Conseil Conc., 14 septembre 1994, n° 94-MC-10
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Secteur du béton prêt à l'emploi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Jean-René Bourhis, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 5 juillet 1994 sous les numéros F 686 et M 131, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par différentes entreprises du secteur du béton prêt à l'emploi qu'il estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application; Vu les observations présentées par les sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var, Société méditerranéenne de béton, Société nouvelle des bétons techniques et par le ministre de l'économie; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, et les représentants des sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var, Société méditerranéenne de béton, Société nouvelle des bétons techniques entendus;
Sur la saisine au fond :
Considérant que le ministre de l'économie a, par lettre du 5 juillet 1994 susvisée, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles sur le marché du béton prêt à l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et demandé le prononcé de mesures conservatoires en application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'il allègue notamment que des baisses de prix ont été mises en œuvre de manière concertée par les sociétés Béton de France (filiale de RMC), Super Béton (filiale de Ciments Lafarge et de Ciments Vicat, anciennement Béton 83), Béton Chantiers du Var (BCV, filiale de Ciments Lafarge) et Société méditerranéenne de béton (SMB), filiale de la société Unimix, elle-même filiale de Ciments français), à partir du mois de novembre 1993, "afin d'empêcher une centrale concurrente appartenant à la Société nouvelle des bétons techniques (SNBT), récemment installée à Ollioules (83), de s'implanter sur le marché géographique concerné"; que sa saisine s'appuie sur deux rapports et de nombreux documents recueillis lors de différentes enquêtes;
En ce qui concerne la régularité des enquêtes :
Considérant que la société Béton de France déclare, dans ses observations écrites, qu'il est nécessaire que le Conseil de la concurrence s'assure, dès le stade des mesures conservatoires, de la régularité des enquêtes effectuées sur le fondement des articles 45 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'elle fait valoir, d'une part, qu'elle a formé un pourvoi contre les ordonnances ayant autorisé des visites et saisies en application de l'article 48 de l'ordonnance et que, d'autre part, elle a émis des "réserves" sur la manière dont se sont déroulées les enquêtes effectuées en application de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant que l'article 46 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 dispose que "les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapport. Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire"; que l'article 31 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 prévoit que "les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci mention en est faite au procès-verbal"; que l'article 47 de l'ordonnance précitée précise par ailleurs que "les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transports à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications (...)";
Considérant qu'il ressort de la lecture des procès-verbaux établis à la suite des enquêtes effectuées par les agents de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) auprès de la société Béton de France les 20 septembre, 29 septembre, 3 octobre, 15 octobre et 22 novembre 1993 sur le fondement des dispositions de l'article 47 de l'ordonnance que tous les procès-verbaux concernés mentionnent que les personnes entendues ont été informées de l' "objet de l'enquête" et qu'un double a été laissé aux personnes entendues; qu'aucun de ces procès-verbaux ne fait apparaître de réserves au sujet de la manière dont se sont déroulées les enquêtes en application de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, hormis celles exprimées par M. Bicchi, le 3 octobre 1993, au sujet des mentions portées dans le procès-verbal qu'il avait signé le 20 septembre et dans lequel il avait relevé des "erreurs" sur lesquelles il a pu apporter les précisions qu'il a jugé nécessaires, lors de sa seconde audition, le 3 octobre; qu'en l'absence de violation manifeste des dispositions des articles 46 et 47 de l'ordonnance et de celles de l'article 31 du décret d'application précitées, il n'y a pas lieu, au stade de l'examen de l'applicabilité des articles 12 et 19 de l'ordonnance, d'écarter du dossier les pièces contestées; qu'en effet, à ce stade, le Conseil doit simplement apprécier si la saisine s'appuie sur des éléments suffisamment probants susceptibles de révéler une éventuelle infraction aux dispositions du titre III de l'ordonnance susvisée et si la pratique dénoncée est de nature à entraîner une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante; qu'enfin, il n'est fait référence, dans la présente décision, à aucune pièce saisie dans les entreprises lors de l'enquête effectuée sur le fondement des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en tout état de cause, il n'y a pas lieu pour le Conseil de surseoir à statuer dans l'attente d'un arrêt de la Cour de cassation au sujet de la régularité de cette enquête;
En ce qui concerne les pratiques visées dans la saisine du ministre de l'économie :
Considérant qu'à l'appui de sa saisine le ministre de l'économie a produit divers documents au nombre desquels figurent les déclarations de M. Jean-François Mas, responsable de la SNBT et ancien directeur commercial de la société Unimix, société mère de la SMB, recueillies par procès-verbaux en date des 5 juillet et 30 septembre 1993; qu'il ressort des déclarations de M. Mas en date du 5 juillet 1993 qu'il avait, en tant que directeur commercial d'Unimix, "reçu l'ordre (...) d'organiser la répartition du marché du béton prêt à l'emploi de la région PACA, dans le cadre d'une entente (...) dans le Var entre Béton 83 (...), Béton de France, Béton Chantiers du Var et Unimix, ceci concernant le Var-Ouest"; qu'il a également déclaré par procès-verbal d'audition en date du 30 septembre 1993 que, dans le cadre de l'entente susmentionnée, les producteurs de béton se concertaient également sur les grilles de prix et que ces grilles étaient revues "tous les six mois lors des augmentations de matières premières ou en fonction de la concurrence exercée par des indépendants non membres de l'entente"; qu' à propos de ces derniers, il a déclaré : "en général, lors de l'implantation d'un indépendant, nous baissions les prix de la grille de 100 à 150 F pour le couler";
Considérant par ailleurs que le directeur général de la SA Bonifay, société qui produit du béton prêt à l'emploi à La Vallette-du-Var, confirme les allégations de M. Mas quant à l'existence d'une entente destinée à évincer la SNBT du marché du béton prêt à l'emploi à la suite de l'implantation d'une centrale de production à Ollioules; qu'en effet ce responsable a déclaré par procès-verbal d'audition en date du 26 mai 1994 : "Nos concurrents sur notre zone (...), sont Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var, SMB (...). Le niveau des prix sur le marché était, jusqu'en octobre 1993, de l'ordre de 420 à 450 F le mètre cube, ce qui nous permettait de gagner notre vie. (...) nos prix de revient sont de l'ordre de 280 à 300 F le mètre cube sortie de centrale + 70 F de frais de transport. - Simultanément avec l'ouverture de la centrale à béton SNBT d'Ollioules nos concurrents précités ont simultanément et immédiatement fait volontairement chuter les prix au niveau de 300 F puis un mois ou deux après à 250-280 F. - Nous avons le sentiment que par la même occasion ils ont décidé de nous éliminer également puisque nos quatre concurrents ont démarché certains de nos clients à ces prix de 250-280 F ";
Considérant, en outre, que divers éléments du dossier, et notamment les observations écrites de la société Béton Chantiers du Var, confirment que, sur le marché concerné dont il n'est pas contesté qu'il s'étend sur une zone d'environ 25 kilomètres autour de Toulon, le prix de vente du béton prêt à l'emploi de type "le plus fréquemment commandé et livré" et qui sert de référence à l'établissement des prix des autres types de béton prêts à l'emploi, est tombé, en novembre 1993, période ayant suivi l'implantation de la SNBT à Ollioules, d'environ 400 F le mètre cube à 300 F puis à 280 F en décembre 1993; que cette baisse de prix ne saurait, contrairement aux allégations de la société Béton Chantiers du Var, être imputée à la baisse générale de la consommation de béton prêt à l'emploi dans le département du Var; qu'en effet cette baisse qui, selon le Syndicat national du béton prêt à l'emploi (SNBPE), avait débuté en 1991, soit plus de deux ans avant les faits examinés, ne saurait être suffisante pour expliquer la brusque diminution des prix observés en novembre 1993, soit au moment de l'entrée de la SNBT sur le marché, alors que, jusqu'en septembre 1993, les prix s'étaient maintenus aux environs de 400 F;
Considérant qu'en l'absence d'autres indices, le fait que des entreprises qui commercialisent un produit industriel banalisé et, confrontées à l'apparition d'un nouveau concurrent, s'alignent sur les prix pratiqués par celui-ci et vendent à des prix inférieurs à ceux pratiqués avant l'arrivée du nouvel opérateur mais supérieurs à leurs coûts moyens variables serait, en lui-même, insuffisant pour constituer un indice d'entente anticoncurrentielle entre ces entreprises; qu'en effet un tel comportement pourrait être compatible avec l'intérêt individuel de chacune des entreprises concernées dans la mesure où les prix pratiqués, même s'ils ne permettent pas à ces entreprises de couvrir la totalité de leurs coûts, leur permettent au moins de récupérer les coûts variables engagés pour la production et la livraison des quantités qu'elles vendent ainsi qu'une partie des coûts fixes qu'elles doivent supporter;
Considérant, en revanche, qu'une entreprise de production qui choisit de vendre un produit industriel banalisé à un prix inférieur à son coût variable de production augmente délibérément ses pertes par rapport à celles qu'elle enregistrerait si elle s'abstenait de vendre ce produit puisqu'à la perte sur coûts fixes qu'elle encourrait en tout état de cause, elle ajoute une perte supplémentaire sur les coûts variables auxquels elle doit faire face pour produire et livrer le produit considéré; que la mise en œuvre d'une telle pratique par plusieurs entreprises, qui détiennent collectivement une part très importante du marché, à la suite de l'implantation d'un nouveau concurrent sur ce même marché, ne peut s'expliquer par l'intérêt individuel de chacune d'entre elles mais constitue, au contraire, l'indice d'une concertation entre les entreprises concernées pour éliminer le nouvel entrant et restaurer une entente de prix entre elles, ainsi que l'a d'ailleurs relevé la commission de la concurrence dans son avis du 20 juin 1985 relatif à la situation de la concurrence dans le secteur du treillis soudé;
Considérant qu'au cas d'espèce, outre le fait qu'il existe d'autres indices d'une entente entre les entreprises Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var et SMB pour éliminer la SNBT du marché, il résulte des observations de ces entreprises et des éléments qu'elles ont versé au dossier qu'elles ont pratiqué des prix unitaires de vente inférieurs à leurs coûts moyens variables à partir du mois de novembre 1993, période de l'entrée de la SNBT sur le marché toulonnais du béton prêt à l'emploi;
Considérant en effet, en premier lieu, que la société Super Béton, laquelle indique que les coûts moyens variables de ses centrales de La Garde et de La Seyne-sur-Mer étaient respectivement de 311 F et de 339 F en novembre 1993, ne conteste pas que six des onze factures la concernant et relatives à la commercialisation du béton de type 25 en novembre 1993 font apparaître des prix de vente inférieurs à ces coûts moyens variables; que, s'agissant des clients Blonna et Centre de convalescence ayant bénéficié respectivement de prix de 280 et 300 F pour du béton livré sur chantiers, Super Béton ne saurait utilement soutenir que ces prix refléteraient des économies de coût de transport réalisées pour la livraison de ces chantiers, dès lors qu'elle a recours à des "locatiers" qui lui facturent des prix forfaitaires par zones géographiques, quel que soit le lieu de livraison; que, par ailleurs, s'agissant du client Lupis ayant bénéficié d'un prix de 300 F pour une livraison de 18 mètres cubes, elle ne saurait soutenir que l'importance des livraisons aurait justifié le prix pratiqué dès lors qu'en procédant à cette livraison elle choisissait délibérément d'augmenter ses pertes par rapport à celles qu'elle aurait subies si elle n'avait pas livré et qu'elle a par ailleurs pratiqué à la même période des prix supérieurs pour la satisfaction de commandes bien plus importantes;
Considérant, en deuxième lieu, que la société Béton Chantiers du Var déclare, dans ses observations écrites, que le "coût variable transporté" du béton prêt à l'emploi, à savoir les charges variables de fabrication et le coût du transport, s'élevait à 304,17 F en novembre 1993 et qu'il résulte du dossier qu'elle a vendu du béton prêt à l'emploi de type 25 à un prix unitaire de 300 F livré sur chantiers aux clients Cortelloni frères et Etablissements Kisling et un prix unitaire de 240 F pour du béton pris sous centrale par le client Scappini, lequel payait le béton de même type au prix unitaire de 389,50 F pris sous centrale en octobre 1993; qu'en outre, des offres de prix unitaires de 300 F pour du béton prêt à l'emploi livré sur chantiers ont été effectuées par Béton Chantiers du Var aux clients SCEB et Matéo en novembre 1993;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des observations écrites de la société Béton de France qu'en novembre 1993 les coût moyens variables du béton prêt à l'emploi dans ses centrales de La Valette et de La Seyne-sur-Mer étaient respectivement de 328 F et de 336,47 F; qu'en janvier 1994, ces mêmes coûts étaient respectivement de 318,23 F et de 296,57 F; que les factures de vente de la société Béton de France versées au dossier à la demande expresse de cette entreprise établissent qu'en novembre 1993 elle pratiquait un prix unitaire de vente de 300 F pour du béton de type RMC 25 livré sur chantier ou pris sous centrale; que le prix unitaire de 280 F a été couramment appliqué à compter de la fin du mois de novembre ainsi qu'au cours des mois ayant suivi cette période pour du béton livré ou pris sous centrale, et ce, alors que les prix pratiqués par cette entreprise au cours des mois de septembre et octobre 1993 se situaient à un niveau de l'ordre de 360 F à 400 F et plus pour du béton livré ou enlevé sous centrale par les clients; qu'occasionnellement, des prix unitaires de vente de 270 F (Etudes et constructions provençales à La Seyne) et 250 F (génie civil à La Valette) ont également été pratiqués pour ce même type de béton livré sur chantiers au cours du mois de novembre 1993; que des prix unitaires de 280 F et de 270 F ont continué à être appliqués en janvier 1994 pour du béton prêt à l'emploi de type RMC 25 livré ou retiré sous centrale par les clients; qu'en outre, des prix de vente de 236 F pour du béton livré (hôtel du département de Toulon), 250 F (Sobeca, sous centrale) et 260 F (béton livré au client Allamandi) ont également été appliqués en janvier 1994.
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des éléments de comptabilité analytique communiqués par la Société méditerranéenne de béton que son coût moyen des matières premières s'élevait à 266,03 F par mètre cube en décembre 1993 dans sa centrale de Sanary, centrale qui se trouve distante de quelques kilomètres de la centrale de la SNBT sise à Ollioules; que la SMB reconnaît dans ses observations écrites avoir pratiqué un prix moyen de vente départ de 246,52 F par mètre cube à partir de sa centrale de Sanary, en décembre 1993; qu'en outre, cette entreprise a joint, en annexe à ses observations écrites, un tableau intitulé "analyse couverture prix de vente/coûts variables aire toulonnaise" qui établit qu'en juin 1994 sa marge moyenne sur coûts variables était négative dans sa centrale de Sanary, la perte sur coût variable s'élevant à 10,12 F par mètre cube;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des indices ci-dessus examinés (déclarations de MM. Mas et Bonifay, baisse des prix unitaires de vente en dessous du coût moyen variable faisant suite à l'installation de la centrale de la société SNBT à Ollioules) qu'il ne peut être exclu, sous réserve de l'instruction au fond, que les sociétés Béton de France, Société méditerranéenne de béton, Béton Chantiers du Var et Super Béton, qui détiennent environ 80 p. 100 du marché concerné, aient, à partir du mois de novembre 1993, mis en œuvre une entente ayant pour objet d'exclure une ou plusieurs entreprises indépendantes du marché du béton prêt à l'emploi dans l'ouest du département du Var en pratiquant une politique sélective de prix de prédation; que, contrairement à ce qu' allèguent les parties concernées, la mise en œuvre de prix prédateurs n'implique pas nécessairement que les prix de vente en dessous des coûts moyens variables soient pratiqués à l'égard de l'ensemble de la clientèle, une stratégie de prédation pouvant s'appliquer à une clientèle sélectionnée en fonction de l'objectif anticoncurrentiel recherché, comme l'a reconnu la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt Akzo en date du 3 juillet 1991;
Sur la demande de mesures conservatoires :
En ce qui concerne la qualité pour agir :
Considérant que la société Béton de France soutient que le ministre de l'économie n'a pas qualité pour demander des mesures conservatoires en invoquant les intérêts d'une entreprise en particulier; qu'en effet, selon cette société, l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'autoriserait une telle demande que si l'entreprise victime des pratiques avait elle-même saisi le Conseil de la concurrence;
Mais considérant que l'article 12 de l'ordonnance précise que "Le Conseil de la concurrence peut, après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées par le ministre chargé de l'économie, par les personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 5 ou par les entreprises. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante"; qu'il ressort des pièces du dossier que la pratique dénoncée, qui tend, selon le ministre de l'économie, à évincer une entreprise du marché considéré et qui pourrait, selon les éléments qu'il a communiqués, non seulement entraîner la disparition d'autres entreprises indépendantes mais encore décourager toute volonté ultérieure d'entrée sur ce marché serait, à la supposer établie, manifestement de nature à porter atteinte au fonctionnement de l'ensemble du marché compte tenu du faible nombre d'opérateurs et du fait qu'ils pourraient alors reconstituer l'entente de prix et de répartition de marché qu'ils auraient conclue en 1992-1993; que, dans ces conditions,le ministre de l'économie est fondé à soutenir, comme il l'a fait devant le Conseil, que l'atteinte portée aux intérêts de la SNBT par la pratique en cause constitue également une atteinte au secteur économique tout entier;
En ce qui concerne la production de pièces :
Considérant qu'il y a lieu, compte tenu du caractère tardif de la production d'une attestation établie par le cabinet d'expertise comptable de la Rocade, relative à la situation financière de la SNBT arrêtée au 31 juillet 1994, d'écarter ce document au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires;
En ce qui concerne le bien-fondé de la demande :
Considérant que la pratique consistant, pour des entreprises présentes sur un même marché, à mettre en œuvre une politique sélective de prix de prédation les conduisant à accumuler artificiellement des pertes de façon à contraindre leurs concurrents a cessé leur activité sur le marché, constitue manifestement une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur; qu'en outre le caractère immédiat de l'atteinte résulte du fait que les entreprises en cause sont des filiales de grands groupes industriels pouvant disposer, de ce fait, de ressources financières sans commune mesure avec celles dont disposent les entreprises indépendantes concurrentes vis-à-vis desquelles s'exerce la prédation; qu'il importe, dans ces conditions, de prendre les mesures d'urgence qui s'imposent pour faire cesser cette pratique;
Considérant que les mesures conservatoires peuvent, aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, "comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur" et doivent "rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence";
Considérant qu'il y a lieu d'enjoindre, jusqu'à l'intervention de la décision au fond, aux sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var et Société méditerranéenne de béton de cesser de vendre, directement ou indirectement, dans un rayon de 25 km autour de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur à son coût moyen variable de production tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de ses centrales; que ce coût s'entend du coût du ciment, des granulats et des adjuvants et des autres matières premières entrant dans la composition du produit commercialisé ainsi que du coût de l'énergie, augmentés, hormis les cas de livraison sous centrale, du coût de livraison sur chantier; qu'à défaut d'informations actualisées sur ses coûts chacune des entreprises susmentionnées devra prendre comme référence, pour l'exécution de l'injonction, le dernier coût moyen variable mensuel connu,
Décide :
Article unique : Il est enjoint, jusqu'à l'intervention de la décision au fond, aux sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var et Société méditerranéenne de béton de cesser de vendre directement ou indirectement, dans un rayon de 25 km autour de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur à son coût moyen variable de production tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de ses centrales; que ce coût s'entend du coût du ciment, des granulats et des adjuvants et des autres matières premières entrant dans la composition du produit commercialisé ainsi que du coût de l'énergie, augmentés, hormis les cas de livraison sous centrale, du coût de livraison sur chantier; qu'à défaut d'informations actualisées sur ses coûts chacune des entreprises susmentionnées devra prendre comme référence, pour l'exécution de l'injonction, le dernier coût moyen variable mensuel connu.