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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 26 septembre 1991, n° ECOC9110129X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat local des moniteurs de l'école de ski français de la vallée de Méribel, Régie municipale des sports de montagne de Cauterêts, Téléskis du Grand-Bornand (SA), Méribel-Alpina (SA), Syndicat des moniteurs de ski français de l'école de Cauterêts, Syndicat national des moniteurs du ski français, Syndicat local des moniteurs du ski français du Grand-Bornand

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

Mme Ezratty

Président :

M. Vengeon

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Hannoun, MM. Canivet, Bargue

Avoués :

SCP Barrier Monin, SCP Bommart Forster, Me Valdelièvre, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Louchet, Montamat, Paris, Guillaumond, SCP J. Chevallier.

CA Paris n° ECOC9110129X

26 septembre 1991

Saisi, d'une part par Jean-Louis Lechene, agissant en tant que moniteur de ski et président de l'association Ecole de ski Snow Fun et par le ministre chargé de l'économie, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 91-D-07, délibérée le 19 février 1991 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de l'enseignement du ski, constaté que :

- les stipulations du dernier alinéa du chapitre Ier, paragraphe 5, de la Convention nationale type entre les moniteurs des écoles du ski français (ESF), adoptée par l'assemblée restreinte du Syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF), interdisant à un moniteur quittant l'école ou qui en est exclu d'exercer sa profession durant trois ans dans la commune ou les communes limitrophes, a pour objet ou pour effet de limiter le libre exercice de l'enseignement du ski sur le marché considéré ;

- les clauses de la convention cadre datée du 1er août 1985, établie par la Régie municipale des sports en montagne de Cauterêts en concertation avec l'ESF locale et la SNMSF, fixant à quatorze le nombre minimum de moniteurs qu'une école de ski doit comprendre pour bénéficier des avantages prévus, notamment de tarifs préférentiels et d'un droit de passage prioritaire pour l'utilisation des remonte-pentes, ont pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché de l'enseignement du ski à Cauterêts ;

- les pratiques temporairement mises en œuvre par la société Méribel Alpina et par la société d'économie mixte Les Téleskis du Grand-Bornand, concessionnaires des remontées mécaniques, en concertation avec les moniteurs des ESF locales et sur la base des recommandations du SNMSF, consistant à refuser à des groupements de moniteurs le bénéfice de la priorité et de la gratuité sur leurs installations alors qu'ils l'accordaient aux moniteurs de l'ESF, ont eu pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché de l'enseignement du ski sur le site de Mottaret et dans la station de Grand-Bornand.

Il a en conséquence enjoint au SNMSF et à la régie municipale des sports en montagne de Cauterêts d'abroger les conventions susvisées encore en vigueur, infligé des sanctions pécuniaires aux entreprises et organismes impliqués et ordonné à leurs frais la publication de sa décision.

Chacune des parties sanctionnées a introduit un recours contre ladite décision, alors que Jean-Louis Lechene s'est joint à l'instance.

Aux termes de leurs mémoires respectifs, les requérants invoquent, individuellement ou en commun, comme moyen de nullité de la décision :

- que le conseil était incompétent pour connaître d'actes accomplis par des collectivités locales dans le cadre de leurs prérogatives de puissance publique relatives à l'organisation des concession de transports et du tourisme dans les stations de montagne ;

- que fondée sur des correspondances échangées entre le SNMSF et son avocat saisies par le conseil, la décision a été prise en violation du secret professionnel et de la protection des communications entre un avocat et son client ;

- que les pratiques anticoncurrentielles retenues ne sont pas constituées ou ne leur sont pas imputables ;

- qu'elles ont eu pour effet d'assurer le progrès économique ;

- que le montant des sanctions pécuniaires infligées n'est pas motivé.

A titre subsidiaire, ils demandent la réformation de la décision, sur le montant des sanctions pécuniaires, le contenu des injonctions et l'étendue des publications.

Jean-Louis Lechene conclut au rejet des recours.

Le Conseil de la concurrence a présenté des observations écrites visant au rejet des moyens relatifs à sa compétence et à la nullité de la procédure d'enquête.

Aux termes de ses observations, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, estime que c'est à bon droit que le conseil a sanctionné les ententes anticoncurrentielles dont il était saisi mais que si la cour estimait que les correspondances entre la SNMSF et son avocat sont protégées par le secret professionnel et ne peuvent servir l'objet anticoncurrentiel des pratiques relevées à Cauterêts, de limiter à ce seul grief la nullité de la décision.

A l'audience, le ministère public a conclu à l'annulation partielle de la décision ;

Sur quoi, LA COUR :

I. - SUR LA PROCEDURE

Considérant que l'exploitation du service public industriel et commercial des remontées mécaniques est, au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une activité de prestation de services à laquelle s'appliquent les dispositions de ladite ordonnance;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Méribel-Alpina et Les Téléskis du Grand-Bornand, le conseil ne s'est pas prononcé sur la licéité, au regard des dispositions des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des accords conclus entre les communes concernées, les ESF locales et les sociétés concessionnaires ou sur la validité de contrats d'affermage, mais sur les pratiques mises en œuvre par les entreprises exploitant les remontées mécaniques, en concertation avec les ESF locales et le SNMSF;

Que certaines de ces pratiques sont antérieures aux conventions passées avec les collectivités locales, qu'en tout cas, si ces accords instauraient des avantages au profit des moniteurs regroupés dans les ESF, ils ne pouvaient ni permettre aux sociétés concessionnaires d'en refuser le bénéfice à ceux exerçant leurs activités au sein d'autres écoles de ski, ni empêcher lesdites sociétés de les leur consentir, ce qu'elles ont finalement fait à Grand-Bornand, depuis la saison d'hiver 1987-1988, et à Mottaret, depuis celle de 1988-1989, sans que lesdites conventions aient été abrogées ou modifiées ;

Qu'il s'ensuit que les pratiques litigieuses, indépendantes des modalités d'organisation de la concession d'un service public par une collectivité publique dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique, relèvent des pouvoirs accordés au Conseil de la concurrence par les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Mais considérant qu'agissant au siège du SNMSF dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance de 1er décembre 1986 le rapporteur du Conseil de la concurrence s'est fait remettre en copie deux lettres datées des 12 mars et 10 avril 1985 adressées audit syndicat par son avocat et la réponse du directeur administratif du syndicat datée du 19 avril 1985 ;

Que, par cette dernière lettre, l'organisation professionnelle priait son conseil de rechercher avec le maire de Cauterêts, sur le modèle du projet discuté entre le syndicat de l'Association des maires de France, une convention type permettant d'accorder des avantages aux groupements moniteurs lorsqu'ils présentent un poids suffisant pour bénéficier d'un traitement de faveur, dans des conditions telles qu'elle n'exclue pas en théorie, les autres écoles de ski mais qu'en pratique elle ne soit acceptable que par la seule ESF ;

Que cette correspondance expose le mécanisme des accords concertés conclus à Cauterêts comme dans d'autres stations, lesquels en imposant un nombre minimum de moniteurs aux écoles de ski sollicitant le bénéfice d'avantages dans l'utilisation des remonte-pentes, visaient en fait à en exclure les organismes concurrents des ESF, sections locales du SNMSF ;

Considérant que bien qu'antérieures à l'ouverture de l'enquête et à la saisine du conseil, ces correspondances se rapportent directement aux pratiques sanctionnées;

Que dès lors qu'elles avaient pour objet de donner ou de solliciter un avis juridique préalable à la négociation d'un contrat, il ne peut être soutenu qu'elles n'entrent pas dans l'activité de conseil et constituent une infraction dont l'avocat serait auteur ou complice;

Qu'échangées entre le syndicat et son avocat dans le cadre d'une consultation juridique, elles relèvent du secret professionnelet que bien qu'aucune protestation n'ait été émise lors de leur appréhension, le rapporteur était en mesure de constater leur caractère confidentiel lorsqu'il en a pris connaissance ;

Considérant qu'en se fondant sur de telles pièces, ainsi qu'il résulte des motifs de sa décision, le conseil a irrémédiablement porté atteinte aux droits de la défense du SNMSF ; que la nullité qui en résulte affecte cette décision à l'égard de toutes les parties en cause, non seulement en ce qui concerne les pratiques relevées sur le marché de l'enseignement du ski à Cauterêts auxquelles se rapportent directement, mais encore celles, identiques, constatées sur les marchés du site de Mottaret et de la station du Grand-Bornand , dès lors que dans chacun des cas, il est retenu que les concertations visant à écarter, par le nombre de moniteurs affiliés, les écoles du ski autres que l'ESF du bénéfice d'avantages dans l'utilisation des remontées mécaniques, ont eu lieu sur la base de recommandations du SNMSF ;

Considérant en revanche que les correspondances susvisées échangées par le SNMSF avec son avocat sont sans lien avec les grief fondé sur la clause de non-rétablissement comprise dans la convention nationale entre les moniteurs de l'ESFet qu'en conséquence la nullité ne s'étend pas à cette partie de la décision;

II. - SUR LE FOND :

Considérant qu'aux termes de la " Convention nationale de type entre les moniteurs ESF ", l'école de ski, qui n'a pas de personnalité juridique, est la désignation courante, d'une part, de l'ensemble des moniteurs travailleurs indépendants adhérents au SNMSF et, d'autre part, de leur syndicat local qui assure la défense de la promotion de leurs services ;

Considérant que l'article 5 du chapitre Ier de cette convention stipule que " le moniteur quittant l'école ou exclu s'interdit une période de trois ans à compter de son départ de créer, gérer, exploiter directement ou indirectement une école ou une affaire individuelle d'enseignement du ski ou d'y participer à quelque titre que ce soit, dans la commune ou les communes limitrophes, sous peine de dommages-intérêts " ;

Qu'il est établi qu'à plusieurs reprises cette clause a été opposée à des moniteurs ;

Considérant que le syndicat expose que la convention type ne lie que les moniteurs entre eux ; qu'elle vise à défendre les intérêts professionnels de ses adhérents ; que ceux-ci en leur qualité de travailleurs indépendants sont attachés à la protection de leurs intérêts commerciaux à son seul profit ; qu'il prétend que, dans un contexte juridique de cette nature, comparable à un réseau de franchise, une telle stipulation n'est pas illicite ;

Mais considérant que la convention litigieuse a été élaborée au sein du SNMSF et adoptée en 1988 par son assemblée restreinte ; qu'en conséquence c'est à son initiative que la clause de non-rétablissement incriminée a été insérée ; que de ce fait elle lui est imputable ;

Considérant que le retrait ou l'éviction d'une organisation syndicale ne peut être assorti de restrictions, mêmes partielles, au libre exercice d'une activité professionnelle ;

Considérant qu'en son principe même la clause de non-rétablissement susvisée ne peut être justifiée par les seuls intérêts professionnels qu'est habilité à défendre le syndicat concerné ;

Considérant en outre, que l'atteinte à la liberté fondamentale du commerce et de l'industrie que provoque ladite cause est sans proportion avec la protection des intérêts commerciaux des moniteurs regroupés en une ESF ; que c'est par une exacte analyse de sa portée et de ses effets que le conseil a estimé qu'en raison de l'influence du SNMSF, dans l'enseignement du ski une telle disposition statutaire avait pour objet et pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence sur ce marché ;

Considérant que sur le fondement de ce seul grief, en raison de l'importance de la restriction de concurrence causée par l'entente sanctionnée et de la durée de sa mise en œuvre, il échet de fixer à la somme de un million de francs, le montant de la sanction pécuniaire infligée au SNMSF,

Par ces motifs : annule la décision n° 91-D-07 du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a constaté et sanctionné des infractions aux articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur le marché de l'enseignement du ski dans les stations de Cauterêts et Grand-Bornand et sur le site de Mottaret ; rejette, pour le surplus, le recours du Syndicat national des moniteurs du ski français ; fixe à un millions de francs le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée au titre de l'infraction de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que constitue la clause de non-rétablissement comprise dans la " convention nationale type entre les moniteurs ESF " ; ordonne la publication intégrale du texte du présent arrêt, dans un délai de deux mois à compter de la date de sa notification, dans la revue Ski français et dans le bulletin Traces, aux frais du Syndicat national des moniteurs du ski français ; laisse à la charge du Syndicat des moniteurs du ski français les dépens de son propre recours ; dit que le surplus des dépens sera supporté par le Trésor.