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Décisions

Conseil Conc., 13 décembre 1988, n° 88-D-49

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées sur le marché de l'étanchéité par asphalte coulé dans la région lyonnaise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent, président; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents; MM. Azema, Bon, Cortesse, Fries, Gaillard, Mme Lorenceau; MM. Martin-Laprade, Sargos, Schmidt, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 88-D-49

13 décembre 1988

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 27 mai 1987 sous le numéro C 48 par laquelle la Société stéphanoise d'étanchéité (ci-après désignée SSE) a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques des sociétés SMAC, CLGB Etanchéité (ci-après CLGB) et SPAPA associées au sein de la société Rhodanienne de produits asphaltiques ci-après dénommée RPA ; Vu la lettre en date du 6 juillet 1987 enregistrée sous le numéro C 67 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société RPA ; Vu les ordonnances n° 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945, modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu les observations présentées par les parties ; Vu les autres pièces du dossier ; M. Chaize, ingénieur au Centre scientifique et technique du bâtiment, MM. Forien et Villey, gérants de la SARL RPA et représentant respectivement les sociétés SMAC et SPAPA au sein de la société en participation constituée pour l'exploitation de l'usine d'asphalte entendus à titre d'information et en présence des parties au titre des dispositions de l'article 25 de l'ordonnance susvisée ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. Constatations

A. Le marché en cause. - L'étanchéité par asphalte coulé

a) Le secteur de l'étanchéité.

L'étanchéité est une technique destinée à protéger les ouvrages contre les intempéries. La fonction principale d'un système d'étanchéité est donc d'assurer une bonne imperméabilité à l'eau. Dans certains cas, les concepteurs exigent en outre que l'ouvrage réponde à d'autres contraintes comme l'isolation thermique ou acoustique.

A ces exigences correspondent différentes technologies plus ou moins substituables entre elles et faisant chacune appel à des matériaux variés et parfois complémentaires. Actuellement, les principales techniques d'étanchéité utilisées se répartissent comme suit, en fonction du chiffre d'affaires réalisé par asphalte coulé 10 p. 100 ; par système multicouche bitumineux 10 à 15 p. 100 ; par divers procédés (résines-membranes PVC) 5 à 10 p. 100.

La taille des entreprises d'étanchéité est très variable puisque ce secteur qui emploie environ 10000 personnes regroupe un nombre important d'entreprises artisanales et d'entreprises exerçant leur activité sur le plan national.

La plupart des entreprises importantes de ce secteur adhèrent à la Chambre Syndicale Nationale de l'Étanchéité (CSNE) qui regroupe également les quinze principaux fabricants de produits d'étanchéité.

L'instruction a révélé que les prescripteurs imposent fréquemment telle ou telle technique d'étanchéité lors de la passation des marchés publics ou privés, les règlements des consultations laissant cependant parfois les entrepreneurs présenter une ou plusieurs variantes.

S'agissant de la réalisation de l'étanchéité de certains types d'ouvrages comme les parkings et terrasses-parkings, les professionnels du bâtiment accordent souvent un avantage technique à l'asphalte coulé en raison de sa fiabilité et de son coût. Des raisons historiques, liées à l'utilisation traditionnelle de l'asphalte naturel dans lés opérations architecturales de grande envergure, font que cette technique continue à jouir en France d'une demande soutenue, notamment à l'occasion de la réalisation de travaux dits " de prestige ".

On constate par ailleurs que la consommation nationale d'asphalte coulé, répartie entre les travaux d'étanchéité (45 p. 100), les travaux routiers (45 p. 100) et divers autres travaux (10 p. 100), a connu une certaine stabilité autour de 320 000 tonnes par an de 1980 à 1986, cela en dépit d'une baisse générale de la demande enregistrée dans le secteur du bâtiment au cours des mêmes années.

Une qualification spécifique " Etanchéité asphalte " a été créée en début d'année 1987 par l'Office Professionnel de Qualification et de Certification du Bâtiment (OPQCB). Cette qualification est attribuée aux seules entreprises pouvant attester qu'elles disposent des moyens de mettre en œuvre les revêtements d'étanchéité en asphalte coulé, ceci à l'exclusion des autres procédés qui font l'objet de qualification différentes.

La substituabilité imparfaite des différentes techniques d'étanchéité aux yeux de certains maîtres d'ouvrage induit chez ces derniers un comportement visant à imposer fréquemment telle ou telle technique dans les documents contractuels remis par les entreprises lors de la passation de marchés de travaux. Ce comportement, conforté dans une certaine mesure par la création récente de la part des professionnels d'une qualification " Etanchéité asphalte " limitant l'accès des marchés de travaux d'étanchéité par asphalte aux seules entreprises d'étanchéité titulaires de cette qualification aboutit à la constitution d'un marché spécifique d'étanchéité par asphalte coulé distinct de celui des' autres techniques d'étanchéité.

b) La fabrication de l'asphalte coulé, produit " intermédiaire " nécessaire à la mise en œuvre de la technique d'étanchéité par asphalte.

Alors que certains types de travaux autorisent indistinctement l'utilisation de l'asphalte naturel ou de l'asphalte synthétique à base de bitume de pétrole, la confection de travaux d'étanchéité par asphalte coulé requiert l'utilisation exclusive d'asphalte naturel. Cette contrainte découle de l'utilisation quasi générale par les prescripteurs publics et privés du " Document Technique Unifié " (DTU) n° 43-1 qui renvoie à la norme AFNOR n° NF P 84-305.

L'asphalte coulé pour étanchéité est fabriqué soit en usines soit en pétrins mobiles. Si la création d'une usine moderne d'asphalte coulé nécessite des investissements importants en matériels de fabrication et de stockage, en revanche l'automatisation des moyens de production requiert moins de main d'œuvre. Les pétrins mobiles sont des cuves installées sur châssis, généralement des remorques, qui offrent le double avantage de la mobilité et d'un coût d'investissement nettement moins élevé que celui des usines ; mais, pour offrir un produit de qualité approchant celle du matériau fabriqué en postes fixes, il est indispensable d'adjoindre à ces unités mobiles, qui nécessitent une présence accrue de personnel en raison du temps de fabrication plus long et de la capacité de production inférieure, des installations complémentaires telles que trémies de stockage des matériaux et sécheur d'agrégats. La qualité du matériau dépend en grande partie de la taille des installations et de la régularité du brassage des ingrédients.

Il est également possible, comme l'ont reconnu les différentes parties en cours d'instruction, de procéder à la fabrication de l'asphalte coulé dans des camions-malaxeurs de transport qui sont équipés d'un système de chauffage, le temps de transport de l'asphalte nécessitant un maintien à une température de l'ordre de 250 °C. Ce procédé de fabrication qui a aujourd'hui quasiment disparu est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre en raison du délai de fabrication plus long et de l'incertitude du dosage et de la régularité du brassage, éléments nuisibles à la qualité du produit.

Aucun texte législatif ou réglementaire n'impose aux entreprises d'étanchéité de fabriquer l'asphalte coulé dans leurs propres installations, l'approvisionnement pouvant se faire auprès d'unités de production spécialisées, comme cela est notamment le cas en région parisienne.

c) Le marché de l'étanchéité par asphalte coulé concerné : la zone géographique de Lyon - Saint - Etienne.

L'asphalte coulé étant un produit pondéreux, les marchés d'étanchéité par asphalte sont nécessairement de dimensions géographiques restreintes en raison du coût de transport et des contraintes liées aux caractéristiques physicochimiques du produit qui risque de se dégrader en cas de conservation trop Longue en camions-malaxeurs. Les professionnels s'accordent généralement à reconnaître que la zone de chalandise d'une usine d'asphalte coulé recouvre une aire géographique définie par un rayon d'environ 150 kilomètres autour de la centrale. Il découle de ces constatations qu'un marché d'étanchéité par asphalte coulé se limite nécessairement à une zone de même dimension.

Dans la zone de Lyon - Saint - Etienne peu d'entreprises d'étanchéité sont en mesure de fabriquer ce matériau et de le mettre en œuvre. S'agissant de la fabrication, il ressort des déclarations recueillies au cours de l'instruction que, outre la société " Les Asphalteurs Réunis ", société coopérative ouvrière de production sise à Vénissieux (69), qui consomme la totalité de sa production, seules les sociétés SMAC Aciéroïd, SPAPA et CLGB disposaient au moment des faits d'une unité fixe de production. Cette dernière société était devenue, à l'époque des faits, une filiale de SMAC Aciéroïd ; toutefois, selon les déclarations consignées par procès-verbal (annexe H 2 au rapport), les sociétés SMAC Aciéroïd et CLGB disposent d'une autonomie commerciale. Ces trois sociétés possédaient chacune une usine jusqu'en 1975, année au cours de laquelle leurs responsables décidaient de regrouper leurs installations sur un terrain appartenant à la société SMAC Aciéroïd afin, selon le directeur régional de SPAPA, " de rationaliser la production et de donner une meilleure qualité et de meilleurs prix à la clientèle ". Ce regroupement était réalisé au sein d'une société commerciale, la SARL Rhodanienne de Produits Asphaltiques (RPA) dont le capital est détenu à parts égales par les groupes SMAC (SMAC et CLGB sa filiale) et SPAPA. Il ressort, de la lecture de ses statuts que cette société était chargée de " l'étude, le financement la réalisation et l'exploitation d'une usine de fabrication de matériaux asphaltiques ainsi que la fabrication, la vente et la mise en œuvre de tous matériaux asphaltiques pour son utilisation... " (objet-article 3). Une société en participation était par ailleurs créée par les associés, société dont l'objet, aux termes de ses statuts, était " l'exploitation d'une usine d'asphalte installée sur un terrain en location appartenant à la Société Anonyme des Bitumes et d'Asphalte du Centre (SMAC) à Vénissieux et, en conséquence, la vente et la mise en œuvre de tous produits asphaltiques ". La gérance de la SARL RPA est assurée statutairement par trois personnes physiques désignées par chacun des trois associés, personnes morales qui sont, conformément aux statuts de la société en participation, gérants de cette dernière société. L'organisation de la structure commune, " tout entière tournée vers la satisfaction des besoins des associés de la RPA ", selon les déclarations de l'un de ses gérants, repose, ainsi que son fonctionnement, sur les moyens humains et techniques mis à disposition par les associés, la RPA n'employant pas de personnel en propre et les gestions technique et comptable étant respectivement assurées par les sociétés SMAC Aciéroïd et SPAPA. La gestion courante incombe à un comité de gestion mis en place statutairement par la société en participation. Dans les faits, ce sont les mêmes personnes physiques, responsables régionaux des sociétés SMAC, SPAPA et CLGB qui assurent, à la fois, les fonctions de gérants de la SARL et de représentants des associés au sein de la société en participation chargée du fonctionnement de l'entreprise.

Il ressort de l'instruction que, outre les quatre sociétés précitées, seule la Société Stéphanoise d'Étanchéité (SSE) entreprise locale de travaux d'étanchéité sise à Saint Etienne, créée en 1974, qui s'était dotée d'un camion-malaxeur de transport en 1976, était susceptible de mettre en œuvre la technique de l'étanchéité par asphalte coulé sur le marché concerné. Depuis 1976, la SSE s'approvisionne uniquement auprès de la SARL RPA en asphalte coulé. Au moment des faits, la répartition de son chiffres d'affaires était la suivante : étanchéité par asphalte 20 p. 100 ; travaux multicouche 50 p. 100; travaux acier (bardage et couverture) 30 p. 100.

B. Les faits à qualifier : les pratiques sur le marché de l'étanchéité par asphalte coulé liées à la fourniture du " produit intermédiaire "

L'instruction a permis d'établir les faits suivants, non contestés par les parties en cause.

Des relations commerciales se sont nouées entre la SSE et la RPA en 1976, année à partir de laquelle des quantités d'asphalte coulé ont régulièrement été livrées à SSE. Les programmes prévisionnels de fabrication établis annuellement par les cogérants font d'ailleurs mention des quantités prévues pour les entreprises tierces dont font partie la SSE et les Asphalteurs Réunis.

Or, par lettre du 17 janvier 1986, la RPA appliquait une hausse de l'ordre de 20 p. 100 aux prix de l'asphalte coulé vendu à la société SSE, augmentation expliquée au client par la baisse des tonnages prévisionnels pour l'année à venir alors que le compte rendu du comité de gestion du 4 février 1986 fait apparaître des prévisions de tonnage en hausse par rapport à l'année passée et fait mention d'une baisse des prix de 4 p. 100 appliquée à l'égard des associés (annexe H 1 au rapport; annexe VIII-d au dossier). L'élévation importante des prix appliquée à cette entreprise se traduisait par une distorsion supérieure à 70 p. 100 entre le prix facturé à SSE et celui consenti aux associés qui sont concurrents de la SSE sur le marché de l'étanchéité par asphalte. Cet accroissement se traduisait dans les faits pour cette entreprise par un désavantage économique important sur le marché de l'étanchéité par asphalte dans la mesure ou il est établi que l'incidence de ce matériau dans le coût final d'un ouvrage s'élève à environ 25 p. 100.

L'octroi, en septembre 1986, d'une ristourne à la SSE ne modifiait pas la situation créée. D'une part entre janvier et septembre 1986, la SSE ignorant qu'une ristourne lui serait offerte, ne pouvait que prendre en compte, lorsqu'elle répondait à des appels d'offres, le prix de l'asphalte qui avait été établi en janvier 1986 ; c'est notamment le cas pour le marché public obtenu en août 1986 et relatif à la réfection du collège de Monistrol-sur-Loire. D'autre part, en dépit de la baisse des prix des produits pétroliers la différence entre le prix facturé à la SSE et celui consenti aux associés de RPA restait de l'ordre de 70 p. 100 à partir de janvier 1987.

Le 10 juin 1986, la SSE se voit refuser par la RPA la livraison de l'asphalte commandé sans qu'aucune explication sérieuse lui soit donnée à ce comportement.

A la suite de l'obtention, en août 1986, d'un marché public passé par le Conseil Général de la Haute-Loire, marché auquel avaient également, soumissionné les sociétés SMAC Aciéroïd et SPAPA, qui n'avaient pas été retenues, la société SSE subit des retards de livraison d'asphalte coulé en octobre 1986, retards rendant impossible la réalisation des travaux dans les délais requis.

Le 20 mai 1987, un nouvel incident de livraison ne trouve son épilogue qu'après intervention des agents de l'administration.

Par lettre du 10 juin 1987 la RPA exige le paiement comptant des marchandises livrées à la SSE sans qu'aucun incident de paiement soit à l'origine d'une telle mesure.

En octobre 1987, enfin, les délais de prise de commande imposés à la SSE, jusque-là de quinze jours comme pour les associés, sont portés à trois semaines, alors que l'un des cogérants a reconnu en cours d'instruction qu' " il est préférable de programmer les fabrications à la quinzaine avec recalage toutes les semaines ".

II. A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence,

Considérant que les saisines susvisées sont relatives à la même affaire ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la procédure :

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article 11 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence examine si les pratiques dont il est saisi entrent dans le champ d'application des articles 7 et 8 de ladite ordonnance ou peuvent se trouver justifiées par application de l'article 10 ; qu'il lui appartient donc de qualifier les faits dont il est saisi ; qu'en conséquence il n'est pas lié par les qualifications figurant dans l'acte de saisine ;

Considérant par ailleurs que les pratiques dont il est fait état tant dans la saisine ministérielle que dans la saisine de la société SSE concernent à la fois la commercialisation de l'asphalte et le marché de l'étanchéité par asphalte coulé sur lequel se concurrencent les sociétés SSE, CLGB, SMAC Aciéroïd et SPAPA ; que dès lors, la société SPAPA n'est pas fondée à soutenir que " le rapport relie artificiellement le marché des travaux d'étanchéité par asphalte coulé au marché de l'asphalte coulé ".

Considérant que la SPAPA fait valoir que les " dirigeants " de la société n'ont pas été entendus avant la notification de griefs et qu'ainsi le caractère contradictoire de la procédure n'aurait pas été respecté ; que, d'une part, aucune disposition de l'ordonnance de 1986 susvisée n'impose l'audition des mandataires sociaux par le rapporteur préalablement à la notification de griefs ; que, d'autre part, le directeur régional de la SPAPA et, le directeur de l'agence de Lyon de la société SMAC Aciéroïd ont été entendus lors de la première phase de l'instruction, ainsi que l'attestent les procès-verbaux d'audition dont une copie a été remise aux intéressés ; qu'en outre, ils ont également été entendus en cours d'instruction en leur qualité de gérants de la SARL RYA ; qu'enfin, MM. Forien et Villey, en leur qualité de gérants de la RPA et de représentants respectifs des sociétés SMAC Aciéroïd et SPAPA au sein de la société en participation ont été entendus par le Conseil lors de sa séance du 13 décembre 1988, à titre d'information, conformément aux dispositions de l'article 25 de l'ordonnance n° 86-1243 et en présence des parties ; que le caractère pleinement contradictoire de la procédure a donc été respecté ;

Considérant que trois techniciens du secteur concerné dont un ingénieur du Centre scientifique et technique du bâtiment ont été entendus par le rapporteur ; que la société SPAPA allègue que le rapport attribue une valeur d'expertise aux déclarations des personnes interrogées, sans qu'un débat contradictoire ait été instauré sur ces déclarations ; que le Conseil de la concurrence n'avait prescrit aucune expertise au sens du deuxième alinéa de l'article 47 de l'ordonnance n° 86-1243 ; que ces techniciens ont été entendus par le rapporteur pour recueillir des informations sur les conditions techniques de la production d'asphalte ; que conformément aux dispositions de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les auditions ont donné lieu à la rédaction de procès-verbaux qui ont été annexés au rapport communiqué aux parties et sur lequel elles à sont présenté leurs observations ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du contradictoire doit être écarté ; qu'au surplus, l'ingénieur du CSTB a été entendu par le Conseil dans sa séance du 29 novembre 1988 et en présence des parties, conformément aux dispositions de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'application des articles 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et 7 et 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 :

Considérant que les sociétés CLGB ; SMAC Aciéroïd et SPAPA ont créé une structure commune composée d'une part de la SARL RPA et d'autre part d'une société en participation, cette dernière société étant, selon ses statuts, chargée de l'exploitation de l'usine d'asphalte et de la vente et la mise en œuvre de tous produits asphaltiques ;

Considérant en premier lieu qu'il est établi que les décisions qu'applique la RPA sont prises par le comité de gestion de la société en participation dans laquelle les gérants sont selon l'article 6 des statuts (pièce cotée VIII-e au dossier), des " représentants de chacun des associés " dont " les décisions engagent ces derniers " ; qu'en outre, l'un des cogérants de la RPA et représentant de la société SMAC Aciéroïd au sein du comité de gestion a déclaré en cours d'instruction dans un procès-verbal d'audition joint au dossier que (annexe H 2 au rapport) " ... les décisions importantes (budget-investissements-augmentations de prix) sont arrêtées par les trois cogérants en comité de gestion " que ces déclarations ont été confirmées par le cogérant devant le Conseil lors de sa séance du 13 décembre 1988 et en présence des parties ; que dans ces conditions la société RPA ne dispose pas d'une autonomie réelle de décision ; qu'il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si elle détient une position dominante et si elle en a abusé ;

Considérant en second lieu que la mise en commun par les sociétés CLGB, SMAC Aciéroïd et SPAPA de leurs moyens de production d'asphalte coulé dans une structure commune ne constitue pas, en l'espèce, une entente visée par les dispositions des articles 50 premier alinéa de l'ordonnance n° 45-1483 et 7 de l'ordonnance n° 86-1243, mais qu'il y a lieu de rechercher si cette structure commune n'a pas été utilisée par ces entreprises pour mettre en œuvre des pratiques concertées anticoncurrentielles sur le marché de l'étanchéité par asphalte coulé ;

Considérant qu' il est certes loisible à des sociétés ayant constitué une filiale commune afin de produire un matériau intermédiaire de se réserver l'intégralité de cette production ; que cependant, dès lors que ces entreprises ont choisi de livrer des entreprises tierces, qui sont par ailleurs leurs concurrentes, la brusque modification de leurs usages commerciaux ou l'imposition soudaine de conditions de livraison manifestement injustifiées dans des circonstances qui ne laissent pas un temps raisonnable pour trouver une solution de remplacement peuvent constituer une pratique visée par les dispositions des articles 50 premier alinéa et 7 susvisés;

Considérant qu'en l'espèce une hausse du prix de l'asphalte coulé de l'ordre de 20 p. 100 a été appliquée à la société SSE par la RPA en janvier 1986; que, selon les déclarations du représentant de la SPAPA au sein du comité de gestion, la hausse importante décidée à l'égard de SSE résultait des prévisions pessimistes de tonnage pour l'année 1986 en raison de la faiblesse du niveau de production enregistré en 1985 ; que cependant le compte rendu du comité de gestion du 4 février 1986 relatif aux prévisions, 1986 faisait apparaître des prévisions optimistes par rapport à l'année écoulée et relatait la décision de baisser les prix de 4 p. 100 à l'égard des associés ; que, de janvier 1986 à la date de notification de griefs, l'écart entre les prix consentis à la SSE et ceux dont bénéficient les associés a ainsi été porté à environ 70 p. 100 ; que cet écart injustifié pouvait avoir pour effet de limiter la capacité concurrentielle de la SEE sur le marché de l'étanchéité par asphalte coulé ;

Considérant également que des refus de livraison d'asphalte coulé ont été opposés à la SSE en juin 1986 et mai 1987 : qu' en juin et en octobre 1987 un paiement comptant reconnu inhabituel et des délais de commande anormalement longs lui ont été imposés; que la SSE ayant, en août 1986, obtenu un marché public pour la confection de travaux d'étanchéité au collège de Monistrol-sur-Loire, à la suite d'un appel d'offres auquel SMAC Aciéroïd et SPAPA avaient répondu sans être retenues, le programme de livraison proposé, par la RPA , seul fournisseur auquel la SSE pouvait s'adresser pour l'exécution de ce marché, rendait impossible la réalisation des travaux dans les délais prévus, impossibilité reconnue en cours d'instruction par le directeur régional de la SPAPA ; que ces pratiques injustifiées pouvaient avoir pour effet de restreindre la possibilité pour cette dernière société de présenter des offres compétitives, lors de la passation de marchés publics .

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les associés ont mis en œuvre une action concertée ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de limiter l'exercice de la concurrence sur le marché des travaux d'étanchéité par asphalte coulé;

Sur l'application du 2° de l'article 51 de I'ordonnance du 30 juin 1945 et du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'en l'espèce les actions mises en œuvre, par les opérateurs en cause à l'égard de leur concurrent ne peuvent se justifier au regard des dispositions des articles précités ; qu'en effet il n'est pas établi que les pratiques susmentionnées étaient nécessaires à la réalisation d'un progrès économique ;

Considérant que les pratiques constatées qui tombent sous le coup des dispositions des articles 50 de l'ordonnance de 1945 susvisée sans pouvoir bénéficier de celles de son article 51, entrent également dans le champ d'application des dispositions des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : qu'il y a lieu, par application de l'article 13 de ladite ordonnance, de prononcer des sanctions pécuniaires,

Décide :

Article 1er :

Il est infligé respectivement :

- à la société SMAC Aciéroïd une sanction pécuniaire de 500 000 F ;

- à la société SPAPA une sanction pécuniaire de 100000F;

- à la société CLGB Etanchéité une sanction pécuniaire de 50 000 F.

Article 2 :

Dans un délai maximum de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, le texte intégral de celle-ci sera publié dans les revues " Marchés publics " et " Le Moniteur des travaux publics " aux frais des sociétés SMAC Aciéroïd, SPAPA et CLGB prises solidairement.