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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 28 mai 1991, n° 2266-90

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rocamat (SA)

Défendeur :

Sogepierre (SA), Directeur national des enquêtes économiques de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Verpeaux

Conseillers :

MM. Veille, Jacquin

Avoués :

SCP Avril-Hanssen, Me Gerbay

Avocats :

SCP Fourgoux, Me Esteben.

CA Dijon n° 2266-90

28 mai 1991

Faits et procédure

Le 22 mars 1979 un protocole était signé entre les sociétés Rocamat et Huguenin, exerçant toutes deux l'activité de production et de transformation de pierres de carrière. Ce protocole comportait dix articles destinés à rationaliser la production et améliorer la productivité, par la cession ou location réciproque de terrains, par la fermeture d'usine et par la création d'une filiale commune d'exploitation de carrière. Cependant les articles 2 et 9 du protocole prévoyaient que la société Huguenin s'engageait à ne plus exploiter de terrains dans le bassin de Saint-Maximin dans l'Oise, tandis que la société Rocamat prenait le même engagement à l'égard du bassin du Chatillonnais.

Par lettre en date du 19 octobre 1987, la société Rocamat dénonçait unilatéralement le protocole du 22 mars 1979, en invoquant sa nullité au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et obtenait en 1988 l'autorisation administrative d'exploiter en carrières, des terrains sis à Nod-Sur-Seine, soit sur le territoire du Chatilonnais et sur une superficie de 15 hectares.

Le 19 mai 1989 la société Sogepierre venant aux droits de la société Huguenin assignait la société Rocamat devant le Tribunal de commerce de Châtillon-sur-Seine pour faire dire que le protocole du 22 mars 1979 était licite, que la société Rocamat ne l'avait pas respecté et qu'en conséquence, elle devait se voir interdire, sous peine d'astreinte, l'exploitation en carrière de terrains pour lesquels elle avait obtenu une autorisation en Chatillonnais.

Saisi par la société Rocamat, le chef de la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence (DNEC) a avisé, par lettre du 1er septembre 1989, le président du tribunal de commerce de Châtillon-sur-Seine, de son intention d'intervenir dans la procédure conformément à l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par jugement en date du 21 septembre 1990, le tribunal de commerce de Châtillon-sur-Seine a dit que le protocole du 22 mars 1979 était licite au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a en conséquence interdit sous astreinte à la société Rocamat, d'acquérir des terrains ou des droits sur des terrains sis en Chatillonnais en vue de les exploiter en carrière.

Cette décision a été régulièrement frappée d'appel par la société Rocamat qui conclut à la réformation du jugement déféré.

L'appelant soulève l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Châtillon au profit de celui de Bobigny, juridiction du lieu où se trouve son siège social compte tenu de sa position de défendeur à l'instance introduite par Sogepierre. Il fait valoir que la dérogation prévue à l'article 46 du nouveau Code de procédure civile ne pouvait s'appliquer en l'espèce où il n'y a ni livraison de la chose, ni prestation de service.

Sur le fond, la société Rocamat soutient que le protocole d'accord est contraire au droit de la concurrence en ce qu'il a pour effet de limiter la concurrence sur le marché spécifique des pierres du Chatillonnais et d'entraîner au profit de Sogepierre un abus de dépendance économique. Pour l'appelante, le protocole doit être annulé tant en raison de son caractère anticoncurrentiel contraire à l'ordre public économique qu'en raison de son absence de limitation de durée, contraire au droit des contrats.

La société Sogepierre intimée, conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle souligne que le contexte dans lequel est intervenu le protocole entre Sogepierre et la société Huguenin permet de comprendre qu'il s'agissait d'un accord de rationalisation dont les deux clauses litigieuses doivent être appréciées au regard de l'utilité économique de l'ensemble de la convention.

L'intimée soutient que la compétence du tribunal de commerce de Châtillon résulte de l'application de l'article 46 du nouveau code de procédure civile s'agissant d'un contentieux né de l'exécution d'une convention complexe comportant notamment la cession de droits d'exploitation de terrains sis dans le ressort du tribunal de Châtillon.

Au fond, la société Sogepierre prétend que les clauses litigieuses ne sont pas des clauses de non-concurrence ni dans leurs effets ni dans leur objet.

Selon elle, le marché des pierres du Chatillonnais n'est pas spécifique et doit être rapproché du marché national de la pierre calcaire dans lequel il occupe une place réduite même si pour des raisons commerciales évidentes, la stratégie de différenciation pratiquée par Sogepierre tend à vanter les particularités des pierres du Chatillonnais.

D'autre part, l'objet même du protocole conclu le 22 mars 1979 ne pouvait être de restreindre la concurrence dans la mesure où la très faible part du marché concerné n'affectait pas de manière sensible la concurrence compte tenu de ce que le chiffre d'affaires des deux entreprises concernées sont largement inférieurs aux seuils de sensibilité définis par le droit français et par le droit communautaire.

Subsidiairement l'intimé souligne que si un objet ou un effet anticoncurrentiel était reconnu à cet accord, il doit bénéficier d'une exemption en raison de la contribution qu'il a apporté au progrès économique en rationalisant la production.

La société Sogepierre conteste le grief de dépendance économique dans laquelle elle placerait Rocamat compte tenu de la position respective des deux sociétés sur le marché et compte tenu de la faiblesse des approvisionnements de Rocamat en produits de Sogepierre.

Enfin la liberté du commerce et de l'industrie permet de regarder comme valables, au regard du droit des contrats, les clauses strictement limitées dans l'espace qui font l'objet du litige.

Dans des conclusions en réplique, la société Rocamat, appelante conteste l'argumentation développée par Sogepierre. Selon elle, en effet, le protocole du 22 mars 1979 ne constitue pas un accord de rationalisation, mais seulement l'aboutissement des manœuvres entreprises par le groupe Hansez pour obtenir l'abandon par Rocamat de toutes ses positions dans le Chatillonnais. L'appelante développe à nouveau son argumentation relative au caractère pertinent, tant sur le plan technique que sur un plan commercial, du marché de la pierre du Chatillonnais.

Enfin pour Rocamat, sa dépendance économique est sans rapport avec la taille respective des entreprises concernées, mais résulte seulement de la position dominante de Sogepierre sur le marché de la pierre du Chatillonnais.

Par lettre du 29 janvier 1991, le représentant du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget a fait parvenir à la Cour des conclusions tendant à la réformation du jugement frappé par la société Rocamat et demandait que soit prononcée la nullité des clauses 2 et 9 du protocole du 22 mars 1979.

Il fait valoir que de telles clauses, par lesquelles les deux entreprises se sont réparties l'exploitation des carrières du Chatillonnais et de l'Oise, sont visées par la prohibition des ententes objet de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 en ce qu'elles limitent l'accès du marché et doivent en conséquence être déclarées illicites.

Le Ministre conteste l'argument de Sogepierre tenant à " l'importance minime " de l'accord en cause. Il souligne que sur un plan communautaire, la commission, dans sa communication du 3 septembre 1986, a donné une définition quantitative du seuil de sensibilité à titre purement indicatif et que sur un plan national, la notion de seuil de sensibilité n'est pas contenue dans la loi qui condamne une action concertée dès lors qu'elle a un objet anticoncurrentiel. Même si cette notion devait être retenue, il apparaît que l'activité des entreprises concernées représente plus de 5 % du marché considéré comme le seuil de sensibilité défini par le règlement communautaire susvisé.

Le ministre conteste d'autre part que le protocole puisse constituer comme le soutien Sogepierre, un accord de spécialisation l'exonérant des dispositions de l'article 85 du traité. Il considère en effet que cette prétendue spécialisation peut être considérée comme la levée d'obstacles mais préalablement à dessein, avec en contrepartie un engagement réciproque de non-concurrence.

Il indique également que la non limitation dans le temps du protocole Sogepierre-Rocamat, si elle n'est pas condamnée par la lettre du règlement communautaire, est cependant contraire à son esprit.

La société Sogepierre soutient que les conclusions du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, sont irrecevables en tant que conclusions d'intervention et sont mal fondées comme conclusions d'appel incident ; que dans la mesure où le ministre avait été partie à la première instance, il devait, pour être régulièrement partie devant la juridiction d'appel, user soit d'un appel principal soit d'un appel incident et ne pouvait intervenir sur le fondement de l'article 554 du nouveau code de procédure civile, ce texte concernant les personnes qui n'avait été ni parties ni représentées en première instance.

Le Ministre de l'Economie a dans ses écritures en réplique conclut au rejet de la fin de non-recevoir invoquée par la société Sogepierre, en faisant valoir qu'il n'était pas partie principale au procès et que son intervention n'obéissait qu'aux règles dérogatoires de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur la compétence ratione loci

Attendu qu'en application de l'article 46 alinéa 1 du nouveau code de procédure civile, la demande peut être introduite, en matière contractuelle, outre devant la juridiction du domicile du défendeur, devant la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ; qu'en l'espèce, la convention en cause comporte dix articles qui, outre les deux articles litigieux qualifiés de clause de non-concurrence par le défendeur, comportaient diverses obligations telles que la cession du droit d'exploitation de terrains sis dans le ressort du tribunal de Châtillon-sur-Seine dont la compétence se trouve ainsi justifiée ;

Sur l'irrecevabilité de l'intervention en cause d'appel du Ministre de l'Economie

Attendu que Sogepierre soutient que le Ministre de l'Economie, qui était partie à la première instance, ne peut intervenir en cause d'appel sur le fondement de l'article 554 du nouveau code de procédure civile, ce texte ne concernant que les personnes qui n'avaient été ni partie, ni représentées en première instance ; que l'intervention du Ministre de l'Economie représenté par le Directeur de la concurrence, tant devant le tribunal de commerce que devant la Cour trouve son fondement dans les dispositions de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui ne permet pas de l'assimiler à une partie défendant les intérêts privés, mais plutôt comme le gardien d'une exacte et uniforme application de la susdite ordonnance ; qu'ainsi il n'y a pas lieu de contester la recevabilité de son intervention volontaire ;

Sur le fond :

Attendu qu'aux termes de l'article 85 (alinéa 1 du Traité de Rome), sont incompatibles avec le Marché Commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun ;

Attendu d'autre part que l'article 9 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 dispose que " est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 " ; que l'article 7 de ladite ordonnance est ainsi rédigé :

" Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, convention, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1°) limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

etc. " ;

Le protocole d'accord

Attendu que le protocole d'accord signé le 22 mars 1979 entre la société Rocamat et la société Huguenin comprend dix clauses ; que l'objet du présent procès concerne les articles 2 et 9 selon lesquels, d'une part la société Huguenin (actuellement Sogepierre) s'engage formellement ne plus s'intéresser directement ou indirectement à des terrains susceptibles d'être exploités situés sur le territoire des communes de Saint-Maximin et Gouvieux, d'autre part la société Rocamat prend les mêmes engagements sur le territoire du Chatillonnais en général et en particulier sur le territoire des communes de Magny-Lambert et Chamesson ;

Attendu que les huit autres clauses, par lesquelles chacune des sociétés s'engageait à prendre des mesures de rationalisation de la production, comportaient la cession ou la location réciproque de terrains, la fermeture d'usine, la création d'une filiale commune d'exploitation de carrière ;

Attendu que la régularité de ces dernières clauses n'est pas contestée ; qu'au contraire la société Sogepierre invoque ces dispositions pour soutenir qu'elles s'intègrent dans un ensemble qui constitue un accord de spécialisation et qui, comme tel, échappe à l'article 85 du traité de Rome et aux dispositions de droit national relatif aux ententes ;

Attendu que cette analyse du protocole est critiquée tant par Rocamat que par le Ministre de l'Economie ; que selon eux Sogepierre a, préalablement à la conclusion du protocole, créé artificiellement une situation, par l'encerclement des carrières exploitées par Rocamat dans le Chatillonnais, rendant nécessaire la conclusion d'accord entre les intéressés ;

Attendu sur ce point que le rapport établi le 31 juillet 1989 par la Direction nationale des enquêtes de concurrence et portant sur le marché de production-transformation des pierres calcaires du Chatillonnais, donne des précisions sur la genèse de la convention (cf p. 46 et suivantes du rapport) duquel il résulte, que la société Rocamat, alertée par l'intérêt que la société Huguenin manifeste pour sa carrière de Saint-Marc, va s'employer en 1977 et 1978, à louer des parcelles à Vaurois et acheter la société marbrerie du Bel Air qui comprend notamment une carrière à Chamesson ; que face à cette volonté d'expansion, Huguenin va réagir, notamment par l'encerclement des carrières Rocamat à Saint-Marc et à Vaurois en même temps qu'elle s'implante à Saint-Maximin dans l'Oise; que ce rappel historique ne permet pas d'imputer particulièrement à l'un des adversaires, la responsabilité de l'ouverture des hostilités, mais permet de constater que les ambitions contradictoires de chacun d'eux sur la pierre du Chatilonnais rendaient nécessaires la conclusion d'un protocole d'accord ;

Que d'autre part un accord de spécialisation implique une alternative entre deux contractants et concerne la fabrication d'un même produit ; qu'en l'espèce l'alternative n'existe pas dans le protocole qui prévoit que Sogepierre se réserve la " fabrication " des pierres du Chatillonnais mais en même temps exploite une carrière en commun avec Rocamat et surtout conclut parallèlement un accord de même nature avec une autre société du Chatillonnais les carrières d'Etrochey ; que le Ministre en conclut " qu'on peut donc légitimement penser que le but poursuivi par Sogepierre en concluant des accords dans le Chatillonnais était d'assurer l'exclusivité d'un produit prisé par la clientèle " ; que cependant, cette affirmation de principe ne permet pas d'expliquer en quoi l'exploitation en commun d'une carrière en commun à Vaurois-Beaufort démontre l'objet anticoncurrentiel de la convention conclue entre les deux partenaires ;

Qu'enfin un tel accord de spécialisation ne serait pas acceptable en raison de sa durée illimitée ; qu'il convient d'observer sur ce point que si l'accord ne prévoit aucune limite dans le temps, en revanche, il est strictement délimité dans l'espace, s'agissant d'une part du gisement calcaire du Chatillonnais et d'autre part du gisement de Saint-Maximin dans l'Oise ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la clause de non-concurrence ne doit pas, pour être valable, être limitée, à la fois dans l'espace et dans le temps, mais comporter seulement l'une ou l'autre de ces limitations ; qu'il semble résulter de l'analyse de l'avis de la Commission de la concurrence sur ce point (JO Doc. Adm. 79-8) que cette limitation doit s'apprécier in concreto et qu'il convient de contrôler l'ajustement dans le temps et dans l'espace de l'interdiction de concurrence par rapport à la fonction qu'elle remplit ;

Attendu que cette appréciation conduit à observer les effets du protocole critiqué et dont il est dit, tant par Rocamat que par le Ministre de l'Economie, qu'ils sont eux aussi anticoncurrentiels," en interdisant l'accès à deux marchés, celui des carrières exploitables sur le territoire des communes de Saint-Maximin et Gouvieux (Oise) et celui des carrières exploitables sur le territoire du Chatillonnais " ;

Que le rapport susvisé de la DNEC donne sur les effets de ce protocole une opinion exempte d'ambiguïté en concluant : " La position dominante occupée par Sogepierre sur le marché des pierres du Chatillonnais ne donne pas lieu apparemment à des abus ; de plus, elle a tendance à s'effriter en raison de l'arrivée récente de nouveaux concurrents et de l'expansion des anciens (p. 63 du rapport) ;

Attendu que, quant à l'objet même de la clause litigieuse, soit l'interdiction librement consentie par Rocamat d'accéder aux carrières du Chatillonnais, il ne peut avoir d'effet anticoncurrentiel, que si l'on admet que la pierre du Chatillonnais constitue un marché spécifique ce qui est également discuté ;

Le marché

Attendu qu'il n'est pas contestable que la pierre du Chatillonnais possède des qualités, quant à sa dureté, sa gélivité, sa couleur, sa facilité d'extraction qui en font un produit recherché des professionnels et qu'il y a lieu de s'interroger sur le point de savoir si ces qualités interdisent que d'autres pierres lui soient substituées, rendant ainsi spécifique ce marché ; qu'en effet selon que ce marché sera ou non reconnu comme spécifique, aura pour conséquence que les clauses restreignant son accès auront ou non un effet anticoncurrentiel ;

Attendu que pour être substituables et constituer un même marché, les produits ne doivent pas être nécessairement identiques mais suffisamment similaires au point d'être considérés par les acheteurs comme substituables entre eux ;

Attendu que sur un plan technique, la société Rocamat soutient qu'aucune autre pierre n'offre les mêmes avantages que les cinq pierres du Chatillonnais appartenant à Sogepierre, tirant argument de la présentation publicitaire faite par cette dernière de sa production ;

Attendu que la stratégie commerciale de différenciation pratiquée par Sogepierre ne prouve en rien l'absence de substituabilité des pierres du Chatillonnais ; que de plus chacune des qualités reconnues aux pierres du Chatillonnais peut être concurrencée par d'autres produits, ainsi la dureté du calcaire du Chatillonnais est dépassée par celle de la pierre de Massangis (Yonne) qui appartient à Rocamat.

Attendu que le Ministre de l'Economie répond que si aucune des particularités de la pierre du Chatillonnais n'est déterminante, leur combinaison est exceptionnelle et justifie la délimitation d'un marché pertinent spécifique ;

Attendu que cet argument est combattu par Sogepierre qui souligne que Rocamat n'hésite pas à acheter des pierres à Sogepierre pour les vendre sous sa propre marque ; que si cette substitualité ne fonctionne pas dans l'autre sens, en raison semble-t-il des besoins plus modestes de Sogepierre, il importe de rechercher si cette substitualité fonctionne à l'égard des clients ; qu'il résulte des documents versés par l'intimé, que certains cahiers des charges relatifs à des grands travaux présentent comme des variantes égales les pierres de Chasagne (Rocamat) Massangis (Rocamat) Saint Maximin (Rocamat) et Magny (Sogepierre) ; que d'autres marchés ne précisent pas la nature de la pierre calcaire à utiliser et qu'enfin Rocamat qui a possédé des carrières dans le Chatillonnais a, soit accepté d'y renoncer en 1979, soit abandonné l'exploitation d'une carrière commune avec Sogepierre en 1982 , que cette politique ne semble pas avoir pris en compte l'évolution prévisible du marché de la pierre calcaire ; que les choix architecturaux actuels concernant les revêtements de façades, les dallages intérieurs et extérieurs constituent un phénomène de mode qui bénéficie en premier lieu au calcaire du Chatillonnais dont les caractéristiques correspondent à ces utilisations, mais qui ne sont pas suffisantes pour définir un marché spécifique ;

Attendu dans ces conditions qu'il convient de replacer l'importance de l'accord conclu en 1979 dont il est dit qu'il dépasse le seuil au-delà duquel, la CEE considère qu'il n'y a pas une atteinte sensible au jeu de la concurrence, dans l'ensemble de la production de pierres calcaires ; que s'il n'est pas contesté que Rocamat détient 38 % du marché français des pierres calcaires, et le groupe Hansez dont fait partie Sogepierre, 8 %, il est faux d'affirmer que l'entente porte sur 46 % du marché alors que les clauses litigieuses ne concernent que deux sources d'extraction qui à elles-seules ne peuvent influencer le libre jeu de la concurrence ; qu'en effet sur un marché de la pierre calcaire de 880 MF, l'activité de Sogepierre dans le Chatillonnais représente 34 MF ;

Attendu enfin que la société Rocamat soutient que la position de Sogepierre dans le Chatillonnais la place dans une situation de dépendance économique dès lors qu'elle ne peut avoir directement accès à la pierre du Chatillonnais ; qu'il convient d'observer que le volume d'achats de Rocamat à Sogepierre a diminué de 1989 (2 859 367 F) à 1990 (2 480 856 F) et que si Sogepierre produit près de la moitié des pierres du Chatillonnais, nul n'interdit à Rocamat de faire jouer la concurrence en s'adressant aux autres producteurs du Chatillonnais, soit Etrochey (45 %) ou Degaux (5,3 %) ;

Attendu qu'il est sans objet d'examiner le moyen subsidiaire présenté en défense par Sogepierre tiré des effets économiques favorables de l'accord dès lors que l'objet ou l'effet anticoncurrentiel de celui-ci n'est pas reconnu.

Par ces motifs : LA COUR : Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions, Condamne la société Rocamat aux dépens qui seront recouvrés par Maître Gerbay, avoué à la Cour, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.