Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 19 mai 1999, n° 1998-09384

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Coudray (ès qual.)

Défendeur :

Roland DG Benelux NV(Sté), Roland DG Corporation (Sté), Roland Europe SPA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

MM. Mc Kee, Le Dauphin

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Fanet

Avocats :

Mes Malan, Duchevet.

T. com. Évry, 28 janv. 1998

28 janvier 1998

Aux termes d'un contrat en date du 1er décembre 1987, la société Roland DG Europe NV (ancienne dénomination de Roland Benelux) a concédé à la société Angalis, l'agence générale exclusive pour la France des produits de sa distribution Roland, et ce pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction.

Cette relation contractuelle s'est poursuivie jusqu'au 1er février 1992, date à laquelle un accord a été conclu entre la société Angalis et la société Roland DG Japon, fabricant japonais, désignant la société Angalis en qualité de distributeur exclusif dans la république française des contrats visés par la convention, valable du 1er février 1992 au 31 janvier 1993 et pouvant être renouvelé après que Roland DG ait évalué les résultats commerciaux générés par Angalis durant cette période d'un an.

Par lettres des 21 juin et 18 novembre 1993 et 15 mars 1994, la société Angalis a fait part à la société Roland DG Japon de la situation critique dans laquelle elle se trouvait, obtenant de la part de son fournisseur des facilités de paiement et de livraison. Toutefois, par lettres des 25 juin et 5 août 1993, ce fournisseur a rappelé à la société Angalis la teneur des engagements qu'elle avait contractés en qualité de distributeur exclusif, puis par courrier du 13 avril 1994, lui a signifié sa décision de modifier les conditions contractuelles de leur relation commerciale, lui demandant de s'approvisionner pour l'avenir par l'intermédiaire de Roland DG Benelux.

Le 3 juin 1994, les sociétés Angalis, Roland Benelux et Roland DG Japon se sont réunies en vue d'organiser pour l'avenir leurs relations commerciales. Leur accord a été consigné le 14 juillet 1994 dans un " mémorandum d'accord " selon lequel, pendant la période transitoire allant jusqu'en octobre 1994, Angalis poursuivrait, de manière exclusive, la distribution de certaines gammes de produits Roland, l'approvisionnement devant être assuré par Roland Benelux, afin de faciliter les livraisons et le suivi du règlement des factures. Il était prévu, à l'article 4 du mémorandum, qu'à compter du 31 octobre 1994, la société Angalis était d'accord pour continuer le commerce des produits Roland DG comme un vendeur sur le marché français bien que le droit d'agence exclusive soit terminé et que Roland DG s'engageait à l'approvisionner par l'intermédiaire de ses sociétés joint-ventures européennes, " les détails (nouveaux termes et conditions) devant être fixés vers la fin du mois d'octobre ".

Par une lettre du 10 octobre 1994, il a été précisé que la société Angalis serait, à compter du 31 octobre 1994, livrée par la société Roland Europe, désignée à l'issue d'une réorganisation interne du groupe pour représenter les intérêts de celui-ci en France. Etaient également indiquées les conditions d'approvisionnement qui lui seraient appliquées.

Par jugements des 19 avril et 22 mai 1995, le tribunal de commerce de Corbeil a prononcé le redressement puis la liquidation judiciaires de la société Angalis, Maître Coudray étant désigné en qualité de liquidateur.

C'est dans ces circonstances que Maître Coudray, ès qualités, a fait assigner les sociétés Roland Benelux, Roland Europe et Roland DG Japon aux fins de voir dire qu'elles ont violé les accords contractuels qui assuraient à la société Angalis la possibilité de poursuivre la vente en France des produits Roland et que la société Roland DG Japon a engagé sa responsabilité professionnelle en incitant Roland Benelux et Roland Europe à user de pratiques interdites par le droit communautaire et le droit français de la concurrence, la société Roland Europe s'étant également rendue coupable de détournement de clientèle et les voir, en conséquence, condamnées in solidum au paiement de la somme de 8 000 000 F à titre de dommages-intérêts, ou, pour le cas où le Tribunal s'estimerait insuffisamment renseigné, voir ordonner une expertise.

Par jugement du 28 janvier 1998, le tribunal de commerce d'Evry a débouté les sociétés défenderesses de leur exception d'incompétence territoriale et, se déclarant compétent, a débouté les mêmes de leur demande de nullité pour vice de forme de l'acte introductif d'instance. Sur le fond, il a reçu Maître Coudray, ès qualités, en ses demandes, mais l'en a dit mal fondé et l'en a débouté dans leur totalité. Il a, enfin, condamné Maître Coudray, ès qualités, à payer aux sociétés du groupe Rolland la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR :

- Vu l'appel interjeté par Maître Coudray, ès qualités, à l'encontre du jugement précité ;

Vu les conclusions en date du 29 mai 1998 par lesquelles l'appelant demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés défenderesses de leur exception d'incompétence et de leur demande de nullité de l'acte introductif d'instance, mais, l'infirmant pour le surplus, de :

- dire que la société Roland DG Corporation (Japon) a violé les accord contractuels qui assuraient à la société Angalis la possibilité de poursuivre la vente en France des produits Roland, et engagé sa responsabilité en ordonnant à Roland Benelux et Roland Europe (Italie) d'user de pratiques interdites par les articles 85 et 86 du traité de Rome (devenus les articles 81 et 82) et par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- dire que la société Roland Benelux a violé les accords contractuels existant entre les parties et a engagé sa responsabilité en utilisant des pratiques interdites par les articles susvisés et en se rendant complice du détournement de clientèle, ordonné par la société Roland DG Corporation au bénéfice de la société Roland Europe,

- dire que la société Roland Europe (Italie) s'est rendue coupable de pratiques anticoncurrentielles ainsi que de manœuvres déloyales de détournement de clientèle au préjudice de la société Angalis,

- dire que les sociétés Roland DG Corporation, Roland Benelux et Roland Europe seront tenues de réparer le préjudice causé à la société Angalis,

- les condamner en conséquence in solidum à lui payer, ès qualités, la somme de 8 000 000 F ainsi que celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- Subsidiairement, désigner un expert avec la mission de fournit tous éléments de nature à permettre l'évaluation du préjudice subi par la société Angalis du fait des sociétés du groupez Roland, et, en ce cas, condamner ces dernières à lui payer, ès qualités, une indemnité provisionnelle de 800 000 F,

Aux motifs :

- s'agissant de la violation du traité de Rome,

que la société Roland DG Japon n'a jamais fourni la justification du fait que les autres sociétés Roland seraient ses filiales,

- que la réunion du 14 septembre 1994, qui n'intéressait pas seulement les sociétés Roland, mais également un grand nombre d'entreprises telles qu'elle en France et Dataplot et Allemagne a eu pour objet de s'entendre sur les prix de distribution des produits Roland sur les différents marchés européens, de fixer aussi les prix de vente au public et de répartir les marchés et sources d'approvisionnement entre les mêmes parties,

- qu'il lui a été imposée des conditions inégales ayant pour conséquence de lui infliger un désavantage dans la concurrence,

- que son état de dépendance par rapport au groupe Roland est démontré par le fait que ce fournisseur représentait les deux tiers de son chiffre d'affaires,

- que la société Roland Italie (Roland Europe) a, en outre, commis des manœuvres déloyales et un détournement de clientèle,

- que à cause des mesures discriminatoires prises à son encontre et du détournement de clientèle, elle s'est trouvée devant des difficultés capitales, avec une organisation importante devenue disproportionnée et non adaptée à la vente directe imposée par Roland ;

Vu les conclusions en date du 16 novembre 1998 par lesquelles les sociétés intimées demandent à la cour de confirmer le jugement rendu entre les parties le 28 janvier 1998 en ce qu'il a débouté la société Angalis de ses demandes et de condamner Maître Coudray, ès qualités, aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 60 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Aux motifs que :

- elles n'ont jamais violé les termes clairs et précis du mémorandum, librement accepté par la société Angalis,

- les conditions d'applicabilité des articles 85 et 86 du traité de Rome ne sont pas remplies, en l'absence d'intervention d'au moins deux entreprises autonomes à l'accord ou à la pratique alléguée,

- l'appelant n'apporte aucunement la preuve de l'existence d'un accord ou d'une pratique concertée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; il en est de même s'agissant du prétendu état de dépendance économique,

- la demande des appelants sur le fondement délictuel est irrecevable en présence de liens contractuels,

- en tout état de cause, il n'est rapporté la preuve ni d'une faute ni d'un préjudice, la société Angalis connaissant déjà de sérieuses difficultés financières en 1986,

- il ne saurait être pallié à la carence dans l'administration de la preuve par une mesure d'expertise ;

Sur ce,

Sur la violation des accords contractuels

Considérant que Maître Coudray, ès qualités, fait valoir que les sociétés du groupe Roland ont violé les mémorandum, en retirant à la société Angalis, malgré les promesses et les différents courriers échangés, la possibilité de poursuivre la distribution des produits Roland ; qu'il fait état de ce que tout au long des relations ayant existé entre Roland DG Japon et Angalis la première a laissé croire à la seconde qu'une association serait organisée entre elles et que leur collaboration se développerait d'une façon plus étroite par l'intermédiaire du partenaire en Europe ;

Qu'il affirme, notamment qu'Angalis n'acceptait, dans ce mémorandum, de conserver le stock de pièces détachées et de continuer à effectuer le service après-vente que parce qu'elle pourrait continuer à vendre avec son réseau de distribution existant et qu'ainsi le mémorandum, qui doit être analysé avec son contexte, ne pouvait signifier qu'Angalis serait à l'avenir fourni par Roland Italie, laquelle ne lui donnerait plus les marges nécessaires pour livrer ses clients habituels et de plus, irait les démarcher directement ; qu'il soutient que l'indication portée au mémorandum selon laquelle " les détails seraient fixés vers la fin du mois d'octobre " ne pouvait signifier, compte tenu du contexte que ces conditions seraient établies unilatéralement par Roland DG et priveraient Angalis ancien agent exclusif, de la totalité de son marché ;

Mais considérant qu'en termes clairs et précis, exclusifs de toute interprétation, les parties ont " confirmé ", par un mémorandum en date du 14 juillet 1994 qui, étant l'aboutissement de toutes leurs relations antérieures, a nécessairement pris en compte tant les projets de rapprochement qui avaient pu être envisagés entre les parties que les difficultés rencontrées par Angalis dans l'exécution des engagements contractés en qualité de distributeur exclusif ;

- qu'elle ont convenu qu'Angalis agira en tant que distributeur exclusif dans le domaine du traceur à plumes et du CAMM-1 en France jusqu'à fin octobre 1994,

- qu'Angalis est d'accord pour continuer le commerce des produits Roland DG comme un vendeur sur le marché français bien que le droit d'agence exclusive sera terminé à la fin du mois d'octobre 1994, Roland DG ayant confirmé assurer l'approvisionnement par l'intermédiaire de ses sociétés joint-ventures européennes ensuite,

- qu'Angalis a promis d'effectuer le travail de maintenance et de service après-vente d'une façon continue et de conserver les pièces détachées dans son entrepôt, cependant que les sociétés du groupe Roland coopéreront pour diminuer le stock excessif de quelques articles en prenant contact avec leurs partenaires en Europe ;

Qu'il est prévu à ce mémorandum, dont la validité n'est pas contestée, que " les détails (nouveaux termes et conditions) " des relations d'affaires dans le futur entre les parties seraient fixés vers la fin du mois d'octobre, ce qui signifie, de manière non équivoque que de nouvelles conditions, notamment de prix, seront appliquées à la société Angalis pour tenir compte de son changement de statut ;

Que dès lors, le fait qu'il lui a été imposé de s'approvisionner à compter du 1er novembre 1994 auprès de Roland Italie et à des conditions moins favorables que celles qui étaient précédemment les siennes en qualité de distributeur exclusif n'est que l'application de la convention des parties ;

Sur la violation des règles communautaires et nationales de la concurrence

Considérant que Maître Coudray, ès qualités, soutient que la réunion tenue le 14 septembre 1994 avait pour objet de s'entendre sur les prix de distribution des produits Roland sur les différents marchés européens et de fixer les prix d'achat au Japon, en France, en Allemagne et au Benelux, ainsi que sur les prix de vente au public ; que cet accord n'intéressait donc pas seulement les sociétés Roland mais également un grand nombre d'entreprises indépendantes telles que Dataplot en Allemagne et Angalis en France ;

Mais considérant que, s'il n'est pas contesté qu'à l'occasion de l'exposition Sign Europe qui s'est tenue en septembre 1994 à Paris une rencontre a eu lieu entre la société Roland Benelux et les agents commerciaux des différents pays, et à laquelle ont pu également assister les sociétés Roland Europe et Roland DG Corporation, il ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats que les diverses parties en présence sont convenues de fixer les prix des nouveaux produits de la marque Roland ;

Qu'à supposer que les sociétés du groupe Roland aient déterminé en commun leur politique de distribution des produits de la marque et se soient réparti les marchés, elles justifient que la société Roland Benelux et la société Roland Europe sont des sociétés soeurs directement ou indirectement contrôlées à plus de 50 % par la société Roland Corporation au Japon ; que l'accord entre une société mère et ses filiales qui ne jouissaient pas d'une autonomie réelle dans la détermination de leur ligne d'action sur le marché et qui forment une unité économique n'entre ni dans le champ d'application des dispositions de l'article 85 alinéa 1 du traité de Rome, la circonstance que la politique mise en œuvre par une société mère et qui consiste principalement à répartir différents marchés nationaux entre ses filiales puisse produire des effets à l'extérieur du groupe susceptibles d'affecter la position concurrentielle de tiers n'étant pas de nature à rendre ce texte applicable, ni dans celui de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant que le liquidateur de la société Angalis fonde encore sa demande de dommages-intérêts sur une prétendue violation des dispositions de l'article 86 du traité de Rome ;

Que, cependant, il ne fournit aucun élément propre à déterminer le marché pertinent, et par voie de conséquence la position occupée par les sociétés Roland sur ce marché, de sorte que le grief allégué ne peut qu'être écarté ;

Considérant que Maître Coudray, ès-qualités, invoque enfin l'exploitation abusive par les sociétés du groupe Roland de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait à leur égard la société Angalis ;

Considérant que la dépendance économique, qui s'analyse comme une absence d'alternative suffisante ou supportable de l'un des partenaires économiques, s'apprécie, s'agissant d'un distributeur par rapport à un producteur ou fournisseur, en tenant compte de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché de ce dernier et de l'impossibilité pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ;

Considérant en l'espèce que la société Angalis qui se borne à affirmer qu'elle réalisait en 1993 dans la gamme d'activités restantes, les deux tiers de son chiffre d'affaires en produits Roland ne démontre d'aucune façon que les autres conditions susvisées étaient remplies à l'époque des faits ;

Qu'il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont à juste titre débouté Maître Coudray, ès qualités, de ses prétentions tirées d'une violation des règles communautaires ou nationales de la concurrence ;

Sur les manœuvres déloyales et le détournement de clientèle

Considérant que Maître Coudray, ès-qualités, reproche à la société Roland Europe (Italie) un détournement de clientèle en faisant valoir qu'à l'issue de l'exposition Sign Europe, qui s'est tenue en France en septembre 1994, la société Angalis a remis à Roland Benelux, pour attribution, les noms et les adresses des clients qu'elle avait reçus à l'occasion de cette manifestation, que ces fiches furent transmises à la société Roland Europe (Italie) laquelle a immédiatement commencé son action en démarchant ces clients ;

Mais considérant que cette allégation n'est étayée par aucun document duquel il résulterait soit que la société Roland Europe ait démarché des clients de la société Angalis, en violation des obligations découlant de sa qualité de distributeur exclusif de certains produits de la marque Roland jusqu'au 31 octobre 1994, soit quelle ait eu, postérieurement, un comportement commercial déloyal ; que par lettre du 10 octobre 1994, la société Roland Europe (Italie) a fait connaître à Angalis les conditions qui lui seraient applicables à dater du 1er novembre 1994 et que celles-ci, loin d'être discriminatoires, apparaissent favorables à la société Angalis puisque celle-ci bénéficiait, sur certaines gammes de produits, de remises et de garanties plus avantageuses que celles accordées aux revendeurs de sa catégorie ;

Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté les demandes de Maître Coudray, ès-qualités, sur le fondement des fautes commises par la société Roland Europe (Italie)

Considérant que Maître Coudray, ès qualités, qui succombe, doit supporter les dépens d'appel ;

Considérant que la situation économique respective des parties commande de ne pas faire droit à la demande des sociétés intimées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Maître Coudray, en sa qualité de liquidateur de la société Angalis, aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code précité.