Conseil Conc., 3 décembre 1996, n° 96-D-78
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par le barreau de Tarascon-sur-Rhône
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. André-Paul Weber, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, vice-président, , Rocca, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, empêché.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 10 août 1992 sous le numéro F 504, par laquelle la Confédération syndicale du cadre de vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par les barreaux de Quimper, Rennes et Tarascon-sur-Rhône ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de' la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée, et le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; Vu les observations présentées par l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône, par la Confédération syndicale du cadre de vie et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Confédération syndicale du cadre de vie et de l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
Par lettre susvisée, la Confédération syndicale du cadre de vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par différents barreaux. La présente décision a trait aux pratiques relevées dans le ressort du barreau de Tarascon-sur-Rhône.
I. CONSTATATIONS
A. La profession d'avocat
La profession d'avocat est régie par la loi du 31 décembre 1971, modifiée, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. La profession est constituée en barreaux établis auprès des tribunaux de grande instance. Chaque barreau est doté de la personnalité civile et est administré par un conseil de l'Ordre. Les membres du conseil de l'Ordre sont élus pour trois ans, au scrutin secret, par tous les avocats inscrits au tableau du barreau, par les avocats stagiaires ayant prêté serment avant le 1er janvier de l'année au cours de laquelle a lieu l'élection et par les avocats honoraires ressortissant dudit barreau. A sa tête est élu pour deux ans un bâtonnier ; il représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il lui revient de prévenir ou, le cas échéant, de concilier les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau et d'instruire toute réclamation formée par les tiers.
Les missions du conseil de l'Ordre sont définies par l'article 17 de la loi précitée. Il a vocation à traiter de toutes questions intéressant l'exercice de la profession et à veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. Il est en particulier tenu : " d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur de statuer sur l'inscription au tableau des avocats ... d'exercer la discipline ... de maintenir, les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaires ... de veiller à ce que les avocats soient exacts aux audiences et se comportent en loyaux auxiliaires de la justice ... "
Sur réquisition du procureur général, toute délibération ou décision du conseil de l'Ordre étrangère aux attributions qui lui sont reconnues ou contraires aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d'appel. Les délibérations ou décisions du conseil de l'Ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat peuvent également, à la requête de l'intéressé, être déférées à la cour d'appel. De même, les décisions du conseil de l'Ordre relatives à une inscription au barreau ou sur la liste du stage à l'omission ou au refus d'omission du tableau ou de la liste du stage sont susceptibles d'être déférées à la cour d'appel par le procureur général ou par l'intéressé.
Selon les articles 22 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, le conseil de l'Ordre, siégeant en conseil de discipline, a la faculté de poursuivre et de réprimer les infractions et fautes commises par les avocats inscrits au barreau ou sur la liste du stage. Il intervient d'office, à la demande du procureur général ou à l'initiative du bâtonnier. Le conseil de l'Ordre peut suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire. Dans les mêmes conditions ou à la requête de l'intéressé, il peut mettre fin à cette suspension. Les décisions du conseil de l'Ordre en matière disciplinaire peuvent être " déférées à la cour d'appel par l'avocat intéressé ou par le procureur général. Toute juridiction estimant qu'un avocat a commis à l'audience un manquement aux obligations que lui impose son serment peut saisir le procureur général en vue de poursuivre cet avocat devant le conseil de l'Ordre dont il relève.
Par application de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le montant des honoraires demandés par l'avocat est librement déterminé. A l'exception de la tarification de la postulation et des actes de procédure qui est régie par les dispositions sur la procédure civile, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que " ... les honoraires de consultations, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. A défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. Toute fixation d'honoraires, qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire, est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ".
Les différends susceptibles de survenir entre l'avocat et son client quant au montant et au recouvrement des honoraires sont réglés par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991. Les réclamations sont soumises au bâtonnier par toute partie, sans condition de forme. Selon l'article 175 du même décret, le bâtonnier accuse réception de la réclamation. Sa décision doit être prise dans un délai de trois mois. A défaut, il lui appartient de saisir le premier président de la cour d'appel. Selon l'article 176 du décret, la décision du bâtonnier est susceptible d'un recours devant le premier président de la cour d'appel. La décision du bâtonnier, non déférée au premier président de la cour d'appel, peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance à la requête de l'avocat ou de la partie.
L'article 183 du décret du 27 novembre 1991 prévoit enfin que " ... toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité... expose l'avocat qui en est l'auteur à des sanctions disciplinaires... ". Enumérées à l'article 184 du décret, ces sanctions, qui vont de l'avertissement au blâme ; à l'interdiction temporaire - qui ne peut excéder trois années - à la radiation du tableau ou de la liste du stage, ou au retrait de l'honorariat, sont prononcées par le conseil de l'Ordre sous le contrôle de la cour d'appel. Au total, la loi reconnaît au client un droit de contestation que le bâtonnier est appelé à régler, et tout manquement au devoir de modération dans le montant des honoraires demandés est susceptible de donner lieu à une action disciplinaire de la part du conseil de l'Ordre.
B. Les faits à qualifier
L'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône a établi, en date du 11 avril 1994, un document intitulé : " Charte des avocats du barreau de Tarascon en matière d'honoraires ". Dans son préambule, le document précise que " les avocats du barreau de Tarascon, conscients de l'évolution de la rémunération de l'avocat, ont recherché, dans l'intérêt de leurs clients, à rendre leurs honoraires clairs, explicables et prévisibles ". Il est également indiqué qu'" en publiant ce barème indicatif d'honoraires, l'Ordre des avocats de Tarascon (a) entend(u) répondre aux souhaits des usagers du droit et des pouvoirs publics qui veulent davantage de transparence ".
Le préambule du document rappelle par ailleurs " que les honoraires de l'avocat sont libres, qu'ils sont fixés d'un commun accord entre l'avocat et son client, que cet accord prendra de préférence la forme d'une convention écrite, qu'en cas de contestation d'honoraires, le litige est soumis, conformément aux textes en vigueur, au bâtonnier de l'Ordre (...) Les honoraires de l'avocat s'apprécient en fonction des éléments suivants : la notoriété, l'expérience ou la spécialisation de l'avocat, la nature et la complexité de l'affaire, l'importance du travail de recherche et de synthèse, le résultat obtenu et les services rendus, le coût de fonctionnement du cabinet, la valeur des sommes en litige, la rapidité d'intervention, la situation économique du client ".
Sous la rubrique " Les modalités de calcul de l'honoraire ", le document indique que " selon l'accord des parties et la nature du dossier, l'honoraire peut être calculé suivant les méthodes suivantes la convention d honoraires en fonction du temps passé, la convention d'honoraires sur forfait, l'honoraire de résultat ". S'agissant de la convention d'honoraires sur forfait, il est précisé que " l'avocat et son client conviennent d'un honoraire fixe et définitif. Les diligences couvertes par cet honoraire doivent être précisément indiquées dans la convention. L'Ordre des avocats du barreau de Tarascon publie à cet effet le montant des honoraires usuellement pratiqués après délibération du conseil de l'Ordre ". Sous l'intitulé " le barème indicatif du barreau de Tarascon ", concernant une quarantaine de prestations de services juridiques, le document donne soit des fourchettes, soit des montants minimaux d'honoraires ; exceptionnellement un montant unitaire, sans maximum ni minimum, est mentionné.
Certaines des mentions contenues dans le barème, sont ci-après reproduites :
" COUR D'APPEL
Affaires civiles : de 4 000 F HT à 10 000 F HT ;
Affaires sociales : de 3 000 F HT à 10 000 F HT ;
Affaires pénales : de 4 000 F HT à 10 000 F HT ;
Affaires commerciales : de 4 000 F HT à 10 000 F HT
"TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE
Affaires d'État : de 5 500 F HT à 10 000 F HT ;
Chambre du Conseil : de 4 500 F HT à 9 000 F HT ;
Divorces : de 7 000 F HT à 5 000 F HT (...) ;
" PÉNAL
Instructions : à partir de 3 000 F HT ; (...) ;
Assises : à partir de 9 000 F HT la journée ; (...) ;
Tribunal de commerce : de 2 500 F HT à 14 000 F HT ;
Procédures collectives : à partir de 80 00 F HT ;
Conseils de prud'hommes : de 4 000 F HT à 10 000 F HT (...) ;
" TRIBUNAL D'INSTANCE
Loyers et baux ruraux : minimum 3 500 F HT ; maximum 8 000 F HT
" TRIBUNAL ADMINISTRATIF
Action devant le tribunal administratif : à partir de 4 500 F HT ;
Commission de retrait de permis de conduire : de 3 000 F HT à 4 500 F HT (...) ;
" RÉDACTION D'ACTES
Vente de fonds de commerce : à partir de 8 000 F HT ;
Constitution de sociétés : à partir de 5 000 F HT ;
Rédaction de baux : à partir de 3 000 F HT ;
Assistance à expertise : 1 000 F HT de l'heure + frais de déplacement.
" CONSULTATIONS TOUTES MATIÈRES
Orales : à partir de 400 F HT ;
Ecrites : à partir de 1 500 F HT "
Par ailleurs, il est précisé dans le même document qu'" en matière de transaction réalisée avec le concours de l'avocat, les honoraires sont dus selon le barème indicatif. Le barème sera révisé avant le 31 décembre de chaque année " ... et que " le présent barème sera porté à la connaissance de M. le procureur général, à toutes les autorités judiciaires qu'il appartiendra, aux avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône ainsi qu'à toutes les personnes intéressées ".
En ce qui concerne " l'honoraire de résultat ", le document comporte enfin les indications ci-après reproduites :
" Il suppose que l'affaire confiée à l'avocat soit terminée et le résultat obtenu.
" Il doit être envisagé dès l'origine entre le client et son avocat et ne peut faire l'objet que d'une déclaration d'intention.
" Il s'applique sur le gain obtenu grâce au concours de l'avocat.
" A titre indicatif, il peut être calculé hors taxes sur les bases suivantes : " de 25 000 F HT à 500 000 F H.T : 16 p. 100 ; de 501 000 F HT à 1 000 000 F HT : 8 p. 100 ; de 1 000 001 F HT à 1 500 000 F HT : 6 p. 100 ; de 1 500 001 F HT à 2 000 000 F HT : 4 p. 100 ; au-delà de 2 000 001 F HT : 2 p. 100. "
Par procès-verbal d'audition du 30 novembre 1995, le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône a déclaré que la charte a été établie par le conseil de l'Ordre qui " a nommé deux rapporteurs qui ont procédé à un examen de la situation en matière d'honoraires ; ainsi ont-ils interrogé différents cabinets et barreaux ". Il a également rappelé que " le document était destiné au bâtonnier, saisi en matière de taxation ; il a été communiqué au procureur général ; il a enfin été mis à la disposition des avocats ne serait-ce que pour leur rappeler les principes essentiels en matière de détermination des honoraires. Il devait faciliter les rapports entre avocats et clients concernant les modes de détermination du prix des prestations. Le document n'a été ni renouvelé, ni actualisé ".
Par procès-verbal d'audition en date du 27 mai 1994, l'un des membres du barreau de Tarascon, Me Allier, a déclaré " pratique(r) des honoraires qui sont sensiblement inférieurs à ceux figurant sur le barème de l'ordre des avocats ". De son côté, par une attestation conforme aux dispositions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile datée du 22 février 1996, la secrétaire de l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon a déclaré que " ... les dossiers de taxation d'honoraires qui passent nécessairement entre mes mains font apparaître que la plupart des confrères non seulement n'appliquent pas le barème indicatif établi par l'Ordre mais encore sont fréquemment en dessous de ce barème ". Dans ses observations écrites à la suite du rapport, le conseil de l'Ordre du barreau de Tarascon-sur-Rhône a enfin fait observer qu'" ... aucun des avocats chez lesquels les enquêteurs ont exercé leur droit de communication n'appliquait le barème indicatif et que de surcroît tous pratiquaient : des prix inférieurs à ce dernier. "
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCEDENT, LE CONSEIL
Sur les pratiques constatées :
Considérant que l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône a établi et diffusé auprès de ses membres un document intitulé " Charte des avocats du barreau de Tarascon en matière d'honoraires " comportant la liste d'une quarantaine de prestations susceptibles d'être fournies dans le cadre de diverses procédures et pour lesquelles sont indiqués soit des fourchettes d'honoraires, soit des montants minimaux, soit exceptionnellement un montant d'honoraires ; que, si le document est présenté comme un " barème indicatif " visant à répondre aux souhaits des usagers du droit et des pouvoirs publics qui veulent davantage de transparence ", il comporte la mention selon laquelle " En matière de transaction réalisée avec le concours d'un avocat, les honoraires sont dus selon le barème indicatif " et donne une liste de prestations assorties de leur tarification qui comporte des montants minimaux ; qu'ainsi les consultations " toutes matières ", sont facturées " à partir de 400 F HT " où " à partir de 1 500, F HT " selon qu'elles sont orales ou écrites ; que l'" assistance à expertise " est facturée " 1 000 F HT de l'heure plus les frais de déplacement " ; que le document en cause comporte également des mentions du type " pénal instruction à partir de 3000 F HT (...) ; assises à partir de 9000 F HT la journée (...) ; tribunal de commerce procédures collectives à partir de 8 000 F HT (...) ; rédaction d'actes ; ventes de fonds de commerce à partir de 8 000 F HT (...) " ; que, de ce fait, un tel barème était de nature à inciter les membres du barreau à déterminer leurs prix en considération des indications tarifaires qu'il comportait plutôt qu'en tenant compte des critères de gestion propres à leur cabinet ;
Considérant que si l'Ordre soutient que le document en cause reproduisait un état du " montant des honoraires usuellement pratiques ", celui-ci ne peut être identifié à une mercuriale qui aurait été établie par recueil de données dans les différents cabinets ; qu'en effet le représentant de l'Ordre a. également indiqué qu' " aucun des avocats chez lesquels les enquêteurs ont exercé leur droit de communication n'appliquait le barème indicatif et... de surcroît tous pratiquaient des prix inférieurs à ce dernier "; que, pour sa part, la secrétaire de l'Ordre a déclaré que " les dossiers de taxations d'honoraires... font apparaître que la plupart des confrères non seulement n'appliquent pas le barème indicatif établi par l'ordre, mais encore sont fréquemment en dessous de ce barème ";
Considérant qu'il est soutenu par l'Ordre que ; par l'établissement du document en cause, il a cherché à " satisfaire aux prescriptions légales " ; que les indications contenues dans la " charte " devaient permettre au bâtonnier et à ses délégataires de faire application en cas de contestations d'honoraires des dispositions des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 ; qu'il est également avancé que " le conseil de l'Ordre n'a en cela que satisfait à une obligation légale prévue par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose qu'à défaut de convention entre l'avocat et son client l'honoraire est fixé selon les usages " ; qu'il est enfin avancé que l'article 35 de, la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique fait état de la possibilité qui est laissée à tout barreau d'établir " une méthode d'évaluation des honoraires " ;
Mais considérant que, si le bâtonnier et ses délégataires doivent disposer d'informations pour faire application des articles 174 et suivants du décret précité, il n'était nullement nécessaire de diffuser ces informations à l'ensemble des membres du barreau; que si l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 stipule que l'honoraire est, à défaut de convention, " fixé selon les usages ", ce même article précise que l'honoraire " est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci " ; que, si l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991 laisse à tout barreau la possibilité d'établir " une méthode d'évaluation des honoraires ", cette disposition ne l'autorise nullement à établir et diffuser des barèmes d'honoraires;
Considérant que l'Ordre soutient encore que, par diffusion du document en cause, il aurait cherché dans " l'intérêt (des) clients à rendre (les) honoraires clairs, explicables et prévisibles (...) " et à " répondre aux usagers du droit (...) qui veulent davantage de transparence " ; que, toutefois, si le document en cause comporte la mention " Le présent barème sera porté à la connaissance de M. le Procureur Général, à toutes les autorités judiciaires qu'il appartiendra, aux avocats du barreau de Tarascon ainsi qu'à toutes les personnes intéressées ", la secrétaire de l'ordre a déclaré qu'" (...) il n'entre(ait) pas dans (ses) attributions de donner des indications sur le coût d'une procédure et (qu'elle avait) toujours renvoyé les demandeurs à se mettre en rapport avec l'avocat de leur choix choisi sur le tableau " ; qu'ainsi, alors même que la diffusion d'un tel barème auprès des justiciables ne serait pas de nature à justifier une concertation en matière d'honoraires, il est constant que le document en cause n'a fait l'objet d'aucune diffusion auprès des justiciables et qu'ainsi il ne pouvait " faciliter les rapports entre avocats et clients concernant les modes de détermination du prix des prestations " ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la " charte " ci-dessus analysée, établie par l'ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône et qui a été diffusée auprès de ses membres, est constitutive d'une action concertée ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence; qu'elle est, dès lors, prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du lu décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit, en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum est de dix millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et, l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée " ;
Considérant qu'il convient, par application de l'article 13 ci-dessus rappelé, de prévenir la poursuite de telles pratiques en enjoignant à l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône de ne plus élaborer ni diffuser de barème d'honoraires et, d'en informer tous les membres du barreau ;
Considérant que, pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de retenir que le document en cause donnait des indications d'honoraires, comportant notamment des montants minimaux, pour une liste d'une quarantaine de prestations concernant de nombreuses procédures devant les différentes juridictions ;
Considérant que la gravité des pratiques doit s'apprécier en tenant compte de la circonstance que le document intitulé " Charte des avocats du barreau de Tarascon en matière d'honoraires " a été diffusé à l'ensemble des membres du barreau de Tarascon-sur-Rhône; que, par ailleurs, le ministère d'avocat est, s'agissant de différentes procédures, obligatoire ; qu'enfin le conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône ne pouvait ignorer les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant que, pour l'année 1995, les ressources de l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône, se sont élevées à 580 000 F ; que, en fonction des éléments tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône une sanction pécuniaire de 80 000 F,
Décide :
Article 1er : - Il est établi que l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 2 : - Il est enjoint à l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône, d'une part, de ne plus élaborer ni diffuser de " Charte en matière d'honoraires " et, d'autre part, d'adresser, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, la copie de la présente décision, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à l'ensemble des avocats constituant le barreau de Tarascon-sur-Rhône.
Article 3 : - Il est infligé au barreau de Tarascon-sur-Rhône une sanction pécuniaire de 80 000 F.