CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 19 avril 1991, n° ECOC9110060X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
ODA (SA)
Défendeur :
Audace et Stratégies (Sté), Confédération de Défense des Commerçants et Artisans, Ministre chargé de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schoux
Conseillers :
MM. Canivet, Launay
Avoué :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocat :
Me Saint-Esteben.
LA COUR statue sur un recours exercé par la SA Offices d'Annonces, ci-après ODA, par assignation du 29 mars 1991 de la Confédération de Défense des Commerçants et Artisans, ci-après CDCA et de Dominique André qui exerce l'activité d'agent de communication publicité sous l'enseigne Audace et Stratégies et par assignation du 2 avril 1991 du Ministre d'Etat, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, contre la décision du Conseil de la Concurrence du 5 mars 1991 fondée sur l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Celle-ci faisait injonction en premier lieu à la société ODA, dans un délai de 8 jours de la notification, d'adresser une lettre recommandée avec avis de réception indiquant aux annonceurs figurant sur une liste fournie par Dominique André (p. 72 de la saisine), que l'Agence Audace et Stratégies, Génard Jacky a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires de France Telecom et, en second lieu, jusqu'à l'intervention de la décision au fond, de fournir à l'agence dirigée par Dominique André dans les conditions identiques à celles des autres agences de publicité et conformément au contrat intitulé : " conditions de collaboration avec les agences de publicité ", tous les documents techniques et commerciaux nécessaires à la vente des espaces publicitaires dans les annonces de France Telecom, cela en temps utile.
Par son recours la société ODA demande l'annulation et, subsidiairement, la réformation de cette décision en ses deux injonctions.
Elle fait valoir qu'elle est le régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels des P et T et qu'en cette qualité, elle est chargée d'assurer la prospection de la publicité à insérer dans les différents annuaires et de prospecter les annonceurs.
Elle allègue qu'elle est entrée en pourparlers avec son ancien salarié, Dominique André, sans toutefois que le contrat de collaboration nécessaire pour l'intervention des agences de publicité soit signé par ce dernier.
Elle reproche à celui-ci de s'être lancé néanmoins dans la prospection dans la continuité de ses fonctions salariales et de s'être faussement présenté comme mandataire de l'ODA.
Elle estime choquant que le Conseil de la Concurrence, sans instruction, dans des délais brefs de la procédure des mesures conservatoires, ait pu pratiquement trancher le débat essentiel au fond et constater l'existence d'une " campagne de dénigrement ".
Elle soutient qu'elle a remis à Dominique André tous les documents habituellement communiqués aux agences de publicité, que les conditions strictes d'application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies et que Dominique André ne prouve pas son préjudice grave et immédiat.
Dominique André par des conclusions prises par lui et par le Syndicat CDCA mais signées par lui seul, conclut à la confirmation de la décision déférée à la Cour mais demande également d'enjoindre à la société ODA de lui accorder les modalités de règlement accordées habituellement (règlement 2 mois après parution du dernier annuaire souscrit), et de publier dans un délai maximum d'un mois le texte intégral de la décision. Il demande également l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en faveur de Dominique André.
Ils estiment que la pratique de la société ODA est un véritable refus de vente, que cette société a tenté d'évincer l'agence exploitée par Dominique André et qu'elle a vidé sa trésorerie par l'obligation de payer bien avant l'encaissaient auprès de ses clients.
Cela étant exposé, LA COUR :
Considérant qu'il est de la nature des décisions prises par le Conseil de la Concurrence en vertu de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 d'intervenir dans de brefs délais avant que l'instruction au fond soit achevée ;
Que les parties et le Commissaire du Gouvernement ont été entendus après le rapporteur et le rapporteur général ;
Qu'ainsi le Conseil de la Concurrence a respecté les prescriptions de l'article 12 précité ;
Qu'il y a lieu, dès lors, en l'absence de tout autre moyen soulevé ou d'ordre public, de rejeter la demande tendant à l'annulation de la décision déférée à la Cour ;
Considérant que la société ODA reconnaît qu'en vertu de la convention du 30 juin 1967 entre les P et T et la société Havas, elle est le régisseur exclusif en regard de France Telecom, qui a succédé aux P et T, pour faire assurer la prospection de la publicité à insérer dans les différents annuaires édités par cette administration ;
Qu'elle a, par suite une situation de monopole pour entrer en rapport avec des annonceurs et qu'il n'existe sur le marché français aucun mode de publicité substituable ;
Qu'elle est, dans ces conditions, en position dominante sur le marché intérieur et que l'agence de Dominique André qui a pour objet la publicité de ces supports est en état de dépendance économique à son égard ;
Que le Conseil de la Concurrence est chargé, à la suite de la saisine par Dominique André et par le CDCA de rechercher si la société ODA a abusé de sa situation à l'égard de Dominique André ;
Considérant que, dans le cadre de cette saisine, il a été sollicité pour prendre des mesures conservatoires par application des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que c'est dans des délais brefs et avant que puisse être tranché le débat au fond que ces mesures peuvent être ordonnées par le Conseil de la Concurrence après audition des parties en cause et du commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il est, certes, légitime que la société ODA mette en garde ses correspondants contre des pratiques illégales des agences se présentant faussement comme ses mandataires ou provoquant la confusion entre les annuaires de la société France Telecom et ceux diffusés par d'autres supports ;
Qu'elle ne peut, toutefois, porter des accusations nominatives sans s'être assurée qu'elles correspondent à la réalité ;
Qu'elle ne justifie de lettres d'entreprises auxquelles s'est adressé Dominique André et ses préposés comme mandataires de la société ODA, qualité qu'ils n'avaient pas, qu'en ce qui concerne Emballages Horticoles, Ambulanciers Associés, Voyages Gaillard, Photo Sprint, l'Orangerie ;
Qu'elle a cependant, ainsi qu'il résulte notamment des correspondances émanant des entreprises René Belmonte, Hôtel Le Saint-Nicolas, Sef Alu, AXA Assurances, Repro Piotex, Bonsai Création, Christian Bercovic, Cuers Automobiles, Fun Video, Cabinet Robert Teyssier, Ago, Denis Massart, Fac, incité ces éventuels candidats à des insertions dans des annuaires de France Telecom à ne pas s'adresser à l'Agence Audace et Stratégies, qu'elle accusait soit de commettre des escroqueries, soit de ne pas exister, soit de ne pas être admise à s'adresser à elle alors qu'aucun fait d'escroquerie n'est établi à l'égard de ces annonceurs, que l'agence appartenant à Dominique André est inscrite depuis le 31 août 1990, soit antérieurement à toutes ces interventions, au registre du commerce et était par suite en droit de s'adresser à elle ;
Que, par ailleurs, la société ODA ne justifie l'existence d'aucun réseau de distribution sélective et reconnaît qu'elle est dans l'obligation d'accepter toutes les demandes d'insertion normales qui sont présentées soit par les entreprises elles-mêmes, soit par les agences auxquelles celles-ci s'adressent ;
Que, si Dominique André a été employé de la société ODA, aucune clause de non-concurrence n'a été stipulée dans son contrat et que dès lors le 18 septembre 1990 soit antérieurement aux faits dénoncés, le responsable de l'administration du personnel d'ODA prenait acte de la démission de Monsieur Dominique André et le dispensait d'exécuter le préavis ;
Que ces pratiques portent une atteinte grave et immédiate à l'agence Audaces et Stratégies appartenant à Dominique André en l'empêchant d'exercer son activité ;
Que l'injonction donnée par le Conseil de la Concurrence à la société ODA dans l'article 1er est strictement limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence en ce qui concerne toutefois les seules entreprises précédemment citées et auxquelles la société ODA avait fait connaître que l'agence Audace et Stratégies n'avait pas qualité pour prendre des ordres d'insertion;
Considérant que, dans son recours, l'ODA prétend qu'elle a fourni à l'Agence Audace et Stratégies tous documents communiqués habituellement aux agences de publicité et qui sont expressément énoncées dans le contrat de collaboration ;
Que, dès lors, rien en ce qui concerne les documents ne s'oppose à ce que la société ODA assure l'insertion des publicités commandées par l'Agence de Dominique André sauf en ce qui concerne éventuellement les conditions de règlement ;
Que cependant, indépendamment de celles-ci, Dominique André se plaint du refus de la société ODA de contracter avec son agence ;
Que la société ODA ne justifie pas de l'exécution des ordres que lui a donnés Dominique André ;
Que ces fautes constituent, ainsi que le soutient dans ses conclusions Dominique André, un abus de position dominante par refus de vente auquel il est nécessaire de mettre fin en faisant injonction à la société ODA, non plus de fournir à l'agence Dominique André les documents techniques, mais d'assurer l'exécution des ordres d'insertion conformes aux règles en vigueur et assortis des conditions de règlement habituellement pratiquées ;
Considérant que l'Agence Audace et Stratégies ne doit pas bénéficier par rapport à ses concurrents directs, nouveaux intermédiaires, dans la publicité de la société ODA d'avantages de paiement ;
Que, par suite, l'Agence Audace et Stratégies doit appliquer les modalités de règlement prévues à l'article 4 du contrat de collaboration signé par Dominique André, qui, pour tout annonceur nouveau, stipule le paiement à la souscription de 40 % à 25 % du montant de chaque affaire nouvelle apportée par l'agence de publicité ;
Qu'il y a lieu de rejeter la demande de Dominique André tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société ODA d'accorder des modalités de règlement " accordées habituellement (règlement 2 mois après parution du dernier annuaire souscrit) " qui ne sont pas conformes à cette clause ;
Considérant que la publication de la présente décision dans divers journaux ou magazines serait avant l'examen au fond par le Conseil de la Concurrence, de nature à favoriser l'Agence de Dominique André par rapport à ses concurrents sans être une mesure limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ;
Qu'il convient de débouter Dominique André de sa demande de ce chef ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs, Dit n'y avoir lieu d'annuler la décision du 5 mars 1991 du Conseil de la Concurrence, Réformant partiellement celle-ci, Fait injonction à la société Anonyme Office d'Annonces ODA dans un délai de 8 jours de la présente décision d'adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception aux entreprises René Belmonte, Hôtel Saint-Nicolas, Sef Alu, Axa Assurances, Repro Pioteix, Bonsai Création, Christine Bercovic, Cuers Automobiles, Fun Video, Cabinet Robert Teyssier, Ago, Denis Massart, Fac, que l'Agence Audace et Stratégies Genard Jacky de Dominique André a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires de France Telecom, Fait injonction également à la société Office d'Annonces ODA d'assurer l'exécution des ordres d'insertion émanant de l'Agence Audace et Stratégies conformes aux règles en vigueur et assortis des conditions de règlement prévues à l'article 4 du contrat de collaboration sauf à la société ODA de prouver qu'elle a effectivement adressé à ladite agence les documents indispensables et que ceux-ci n'ont pas été exactement remplis, Déboute Dominique André de sa demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que de sa demande d'injonction supplémentaire et de publication du texte de la décision, Condamne la société Office d'Annonces ODA aux dépens de la présente instance.