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Décisions

Conseil Conc., 13 décembre 1994, n° 94-D-60

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Secteur des lessives

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en formation plénière sur le rapport de M. Jean-René Bourhis par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, MM. Blaise, Bon, Gicquel, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Pichon, Rocca, Sargos, Sloan, Thilion, membres.

Conseil Conc. n° 94-D-60

13 décembre 1994

Le Conseil de la concurrence (formation plénière),

Vu les lettres enregistrées les 30 mars 1992, 1er octobre 1992, 6 novembre 1992 et 27 novembre 1992 par lesquelles le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre respectivement par les sociétés Henkel France, Lever, Procter et Gamble et Colgate-Palmolive dans le secteur des lessives ; Vu l'ordonnance n"86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les décisions n° 94-DSA-0l, 94-DSA-02, 94-DSA-03 et 94-DSA-04 du président du Conseil de la concurrence en date du 6 janvier 1994 relatives à la mise en jeu du secret des affaires ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement et celles présentées par les sociétés Colgate-Palmolive, Henkel France, Lever, Procter et Gamble France SNC, Galec, ITM France, Scapnor, Socamaine, Socara, Scanormande, Scadif, Scaso, Scachap, Scaouest, Scapalsace, Scarmor, Système U Centrale nationale ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Colgate-Palmolive, Henkel France, Lever, Procter et Gamble France SNC, Galec, ITM France, Scapnor, Socara, Scanormande, Scadif, Scaso, Scachap, Scaouest, Scapalsace, Scarmor, Système U Centrale nationale entendus, la société Socamaine ayant été régulièrement convoquée, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Les caractéristiques du secteur

1. L'offre de lessives

Les lessives sont des détergents destinés au lavage du linge dont les ventes représentaient, en 1991, environ 60 p. 100 du chiffre d'affaires total des détergents (13,5 milliards de francs), lesquels, outre les lessives, comprennent principalement les adoucisseurs, les nettoyants ménagers, les liquides pour la vaisselle et l'eau de Javel.

L'évolution technologique, la multiplication des références et les coûts de stockage ont incité les fabricants à mettre sur le marché des concentrés (24 p. 100 du marché) qui tardent, en dépit des investissements publicitaires, à se substituer aux lessives traditionnelles en poudre (47 p. 100), le plus souvent vendues en barils, ou liquides (20 p. 100). Les lessives dites "spéciales" (pour linge de couleur ou lainages) occupent 9 p. 100 du marché.

Selon la société Nielsen, les parts des fabricants de lessives en pourcentage des ventes totales ont évolué comme suit sur le plan national au cours de la période ayant précédé les faits examinés :

EMPLACEMENT TABLEAU

Sur le plan européen, la situation de la concurrence est très variable d'un pays à l'autre. Ainsi, au Royaume-Uni, seules sont présentes les sociétés Procter et Gamble et Lever. En Allemagne, la société Henkel détient la part la plus importante du marché devant Procter et Gamble et Lever, alors qu'en Espagne la société Procter et Gamble devance la société Henkel. Selon l'hebdomadaire Libre-service Actualité (n° 1405 du 7 juillet 1994), les parts des différentes entreprises sur le plan européen étaient de 33 p. 100 pour Procter et Gamble, de 23 p. 100 pour Lever, de 18 p. 100 pour Henkel, de 4 p. 100 pour Colgate Palmolive et Benkiser et de 22 p. 100 pour les autres marques.

Selon ce même hebdomadaire (LSA n°1311 du 2 juillet 1992), les marques les plus vendues sur le plan national étaient en 1992 :

EMPLACEMENT TABLEAU

Le secteur des lessives se caractérise par la prédominance des marques de producteurs (plus de 90 p. 100 des ventes) par rapport aux marques de distributeurs et de "premier prix" (moins de 8 p. 100, en raison de l'importance de la politique de communication dans ce secteur d'activité. A titre d'exemple, le budget consacré à la publicité par la société Procter et Gamble, quatrième annonceur sur le plan national, s'élevait à 735 millions de francs en 1992, soit près de 14 p. 100 du chiffre d'affaires total de l'entreprise.

La société Procter et Gamble, qui appartient au groupe américain du même nom, premier producteur mondial de détergents, exerce une activité en France pour laquelle le chiffre d'affaires s'est élevé à 5,34 milliards de francs au cours de l'exercice 1993 et le résultat net à 207 millions de francs. Le secteur des détergents, reposant sur quatre marques de lessives et une marque d'adoucissant pour textiles, représente environ 52 p. 100 des ventes totales de la société et la marque Ariel 55 p. 100. des ventes de détergents.

La société Lever SA appartient au groupe Unilever qui possède de nombreuses filiales exerçant des activités diversifiées dans le secteur des corps gras (Astra Calvé), des glaces (Motta) et des détergents. Les ventes de lessives, y compris les lessives industrielles, représentent plus de 50 p. 100 du chiffre d'affaires de la société Lever SA qui s'est élevé à 4,35 milliards de francs, dont 34 milliards sur le plan national.

La société Colgate-Palmolive appartient au groupe américain Colgate qui figure parmi les quatre principaux producteurs de détergents sur le plan mondial et qui possède des marques réputées dans les secteurs des produits d'hygiène (dentifrices Colgate, Tonigencyl, savons Palmolive et Cadum...) et des produits d'entretien (Ajax). Cette entreprise occupe la première place dans le secteur des assouplissants pour le linge (marque Soupline) et celui de l'eau de Javel (marque La Croix). Les marques de détergents Axion, Gaina, Paic et Soupline sont commercialisées uniquement en France. Les ventes de lessives représentent environ 25 p. 100 du chiffre d'affaires total de la société Colgate-Palmolive qui s'élevait, en 1993, à 4,17 milliards de francs, dont 3,59 milliards sur le plan national.

La société Henkel France appartient au groupe Henkel KG, qui exerce son activité principalement dans le secteur des détergents, des produits d'entretien, des colles et des adhésifs et possède douze usines en France. Le chiffre d'affaires réalisé en 1993 s'est élevé à 4,34 milliards de francs, dont 4 milliards sur le plan national. Cette société distribue des marques réputées comme Supercroix, Mir et Le Chat.

2. La demande

Selon la société Nielsen, les ventes de lessives se répartissaient comme suit en 1990 :

- Hypermarchés : 44,6 p. 100 ;

- Supermarchés : 47,5 p. 100 ;

- Supérettes : 2,5 p. 100 ;

- Commerce traditionnel : 3,2 p. 100 ;

- Magasins populaires : 2,2 p. 100.

A l'instar de l'offre, la demande est également concentrée dans la mesure où, dès 1990, les deux premiers clients des fabricants, les distributeurs portant les enseignes Leclerc et Intermarché, représentaient plus de 30 p. 100 de la demande totale de lessives sur le plan national. Parmi les autres distributeurs importants de lessives, figuraient la Centrale d'achat Promodès (CAP), Carrefour France et Système U. La centrale d'achat Socadip, qui regroupait alors plusieurs distributeurs importants dont Système U, Paridoc, Euromarché, CasaI et Baud, et qui représentaient environ 22 p. 100 des achats de lessives en France a, depuis lors, été dissoute.

Le groupement Leclerc réunit environ 440 commerçants indépendants possédant l'enseigne "Centre distributeur Leclerc" qui sont associés au sein de seize centrales d'achat régionales et réunis à l'échelon national, au sein du Galec, centrale nationale, et de l'association des centres distributeurs Leclerc (Acedelec). Au total, le chiffre d'affaires réalisé par les magasins du groupement Leclerc s'est élevé à 119 milliards de francs en 1993.

L'organisation du groupe est décrite dans un document intitulé Le mouvement Leclerc : "Dans la pratique, une centrale régionale est un "micro Galec". Chacune, en effet, possède ses groupes de travail qui réunissent, chaque jeudi, un certain nombre d'adhérents. Munis des accords Galec, ils rencontrent les fournisseurs (...) et procèdent à un affinement des conditions d'achat pour tenir compte des particularités locales. Tout comme le Galec, ces plates-formes d'approvisionnement ne sont pas des centres de profit : ce qui est acquis pour un franc auprès des fournisseurs est revendu un franc aux adhérents. Les coûts de fonctionnement sont financés au prorata des enlèvements en centrales. - (...) - Pour Edouard Leclerc, ces entrepôts régionaux ne doivent pas contribuer à reconstituer la fonction de grossiste, même si elle doit être "récupérée" par le distributeur. Adepte du circuit court, il n'a de cesse de s'opposer à ce que ces entrepôts prélèvent des marges indues et ne constituent dans la filière des centres de profit". Par ailleurs le représentant de la société Scadif, centrale d'achat régionale du groupement E.Leclerc, a déclaré en cours d'instruction : "Le ciment" des membres du mouvement E. Leclerc ne tient que dans l'adhésion à certains principes de commercialisation. L'adhésion à ce mouvement n'induit aucune obligation de discipline en matière de prix ou d'approvisionnement."

Le groupement Intermarché est un groupement de commerçants indépendants liés par un contrat de franchise à un franchiseur, la société anonyme ITM Entreprises, société holding du groupement Intermarché dont la politique commerciale est définie par la société ITM France. Cantonné à l'origine dans le secteur des produits alimentaires et d'entretien, le groupement Intermarché a progressivement étendu son activité aux secteurs du bricolage ("Bricomarché"), de l'équipement ménager ("Logimarché"), de l'habillement ("Vêtimarché"), et de l'équipement pour automobiles ("Stationmarché"). Au total, le chiffre d'affaires réalisé par les magasins du groupement Intermarché s'est élevé à 117 milliards de francs en 1993.

Les magasins portant l'enseigne Intermarché étant pour l'essentiel des supermarchés, le groupement compense la taille de ces magasins par leur nombre (environ 1 500) pour obtenir un tel chiffre d'affaires. Il en résulte que certains magasins du groupement sont nécessairement en situation de concurrence par rapport à d'autres : ainsi, il y a cinquante-neuf magasins Intermarché dans le seul département du Nord, avec une très forte concentration dans un triangle délimité par les villes de Lille, Arras et Valenciennes.

Les conditions d'achat des sociétés adhérentes sont négociées par des sociétés spécialisées, filiales d'ITM France appelées "bases Intermarché". Le contrat de franchise stipule, au sujet de la commercialisation des produits (art. 9) : "(...) la société ITM Entreprises a, par l'intermédiaire de ses filiales, donné son agrément à un certain nombre de fournisseurs dont les conditions ont été discutées et approuvées. Ces fournisseurs sont dits fournisseurs référencés.

"La société ITM Entreprises mettra à la disposition de la société d'exploitation une énumération codifiée et répertoriée des articles susceptibles d'être vendus ou fournis dans les points de vente exploités sous l'une des enseignes du groupement.

"Elle tiendra à la disposition de la société d'exploitation les indications et les précisions nécessaires relatives aussi bien aux articles eux-mêmes et à leurs prix et conditions de vente qu'à leurs fournisseurs référencés. Cette énumération fait ressortir notamment les prix d'achat, les coûts annexes, la TVA et le prix de vente maximum au public hors taxes et toutes taxes comprises. Il est ici rappelé que l'existence d'un prix de vente maximum est une condition de l'unité et de la notoriété du groupement."

La société Système U Centrale nationale est une centrale d'achat de commerçants indépendants à l'échelon national relayée, à l'échelon régional, par des centrales d'achat régionales créées sous forme de sociétés coopératives d'achat en commun à personnel et capital variables, "exclusives de toute idée de bénéfice". A l'instar du groupement Leclerc, le groupement Système U a mis en place des entités chargées de négocier les conditions d'achat auprès des fournisseurs. Les marchandises sont facturées aux sociétés régionales par les producteurs puis sont facturées aux commerçants indépendants par les sociétés coopératives régionales. Le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice 1993 par la société Système U Centrale nationale s'est élevé à 308,49 millions de francs, dont 138,8 millions de francs de ventes de marchandises et 102,9 millions de francs de cotisations de membres.

B.- Les pratiques

1.Les pratiques portant sur la fixation des prix de vente

a) Le "prix de seuil" instauré par la société Henkel France :

La société Henkel France a établi, en 1989-1990 ; un "prix de seuil" qui correspondait au prix minimum de revente aux consommateurs par les distributeurs. Plusieurs documents commerciaux, adressés par la société Henkel France à des distributeurs révèlent par ailleurs l'existence d'une concertation au sujet de l'application de ces "prix de seuil" par certains distributeurs. Ainsi, le 2 mai 1989, Henkel France s'adresse en ces termes à la centrale d'achat Paridoc : "Veuillez trouver ci-après la confirmation des différents points que nous avons abordés lors de notre entretien du 28 avril 1989. - 1. Prix de seuil : veuillez trouver ci-dessous le calendrier de remontée progressive des prix de seuil sur Super Croix 5 kg et X Tra 5 kg. (...). - Dans le cadre de notre volonté d'assainir le marché, nous vous remercions d'appuyer ce calendrier par une communication positive auprès de vos adhérents pour qu'il soit appliqué. Nous mettons dès à présent en œuvre une action avec l'ensemble des associés Paridoc pour son application concrète". Le 11 septembre 1989 un responsable commercial de la société Henicel France annonçait aux délégués commerciaux que le prix de seuil négocié avec le groupe Casino, adhérent de la centrale d'achat Paridoc, pour la lessive Super Croix vendue dans le cadre de l'opération "Grand Bingo" était de 73,85 F et qu'il leur appartenait de veiller à son application dans les magasins. Une note interne à la société Henkel France en date du 19 janvier 1990 et relative à la vente de Supercroix à la centrale d'achat du groupe Promodès, la CAP, mentionnait un prix de seuil de 51,30 F et précisait : "La CAP s'est engagée au nom des régions à ce que le prix de vente consommateurs soit bien de 51,30F."

b) La fixation des prix des lessives entre la société Procter et Gamble et la société coopérative d'approvisionnement Paris Nord (Scapnor) :

La Scapnor est la centrale d'achat du groupement de distributeurs Centres Leclerc pour la zone géographique située au Nord de Paris. Cette société coopérative exerce également une fonction d'entreposage.

Un document interne à la société Procter et Gamble daté du 14 janvier 1991 et consacré à la Scapnor contient les indications suivantes : "5° Les prix. Pour 1991, la Scapnor vient de mettre en place un nouveau système - chaque quinzaine, le magasin reçoit la mercuriale avec deux colonnes : 1. Les prix de cession Scapnor ; 2. Les prix de marché (c'est-à-dire un prix moyen basé sur des relevés effectués à la concurrence, Auchan, Continent, Champion, ITM, sur leur zone de chalandises, c'est-à-dire la région parisienne et le Nord). Ce prix de marché n'est pour le magasin qu'un "indicateur". En fonction des prix de sa propre zone de concurrence, le magasin est parfaitement libre de fixer le PVC qu'il souhaite. Votre rôle est donc primordial au local pour faire appliquer notre politique de prix. Un grand merci à (...), qui m'envoie régulièrement les prix mercuriales que vous trouverez en annexe de manière complètement confidentielle (...). "Par ailleurs, un imprimé interne à la société Procter et Gamble annexé au document précité porte la mention manuscrite " confidentiel " et fait apparaître une liste manuscrite de prix de cession TTC" de la Scapnor à ses adhérents ainsi qu'une liste de "prix de marché". Enfin, une correspondance interne à la société Procter et Gamble relatant le déroulement d'une réunion qui s'est tenue le 27 juillet 1991 entre le groupe de travail de la Scapnor constitué de représentants d'entreprises adhérentes à cette centrale d'achat et de responsables de la société Procter et Gamble indique au sujet des prix de vente : "OK pour revoir les PV conseillés mercuriales, selon les infos du fournisseur."

c) L'Argus de la distribution :

"L'Argus de la distribution" est un support publicitaire diffusé de manière suivie mais irrégulière auprès de l'ensemble des consommateurs, sur le plan national, par le groupement Intermarché qui présente ses franchisés comme les Mousquetaires de la distribution". Ce support qui, au moment des faits revêtait la forme d'un recueil de prix de vente aux consommateurs, se distingue des prospectus diffusés de manière occasionnelle et le plus souvent localement par de nombreux distributeurs.

Pour ITM Entreprises, le concept de l'"Argus" de la distribution correspond, d'une part, à un objectif de communication publicitaire et, d'autre part un service rendu aux producteurs dans la mesure où la présence de leurs produits dans le support en cause leur assure une "qualité de référencement" et une "présence permanente et automatique" dans l'ensemble des points de vente. La politique de communication publicitaire du groupement Intermarché auprès des consommateurs se trouve par ailleurs renforcée par des campagnes radiophoniques.

Au cours de l'année 1990, 82 millions d'exemplaires de l'Argus de la distribution ont été diffusés au total. En janvier-février 1991, 11,5 millions d'exemplaires comportant 2 000 prix de vente ont été diffusés et, dans la période de mai à octobre 1991, 2 500 "kits points de vente" ont été mis en place dans les magasins. Le budget consacré à ce support s'est élevé à 100,4 millions de francs en 1991.

Au sujet des prix de vente aux consommateurs, le secrétaire général de la société ITM Entreprises a déclaré que : "Les adhérents Intermarché ne sont pas tenus d'appliquer les prix de L'Argus qui touche environ un tiers des produits. Ils peuvent pratiquer des prix plus bas, en fonction de la concurrence et de leur politique commerciale".

Il est indiqué dans une plaquette de présentation du groupement des "Mousquetaires", versée au dossier par la société ITM Entreprises que : "En 1985, les Mousquetaires décidaient d'aller encore plus loin sur la voie de la transparence en créant L'Argus de la distribution. Tiré à neuf millions d'exemplaires, ce magazine d'information contient les références et les prix de 2000 produits. Le consommateur est ainsi assuré de bénéficier de conditions identiques chez tous Les Mousquetaires, quelle que soit la localisation du point de vente." Le contrat de franchise des "Mousquetaires" précise en outre que "l'existence d'un prix de revente maximum est une condition de l'unité et de la notoriété du groupement". "La Charte des Mousquetaires", document auquel se réfère le contrat type, indique au sujet des prix de vente (chapitre 11. - Des règles) : "Aucun prix supérieur au prix maximum ne saurait être toléré. Les conditions particulières, lorsqu'il en existe, comme par exemple les promotions, doivent être strictement appliquées. Mais la pratique des prix bas ne doit pas avoir pour conséquence de mettre l'entreprise en difficulté. Dans la mesure où le plus juste prix est calculé par le groupement, l'adhérent ne saurait le baisser encore d'une manière anormale, sauf s'il se trouve dans une situation de concurrence anormale, comme celles résultant du dumping d'un concurrent, ou de pratiques illicites telles que la vente à perte."

Dans les faits, des prix de revente conseillés pour l'ensemble des produits distribués sont diffusés dans les magasins Intermarché par les "bases Intermarchés" sur des "cadenciers". Il résulte en outre, des déclarations de nombreux distributeurs indépendants adhérents du groupement Intermarché qu'ils appliquaient les prix conseillés par leur franchiseur.

Des relevés de prix ont été effectués au cours des mois de janvier et février 1991 par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Ces relevés montrent que le baril de lessive de 5 kg de marque "Le Chat Machine" de la société Henkel France était commercialisé uniformément au prix de revente au consommateur de 53,75 F dans la quasi-totalité des points de vente à enseigne Intermarché. En outre, l'enquête a établi que ce prix unitaire était également appliqué par des concurrents situés dans des mêmes zones de chalandise (Leclerc de Fiers et d'Alençon),que les phénomènes d'alignement soient systématiques (Leclerc de Lanester de Hennebont).

Le 2 juillet 1990, ITM France a adressé à la société Henkel France des relevés de prix portant sur les lessives et établis par le Panel de gestion, organisme dont, selon le distributeur, "le professionnalisme ne peut être sérieusement contesté". Ces relevés font apparaître qu'au mois d'avril 1990, les prix pratiqués par les magasins Intermarché pour le baril de 5 kg de marque "Le Chat Machine" et le baril de 5 kg de marque Supercroix étaient respectivement de 5 075 F et de 48,30 F. L'application de ces prix est d'ailleurs confirmée par un courrier de la société Henkel France adressé à ITM le 3 mai précédent : "Nous avons bien noté votre volonté de maintenir les prix de vente publics de Supercroix 5 kg à 48,30 F et Le Chat 5 kg à 50,75 F."Ces prix de 48,30 F et 50,75 F étaient publiés dans L'Argus de la distribution n° 87 valable du 9 au 28 avril 1990, versé au dossier par la société Colgate-Palmolive.

L'instruction a montré que les prix pratiqués dans L'Argus de la distribution étaient des prix très bas, fréquemment à l'origine de conflits entre distributeurs et producteurs. Ainsi, un compte rendu de la société Lever en date du 24 octobre 1990 révèle que, selon le producteur, les lessives de marque Skip Eco figurant sur L'Argus étaient revendues à un prix inférieur de 2,5 p. 100 au seuil de revente à perte et que la diffusion du support avait entraîné les réactions des responsables de la centrale d'achat Difra. Un autre compte rendu de la société Lever du 10 mai 1990 révèle qu'une "rencontre exceptionnelle" avec les responsables de la centrale d'achat Système U avait pour objet de "désamorcer (une nouvelle fois) la bombe Argus ITM" et que cette question avait été déjà évoquée par le distributeur avec les sociétés Procter et Gamble et Henkel France. Les propositions alternatives faites par la société Lever aux centrales régionales du groupement Leclerc pour sortir d'un grave conflit avec lui étaient, soit le versement d'un budget promotionnel, "soit un alignement sur l'Argus ITM (...) sur les produits concernés (révisable à chaque Argus)".

2.Les pratiques concernant les relations entre fournisseurs et distributeurs

a) La participation des sociétés Lever, Henkel France, Procter et Gamble et Colgate-Palmolive au financement de L'Argus de la distribution :

En 1991, indépendamment des sommes perçues par ailleurs pour les campagnes publicitaires nationales, ITM France a perçu 21,1 millions de francs de la part de la société Lever, 5,9 millions de francs de la part de la société Henkel France, 11,5 millions de francs de la part de la société Procter et Gamble et 3,2 millions de francs de la part de la société Colgate-Palmolive au titre d'une participation au financement de l'Argus de la distribution. La participation totale de ces quatre entreprises représente ainsi plus de 40 p. 100 du coût global de la fabrication et de la diffusion de L'Argus de la distribution, alors que ce document concerne l'ensemble de l'assortiment commercialisé par les magasins Intermarché sur lequel les ventes du rayon "droguerie-parfumerie-hygiène" ne représentent pas plus de 8 p. 100.

Les déclarations des responsables juridiques des quatre fabricants font apparaître que la présence de leurs produits dans L'Argus de la distribution est indispensable à la poursuite des relations commerciales avec les magasins Intermarché. Pour la société Colgate-Palmolive, "la présence des produits Colgate dans L'Argus est considérée par notre société comme un avantage en tant qu'outil de communication permettant d'assurer la présence de nos produits dans l'ensemble des points de vente ITM". Pour la société Henkel France, (la rémunération versée à ITM pour L'Argus correspond à un service afférent à la promotion et la publicité de nos produits sur les lieux de vente. Il ne s'agit donc pas d'une prime "de référencement". Pour la société Procter et Gamble, "les sommes versées à ITM pour la présence dans L'Argus correspondent à la rémunération de la publicité ainsi faite pour nos produits. Il s'agit d'un support publicitaire obligé dans la mesure où, si les produits concurrents y figurent et pas nous, nous perdons des parts de marchés. Sa spécificité réside dans sa grande diffusion et sa notoriété". Enfin, pour la société Lever, "Intermarché représente aujourd'hui 1 464 supermarchés et 39 hypermarchés. C'est notre premier client (...). L'opération Argus est très importante au point de vue de la promotion de nos marques et c'est un service pour lequel nous versons une rémunération, la contrepartie étant l'effort publicitaire considérable fait par Intermarché à l'échelon national pour nos marques. Nous souhaitons voir la présence d'un maximum de nos produits en permanence chez Intermarché. Dans ces négociations, intermarché utilise l'argumentation de la reprise ou de l'augmentation des référencements pour obtenir des remises et ristournes plus importantes".

Pour le secrétaire général de la société ITM Entreprises, "La participation des industriels au financement de L'Argus n'est pas une prime de référencement. Il s'agit d'une véritable fonction au même titre que la fonction logistique. Cette participation est calculée de gré à gré. Il n'existe pas forcément de corrélation directe entre son montant et le volume d'affaires traité dans la mesure où cette participation s'insère dans une négociation globale tenant compte de la politique commerciale du distributeur et de l'industriel".

b) L'accord signé entre les sociétés Henkel France et ITM France au sujet de l'octroi d'une ristourne de "progression de chiffre d'affaires":

Un "accord commercial" a été signé entre Henkel France et Intermarché, le 25 janvier 1991. Cet accord porte, d'une part, sur l'octroi d'une prime d'assortiment privilégié de 1,05 p. 100 pour le maintien durant tout l'exercice 1991 d'au moins quatorze références dans tous les points de vente, indépendamment des nouveaux produits qui seront mis en vente et, d'autre part, sur une prime de progression de chiffre d'affaires de 0,60 p. 100 dans l'hypothèse où le distributeur aura atteint le seuil minimum de 260 millions de francs de chiffre d'affaires dans l'année.

En dépit du fait que le chiffre d'affaires global réalisé par le groupement Intermarché ne s'est élevé qu'à 215 582 204 F au cours de l'exercice 1991, la prime de 0,60 p. 100 a été versée au titre de la progression du chiffre d'affaires.

c) Le déréférencement de Procter et Gamble par Système U centrale nationale :

Le 25 mars 1991, les responsables de la société Procter et Gamble se sont plaints auprès des dirigeants de Système "U" du déréférencement de leurs produits. L'enquête a établi que ce déréférencement avait pour origine les bas prix pratiqués par certains distributeurs concurrents sur les produits commercialisés par Procter et Gamble.

Un accord a été signé entre Procter et Gamble et Système "U" en avril 1991. Aux termes de cet accord, le groupement de distributeurs s'engageait à un "retour immédiat à un assortiment cohérent avec les sociétés régionales et les parts de marché" de la société Procter et Gamble et à ce que les accords de coopération signés en début d'année 1991 soit appliqués. En contrepartie de la reprise des affaires, Procter et Gamble s'engageait à verser au distributeur un budget de coopération "exceptionnel" d'un montant de 3 millions de francs et à lui accorder une "protection exceptionnelle" à l'ancien tarif, "afin d'être compétitifs, sur la période mai-juin 1991". Selon le directeur juridique de Procter et Gamble, il s'agissait d'"un plan destiné à sortir d'un conflit grave (boycott) avec la centrale nationale Système U. Du fait de ce conflit, tout était bloqué, c'est-à-dire qu'aucun courant d'affaires n'existait plus avec les adhérents de la centrale Système U : ni commandes, ni livraisons, ni négociations régionales, ni exécution des accords de coopération qui avaient pu être conclus antérieurement".

Les représentants de la société Système U ont fait valoir que le chiffre d'affaires réalisé avec Procter et Gamble avait progressé au cours de cette période et ont déclaré que "seuls quelques produits ont connu des difficultés de revente".

d) Les pratiques du groupement Leclerc liées au référencement des lessives :

Les correspondances échangées entre le Galec, d'une part, et certains producteurs de lessives, d'autre part, attestent de l'existence de tensions fréquentes au cours des années 1989 et 1990 entre les sociétés concernées, tensions dues à la politique agressive de prix menée par le groupement de distributeurs concurrent Intermarché sur les lessives. Le Galec rendait les producteurs concernés responsables de cette situation au motif qu'ils avaient accordé des conditions plus favorables à leur principal concurrent ou n'intervenaient pas auprès de lui pour faire cesser les "reventes à perte".

Ainsi, le responsable du groupe de travail des détergents (GT 3) au sein du Galec s'adressait ainsi à la société Procter et Gamble, le 3 avril 1989 : "Vous savez ma position sur la vente à perte depuis de nombreuses années (...). Je prends note du refus de dédommager les centres qui perdraient de l'argent sur vos produits. En conséquence, j'invite dès demain matin toutes les régions à retirer les produits concernés de votre société. Cette formule avait pour intérêt de bien faire comprendre nos consignes par nos adhérents. D'autres fournisseurs l'ont compris. Ne demandez pas dans ces conditions d'intervenir auprès des régions pour activer la reprise d'affaires suspendues par l'action de notre concurrent".

i) La pratique du Galec relative à l'obtention d'une "participation publicitaire".

Des accords commercjaux, qualifiés par le Galec de "compléments d'accord" aux accords de coopération écrits et distincts des accords passés à l'occasion d'opérations ponctuelles (de type "anniversaire"), ont été passés en 1990 et 1991 entre le Galec, d'une part, et les sociétés Procter et Gamble, Lever, Henkel France et Colgate, d'autre part. Ces accords manuscrits, rédigés de la même main, indiquaient :

"La société (...) s'engage à verser au Galec tous les trimestres hors taxes (... p. 100) (...) pour cent ; le ... pour le premier trimestre ; le ... pour le deuxième trimestre ; le ... pour le troisième trimestre ; le ... pour le quatrième trimestre. La société communique le chiffre d'affaires hors taxes ventilé par point de facturation. A réception et donc chaque trimestre, le Galec vous adressera une facture égale à (... p. 100) du chiffre d'affaires communiqué libellé "participation publicitaire". Cette facture sera réglée sous trente jours à réception de la facture. Cet accord est confidentiel et ne sera pas diffusé aux adhérents dans l'accord 1990 (ou 1991)."

A la différence des autres accords, l'accord signé entre le Galec et la société Henkel France pour l'année 1991 portait la mention manuscrite suivante rajoutée au texte susmentionné : "emplacements privilégiés pour les produits Henkel, branche détergent". En revanche, l'accord signé au titre de l'année 1989 ne portait pas cette mention.

La "participation" de chacun des producteurs concernés, calculée en pourcentage du chiffre d'affaires total réalisé par l'ensemble des sociétés membres du Galec, qui variait entre 1,75 p. 100 et 3 p. 100 selon le producteur, s'est élevée à 35,6 millions de francs au total en 1991. Les factures de vente émises par le Galec au titre desdits accords indiquaient qu'elles concernaient la "coopération commerciale".

Le responsable de l'approvisionnement en produits détergents au sein du Galec a produit des notes adressées aux adhérents pour les informer du taux des ristournes complémentaires qui allaient leur être versées en contrepartie d'une large collaboration dite "ouverture de réseau" nouveaux magasins, agrandissements, lancement de nouveaux produits, etc.". Toutes les entreprises, à l'exception de la société Henkel France, ont déclaré en cours d'instruction que l'accord "confidentiel" correspondait au "référencement" de leurs produits par le Galec. Les parties ont également déclaré que c'était à la "demande expresse" du Galec qu'il avait été mentionné que lesdits accords, destinés à rémunérer la prestation de référencement, étaient "confidentiels" et ne seraient pas diffusés aux adhérents.

ii) La pratique de la Scapnor visant à obtenir la participation de la société Procter et Gamble pour le financement d'un entrepôt.

A la différence du Galec, qui n'exerce qu'une activité de centrale de référencement, la Scapnor exerce, comme les autres centrales régionales du groupement Leclerc, une activité de référencement et une activité de négoce. Le chiffre d'affaires net de 2 297 502 718 F réalisé en 1992 par la Scapnor représente, selon son directeur, "les ventes faites exclusivement aux magasins Leclerc". L'activité de cette société anonyme coopérative de commerçants détaillants est donc essentiellement de regrouper les achats des associés et éventuellement de les stocker, la marge commerciale très faible prélevée (de l'ordre de 2,5 p. 100) servant uniquement à couvrir les frais de gestion de l'entreprise.

En août 1990, la Scapnor a ouvert un entrepôt de 15 000 mètres carrés à Bruyères-sur-Oise, dont le coût d'investissement a été estimé par ses responsables à 30 millions de francs. Le directeur de la Scapnor a déclaré par procès-verbal d'audition que les fournisseurs ont contribué à hauteur de 10 millions de francs au financement de l'entrepôt. Un compte rendu d'entretien de la société Procter et Gamble, daté du 14 janvier 1991 et intitulé "Scapnor 1991 : C'est parti !!!", révèle qu'à la fin de l'année 1990, lors de la négociation des accords commerciaux de l'année 1991, la Scapnor a exercé des pressions sur la société Procter et Gamble, notamment en réduisant ses commandes et en les suspendant provisoirement, pour obtenir une participation au financement de son entrepôt. De même, un compte rendu daté du 31 octobre 1990 relatif à un entretien en date du même jour entre les responsables de ces entreprises indique que : "Globalement les contre-propositions de ce jour ont permis de reprendre les affaires à la Scapnor de manière positive". Le directeur juridique de la société Procter et Gamble a confirmé l'existence des pressions de la Scapnor : "En octobre 1990, Scapnor ne commande plus que trois références de lessives sur la trentaine habituellement suivies. Le 31 octobre, nous parvenons à un accord aux termes duquel nous acceptons de payer 2 450 000 F en versements de 175 000 F pendant quatorze trimestres, en contrepartie de la reprise globale de nos affaires (...) Fin 1990, les relations d'affaires avec Scapnor étaient redevenues normales".

Dans ses observations, les responsables de la Scapnor déclarent que : "s'il est vrai que le rythme des commandes a été quelque peu affecté pendant la période de négociations, rien dans le dossier ne permet de relier cette réduction de commande à la demande de contribution à l'agrandissement d'un entrepôt".

iii) Les pratiques de certaines centrales régionales vis-à-vis de la société Lever.

Un compte rendu de visite en date du 26 octobre 1989 de la société Lever à la Scachap, centrale d'achat du groupement Leclerc du Centre-Ouest, fait apparaître que les relations entre les deux entreprises ont été rompues par une décision de boycott : "depuis longtemps à la Scachap, la pression monte à cause des prix ITM (...) Le 7 septembre, Scachap cesse tout achat chez nous (...) Scachap demande soit de faire remonter les prix litigieux ITM, soit de lui donner des conditions générales permettant de pratiquer ces prix (...) Le 16 septembre, en une demi-journée, les trente-deux magasins Scachap retirent l'ensemble de nos produits des linéaires (...) Nos produits absents à 95 p. 100 des linéaires Scachap depuis maintenant six semaines, la perte pour nous se monte à 95 p. 100 de 3 700 000 F : plus de 3,5 MF, cela n'est pas rien !!!" Le responsable des services juridiques de la société Unilever a déclaré par procès-verbal d'audition : "Comme cela arrive dans les relations entre fabricants et distributeurs, la Scachap nous avait demandé de faire un "effort particulier" auquel nous n'avons pas donné suite. Nos produits se sont donc trouvés déréférencés du 16 septembre 1989 à fin janvier 1990. Dans le cadre de pourparlers qui se sont poursuivis avec les responsables de la Scachap, nous avons obtenu à nouveau le référencement de nos produits moyennant la mise en place de certaines opérations promotionnelles".

La Scachap justifie ce déréférencement par des conditions discriminatoires qu'aurait pratiquées la société Lever à son égard, au profit des magasins Intermarché, déclarant, dans ses observations : "c'est à ce comportement discriminatoire que la Scachap a réagi en suspendant ses relations commerciales avec Lever".

Des difficultés sont apparues par ailleurs, en mai 1990, entre plusieurs centrales du groupement Leclerc et la société Lever au sujet des prix préférentiels qui auraient été accordés par le producteur au groupement Intermarché. Un compte rendu de visite en date du 21 mai 1990 rédigé par un responsable commercial de la société Lever relate les faits suivants : "Ce rendez-vous avait été provoqué par M. F... (GT 3 national) pour "crever l'abcès" actuel existant entre les centrales régionales représentées et Lever. Point de la situation au 21 mai 1990 :

"Scarmor : arrêt des commandes ;

"Scaouest : suppression de quatorze références ;

"Scachap : vif mécontentement, mais pas de sanction à ce jour ;

"Socamaine : suppression de quatorze références ;

"Scanormande : suppression de onze références.

"Rappel des autres conflits :

"Scaso : suppression de trente et une références ;

"Scapsud : arrêt des commandes ;

"Socara : suppression de quatorze références ;

"Scapalsace : gamme restreinte (pas de reprise de références à ce jour).

"Autres centrales régionales : toutes sous tension suite Argus LTM.

"(...) M. F... reste convaincu que les conditions d'ITM sont meilleures car il estime que pour arriver à pratiquer les prix de vente d'ITM, il lui faudrait inclure les TG des magasins et la confidentielle, et que ceci est une incitation à la débauche. (...) Nous avons demandé à nos interlocuteurs de reprendre les références suspendues. Ils réservent leur réponse dans la mesure où ils estiment que nous n'avons toujours pas apporté de réponse positive au problème ITM".

Le 13 juin 1990, une nouvelle "réunion de crise" a été organisée, "suite aux différents conflits régionaux" qui opposaient Lever aux centrales régionales Leclerc. Lors de cette réunion, diverses propositions ont été faites par la société Lever au Galec pour sortir du conflit (achat de 1 500 000 F de services : têtes de gondoles et publicités ou "alignement sur Argus ITM (...) sur les produits concernés"). Les factures de vente de la société Lever établissent que les seules livraisons effectuées à la Scadif (anciennement Scapsud) au cours de la période des mois de janvier à avril 1990 ont été effectuées en mars 1990 et que ces livraisons ne portaient que sur trois références. Au cours des mois de juillet à novembre 1990, les commandes de la Scadif ont porté sur un maximum de trois références alors qu'au cours des mois de mai et juin le nombre de références a varié entre huit et onze. La Scadif a fait savoir que si une "situation de crise a prévalu" avec la société Lever, il n'y a pas eu de déférencement. Les éléments communiqués par la Socamaine établissent qu'en mai 1990 le nombre de références de lessives Lever est tombé à huit au lieu de quinze précédemment et le chiffre d'affaires réalisé avec ledit producteur a été plus faible au cours des mois d'avril et mai 1990 qu'au cours des autres mois. La société Socara a déclaré en cours d'instruction qu'elle avait "supprimé quatorze produits de la société Lever" et qu'elle avait procédé au déréférencement de "quelques formats". La Scarmor a déréférencé totalement la société Lever en juin 1990, le chiffre d'affaires réalisé au cours du mois de mai avec ce producteur s'étant limité à 239 939 F contre environ 700 000 F à 800 000 F en début d'année 1990 et 2,13 millions de francs en juillet 1990. La Scaouest, qui a qualifié la pratique d'"exceptionnelle et restreinte", a reconnu avoir supprimé quatorze références dans l'assortissement des produits Lever sur environ une cinquantaine de produits habituellement référencés. Le chiffre d'affaires réalisé par la société Lever avec la Scaso, qui ne conteste pas l'existence de déréférencements au cours de la période considérée, est tombé de 2,6 millions de francs en février 1990, 3,8 millions de francs en mars et 800 000 F en avril à 300 000 F en mai, avant de remonter à 900 000 F en juin et 2 millions de francs en juillet. La Scapalsace a déclaré que le refus de la société Lever de lui verser un budget publicitaire était à l'origine de sa décision de réduire sa gamme de produits Lever de quarante-quatre à onze.

II.- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL

Considérant que les saisines susvisées portent sur des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la demande du commissaire du Gouvernement visant à ce qu'un grief complémentaire soit notifié au groupement Intermarché :

Considérant que le commissaire du Gouvernement demande qu'un grief complémentaire soit notifié au groupement Intermarché au motif que la "Charte des Mousquetaires" constitue, selon lui, la base de l'action concertée sur les prix ;

Considérant que la "Charte des Mousquetaires", qui est un document annexé au contrat de franchise liant le groupement ITM Entreprises et ses adhérents, indique, au sujet des prix de vente aux consommateurs, qu'"aucun prix supérieur au prix maximum ne saurait être toléré" et que les adhérents ne sauraient baisser leurs prix "de manière anormale"; que ce document concerne la politique commerciale du groupement Intermarché dans son ensemble ; que les pratiques sur lesquelles portent les quatre saisines du ministre de l'économie examinées dans la présente décision et sur lesquelles a été organisé le débat contradictoire ont été mises en œuvre dans le seul secteur des lessives ; que le Conseil de la concurrence ne peut donc, sans méconnaître les dispositions de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, notifier un grief complémentaire portant sur une clause qui concerne la politique commerciale du groupement Intermarché dans sa globalité ;

Sur la procédure :

En ce qui concerne la demande de la société ITM France visant à ce que la procédure engagée à son encontre soit annulée :

Considérant que la société ITM France soutient que la notification de griefs ainsi que le rapport et ses annexes auraient dû lui être notifiés à son siège social à Paris, 24, rue Auguste-Chabrières, et non pas à l'adresse de ses services commerciaux, à Longjumeau ; que, selon cette entreprise, le refus de prolonger le délai de deux mois fixé par l'article 21 pour déposer des observations en réponse au rapport, constitue une atteinte aux droits de la défense ; qu'elle demande, en conséquence, que la procédure engagée à son encontre soit annulée ;

Mais considérant que tant la notification de griefs que le rapport ont été adressés par lettre recommandée avec avis de réception au représentant légal de la société ITM France, qui a bien accusé réception des deux documents, à l'adresse de la direction commerciale de son entreprise à Longjumeau ; qu'il était à l'envoi de la notification de griefs des extraits du règlement intérieur du Conseil de la concurrence, dont l'article 6, disposant notamment que les personnes citées dans la procédure "doivent préciser l'adresse à laquelle les notifications et les convocations devront leur être envoyées et aviser sans délai, le Conseil de la concurrence de tout changement d'adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception"; que la société ITM France, qui n'a pas fait connaître, dans ses observations en réponse à la notification de griefs ni à un moment ultérieur, une autre adresse à laquelle devrait lui être notifié le rapport, n'est pas fondée à invoquer une atteinte aux droits de la défense ;

En ce qui concerne la demande de la société ITM visant à ce que soit consultée la Cour de cassation :

Considérant que la société ITM France fait valoir, dans ses observations en réponse au rapport, qu'"il apparaît (...) difficilement contestable que le Conseil de la concurrence, de par les prérogatives qui lui sont reconnues, constitue un "tribunal" au sens de l'article 6 de la Convention européenne"; qu'elle demande au Conseil de "ne pas admettre en son délibéré le rapporteur général, ainsi que le rapporteur désigné dans la présente affaire" et qu'"avant dire droit, soit sollicité l'avis de la Cour de cassation sur cette question de principe et ce, conformément aux dispositions de l'article L. 15 1-1 du Code de l'organisation judiciaire" ; qu'elle verse, à l'appui de sa demande, un extrait du rapport annuel de la Cour de cassation au titre de l'année 1992, extrait dans lequel la cour indique que la présence au délibéré du rapporteur général et du rapporteur ne lui semble guère "en harmonie avec le principe de la contradiction comme avec l'égalité des armes entre les parties" ;

Mais considérant que l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 énonce que "le rapporteur et le rapporteur général assistent au délibéré sans voix délibérative" ; que la demande de la société ITM France doit donc être écartée ;

En ce qui concerne les autres demandes :

Considérant, d'une part, que la société Système U Centrale nationale soutient que l'absence de mention au procès-verbal d'audition de Mme J... en date du 31 mars 1992 au sujet de la teneur de l'objet de l'enquête devrait conduire le conseil à écarter le procès-verbal en cause du dossier ;

Mais considérant que le procès-verbal en cause a été rédigé sur un formulaire pré-imprimé, lequel indique : "Nous avons justifié de notre qualité et indiqué à Mme J... l'objet de notre enquête" ; que dès lors, la société Système U n'est pas fondée à soutenir que cet acte d'enquête, qui porte à la fois le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et la mention faisant foi jusqu'à preuve contraire que l'agent de contrôle a fait connaître l'objet de son enquête à l'intéressée, n'est pas suffisamment clair et précis pour ne pas créer une méprise sur son objet; que d'ailleurs, les déclarations de Mme J... portées au procès-verbal font apparaître que cette personne, qui a notamment déclaré, au sujet des lessives, "ce marché est très bagarré et (...) la concurrence est très vive (...)", ne se trouvait pas dans l'ignorance de l'objet de l'enquête au moment de ses déclarations ;

Considérant d'autre part que la société Procter et Gamble déclare, dans ses observations écrites en réponse au rapport, que "le grief initialement notifié au Galec et à l'ensemble des producteurs, dont P et G, au titre de l'"avantage confidentiel de référencement versé au Galec", n'est finalement retenu qu'à l'encontre du Galec", au motif que, dans l'énoncé des "griefs finalement retenus" à la page 61 du rapport, figure la mention suivante : "grief notifié au Galec au sujet d'une "participation occulte" (art. 7 de l'ordonnance)", sans indiquer que le grief concerne également les producteurs de détergents ;

Mais considérant que dans la partie consacrée à ce grief, le rapport mentionne (page 29) que "cette pratique s'analyse comme une entente verticale pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, d'une part, entre les producteurs et, d'autre part, entre les distributeurs est visée par l'article 7 de l'ordonnance. Le grief notifié au Galec et aux sociétés Colgate-Palmolive, Henkel France, Procter et Gamble France et Lever est donc maintenu" ; qu'en outre dans la partie intitulée "Les griefs abandonnés au stade du rapport", le rapport ne faisait nullement mention d'un abandon du grief pour ce qui concerne les producteurs de lessives ; que la société Procter et Gamble, qui ne pouvait donc se méprendre sur l'étendue du grief, ne peut utilement soutenir que ce grief n'aurait pas été finalement retenu à son encontre ;

Sur les pratiques en cause :

En ce qui concerne les pratiques liées au référencement des produits par les centrales d'achat :

Considérant qu'il est d'usage que les centrales d'achat de distributeurs indépendants procèdent au référencement de produits, ce qui consiste principalement à rechercher, puis à négocier, des offres de vente à des conditions avantageuses pour leurs adhérents, qui cherchent à acheter au meilleur prix les produits demandés par les consommateurs, tandis que les fournisseurs cherchent à assurer dans les meilleures conditions la présence de leurs produits dans l'assortiment des magasins ; que cette pratique, qui suppose que les adhérents soient informés par la centrale des fournisseurs et des produits référencés ainsi que des conditions de ce référencement, n'interdit pas en général aux distributeurs indépendants regroupés dans cette centrale d'offrir à la vente des produits qu'elle n'a pas référencés ni ne les oblige à offrir à la vente les produits référencés, mais leur permet de bénéficier des conditions négociées par la centrale pour la commercialisation des produits référencés, conditions auxquelles peuvent d'ailleurs se rajouter des avantages obtenus par les distributeurs eux-mêmes ;

Considérant que l'application des accords de référencement, négociés le plus souvent sur une base annuelle, peut donner lieu à de multiples difficultés ; qu'il en est ainsi particulièrement en ce qui concerne les accords négociés par les fournisseurs de produits de grande consommation comme les lessives dont les marques disposent d'une forte notoriété, avec des centrales de distributeurs indépendants largement implantés sur le territoire national et disposant d'un potentiel de vente significatif ; qu'en effet, compte tenu de la structure de l'offre, laquelle revêt un caractère oligopolistique, et de la concentration de la distribution, l'intérêt économique pour une chaîne de distributeurs indépendants d'un accord de référencement avec un fournisseur dépendra pour partie des conditions que ce même fournisseur aura accordées à d'autres chaînes de distribution concurrentes et de la stratégie commerciale de ces autres distributeurs, éléments qui ne sont pas connus avec précision lors de la négociation de l'accord par la centrale ; qu'à l'inverse, l'intérêt d'un accord de référencement pour un fournisseur dépendra pour partie de la stratégie commerciale des distributeurs regroupés dans la centrale, lesquels ont, en raison même de leur indépendance, une marge de liberté plus importante que s'ils appartenaient à une entreprise de distribution intégrée, ainsi que des conditions octroyées par les autres fournisseurs aux différentes chaînes de distribution, éléments qui eux non plus ne sont pas connus lorsque le fournisseur négocie l'accord de référencement ; qu'ainsi, les accords de référencement font fréquemment l'objet de nouvelles négociations conduisant à la modification des accords initiaux ;

Considérant que,si le fait pour des distributeurs indépendants de se regrouper dans une centrale pour négocier des accords de référencement n'est pas en lui-même prohibé par les dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et si la négociation ou la renégociation de tels accords est en principe licite, il importe cependant de vérifier que celles-ci ne s'appuient pas sur la mise en œuvre de pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence entre les distributeurs ou entre les fournisseurs;

Considérant que la modulation du rythme des commandes de produits des fournisseurs référencés par les distributeurs indépendants membres d'une centrale ou le déréférencement de certains des produits de ces fournisseurs par cette centrale peuvent ne pas être contraires aux dispositions de l'ordonnance dès lors qu'il est établi, d'une part, que les distributeurs indépendants regroupés sont restés libres de s'approvisionner en produits du fournisseur en dehors de la centrale et d'autre part, que les produits déréférencés n'ont pas disparu des linéaires des distributeurs et ont continué d'être commercialisés ; qu'en effet, dans ce cas, la capacité du fournisseur à accéder aux consommateurs n'a pas été limitée ;

Mais considérant que le fait pour une centrale de référencement d'organiser entre les distributeurs indépendants qu'elle regroupe le boycott des produits d'un fournisseur qu'elle avait référencés pour la période en cours et l'élimination de produits de leurs linéaires est de nature à limiter artificiellement l'accès du fournisseur au marché et constitue une action concertée prohibée par les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

En ce qui concerne les pratiques mises en œuvre par la Scachap :

Considérant que la Scachap, qui ne conteste pas avoir déréférencé la société Lever dans la période du 16 septembre 1989 à la fin du mois de janvier 1990, déclare d'une part, "le boycott des produits de la société Lever résultait des conditions discriminatoires qu'elle consentait à même époque au groupe ITM" et que d'autre part, ce n'était pas "par solidarité vis-à-vis de celle-ci" que "le mot d'ordre de boycott lancé par la Scachap" était respecté par chacun des centres Leclerc, mais parce que chacun des centres Leclerc concernés était lui-même victime de la discrimination ;

Mais considérant qu'il ressort des comptes rendus de visite de la société Lever figurant au dossier que la Scachap a cessé tout achat auprès de ce fournisseur le 7 septembre 1989 ; que le 14 septembre, la Scachap a demandé à la société Lever, soit de faire remonter les prix d'Intermarché, soit de lui donner des conditions lui permettant de pratiquer les prix d'Intermarché ; qu'en outre, le 16 septembre, en une demi-journée, les trente-deux magasins Scachap ont retiré l'ensemble des produits Lever de leurs linéaires ; qu'un compte rendu de visite de Lever à la Scachap en date du 26 octobre 1989 indique : "nos produits absents à 95 p. 100 des linéaires Scachap, depuis maintenant six semaines" ; que la Scachap n'est pas fondée à soutenir que ses membres auraient spontanément retiré de leurs linéaires les produits Lever, dès lors qu'il est établi que le retrait des produits concernés des linéaires a été, non seulement simultané dans trente-deux magasins des distributeurs regroupés dans la Scachap, mais également mis en œuvre au moment même où la Scachap décidait de ne plus s'approvisionner auprès de Lever ; que la circonstance que la Scachap aurait été victime d'une pratique discriminatoire de prix, à la supposer établie, ne saurait justifier la mise en œuvre d'un boycott concerté pouvant avoir pour effet de restreindre l'exercice de la concurrence entre les fournisseurs en limitant l'accès de la société Lever au marché dans une zone de neuf départements couvrant les régions Poitou-Charentes et Limousin et une partie des régions Centre et Pays de la Loire où les adhérents de la Scachap représentent une part de l'ordre de 15 p. 100 de la distribution des lessives ; qu'il appartenait en effet à la Scachap ou à ses membres d'utiliser les voies de droit appropriées pour faire cesser le dommage dont ils s'estimaient victimes et non pas de mettre en œuvre une pratique anticoncurrentielle ; qu'il est ainsi établi que la Scachap a mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne les pratiques mises en œuvre par les autres centrales régionales du groupement Leclerc :

Considérant qu'à la suite des difficultés apparues en mai 1990 entre plusieurs centrales du groupement Leclerc et la société Lever au sujet des prix préférentiels dont les centrales Leclerc soutenaient qu'elles avaient été accordées par Lever au groupement Intermarché, un compte rendu de visite décrit dans la partie I de la présente décision a été rédigé par un responsable commercial de la société Lever afin de faire le "point de la situation au 21 mai 1990" ; que ce compte rendu mentionne que différentes centrales régionales du groupement Leclerc, au nombre desquelles figuraient les sociétés Scarmor, Scaouest, Socamaine, Scanormande, Scaso, Scapsud, Socara et Scalpalsace avaient soit arrêté leurs commandes, soit supprimé certaines références de lessives Lever dans les informations qu'elles transmettaient à leurs membres ; que par ailleurs, il ressort des constatations signées dans la partie I de la présente décision que la Scapnor, qui était en conflit avec la société Procter et Gamble, a ralenti ou cessé ses commandes à ce fournisseur à l'automne 1990 jusqu'à ce qu'un accord valable pour 1991 soit établi avec lui ;

Mais considérant qu'en l'espèce, les pratiques des centrales susmentionnées autres que la Scapnor n'ont concerné qu'une partie des références de la société Lever, au demeurant variables d'une centrale à l'autre ; qu'il n'est établi ni que ces centrales ou la Scapnor ont cessé de livrer aux distributeurs qu'elles regroupaient les produits en cause qu'elles avaient déjà commandés, ni que ces distributeurs ont été empêchés de se faire livrer directement par les fournisseurs ; qu'il n'est pas non plus établi que les produits concernés ont été retirés des linéaires des distributeurs membres de ces centrales d'achats ; que dans ces conditions, il n'est pas établi que les pratiques mises en œuvre par ces centrales, dont il n'est en outre pas allégué qu'elles auraient agi de concert, avaient pour objet ou pouvaient avoir pour effet de limiter la concurrence entre les fournisseurs en empêchant l'accès de la société Lever ou celui de la société Procter et Gamble au marché des lessives ;

En ce qui concerne les pratiques de la société Système U Centrale nationale vis-à-vis de Procter et Gamble :

Considérant qu'il résulte du dossier qu'un conflit commercial a opposé au début de l'année 1991 la société Procter et Gamble et la société Centrale nationale Système U, au terme duquel un accord a été trouvé pour les mois d'avril et mai 1991 ; que, selon les allégations de Procter et Gamble, ce conflit se serait traduit par un arrêt des commandes de Système U Centrale nationale ainsi que par la non-exécution des accords de coopération qui avaient été conclus antérieurement ; que cependant, il n'est pas établi que ce conflit aurait donné lieu à un boycott des produits de Procter et Gamble par les distributeurs regroupes au sein de Système U Centrale nationale ; qu'en effet, celle-ci fait valoir, sans que cette assertion soit contredite par les autres éléments du dossier, que le chiffre d'affaires réalisé par le groupement Système U avec les produits d'entretien Procter et Gamble au premier trimestre de l'année 1991, c'est-à-dire pendant la période concernée, a été de 8 p. 100 supérieur à ce qu'il avait été au premier trimestre de l'année antérieure ; que, si Système U Centrale nationale a reconnu dans ses observations, en réponse à la notification de griefs que quelques produits Procter et Gamble ont connu des difficultés de revente, en raison des prix extrêmement bas pratiqués par des distributeurs concurrents, cette observation est insuffisante pour établir l'existence d'un boycott de ces produits par les distributeurs regroupés au sein de cette centrale ;

En ce qui concerne le versement d'une rémunération confidentielle par des producteurs de lessives au Galec en 1990 et 1991 :

Considérant qu'aux termes des accords commerciaux signés entre le Galec d'une part, et chacune des sociétés Lever, Procter et Gamble, Henkel France et Colgate-Palmolive d'autre part, décrits dans la partie I de la présente décision et portant sur les années 1990 et 1991, les producteurs de lessives précités s'engageaient à verser au Galec un avantage calculé en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par les sociétés adhérentes avec les fournisseurs concernés au titre de l'année en cours ; qu'il était précisé dans chaque cas que "cet accord est confidentiel et ne sera pas diffusé aux adhérents" ; que le responsable du secteur des détergents au sein du Galec a déclaré par procès-verbal d'audition que les conditions commerciales négociées par le Galec avec les fournisseurs étaient transmises aux adhérents, "sauf les accords confidentiels", et a précisé que le terme confidentiel "utilisé dans les accords correspondait au souci de "ne pas faire apparaître dans l'accord informatisé diffusé dans tous les centres Leclerc la totalité des conditions commerciales négociées" ; qu'il n'est pas contesté que la rémunération en cause, qui correspondait selon les accords entre le Galec et les producteurs de lessives à une "participation publicitaire", a été reversée aux adhérents plusieurs mois, voire plus d'un an après son obtention, après qu'une note leur eut été transmise par le Galec indiquant : "nous vous informons que nous avons obtenu une ristourne complémentaire de X p. 100 en contrepartie d'une large collaboration dite ouverture de réseau";

Considérant que le Galec soutient que l'avantage ainsi versé par les quatre producteurs correspond à la rémunération d'une prestation de référencement et ne serait pas assimilable "à une ristourne ou remise du fabricant acquise par l'acheteur centre Leclerc ou la centrale régionale du fait de son activité d'achat" ; que l'activité du Galec aurait consisté à négocier les conditions d'achat et "à définir, à suivre, à infléchir, tout au long de l'année, la politique et les résultats commerciaux sur les produits" ; que le responsable du secteur détergents au sein du Galec a déclaré par procès-verbal d'audition que la participation publicitaire qualifiée de "ristourne confidentielle" correspondait à un "large partenariat et à des services rendus (nouveaux magasins, agrandissement, lancement de produits nouveaux...)" ;

Considérant que pour leur part certains des fournisseurs allèguent que la rémunération confidentielle accordée au Galec était la contrepartie d'un service effectif rendu par cette centrale de référencement ; qu'en particulier la société Henkel soutient que ces accords visaient à lui permettre d'obtenir "la meilleure place pour ses produits", tandis que les sociétés Procter et Gamble, Lever et Colgate-Palmolive ont déclaré que cette participation correspondait à une prestation de référencement ;

Mais considérant en premier lieu que le Galec n'établit pas en quoi il offrirait des services d'animation de la politique commerciale de ses membres pour les produits en cause justifiant l'octroi d'une rémunération proportionnelle au volume de leurs ventes, mais dont ils ignoreraient l'existence au moment où ils realisent ces ventes; qu'en effet il ressort du dossier que les "services" auxquels a fait référence le responsable du secteur des détergents du Galec pour justifier cette rémunération sont pour l'essentiel assurés directement par les centrales régionales ou les distributeurs eux-mêmes et leur sont payés ; qu'ainsi, de l'aveu même de ce responsable, les centrales régionales ou les magasins procèdent eux-mêmes à la "sélection des produits" ; que cette observation est corroborée par la déclaration du directeur juridique de la société Henkel France selon lequel "il n'existe pas de référencement (de produits) au niveau du Galec, mais au niveau des plates-formes ou magasins" ; qu'en ce qui concerne les produits nouvellement mis sur le marché, les éléments figurant au dossier établissent que des primes de référencement sont fréquemment versées par les producteurs aux centrales régionales ; qu'en ce qui concerne enfin la création de nouveaux entrepôts ou magasins, il résulte des déclarations du directeur de la Scapnord que la participation des fournisseurs est directement versée aux centrales régionales ou aux exploitants, une participation de 2,45 millions de francs ayant d'ailleurs été versée par la société Procter et Gamble à cette centrale pour le financement d'un nouvel entrepôt ; que d'ailleurs il résulte d'un document interne à la société Procter et Gamble que, selon le responsable de l'une des centrales régionales Leclerc, les accords Galec ne seraient "qu'habillage et maquillage" et qu'ils sont "par définition sans contrepartie au niveau des entrepôts régionaux" ; qu'enfin le service "d'ouverture de réseau" auquel fait référence le Galec dans la note adressée à ses adhérents ne saurait se justifier vis-à-vis de fabricants dont le Galec a déclaré dans ses observations écrites qu'ils étaient "en fait, reconduits pour la énième fois consécutive" ;

Considérant en deuxième lieu qu'en dépit des observations présentées par le représentant du Galec devant le Conseil, cette centrale de référencement considère que la rémunération ainsi versée correspond non pas à "une rémunération de Galec pour sa propre activité", mais à une ristourne complémentaire aux autres ristournes octroyées par le fabricant, comme l'établissent, d'une part, les notes internes transmises à ses adhérents, d'autre part, le fait que cette rémunération n'est pas enregistrée au compte client, correspondant à une prestation de services, mais au compte fournisseur, correspondant à une réduction de prix, et enfin le fait que les sommes encaissées sont effectivement reversées aux sociétés adhérentes ;

Considérant en troisième lieu que la société Henkel n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations selon lesquelles la rémunération accordée au Galec aurait eu pour contrepartie l'assurance de l'obtention d'une place privilégiée pour ses produits dans les magasins Leclerc ;

Considérant qu'aux termes des accords signés en 1990 et 1991 entre le Galec et les sociétés Lever, Colgate, Henkel et Procter et Gamble la ristourne en cause ne devait pas figurer dans l'accord informatisé sur les conditions de vente diffusé dans tous les centres Leclerc, seuls les chefs d'entreprise de ces centres étant avertis de son existence ; que cette stipulation était de nature, d'une part, à empêcher les adhérents du Galec de déduire cette ristourne de leurs prix d'achat et de la répercuter sur leurs prix de vente et, d'autre part, de créer une opacité artificielle sur certaines des conditions accordées aux centres Leclerc de nature à permettre aux producteurs de mieux résister aux demandes de concessions tarifaires présentées par les autres distributeurs concurrents de ces centres; qu'ainsi la clause de confidentialité figurant dans ces accords, qui était de nature à fausser et à restreindre le jeu de la concurrence sur le marché des lessives, est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance;

Sur l'octroi par la société Henkel France d'un avantage pour "progression de chiffre d'affaires" au groupement Intermarché :

Considérant qu'un accord a été signé le 25 janvier 1991 entre les sociétés ITM France et Henkel France aux termes duquel le producteur s'engageait à verser une ristourne de 1,05 p. 100 au groupement de distributeurs si celui-ci maintenait un assortiment d'au moins quatorze références dans tous les points de vente durant tout l'exercice 1991 et indépendamment des nouveaux produits et une ristourne de 0,60 p. 100 si ce dernier réalisait un chiffre d'affaires au moins égal à 260 millions de francs ; qu'il était expressément mentionné que les avantages prévus à l'accord, qui "représentent une prestation de service, ne sont pas imputables au prix d'achat HT" ;

Considérant que la société Henkel France, qui admet que la ristourne de 0,60 p. 100 a bien été versée en dépit du fait que l'objectif du chiffre d'affaires fixé dans l'accord n'a pas été atteint, déclare que l'octroi de cet avantage n'a pu fausser le jeu de la concurrence de manière "sensible", eu égard à son faible montant ;

Mais considérant que l'octroi en 1991 au groupe Intermarché d'une prime de progression de chiffre d'affaires de 0,60 p. 100, payable trimestriellement, en sus de la "ristourne de progression" du chiffre d'affaires de 0,25 p. 100 prévue aux conditions générales de vente, ne peut être justifié par le fait qu'étant "l'un des deux clients les plus importants" ce groupement devait bénéficier des remises les plus importantes ; qu'il est établi que le groupement Intermarché a bénéficié de l'avantage alors même que l'objectif n'avait pas été atteint et que cet avantage ne s'est pas limité à 269 880 F comme l'allègue la société Henkel France, mais s'est élevé à 1 293 493 F ; qu'ainsi, d'une part, la concurrence peut être restreinte entre les distributeurs Intermarché situés dans les mêmes zones de chalandise dans la mesure où ils ne connaissent pas l'existence de cette ristourne qu'ils ne peuvent déduire de leurs prix d'achat pour la répercuter sur leurs prix de vente et, d'autre part, la société Henkel France est en mesure de mieux résister aux demandes de concessions tarifaires présentées par les autres distributeurs concurrents de ces centres ; qu'il en résulte que les pratiques des sociétés Henkel France et ITM France sont visées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne la publication du prix des lessives dans L'Argus de la distribution publié par le groupement ITM :

Considérant qu'au cours des années 1990 et 1991 le groupement de commerçants indépendants ITM a diffusé un document dénommé L'Argus de la distribution, sur lequel figurait une liste de prix promotionnels de vente aux consommateurs de produits commercialisés dans les différents points de vente franchisés, parmi lesquels des lessives ; que la diffusion de ce catalogue à plusieurs millions d'exemplaires sur le plan national avait notamment pour objet, selon ITM, d'annoncer les "références nécessairement mises à la disposition des consommateurs" dans chacun des points de vente portant l'enseigne Intermarché ; que la société ITM France allègue que les prix mentionnés dans L'Argus de la distribution constitueraient des prix maximum conseillés, alors que seule la pratique du prix minimum serait répréhensible au regard des dispositions de l'ordonnance du lu décembre 1986 ; que l'entreprise en cause, qui admet que "la liberté du franchisé est nécessairement réduite dès lors que la législation en matière de publicité impose de respecter ce seuil maximum", soutient que les adhérents Intermarché ne sont pas tenus d'appliquer les prix figurant dans L'Argus et peuvent donc pratiquer des prix inférieurs ;

Considérant que la fixation concertée de prix de revente par des commerçants indépendants regroupés sous une même enseigne ne constitue pas une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 lorsque ces commerçants ne se situent pas sur les mêmes zones de chalandise (cf. Décision du Conseil de la concurrence en date du 21juin 1988 relative à certaines pratiques en usage dans le secteur de la distribution de matériels photographiques); qu'il est en outre loisible au regard des dispositions susmentionnées, à une enseigne dont certains des franchisés sont situés sur les mêmes zones de chalandise, de déterminer des prix maximum de revente ou des prix conseillés, à la condition que ces indications soient sans ambiguïté et que ces prix ne revêtent pas en réalité le caractère de prix imposés ou de prix minimums; qu'à l'inverse, lorsque certains des commerçants regroupés sous la même enseigne sont situés sur les mêmes zones de chalandise, la fixation de prix de revente identiques ou de prix de revente minimums pour tous les membres de l'enseigne constitue une pratique prohibée par les dispositions susmentionnées ; qu'en effetune telle pratique est alors de nature à restreindre la concurrence entre ceux des commerçants qui sont en situation de concurrence potentielle (cf. Décision du Conseil de la concurrence en date du 9 juin 1992 relative à des pratiques anticoncurrentielles constatées au sein des groupements de commerçants détaillants de produits électroménagers et d'électronique grand public : groupe G (Gitem) et Elco (Keny) et arrêt de la Cour d'appel de Paris du 3 juin 1993;

Considérant qu'au cas d'espèce il n'est pas contesté que certains des distributeurs regroupés sous l'enseigne Intermarché sont situés sur les mêmes zones de chalandise; que des relevés de prix effectués en janvier 1991 par l'administration au cours de l'enquête révèlent une identité du prix pratiqué pour un article (baril de lessive de 5 kilogrammes "Le Chat Machine") dans trente-neuf des quarante deux magasins du groupement Intermarché ayant fait l'objet de l'enquête, dont certains sont en concurrence entre eux ; que cependant iI ne peut être établi que le prix observé dans les lieux de vente était celui figurant sur L'Argus de la distribution diffusé à cette période, dont aucun exemplaire n'est au dossier ;

Mais considérant qu'il ressort des échanges de courriers entre les sociétés Henkel et ITM France que les prix de 48,30 F et 50,75 F ont été pratiqués au deuxième trimestre 1990 dans les magasins Intermarché pour les barils de 5 kilogrammes Supercroix et "Le Chat Machine" ; que ces prix sont ceux qui figurent dans L'Argus de la distribution n° 87 du 9 au 28 avril 1990, qui a été versé au dossier ;

Considérant que les prix des articles figurant sur L'Argus ne sont accompagnés d'aucune mention indiquant que ces prix seraient des prix maximums ou des prix conseillés ; qu'en outre la plaquette de présentation du groupement Intermarché précise que grâce à L 'Argus de la distribution, "le consommateur est (...) assuré de bénéficier de conditions identiques chez tous Les Mousquetaires, quelle que soit la localisation du point de vente" ; que par ailleurs "la Charte des Mousquetaires", visée dans le contrat de franchise du groupement Intermarché et qui "s'impose à tous les membres du groupement", stipule, d'une part, "qu'aucun prix supérieur au prix maximum ne saurait être toléré ; les conditions particulières lorsqu'il en existe, comme par exemple, les promotions, doivent être strictement appliquées" et, d'autre part, que "dans la mesure ou le plus juste prix est calculé par le groupement, l'adhérent ne saurait le baisser encore d'une manière anormale, sauf s'il se trouve dans une situation de concurrence anormale comme celle résultant du dumping d'un concurrent, ou de pratiques illicites telles que la revente à perte" ; que, si cette charte fait apparaître la volonté d'ITM de positionner l'enseigne Intermarché comme celle d'une chaîne de distribution pratiquant des prix bas, elle constitue également un indice du fait que les prix déterminés par la centrale n'ont pas simplement le caractère d'un prix maximum ou conseillé mais celui d'un prix imposé ;

Considérant que la société ITM France fait valoir que la diffusion de L'Argus de la distribution constitue un moyen de faire connaître sa politique de prix bas ; que l'existence de cette forme de communication constituerait en elle-même une contribution au progrès économique qui n'imposerait pas de restrictions excessives à la concurrence, dès lors que ne figureraient sur ce document que des prix conseillés aux points de vente, lesquels resteraient "libres au regard de leurs impératifs de gestion et de la concurrence de baisser (leurs) prix afin de rester concurrentiels" ;

Mais considérant, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si la communication de cette enseigne constitue en elle-même une contribution au progrès économique, qu'il est établi que les prix figurant sur L'Argus de la distribution n'avaient pas, contrairement à ce que soutient ITM, le caractère de prix conseillés ou de prix maximums; que dans ces conditions il est établi que la pratique d'ITM allait au-delà de ce qui était selon elle strictement nécessaire à la réalisation de l'objectif qu'elle poursuivait ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la fixation et la diffusion en 1990 et 1991 de prix de revente de lessives par le groupement de commerçants ITM dans L'Argus de la distribution revêtaient, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'une entente de prix prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans pouvoir bénéficier de celles de son article 10;

En ce qui concerne la participation des sociétés Lever, Procter et Gamble, Henkel France et Colgate-Palmolive au financement de L'Argus de la distribution :

Considérant que les sociétés Lever, Procter et Gamble, Henkel France et Colgate-Palmolive, qui représentent environ 80 p. 100 du marché des lessives sur le plan national, ont participé globalement en 1991 à hauteur de plus de 40 p. 100 du financement de L'Argus de la distribution, alors que la part totale des lessives dans les ventes des distributeurs n'excède pas 2 p. 100 ; qu'il importe de rechercher si cette pratique résulte d'un abus anticoncurrentiel de la situation de dépendance dans laquelle se trouveraient les producteurs de lessives vis-à-vis d'ITM ou d'une entente anticoncurrentielle entre les producteurs considérés et le groupement Intermarché ;

Considérant que, selon le commissaire du Gouvernement, le fait pour des producteurs de lessives de participer au financement de L'Argus de la distribution traduit la volonté d'adhésion des producteurs en cause au système de fixation concertée des prix de revente ; qu'il estime en outre que "plusieurs facteurs font que les producteurs de lessives se trouvent en position de dépendance économique vis-à-vis d'Intermarché" et que le groupement de distributeurs aurait abusé de cette situation de dépendance en obtenant le financement de L'Argus de la distribution à un niveau excessif par rapport à la place occupée par les détergents dans les ventes dudit groupement ;

En ce qui concerne la dépendance économique des producteurs de lessives vis-à-vis d'Intermarché :

Considérant que la situation de dépendance économique d'un producteur par apport à un groupe de distributeurs doit s'apprécier au regard de plusieurs critères, et notamment de l'importance de la part du chiffre d'affaires réalisé par ce fournisseur avec le distributeur, de l'importance du distributeur dans la commercialisation des produits concernés, des facteurs ayant conduit à la concentration s ventes du fournisseur auprès du distributeur, de l'existence et de la diversité des éventuelles solutions alternatives pour le fournisseur;

Considérant que les deux premiers groupes de distributeurs, Leclerc et Intermarché, assurent chacun environ 15 p. 100 des ventes des fabricants ; que le groupement Intermarché, qui assure grâce à plus de 1 500 points de vente une couverture commerciale de l'ensemble du territoire national, représente, selon une récente étude de la Secodip, 16,8 p. 100 des ventes de détergents en grandes et moyennes surfaces ;

Mais considérant que le secteur des lessives est également très concentré au niveau de la production; que les quatre premiers producteurs, Procter et Gamble, Lever, Henkel France et Colgate-Palmolive, qui appartiennent tous à de puissants groupes industriels implantés dans de nombreux pays, détenaient en 1991 des parts du marché français s'élevant respectivement à 33,9 p. 100, 26,7 p. 100, 18,5 p. 100 et 11,9 p. 100;

Considérant que les marques des fabricants disposent toutes d'une très forte notoriété, en raison notamment de l'importance des budgets de publicité consacrés à la promotion de leurs marques et de leurs produits; que, si la société Colgate-Palmolive ne se situe qu'à la quatrième place sur le marché des lessives, cette entreprise occupe la première place pour les adoucissants pour le linge et les eaux de Javel, produits utilisés fréquemment comme additifs aux lessives et possédait, au moment des faits, la quatrième marque de lessive la plus vendue sur le plan national ;

Considérant que,si pour les principaux groupes de distributeurs, les lessives de grandes marques ne représentent qu'environ 1,5 à 2 p. 100 de leurs totaux, elles constituent pour eux des produits largement pré-vendus, ce qui explique la propension qu'ils ont à présenter à la vente la totalité des à revendre les lessives de grandes marques avec des marges très faibles, voire nulles;

Considérant que ledirecteur juridique de la société Henkel France, laquelle n'est que le troisième offreur sur le marché national, a déclaré au cours de l'instruction que "Henkel France ne se considère pas comme étant en situation de dépendance économique par rapport à la grande distribution"; que cette appréciation est corroborée par le fait qu'en 1989, puis de mai à la fin août 1990, cette société a décidé de suspendre ses ventes de lessives Super Croix 5 kg, X Tra 5 kg Le Chat 5 kg au groupement Intermarché, deuxième groupement de distributeurs, au motif selon elle que ces produits étaient revendus à perte par les distributeurs du groupement; quel'interruption des ventes de la société Henkel au groupement Intermarché n'a pas eu d'influence notable sur ses ventes de lessives, comme en atteste le fait que sa part du marché des lessives a été plus importante en 1989 et 1990 qu'elle ne l'avait été les années antérieures ou qu'elle ne l'a été en 1991, ainsi qu'il résulte de l'analyse de l'offre présentée dans la partie I de la présente décision ; qu'en outre, à l'occasion des refus de livrer opposés par Henkel à Intermarché en 1990, ce groupement a estimé nécessaire d'expliquer à ses clients, par voie d'affichage dans les lieux de vente, les raisons pour lesquelles il ne pouvait proposer les produits en cause à la vente, ce qui souligne l'existence d'une demande importante concernant ces produits ; que par ailleursles sociétés Colgate-Palmolive, Lever et Procter et Gamble ont également décidé de refuser de vendre au groupement Intermarché pendant certaines périodes de 1989;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que,si les relations commerciales entre les principaux producteurs de lessives et le groupement Intermarché sont fréquemment conflictuelles en raison de l'importance que revêtent pour les fabricants comme pour ce groupement de distributeurs les ventes de lessives dans cette enseigne, il ne peut être considéré que les producteurs se trouveraient en situation de dépendance vis-à-vis du groupement Intermarché;

En ce qui concerne l'entente entre ITM et les principaux producteurs de lessives pour le financement de L'Argus de la distribution :

Considérant que le groupement ITM ayant décidé de publier L'Argus de la distribution, il était de l'intérêt des fournisseurs de lessives de voir y figurer des références de leurs marques ; que ce faisant chacun s'assurait, d'une part, de ne pas être absent d'un support publicitaire largement diffusé et, d'autre part, du fait que les produits de sa marque mentionnés dans L'Argus de la distribution seraient effectivement présents dans l'assortiment de tous les magasins du groupement, ce que le simple référencement de ces produits par ITM n'impliquait pas nécessairement ;

Considérant que les avantages que pouvaient trouver les fournisseurs de lessives à figurer dans L'Argus de la distribution, avantages en contrepartie desquels ils ont accepté de contribuer dans des proportions importantes, mais variables d'un producteur à l'autre, au financement de ce support publicitaire, leur auraient été acquis même si les prix de revente figurant en regard des produits de leur marque mentionnés dans ce document n'avaient pas été des prix imposés par ITM, mais avaient été de simples prix conseillés ; qu'il n'est d'ailleurs ni allégué ni établi que ces fournisseurs se seraient entendus avec ITM pour déterminer ces prix imposés de revente, dont ils ont d'ailleurs contesté le niveau, le trouvant insuffisamment élevé ; que dans ces conditions, le fait que les sociétés Lever, Procter et Gamble, Henkel France et Colgate-Palmolive aient contribué au financement de L'Argus de la distribution n'établit pas qu'ils aient participé à la mise en œuvre d'une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la fixation "d'un prix de seuil" par la société Henkel France :

Considérant qu'il apparaît que des "prix de seuil" ont été définis par la société Henkel au cours des années 1989 et 1990 ; que des notes internes à cette entreprise relatives à certains groupements d'achat de distributeurs et dont le contenu est rappelé dans la partie I de la présente décision établissent que des accords ont été passés avec les groupements concernés pour que ces prix soient appliqués par les distributeurs ;

Considérant qu'en réponse à la notification de griefs, la société Henkel a fait valoir que "dans le secteur de la grande distribution, le distributeur a besoin de connaître, pour chaque produit qu'il commandera, le prix net qui sera facturé par le fabricant, c'est-à-dire le prix indiqué au tarif de base diminué de l'ensemble des remises et avances sur ristournes prévues par les conditions générales de vente", et que "c'est pour répondre à cette demande constante d'information et pour éviter de devoir effectuer ce travail avec chaque distributeur que la société Henkel France avait établi pour sa force de vente un document indiquant le prix net facturé pour chaque produit" ; qu'elle ajoute "qu'il ne s'agissait donc nullement d'imposer un prix de revente minimum (...). La société Henkel France s'est bornée, ce qui est tout à fait différent, à informer ses partenaires sur le fait qu'ils ne respectent pas le seuil légal de revente à perte" ; qu'en réponse au rapport la société Henkel France a également soutenu que "le prix de seuil indiqué à ses partenaires correspondait effectivement au seuil légal de revente à perte" et que "l'ensemble des distributeurs interrogés insistent sur leur liberté de fixation des prix ou sur l'absence d'intervention de la société Henkel" ;

Mais considérant en premier lieu que, contrairement à ses allégations, la société Henkel France ne s'est pas limitée à répondre à la demande d'information des distributeurs comme l'indique par exemple la "fiche action" en date du 3 juillet 1989 concernant Paridoc, dans laquelle on peut lire dans les instructions données aux services commerciaux de Henkel France pour la réalisation de l'opération "Grand Bingo" portant sur le Super Croix 8 kg : "verrouiller le prix de revente à 73,85 F TTC" et : "nous avertir des différents problèmes que vous rencontrerez" ; que de même, sur la "fiche action" en date du 19 mars 1990 concernant la CAP-Prodim, on peut lire : "ce sont les chefs de produits de chacune des régions Prodim qui vont établir les PVC Nous vous demandons donc d'intervenir auprès d'eux afin que nos PDS (prix de seuil) soient respectés" ;

Considérant en second lieu que, si la société Henkel France soutient que les prix de seuil qu'elle fixait avec les centrales d'achat correspondaient au seuil de revente à perte, cette circonstance, à la supposer établie, ne serait pas de nature à justifier la pratique par laquelle elle s'entendait avec ces centrales pour imposer le respect de ces prix ; qu'il appartient en effet aux distributeurs de déterminer leurs prix de revente aux consommateurs sous leur propre responsabilité et à la société Henkel France, plutôt que de recourir à des ententes anticoncurrentielles, d'utiliser les voies de droit qui lui sont ouvertes si elle estime que certains des distributeurs revendent à perte ; qu'en outre il n'est pas établi que les prix de seuil qu'elle définissait avec les centrales correspondaient au seuil de la revente à perte ; qu'ainsi, par exemple, il ressort de la "fiche action" établie le 19 janvier 1990 concernant la société CAP-Prodim que la société Henkel France a établi un prix de seuil de 51,30 F pour le Super Croix 5 kg pour la période du 19 mars 1990 au 24 mars 1990 en excluant de son calcul une participation publicitaire exceptionnelle de 1,20 F par carton, laquelle, si elle ne figurait pas sur la facture, était néanmoins susceptible d'être considérée par les juridictions compétentes comme acquise et d'un montant chiffrable au moment de la vente ; que de même les allégations de la société Henkel France selon lesquelles les prix de seuil étaient toujours établis au niveau du seuil de revente à perte ne sont pas de nature à expliquer l'augmentation de ces prix pour deux produits de la gamme de ce producteur en juin puis en juillet 1989, augmentations figurant dans un document en date du 2 mai 1989 adressé à Paridoc dans lequel on peut lire : "Veuillez trouver ci-dessous le calendrier de remontée progressive des prix de seuil sur Super Croix 5 kg et X Tra 5 kg (de mai à juillet 1989). Dans le cadre de notre volonté d'assainir le marché, nous vous remercions d'appuyer ce calendrier par une communication positive auprès de vos adhérents pour qu'il soit appliqué" ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en imposant le respect des prix de revente qu'elle avait définis dans le cadre des accords passés avec certaines centrales, la société Henkel France a mis en œuvre une pratique pouvant avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché des lessives, prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur la mercuriale de prix de revente des lessives établie par la Scapnor :

Considérant que la Scapnor a diffusé à ses adhérents en 1991 un document faisant apparaître, d'une part, les prix de cession de la centrale d'achat et, d'autre part, les prix de vente aux consommateurs constatés sur le marché ; que, selon les documents recueillis en cours d'enquête, ces prix n'auraient qu'une valeur indicative ; qu'il ressort par ailleurs des explications fournies par la société Procter et Gamble que la Scapnor aurait demandé à son fournisseur de lui communiquer des informations relatives aux prix pratiqués chez des distributeurs concurrents afin d'actualiser la "mercuriale" ; qu'il n'est pas établi, au vu des éléments du dossier, que les société Procter et Gamble et Scapnor se soient concertées pour fixer des prix en commun en infraction aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance : "Le Conseil de la concurrence (...) peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...). Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;

Considérant que le dommage à l'économie doit s'apprécier en tenant compte du fait que les pratiques en cause ont été mises en œuvre par les groupements de distributeurs indépendants les plus importants et par les quatre producteurs de détergents représentatifs du secteur considéré; que, pour apprécier le degré de gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte de la puissance de négociation dont disposaient les opérateurs en cause, compte tenu de la notoriété des enseignes ou des marques concernées ainsi que de la concurrence élevée qui caractérisait ce secteur d'activité ;

En ce qui concerne le Galec :

Considérant que la société Galec, qui occupait en 1993, selon la société Secodip, la première place dans la distribution en grandes et moyennes surfaces sur le plan national toutes enseignes confondues, les magasins qui y sont affiliés ayant réalisé un chiffre d'affaires global de 119 milliards de francs, a obtenu en 1990-1991 des avantages financiers de la part des quatre principaux producteurs de détergents dans des conditions d'opacité telles que la concurrence a pu se trouver faussée entre distributeurs, d'une part et entre producteurs, d'autre part ;

Considérant que cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 178 039 555 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire le 2 millions de francs ;

En ce qui concerne la Scachap :

Considérant que la Scachap, centrale régionale du groupement Leclerc de la zone Centre-Ouest, a procédé au déréférencement des lessives commercialisées par la société Lever dans l'ensemble de ses trente-deux magasins à la fin de l'année 1989 ; que cette pratique a eu, compte tenu de la notoriété de l'enseigne de distributeur, pour effet de limiter l'accès du producteur au marché dans la zone géographique concernée ;

Considérant que cette centrale a réalisé un chiffre d'affaires de 1 973 582 889 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 millions de francs ;

En ce qui concerne le groupement Intermarché :

Considérant que le groupement de commerçants indépendants Intermarché, qui occupait, selon la société Secodip, la deuxième place en 1993 dans la distribution en grandes et moyennes surfaces sur le plan national, les magasins qui y sont affiliés ayant réalisé en 1993 un chiffre d'affaires global de 117 milliards de francs, a mis en œuvre une entente anticoncurrentielle en proposant au consommateur les lessives à un prix unique sur L'Argus de la distribution, support diffusé sur l'ensemble du territoire national à plusieurs millions d'exemplaires ; que par ailleurs ce groupement a obtenu, en application d'un accord signé avec la société Henkel, un avantage discriminatoire et injustifié ;

Considérant que la société ITM France, qui définit et coordonne la politique commerciale du groupement Intermarché, a réalisé un chiffre d'affaires de 728 888 232 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire de 7,5 millions de francs ;

En ce qui concerne la société Henkel France :

Considérant que la société Henkel France, qui occupe la troisième place sur le marché des lessives, a, en déterminant un prix de seuil qui correspondait au prix de revente praticable par ses distributeurs, mis en œuvre une entente anticoncurrentielle au cours des années 1989 et 1990 ; que par ailleurs ce producteur a favorisé le groupement Intermarché dans la concurrence en lui accordant, de manière discriminatoire et injustifiée, une remise pour "progression de chiffres d'affaires" ; qu'il a enfin avantagé le groupement de distributeurs indépendants le plus important sur le plan national en lui accordant en 1990 et 1991 une "participation publicitaire confidentielle" ;

Considérant que cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 4061 598 545 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 millions de francs ;

En ce qui concerne la société Lever SA :

Considérant que la société Lever SA, qui occupe la deuxième place sur marché des lessives sur le plan national, a avantagé le groupement de distributeurs indépendants le plus important sur le plan national en lui accordant en 1990 et 1991 une participation publicitaire confidentielle ;

Considérant que cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 3 432 810 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 millions de francs ;

En ce qui concerne la société Procter et Gamble :

Considérant que la société Procter et Gamble France SNC, qui occupe la première place sur le marché des lessives, a avantagé le groupement de distributeurs indépendants le plus important sur le plan national, en lui accordant en 1990 et 1991 une participation publicitaire confidentielle ;

Considérant que cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 5 133 930 134 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire de 3 millions de francs ;

En ce qui concerne la société Colgate-Palmolive :

Considérant que la société Colgate-Palmolive a avantagé le groupement de distributeurs indépendants le plus important sur le plan national en lui accordant en 1990 et 1991 une participation publicitaire confidentielle ;

Considérant que cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 3 597 084 123 F sur le plan national au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu ; qu'il y a lieu dans ces conditions de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 millions de francs,

Décide :

Article 1

Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- 7,5 millions de francs à la société ITM France ;

- 2 millions de francs à la société Galec ;

- 10 millions de francs à la société Scachap ;

- 10 millions de francs à la société Henkel France ;

- 3 millions de francs à la société Procter et Gamble ;

- 2 millions de francs à la société Lever SA ;

- 2 millions de francs à la société Colgate-Palmolive.

Article 2

Dans le délai maximum de trois mois suivant sa notification, les sociétés visées à l'article 1er de la présente décision en feront publier le texte intégral, à leurs frais et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans la revue Libre-Service Actualité.

Cette publication sera précédée de la mention suivante : "Décision du Conseil de la concurrence en date du 13 décembre 1994 relative à des pratiques relevées dans le secteur des lessives".