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Décisions

Conseil Conc., 2 octobre 1990, n° 90-D-34

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées sur le marché des disques de chronotachygraphe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport de Mme Galene, dans sa séance du 2 octobre 1990 où siégeaient : M. Béteille, vice-président, président, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, MM. Bon, Cerruti, Flécheux, Frics, Schmidt, membres.

Conseil Conc. n° 90-D-34

2 octobre 1990

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 23 novembre 1988 par laquelle la SARL Keko France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la SARL Mannesmann Informatique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 rela- tive à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu le règlement CEE n° 3821-85 du 20 décembre 1985 ; Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. - Constatations

Les caractéristiques du marché

Le chronotachygraphe est un appareil installé à bord des véhicules de plus de 3 500 kilogrammes ou de neuf places, destiné au contrôle des temps de travail et de repos de leurs conducteurs. Les données sur la marche du véhicule sont enregistrées sur un disque qui, inséré dans le chronotachygraphe, est imprimé sur un papier enduit de cire spéciale. D'une durée minimale d'enregistrement de vingt-quatre heures, le disque comporte plusieurs zones d'enregistrement correspondant à chaque type d'information identité du conducteur, vitesse, distance parcourue, temps de conduite et de repos.

L'utilisation d'un chronotachygraphe a été rendue obligatoire à partir de 1975 dans toute la Communauté économique européenne. Les règles applicables aux appareils et aux disques d'enregistrement sont contenues dans le règlement CEE n° 3821-85 du 20 décembre 1985 qui fixe notamment les règles relatives à l'homologation des appareils et des disques d'enregistrement.

Aux termes de l'article 5 du règlement, les disques d'enregistrement doivent avoir obtenu une homologation communautaire. Celle-ci est délivrée après que les disques ont subi avec succès les tests de résistance à l'humidité, à la chaleur et aux agents chimiques, gas-oil et essence. L'homologation est accordée pour un modèle de disque. La décision d'agrément précise le type et la marque de l'appareil dans lequel ce disque peut être utilisé.

Le marché français des disques d'enregistrement est estimé par les professionnels à environ 1 200 000 coffrets de cent disques commercialisés en 1988 par trois catégories d'entreprises les fabricants et importateurs de chronotachygraphes, notamment la société Mannesmann Informatique, division Mannesmann Kienzle, les importateurs de disques, dont la société Keko France, et les éditeurs de disques. Leurs parts de marché s'élèvent respectivement à 85 p. 100 pour les fabricants et importateurs d'appareils, 13 p. 100 pour les importateurs de disques et 2 p. 100 pour les éditeurs nationaux de disques.

Kienzle, pour sa part, occupait, en 1988, 55 p. 100 du marché français des disques d'enregistrement.

La pratique dénoncée

Kienzle fait bénéficier les acheteurs de ses chronotachygraphes neufs d'une garantie contractuelle de six mois et dans la limite de 50 000 kilomètres, qui s'ajoute à la garantie légale des vices cachés instaurée par l'article 1643 du code civil. La garantie contractuelle, non payante, permet la réparation ou le remplacement de l'appareil défectueux sans que l'acheteur ait à engager de frais.

Mais, aux termes de l'article 13-3 des conditions générales de vente des chronotachygraphes de marque Kienzle, " la garantie du vendeur ne joue que dans le cas d'utilisation des pièces ou accessoires d'origine du vendeur, en conséquence, l'utilisation de pièces ou accessoires d'autres origines, par exemple de disques adaptables, entraîne la suppression de tout droit à garantie du vendeur ".

Cette clause, qui lie la garantie contractuelle des chronotachygraphes Kienzle à l'utilisation exclusive de disques de cette même marque, est strictement appliquée par le réseau de distribution de la société.

Selon la société Keko France, les conditions imposées par Kienzle à la mise en œuvre de sa garantie contractuelle conduisent à fausser le jeu de la concurrence sur le marché des disques d'enregistrement en limitant l'accès des autres sociétés sur ce marché.

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le conseil de la concurrence

Considérant que les conditions générales de vente d'une société constituent en tant que telles, entre le fournisseur et les membres de son réseau de distribution, des conventions susceptibles d'affecter la concurrence et d'entrer dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que les conditions de vente des chronotachygraphes de marque Kienzle constituent donc une convention au sens de l'article 7 de l'ordonnance précitée ;

Considérant que les conditions générales de vente des chronotachygraphes de marque Kienzle contiennent une clause selon laquelle les acheteurs d'un chronotachygraphe neuf bénéficient d'une garantie contractuelle, sous réserve d'utiliser exclusivement des disques d'enregistrement de la marque Kienzle; qu'une telle clause a pour effet d'accroître artificiellement le coût d'utilisation des disques de marque concurrente en faisant perdre aux clients de la société Mannesmann Informatique qui utiliseraient ces disques le bénéfice de la garantie dont le coût est inclus pour partie ou pour la totalité dans le prix de l'appareil qu'ils ont acheté; que la clause visée est ainsi de nature à dissuader les acheteurs d'un appareil Kienzle de se fournir en disques d'enregistrement d'autres marques; qu'une telle clause est de nature à restreindre l'accès d'autres entreprises sur le marché des disques d'enregistrement pour chronotachygraphes; qu'en conséquence, la clause visée tombe sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant que la société Mannesmann Informatique entend justifier l'existence d'une clause restrictive de garantie, dans les conditions générales de vente de ses chronotachygraphes, par la présence, sur le marché, de disques de mauvaise qualité dont l'utilisation serait susceptible d'endommager les appareils dans lesquels ils sont insérés ; que, selon la société, cette situation découle notamment du fait que les contrôles de production imposés par l'article 5 du règlement CEE n° 3821-85 relatif à l'homologation des chronotachygraphes et des disques d'enregistrement ne sont pas effectués en France par les autorités administratives compétentes ;

Mais considérant que, s'il n'est pas contesté que des disques de mauvaise qualité peuvent, en certaines circonstances, endommager les appareils dans lesquels ils sont insérés, il est cependant possible à la société Mannesmann Informatique de se prémunir contre un tel risque par des moyens autres que l'insertion dans ses conditions générales de vente d'une clause ayant pour effet d'exclure de sa garantie les appareils dont les propriétaires ont utilisé des disques concurrents quelles que soient l'origine ou la qualité de ces disques, tout en maintenant par ailleurs sa garantie lorsque le dommage de l'appareil a été provoqué par l'utilisation de disques de sa propre marque;

Considérant en outre que, si la société Mannesmann Informatique constatait éventuellement la commercialisation de disques d'enregistrement non conformes à l'homologation délivrée, elle a la faculté de saisir les autorités administratives compétentes qui disposent, pour faire cesser le préjudice, de pouvoirs de décision et de sanction pouvant aller jusqu'au retrait de l'homologation délivrée ; que par ailleurs les recours sur la régularité des certificats d'homologation relèvent de la compétence du juge administratif ;

Considérant enfin que, bien que limitée à six mois et 50 000 kilomètres, la clause limitative de garantie peut conduire les possesseurs d'une flotte de véhicules équipés de chronotachygraphes Kienzle d'âges différents, et dont une part significative est toujours sous garantie, à renoncer à l'achat de disques concurrents pour équiper leurs chronotachygraphes ne bénéficiant plus de la garantie contractuelle afin de ne pas multiplier le nombre de leurs fournisseurs,

Décide : Art. 1er - Il est enjoint à la société Mannesmann Informatique de supprimer, dans les conditions générales de vente de ses chronotachygraphes, la clause subordonnant la garantie de ses appareils à l'utilisation de disques d'enregistrement de la marque Kienzle.

Art. 2. - Dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, la société Mannesmann Informatique fera publier, à ses frais, le texte intégral de la présente décision dans les revues Camions Magazine et L'Officiel des transporteurs. Le texte de la décision sera précédé du titre : " Décision du Conseil de la concurrence relative à des pratiques relevées sur le marché des disques de chronotachygraphes ".