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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 6 novembre 1991, n° ECOC9110145X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Guy Couach Plascoa (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Vengeon, Canivet

Conseillers :

MM. Launay, Betch

Avoué :

Me Bolling

Avocat :

SCP Michel Suzanne Cosperec Benech

CA Paris n° ECOC9110145X

6 novembre 1991

A l'issue d'une procédure d'appel d'offres restreint ouvert par le ministre délégué à la Mer, pour le remplacement d'une vedette régionale d'assistance et de surveillance des affaires maritimes, le marché a été attribué à la direction de la construction et des armements navals de Lorient, selon une décision prise le 24 janvier 1991 par la direction des gens de mer et de l'administration générale du ministère de la mer.

Estimant que cette attribution s'était déroulée en violation des prescriptions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la société Guy Couach Plascoa, candidate évincée de l'obtention du marché, a, le 9 avril 1991, saisi le Conseil de la concurrence de deux requêtes : l'une enregistrée sous le numéro F 407, visant à la cessation des pratiques anticoncurrentielles dénoncées, au prononcé de sanctions et de mesures de publication, enfin à la transmission du dossier au parquet, l'autre, sous le numéro M 82, aux fins de mesures conservatoires, tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre délégué chargé de la mer et à la DCAN de Lorient d'annuler l'accord passé pour la construction d'une vedette.

Par décision unique n° 91-D-25 délibérée en section le 29 mai 1991, le conseil a déclaré la saisine au fond irrecevable et rejeté la demande de mesures conservatoires.

Contre cette décision, la société Guy Couach Plascoa a, par déclaration déposée au greffe le 20 juin 1991, formé un recours en annulation et en réformation demandant, d'une part, que sa saisine au fond soit déclarée recevable et, d'autre part, qu'il soit fait droit à sa demande de mesures conservatoires.

Aux termes d'un mémoire ultérieur déposé le 23 septembre 1991, la société requérante a ajouté à ses prétentions initiales l'annulation du marché public litigieux et la condamnation de I'Etat, pris en la personne de l'agent judiciaire du Trésor, à lui payer une somme de 10 000 000 F en réparation du dommage prétendument causé par les pratiques alléguées.

Mis en cause d'office par application de l'article 7, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987 et ensemble représentés par l'agent judiciaire du Trésor, le ministre de la défense et le ministre délégué chargé de la mer demandent à la cour :

- de constater, en référence au principe d'unicité de l'Etat, l'inapplicabilité des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce qu'une entente ne peut être constituée entre le ministre de la mer et le ministre de la défense, s'agissant de deux autorités administratives de l'Etat non dotées de la personnalité morale et de juger en conséquence le recours irrecevable et mal fondé ;

- à titre subsidiaire, de constater que la société requérante ne justifie d'aucun indice démontrant l'existence de la concertation qu'elle dénonce et par suite de dire irrecevable tant le recours an fond que la demande de mesures conservatoires ;

- également à titre subsidiaire, de constater que la société requérante n'apporte pas la preuve d'une atteinte grave et immédiate causée par la pratique dénoncée à ses intérêts ou à l'économie en général et que de ce fait sa demande de mesures conservatoires est irrecevable.

Le ministre de l'économie, des finances et du budget estime dans ses observations que le recours doit être rejeté aux motifs, d'une part, que les pratiques dénoncées n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'autre part, que le principe d'unicité de l'Etat s'oppose à l'existence d'une entente entre ses services internes.

A l'audience, le ministère public a conclu au rejet du recours.

Sur quoi :

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article 10 du décret du 19 octobre 1987, les recours contre les décisions du conseil statuant sur des demandes de mesures conservatoires sont portés devant la cour d'appel par voie d'assignation à une audience préalablement indiquée par le premier président ou son délégué ; qu'ayant été formalisé en méconnaissance de ces prescriptions par une déclaration an greffe, le recours de la société Guy Couach Plascoa contre la décision rejetant sa demande de mesures conservatoires est irrecevable ;

Considérant que,saisie d'un recours contre une décision du conseil en application des articles 12, alinéa 5, on 15, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel de Paris n'a ni le pouvoir d'annuler des conventions ouclauses contractuelles ni celui de prononcer des condamnations à des dommages et intérêts ; qu'en conséquence toutes les demandes de la société Guy Couach Plascoa visant à de telles fins sont irrecevables ;

Considérant qu'au soutien de son recours, la société Guy Couach Plascoa prétend que constituent une entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 la remise d'une offre par un candidat personne publique et son acceptation par I'Etat pour un marché sur appel d'offres restreint, lorsque l'offre retenue n'a été jugée plus intéressante qu'en raison d'un prix anormalement bas résultant de la sous-facturation de la maind'œuvre et de la minoration illégale du taux de TVA applicable ;

Mais considérant que la pratique alléguée participe de la décision de choix de l'entreprise titulaire d'un marché public pour la fourniture de biens d'équipement, prise par l'acheteur public pour lui-même selon les modalités prévues par le code des marchés publics, décision qui, en elle-même, n'est pas un acte de production, de distribution ou de service auquel s'appliquent les règles définies par le titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la requérante affirme encore qu'en décidant que la livraison d'une vedette par le ministère de la défense au ministère délégué à la mer constitue une opération interne à I'Etat qui ne doit pas être soumise à la TVA en application des articles 256-I, 256 A et 256 B du code général des impôts, les services de l'Etat se sont concertés pour affranchir à l'avenir et en général de la TVA les entreprises du secteur public et diminuer artificiellement le prix de leurs productions, faussant ainsi le libre jeu de la concurrence dans l'attribution des marchés publics auxquels concourent lesdites entreprises ;

Mais considérant que le moyen invoqué tend, en réalité, à faire juger à titre principal de la légalité d'une décision du ministre de l'économie, des finances et du budget relative à l'application du code général des impôts ; qu'une telle appréciation n'entre pas dans les pouvoirs du conseil et par suite échappe à la compétence de la cour d'appel de Paris saisie d'un recours contre sa décision ;

Considérant en conséquence que c'est à bon droit que le conseil a déclaré irrecevable la saisine présentée par la société Guy Couach Plascoa,

Par ces motifs : Déclare irrecevable le recours formé par la société Guy Couach Plascoa contre la décision du Conseil de la concurrence rejetant sa demande de mesures conservatoires ; Déclare irrecevables les demandes de ladite société tendant à l'annulation d'un marché public et à la condamnation de l'agent judiciaire du Trésor à des dommages et intérêts ; Rejette le recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence déclarant irrecevable la saisine présentée par la société Guy Couach Plascoa ; Laisse les dépens à la charge de la requérante.