CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 18 juin 1992, n° 92-6921
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Paris Gennevilliers Containers (SA)
Défendeur :
Ministre de l'Économie et des Finances, Paris Terminal (GIE)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Avocats généraux :
M. Jobard, Mme Thin
Conseillers :
Mme Aubert, M. Guerin
Avocats :
SCP Lafarge-Flecheux-Revuz, Me Ricard.
Par requête du 15 janvier 1992, la société Paris Gennevilliers Containers (PGC), entreprise spécialisée dans la réparation des conteneurs, a saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de pratiques du Groupement d'intérêt économique Paris-Terminal, (le GIE) à qui elle reproche d'abuser de la position que lui donne sa qualité d'amodiataire exclusif du Port Autonome de Paris, établissement public de l'Etat, sur le marché des prestations de services offertes aux utilisateurs dans le complexe de marchandises générales du port de Gennevilliers :
- en lui refusant les surfaces nécessaires à son activité de réparation de conteneurs,
- en lui imposant ses services de manutention,
- en lui facturant à des prix excessifs ses prestations de manutention,
- enfin, en lui imposant des conditions discriminatoires pour l'occupation de locaux.
Par application de l'article 12 de l'ordonnance susvisée, la société PGC a, en outre, demandé au Conseil de prendre les mesures conservatoires propres à suspendre les pratiques dénoncées.
Aux termes de sa décision du 26 février 1992, le Conseil a déclaré la saisine irrecevable et, par voie de conséquence, a rejeté la demande de mesures conservatoires, aux motifs que, si l'activité de prestations de services assurée par la GIE, en tant qu'exploitant du centre de marchandises générales, entre dans le champ d'application défini par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il n'en est pas de même de l'acte par lequel il autorise à occuper une partie du domaine public, le choix qu'il opère à ce titre, par une décision relative à l'organisation du service, ne constituant pas un acte de production, de distribution, ou de service.
La société PGC a formé un recours contre cette décision en soutenant :
- que les pratiques reprochées au GIE sont indépendantes de l'organisation du service et détachables de la décision d'autorisation d'occupation du domaine public ;
- que, constitutives d'abus de la position dominante occupée par le GIE et de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouve à l'égard de celui-ci, lesdites pratiques tombent sous le coup de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne.
Soutenant que sa saisine est recevable et ses prétentions fondées, elle demande en conséquence à la Cour :
- d'annuler la décision du Conseil,
- à titre de mesures conservatoires, conformément à l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'ordonner au GIE de suspendre les pratiques dénoncées,
- par application de l'article 13 du même texte, de lui enjoindre d'y mettre fin et de lui infliger une sanction pécuniaire.
Pour conclure au rejet du recours, le GIE, intervenant à l'instance, fait valoir :
- que le Conseil n'a pas été régulièrement saisi : Yannick Mache, auteur de la requête n'ayant aucune qualité pour représenter la société PGC et le signataire des conclusions déposées pour la défense de ladite entreprise n'étant, ni valablement mandaté pour ce faire, ni autorisé à exercer l'activité de conseil au sens de la loi du 31 décembre 1991,
- que la saisine est irrecevable en raison de ce que le port de Gennevilliers ne constitue pas un marché pour ce qui relève de l'organisation et l'exploitation des terrains amodiés et que, de ce fait, les pratiques dénoncées par la société PGC n'entrent pas dans le champ de compétence du Conseil,
- que les allégations d'abus de position dominante sont sans fondement.
Le ministère public dans ses conclusions orales, comme le représentant du ministre de l'Économie et des Finances dans ses observations estiment que le recours doit être rejeté.
Sur quoi, LA COUR :
I - Sur la régularité de la saisine :
Considérant que par délibération du 9 septembre 1991, le conseil d'administration de la société PGC a donné à Yannick Mache, en sa qualité de directeur, pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers ; qu'il s'ensuit que celui-ci, agissant au nom de l'entreprise, a pu valablement saisir le Conseil par la requête qu'il lui a adressée le 17 janvier 1992 ; qu'il est dès lors sans objet de rechercher, dans le cadre de la présente instance, si au regard des dispositions de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1991, l'auteur du mémoire complémentaire déposé devant le Conseil au soutien du recours était habilité à exercer la profession d'avocat ;
II - Sur la recevabilité de la saisine :
Considérant que par une convention du 22 novembre 1974, le Port Autonome de Paris, Etablissement public de l'Etat, a mis à la disposition du Groupement d'intérêt économique du complexe de marchandises générales du port de Gennevilliers " Paris-Terminal " des terrains notamment destinés au transit général de marchandises et à l'exploitation d'un terminal de conteneurs ;
Considérant qu'au titre des services assurés par le centre de conteneurs, le GIE met à la disposition des usagers, pour y effectuer toutes les opérations de réception, de stockage, d'empotage ou de dépotage, de réparation, d'expédition de conteneurs et des marchandises empruntant ce mode de transport, des moyens comprenant la location de surfaces privatives de magasins et bureaux, les parcs de stockage des conteneurs, la manutention et la visite des conteneurs, les entrepôts publics destinés au stockage des marchandises reçues pour le compte d'usagers ne bénéficiant pas de magasins privatifs, les aires et ateliers de réparation et d'entretien des conteneurs, équipés et exploités par des sociétés privées ;
Considérant que l'exploitation de ce centre de marchandises générales constitue une activité de service, comprenant l'ensemble des prestations ci-dessus énumérées, entrant, aux termes de l'article 53, dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que ces activités constituent un marché sur lequel la société requérante situe les pratiques dont elle se plaint et qui confronte à la demande des opérateurs faisant transiter des marchandises par le port de Gennevilliers l'offre des prestations propres à y répondre ; que sur le marché ainsi défini, la société PGC est un prestataire du service d'entretien et de réparation des conteneurs intégré dans l'activité d'exploitation du centre ;
Considérant que la société PGC reproche au GIE de lui refuser les locaux et surfaces nécessaires à son activité, de subordonner cette attribution à la reconnaissance du monopole qu'il s'est arrogé sur la manutention des conteneurs, de pratiquer tant sur la manutention que sur la mise à disposition des installations portuaires des tarifs discriminatoires et en tout cas abusifs enfin, d'avoir rompu leurs relations au motif qu'elle refusait de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ;
Mais considérant que les conventions par lesquelles le GIE choisit les entreprises chargées de fournir les prestations de réparation des conteneurs s'incorporant au service dont il est concessionnaire ainsi que les actes qui règlent les modalités selon lesquelles ces entreprises exécutent lesdites prestations n'ont en eux-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, de fausser le jeu de la concurrence sur le marché spécifique de l'exploitation du complexe de marchandises générales du port de Gennevilliers;
Qu'en particulier, le fait qu'au sein des installations dont il assure l'exploitation, le GIE se réserve la manutention des conteneurs ne peut avoir un caractère anticoncurrentiel, dès lors que ces prestations sont comprises dans les services qui lui sont concédés;
Considérant en conséquence que, contrairement à ce que soutient la société PGC, les décisions relatives à l'attribution des surfaces et locaux aux entreprises chargées d'assurer la réparation des conteneurs, aux rémunérations perçues pour l'occupation desdites surfaces, aux conditions et tarifs de manutention des conteneurs faisant l'objet de réparations ne tombent sous le coup, ni de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne;
Considérant en outre le GIE n'intervient à aucun titre, et ne peut par conséquent occuper une position dominante, sur le marché de la réparation et de l'entretien des conteneurs sur lequel la société requérante pourrait subir des effets restrictifs de concurrence ; que sur ce marché, le GIE n'est ni client ni fournisseur de la société PGC qui, de ce fait, ne peut se trouver à son égard en état de dépendance économique ;
Considérant que, par suite, les pratiques alléguées par la requérante n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni dans celui de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne ; que c'est à bon droit que le Conseil a déclaré la saisine irrecevable ; que le recours doit en conséquence être rejeté ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : rejette le recours.