises précitées, le procès-verbal établi le 17 septembre 1991 à 12 h 45, qui enregistre les déclarations de M. Rullier sur le contenu de certains documents communiqués, ne fait nullement mention de ce que celui-ci n'aurait pris connaissance de ces documents qu'à l'issue de son audition ; qu'ainsi, il ne peut être sérieusement soutenu qu'il y aurait une contradiction entre les deux procès-verbaux établis le 17 septembre 1991 ;
Considérant, en sixième lieu, que les entreprises susmentionnées soutiennent que les dispositions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, qui prévoient que les procès-verbaux sont signés par l'enquêteur et par la personne intéressée, exigent que toutes les pages soient signées si le procès-verbal en comporte plusieurs ;
Considérant, toutefois, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit l'obligation, pour les signataires d'un procès-verbal, d'apposer un paraphe sur chaque page ; qu'ainsi, la circonstance que toutes les pages du procès-verbal établi le 17 septembre 1991, à 11 heures, n'ont pas été paraphées par M. Rullier n'est pas de nature à affecter la régularité dudit procès-verbal ;
Considérant, en septième lieu, que les entreprises susmentionnées soutiennent qu'un double du procès-verbal établi le 17 septembre 1991, à 11 heures, aurait dû être remis à M. Rullier, qui doit être regardé comme une partie intéressée dès lors qu il a signé avec Mme Soucaze-Guillous ledit procès-verbal ;
Considérant, toutefois, qu'il n'est pas contesté qu'un double du procès-verbal établi le 17 septembre 1991, à 11 heures, a été remis à Mme Soucaze-Guillous, secrétaire de la société Kangourou Déménagements ; qu'ainsi, l'entreprise Kangourou Déménagements, qui doit seule être regardée comme partie intéressée au sens du deuxième alinéa de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a effectivement reçu le double dudit procès-verbal ;
Considérant, en huitième lieu, que les entreprises susmentionnées font valoir que les procès-verbaux ne comportent pas la mention "lecture faite persiste et signe", et que dès lors, les droits de la défense ont été violés car il n'est pas établi que les personnes interrogées ont eu la possibilité de contrôler la teneur de leurs propos ainsi recueillis et retranscrits par les enquêteurs ;
Considérant, toutefois, que nonobstant la note préimprimée figurant sur la première page des formulaires des procès-verbaux utilisés par les enquêteurs, selon laquelle le déclarant sera invité à signer après la lecture faite de sa déclaration sous la mention "Lecture faite persiste et signe", aucune disposition législative ou réglementaire n'impose l'obligation de faire précéder la signature du déclarant par cette mention ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué que les personnes entendues n'auraient pas eu la possibilité de contrôler la teneur des propos recueillis et transcrits par les enquêteurs ; qu'ainsi, il ne peut être utilement soutenu que l'omission de la mention "lecture faite persiste et signe" constituerait une violation des droits de la défense ;
Considérant, en neuvième lieu, que les entreprises susmentionnées font valoir que l'enquête n'a pas permis à la SARL Déménagements Dubedat et à la Société talençaise de déménagements de faire valoir leur position quant aux faits qui leur sont reprochés puisqu' aucune pièce n'a été demandée par les enquêteurs à ces entreprises et qu'il n'a pas été procédé à l'audition des membres de leur personnel ou de leurs représentants légaux ;
Considérant, toutefois, que la circonstance que les agents ayant procédé à l'enquête n'aient pas entendu les représentants légaux ou des membres du personnel des entreprises Déménagements Dubedat et STD et qu'aucun document n'ait été demandé à ces entreprises ne fait obstacle à ce que des griefs soient notifiés auxdites entreprises en se fondant sur des pièces recueillies chez des tiers et, dont le contenu leur est opposable ; que toutes les parties intéressées ont été mises en mesure, en temps utile, de consulter le dossier et présenter leurs observations sur les griefs qui leur ont été notifiés et que les SARL Déménagements Dubedat et STD ont d'ailleurs usé de cette faculté ; qu'ainsi, il ne peut être sérieusement soutenu qu'il y aurait eu méconnaissance des droits de la défense ;
Considérant, enfin, que les entreprises susmentionnées soutiennent que le rapport d'enquête est irrégulier car son rédacteur aurait outrepassé ses pouvoirs en portant une appréciation sur la licéité des faits relevés ;
Considérant, toutefois, que le Conseil est saisi in rem du fonctionnement du ou des marchés visés dans la saisine ; qu'il est donc fondé à qualifier les faits constatés sur ces marchés sans être lié par les demandes et les conclusions des parties ; qu'ainsi, la circonstance que le rapport d'enquête administrative contiendrait des appréciations sur la licéité des faits constatés au cours de l'enquête ne saurait lier le Conseil dans son analyse des faits constatés et leur qualification juridique, et n'est pas, en elle-même, de nature à mettre en cause la régularité du rapport d'enquête de l'administration ;
En ce qui concerne la procédure suivie devant le conseil :
Considérant que les entreprises Hontas Déménagements, Déménagements Dubedat, Kangourou Déménagements et STD soutiennent, d'une part, que la saisine est irrecevable au motif qu'elle a été signée par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui exercerait ainsi la compétence normalement dévolue au seul ministre de l'économie et des finances, sans que la délégation dont il entend se prévaloir soit jointe à la lettre de saisine et sans même qu'il soit fait référence à une délégation de signature ; que les mêmes entreprises soutiennent, d'autre part, que la notification de griefs est entachée de nullité au motif qu'elle a été effectuée par un vice-président du Conseil de la concurrence, alors que l'article 18 du décret du 29 décembre 1986 réserve cette compétence au seul président et exclut toute possibilité de délégation ; qu'elles font valoir, enfin, que le rapport est entaché de nullité au motif que les pièces cotées 1165 à 1169, auxquelles il fait référence, ont été obtenues dans des conditions irrégulières ;
Considérant, en premier lieu, qu'à la date de la saisine M. Christian Babusiaux, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, était titulaire d'une délégation permanente conférée par arrêté du ministre de l'économie et des finances en date du 13 avril 1992, à l'effet de signer, dans la limite de ses attributions, au nom de celui-ci, tous actes, arrêtés, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets ; que la saisine du Conseil entrait dans les actes visés par la délégation susmentionnée ; que la publication régulière de cet arrêté de délégation suffisait à le rendre opposable aux administrés, sans qu'il fût besoin de l'annexer à l'acte du délégataire ou d'en faire expressément mention sur celui-ci ;
Considérant, en deuxième lieu, que si l'article 18 du décret du 29 décembre 1986 prévoit que la notification des griefs retenus par le rapporteur est faite par le président, l'article 1er du même décret dispose : "Le président du Conseil de la concurrence est suppléé, en cas d'absence ou d'empêchement, par un vice-président" ; qu'ainsi, la notification des griefs a pu régulièrement être faite par un vice-président ;
Considérant, en troisième lieu, que la notification de griefs, qui ouvre la phase contradictoire de la procédure, ne met pas fin à l'instruction et n'interdit pas la production de pièces nouvelles dans le respect des prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en réponse à la notification des griefs en date du 12 février 1993, les entreprises Hontes Déménagement, STD, Déménagement Dubedat et Kangourou Déménagements ont contesté l'exactitude d'un fait relevé par le rapporteur selon lequel M. Rullier avait été présenté comme le gérant de la société Kangourou Déménagements dans la soumission de cette entreprise au marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux ; qu'il incombait au rapporteur de vérifier la validité de cette contestation en adressant une lettre au maire de cette ville en vue d'obtenir la communication des pièces annexées à l'acte d'engagement de la société Kangourou Déménagements relatif à ce marché ; que les pièces communiquées par la ville de Bordeaux (cotées 1165 à 1169), qui confirmaient l'observation du rapporteur, ont été annexées au rapport auquel les entreprises concernées ont pu répondre dans le délai de deux mois prévu à l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prescrit que devaient également figurer en annexe au rapport la lettre du rapporteur au maire de la ville de Bordeaux ainsi que la lettre de transmission des pièces communiquées par celle-ci dès lors que le rapporteur ne se fondait pas sur ces lettres pour établir ses griefs; que, de même, l'établissement d'un procès-verbal par le rapporteur n'est prescrit par les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou du décret pris pour son application qu'au cas où celui-ci procède à des auditions, ce qui n'était pas le cas en l'espèce ; que dans ces conditions, les pièces cotées 1165 à 1169 ont été obtenues dans des conditions régulières ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les moyens tirés des irrégularités qui auraient affecté le déroulement de l'enquête ainsi que la procédure suivie devant le Conseil ne sont pas fondés ;
Sur les pratiques dénoncées :
Considérant qu'aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
" 1. Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
" 2. Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
" 3. Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
" 4. Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement."
En ce qui concerne le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux :
Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas sérieusement contesté que les entreprises Hontas Déménagements et STD, groupées pour répondre à l'appel d'offres, et la société Kangourou Déménagements, ont échangé des informations relatives au déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux, préalablement au dépôt de leurs offres respectives;
Considérant, en deuxième lieu, que la société Kangourou Déménagements n'a joint à son offre aucun devis détaillé; qu'il résulte des constatations mentionnées au I de la présente décision que l'offre présentée par ladite société n'était pas une offre sérieuse et présente le caractère d'une offre de couverture, destinée à faire apparaître le groupement Hontas Déménagements-STD comme le moins-disant;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que le groupement Hontas Déménagements-STD et la société Kangourou Déménagements se sont livrés à une simulation de concurrence à l'insu de la ville de Bordeaux, en présentant deux offres distinctes et en dissimulant les liens personnels qui existent entre ces entreprises;
Considérant enfin que M. Michel Hontas, qui dirige l'entreprise en nom personnel Hontas Demenagements, est également le gérant de la Société talençaise de déménagements (STD) ; que, dans ces conditions et eu égard à la circonstance que ces deux entreprises ont présenté une offre conjointe, la Société talençaise de déménagements doit être regardée comme ayant participé aux pratiques de concertation avec la société Kangourou Déménagements susmentionnée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les entreprises Hontas Déménagements, STD et Kangourou Déménagements se sont livrées à des pratiques qui avaient pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré; que de telles pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la circonstance qu'elles n'auraient pas eu d'effet anticoncurrentiel dès lors que le marché a été attribué à une entreprise tierce est sans influence sur leur qualification au regard desdites dispositions, dès lors que celles-ci prohibent les ententes ayant un objet ou comportant une potentialité d'effet anticoncurrentiel ;
En ce qui concerne le marché du déménagement des particuliers :
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'en diverses circonstances au cours des années 1990 et 1991 les entreprises Hontas Déménagements, Kangourou Déménagements, Déménagements Dubedat et Demeco Bordeaux, sollicitées par des particuliers en vue de la réalisation d'un déménagement, se sont livrées à des échanges d'informations sur la nature des prestations à effectuer et sur les prix, en vue de l'établissement de devis de couverture;
Considérant que si les entreprises susmentionnées invoquent leur bonne foi et font valoir, sans en apporter la preuve, que les concertations en vue de l'établissement de devis de couverture n'ont pas eu lieu à l'insu des clients, mais à la demande de ceux-ci, une telle circonstance, à la supposer établie, ne saurait justifier les pratiques constatées; qu'en effet la pratique consistant à établir des devis de couverture à la demande de clients qui sont les bénéficiaires de la prestation, mais qui n'en règlent pas eux-mêmes le prix, trompe le tiers payeur sur l'étendue de concurrence, en lui permettant de croire qu'il y a eu une concurrence réelle entre plusieurs entreprises; qu'une telle pratique a nécessairement pour objet et peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré ; que, par suite, elle constitue une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 précité de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les pratiques en cause, qui ont été observées dans trente-cinq dossiers sur trente-huit, affectent la quasi-totalité des dossiers examinés ; que dans onze de ces dossiers, l'entreprise présentée artificiellement comme la moins-disante à l'issue de la concertation a été retenue et que la concertation a ainsi eu un effet anticoncurrentiel ; que dans les vingt-quatre autres dossiers, la concertation avait pour objet et pouvait avoir pour effet de restreindre la concurrence ; que si la SARL Demeco Bordeaux invoque, d'une part, le caractère ponctuel des pratiques qui lui sont reprochées, d'autre part la dimension locale des entreprises en cause, enfin, le fait que ces entreprises souffriraient de la dégradation de la conjoncture et des difficultés de la profession, de tels arguments sont sans portée sur la qualification des faits au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. - Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. - Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. - Le montant maximal de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos..." ;
Considérant que pour apprécier la gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de distinguer les deux marchés qui ont été affectés par les pratiques anticoncurrentielles constatées ; que, s'agissant du marché du déménagement de la bibliothèque municipale de la ville de Bordeaux, si la restriction de concurrence entraînée par la concertation à laquelle se sont livrées l'entreprise Hontas Déménagements, la Société talençaise de déménagements et la société Kangourou Déménagements n'a pu, compte tenu du montant de ce marché, causer qu'un dommage limité à l'économie, elle est néanmoins particulièrement grave en raison des manœuvres auxquelles se sont livrées ces entreprises pour que les liens personnels existant entre elles n'apparaissent pas, manœuvres qui étaient de nature à tromper la ville de Bordeaux sur l'étendue de la concurrence ;
Considérant que, s'agissant du marché du déménagement des particuliers, les pratiques en cause, examinées sur les deux années 1990 et 1991, témoignent de la part de la société Kangourou Déménagements et de l'entreprise Hontas, d'une volonté systématique de fausser le jeu de la concurrence ; en effet, il est établi que, sur les trente-huit dossiers examinés, la société Kangourou Déménagement a participé à trente-quatre ententes trilatérales ou bilatérales et l'entreprise Hontas Déménagements a participé à vingt-neuf ententes ; que, de son côté, la société Déménagements Dubedat est impliquée dans quinze ententes ; qu'enfin, la SARL Demeco Bordeaux n'est impliquée, de façon ponctuelle, que dans quatre ententes ;
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause en 1992, dernier exercice clos connu, s'établit à 6 298 299 F pour l'entreprise Hontas Déménagements, 5 216 781 F pour la Société talençaise de déménagements, 1 642 857 F pour la société Kangourou Déménagements, 497 115 F pour la société Déménagements Dubedat et 7 645 523 F pour la SARL Demeco Bordeaux ;
Considérant que, compte tenu de l'ensemble des éléments d'appréciation ci-dessus mentionnés, il y a lieu d'infliger aux entreprises en cause des sanctions pécuniaires d'un montant de 240 000 F pour l'entreprise Hontes Déménagements, 50 000 F pour la société Kangourou Déménagements, 10 000 F pour la société Déménagements Dubedat, 150 000 F pour la Société talençaise de déménagements et 50 000 F pour la SARL Demeco Bordeaux ;
Sur l'application des dispositions du dernier alinéa de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Lorsque les faits lui paraissent de nature à justifier l'application de l'article 17, il (le Conseil) adresse le dossier au procureur de la République. Cette transmission interrompt la prescription de l'action publique." ; que l'article 17 de l'ordonnance dispose : "Sera punie d'un emprisonnement de six mois à quatre ans et d'une amende de 5 000 à 50 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement toute personne physique qui, frauduleusement, aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles 7 et 8..." ;
Considérant qu'il ressort des faits soumis à l'appréciation du conseil que M. Hontas et M. Rullier paraissent avoir pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation et la mise en œuvre de pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que ces pratiques paraissent avoir été accompagnées de manœuvres frauduleuses destinées à tromper les clients (ville de Bordeaux ou entreprises prenant en charge les frais de déménagement de leurs employés) sur l'étendue réelle de la concurrence ; que dans ces conditions, les faits paraissant de nature à justifier l'application de l'article 17, il y a lieu de transmettre le dossier au procureur de la République compétent,
Décide :
Article 1er : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes : 240 000 F à l'entreprise Hontas Déménagements ; 50 000 F à la SARL Kangourou Déménagements ; 10 000 F à la SARL Déménagements Dudebat ; 150 000 F à la Société talençaise de déménagements ; 50 000 F à la SARL Demeco Bordeaux.
Article 2 : Le dossier sera transmis au procureur de la République grande instance de Bordeaux.