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Décisions

Cass. com., 10 octobre 2000, n° 98-12.393

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Cachia Holding (Sté), Cachia (SA)

Défendeur :

Fiat Auto France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez

T. com. Paris, 6e ch., du 23 avr. 1990

23 avril 1990

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 9 décembre 1997) rendu sur renvoi après cassation, (Chambre commerciale, 4 janvier 1994, B. n° 13) que la société Fiat auto France (la société Fiat) a notifié, le 25 juin 1984, à la société Cachia Holding et à la société Les Garages Cachia (les sociétés Cachia) son refus de conclure un nouveau contrat de concession exclusive ; que les époux Cachia, concessionnaire depuis 1963 de la vente de véhicules Fiat pour le département de la Seine Saint-Denis par l'effet de contrats d'une durée d'un an sans tacite reconduction, ont assigné la société Fiat devant le tribunal de commerce de Paris en dommages-intérêts pour refus abusif de contracter ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches : - Attendu que les sociétés Cachia font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le pourvoi, 1°) que si, lorsqu'un contrat de concession a été conclu pour une durée déterminée, le concédant, dès lors qu'il a respecté les dispositions du contrat, n'est pas tenu de renouveler celui-ci et n'a pas à motiver son refus, il ne saurait cependant exercer le droit qui lui est ainsi reconnu de manière abusive ; qu'est abusif le refus de renouveler un contrat de concession inspiré par l'intention de nuire au concessionnaire et dont la cause est en outre illicite ; que la société Cachia avait fait valoir qu'elle avait réalisé en 1983, à la demande de la société Fiat, des travaux d'aménagement exclusivement utiles à la commercialisation et l'après-vente des produits Fiat, pour un montant de 6 millions de francs ; que le non-renouvellement du contrat de concession, un an après, alors que les objectifs de vente de la société Cachia avait été largement dépassés et que le taux de pénétration de cette société sur son territoire était amplement supérieur à la part de marché de Fiat en France, était manifestement contraire aux intérêts de Fiat et était dicté par l'intention de nuire à la société Cachia ; que Fiat ne s'était pas cachée de vouloir faire un exemple en sanctionnant un concessionnaire qui avait réexporté des véhicules directement ou indirectement vers l'Italie ; qu'une telle "sanction" était illicite, puisqu'elle avait pour objet de contraindre les concessionnaires à violer l'article 85-1 du Traité de Rome ; qu'ainsi les éléments constitutifs de l'abus - intention de nuire ; défaut d'intérêt légitime ; cause illicite - étaient réunis ; qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts de la société Cachia, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, 2°) que la société Cachia avait fait valoir que le non-renouvellement du contrat était entaché d'une cause illicite, tenant à ce qu'elle avait exporté des véhicules neufs vers l'Italie, ce que Fiat auto France voulait empêcher ses concessionnaires de faire afin de cloisonner le marché, en violation de l'article 85-1 du Traité de Rome ; que pour décider que le refus de conclure de nouveaux contrats n'était pas abusif, la cour d'appel retient que si le témoin Lafitte évoque des exportations vers l'Italie, Jean Gangloff se réfère à des exportations sans préciser la destination de celles-ci et que MM. Villaume et Fromager, témoins d'une conversation téléphonique rapportent que Joly, représentant de Fiat, a donné comme motif du refus de conclure de nouveaux contrats la présence en Italie de véhicule neufs vendus par la société Cachia, mais après exportation en Algérie, soit hors de la CEE ; que le fait qu'un témoin, tout en confirmant que le non renouvellement avait pour cause les exportations de la société Cachia n'ait pas précisé la destination de celles-ci, ne pouvait avoir pour effet de limiter la portée du témoignage plus précis de M. Lafitte ; que dès lors que deux témoins directs des propos du représentant de Fiat France attestaient qu'il était reproché à la société Cachia d'avoir vendu des véhicules qui s'étaient retrouvés en Italie après avoir été exportés vers l'Algérie, il apparaissait sans contestation possible que la cause du non-renouvellement n'était pas l'activité d'exportation en tant que telle, mais précisément le fait que les véhicules aient été exportés directement ou indirectement vers l'Italie ; qu'ainsi la cour d'appel a dénaturé les témoignages produits par la société Cachia, violant l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a fait qu'apprécier la portée probante des témoignages visés par le moyen et a estimé dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que le motif du non-renouvellement de la concession avancé par les sociétés Cachia, à savoir le fait qu'elles auraient exporté des véhicules neufs en Italie, n'était pas établi par les pièces versées aux débats ; qu'elle a pu, dès lors, en déduire que le refus par la société Fiat de conclure un nouveau contrat de concession n'était pas abusif ; que le moyen n'est pas fondé en ses première et quatrième branches ;

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que les sociétés Cachia font encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, 1°) que l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précise que les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux, et, le cas échéant, de rapports ; que les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente et qu'un double en est laissé aux parties intéressées ; que si ces procès-verbaux ne sont pas opposables, à l'occasion de poursuites subséquentes devant le conseil de la concurrence ou les juridictions répressives de droit commun, aux parties auxquelles un double n'a pas été laissé, ils peuvent, dès lors qu'ils ont été régulièrement communiqués lors d'une instance civile et qu'ils ont pu faire l'objet d'un débat contradictoire, constituer un élément permettant de prouver les faits que l'une des parties allègue à l'appui de ses prétentions ; qu'en écartant des débats les procès verbaux dressés et le rapport établi par un agent de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, au motif qu'un double n'en avait pas été remis aux parties, la cour d'appel a violé l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par fausse application ; et alors, 2°) que le texte précité n'impose la remise d'un double aux parties qu'au regard des procès-verbaux et non des rapports ; que la société Cachia se prévalait d'un "rapport concernant le litige entre la SA Les Garages Cachia et Fiat Auto France SA", en date du 23 mai 1989, signé par le commissaire Le Guillouzer, d'où il ressortait que si, pour justifier sa décision, la société Fiat Auto France invoquait la stricte application du contrat de concession, et plus précisément son article 4 impliquant une exclusivité de représentation, l'avenant du 28 décembre 1983, n'ayant, selon Fiat Auto France, qu'un caractère exceptionnel et provisoire (rapport, page 4), en réalité, le véritable motif du non- renouvellement du contrat résidait dans l'activité d' exportation de véhicules par la société Cachia vers l'Italie, et qu'ainsi Fiat Auto méconnaissait l'interdiction édictée par l'article 85-1 du traité de Rome ; qu'en écartant ce rapport des débats, au motif que le double des procès- verbaux doit être remis aux parties, la cour d'appel a violé l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par fausse application ;

Mais attendu, d'une part, qu'il résulte de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que les procès verbaux d'enquête établis sans qu'un double ait été laissé aux parties intéressées sont irréguliers; que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a écarté des débats les procès-verbaux produits dans le litige commercial devant elle par la société Cachia Holding, lesquels avaient été établis par la Direction nationale des enquêtes de concurrence sans qu'un double ait été remis à la société Fiat ;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte de l'article 46 de l'ordonnance précitée que le rapport facultatif est dépourvu de force probante; que le moyen, inopérant en sa troisième branche, n'est pas fondé en sa deuxième branche ;

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne, ensemble l'article 7 du règlement n° 123-85 de la Commission des Communautés européennes du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du Traité CE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles ;

Attendu que, pour rejeter la demande de dommages-intérêts des sociétés Cachia relative au refus de la société Fiat le 4 février 1985 de lui vendre neuf véhicules, l'arrêt retient que le contrat de concession qui liait désormais Fiat au nouveau concessionnaire n'était pas nul car la clause interdisant à ce dernier de vendre hors réseau était exemptée par le règlement n° 123-85, même si le contrat litigieux ne remplit pas toutes les conditions prévues par le règlement d'exemption n° 123-85 ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle relevait que les contrats de distribution exclusive, mis en place par la société Fiat étaient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et avaient pour effet de restreindre la concurrence en ce qu'ils répartissaient géographiquement les marchés et que ces contrats n'avaient pas fait l'objet d'une exemption individuelle, et alors que l'article 7 du règlement d'exemption n° 123-85 susvisé subordonne l'octroi de l'exemption pour les contrats conclus avant son entrée en vigueur à ce que les conditions du règlement soient réunies, la cour d'appel, sans rechercher si tel était le cas, n'a pas donné de base légale à sa décision;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux autres branches du second moyen : casse et annule mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts des sociétés Cachia pour le refus de vente du 5 février 1985 de neuf véhicules opposé par la société Fiat, l'arrêt rendu le 9 décembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.