Cass. com., 8 novembre 1994, n° 92-20.285
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Union nationale des syndicats français d'architectes
Défendeur :
Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M Curti
Avocats :
SCP Lesourd, Baudin, Me Ricard.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1992), que dans sa décision du 1er décembre 1987, relative à la situation de la concurrence dans le domaine des honoraires d'architectes, le Conseil de la concurrence a constaté que les clauses prévoyant la fixation de la rémunération des architectes contenues dans les contrats types publiés et diffusés par l'Union nationale des syndicats français d'architectes (UNSFA) pour ses adhérents étaient contraires aux dispositions de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 comme portant atteinte au principe de la liberté de fixation des honoraires qui doivent être librement arrêtés entre le maître de l'ouvrage et le professionnel ; que cette décision a imparti à l'UNSFA de communiquer au Conseil, dans un délai de 8 mois, les dispositions qu'elle aurait prises et diffusées en application de cette décision ; que l'UNSFA s'étant abstenue de déférer aux injonctions du Conseil, concernant la suppression des clauses des contrats types qualifiées d'anticoncurrentielles, le Conseil lui a infligé une sanction pécuniaire ;
Sur l'irrecevabilité du pourvoi soulevée par le ministre de l'Economie et des Finances : - Attendu que le ministre soutient que le pourvoi formé par l'UNSFA contre l'arrêt du 23 septembre 1992 doit être déclaré irrecevable faute par elle de justifier de son intérêt à agir, la décision du Conseil ayant été annulée par l'arrêt attaqué et se bornant à prononcer un sursis à statuer en ordonnant une mesure d'instruction ;
Mais attendu que la cour d'appel a seulement annulé la décision du Conseil en ce qu'elle a déterminé le montant de la sanction pécuniaire sans disposer des éléments suffisants lui permettant d'apprécier la proportionnalité de celle-ci par rapport aux facultés contributives de l'UNSFA ; qu'elle a retenu, en revanche, que cette union syndicale, en ne déférant pas durant 4 années aux injonctions destinées à mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dénoncées, avait commis une infraction grave et caractérisée ; que, dès lors, l'UNSFA ayant intérêt à agir contre l'arrêt déféré, le pourvoi est recevable ;
Sur le premier moyen de ce pourvoi : - Attendu que l'UNSFA fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables les moyens énoncés par elle dans son mémoire en réplique, alors que, selon le pourvoi, il résulte de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987, largement inspiré des règles de la procédure applicable devant les juridictions administratives qui étaient compétentes en la matière antérieurement à la loi du 6 juillet 1987, que la sanction d'irrecevabilité prononcée d'office s'applique essentiellement au recours proprement dit, prévu au 1er alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que doit donc être déclaré irrecevable le recours présenté sous forme d'une requête non motivée si cette requête n'a pas été complétée dans le délai de 2 mois suivant la notification de la décision du Conseil de la concurrence par le dépôt d'un mémoire contenant l'exposé des moyens invoqués ; qu'en l'absence de toute disposition contraire, la cour d'appel, juge du fond, a plénitude de compétence pour se prononcer sur tous les moyens dont elle est valablement saisie, dès lors qu'ils ont été régulièrement formulés dans les mémoires échangés entre les parties, conformément aux dispositions des articles 6 à 9 du décret susvisé du 19 octobre 1987 ; qu'en limitant le droit du requérant à modifier ou amplifier son argumentation en fonction des développements de la procédure, la cour d'appel a violé les articles 2 et 8 du décret du 19 octobre 1987, ainsi que les articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel, faisant application des dispositions de l'article 2 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence, a déclaré que les moyens nouveaux invoqués par l'UNSFA, dans son mémoire en réplique du 3 juin 1992, étaient irrecevables comme ayant été déposés plus de 2 mois après la notification de la décision déférée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que l'UNSFA fait grief à l'arrêt de l'avoir déclarée coupable de l'inexécution des prescriptions qui lui avaient été imposées par la décision du Conseil du 1er décembre 1987 ; alors, selon le pourvoi, d'une part, que le Conseil de la concurrence n'étant pas une juridiction, les décisions qu'il prend sont revêtues de l'autorité qui s'attache à une décision administrative, sans que soient applicables les règles spécifiques s'attachant à l'autorité de chose jugée ; que c'est à la lumière de ce principe que la cour d'appel devait se prononcer sur le grief d'inexécution fait à l'UNSFA ; que la décision du 1er décembre 1987 ayant constaté dans ses motifs que la prescription était acquise pour les faits antérieurs au 19 février 1983 et que les contrats types litigieux avaient été établis en 1982, les injonctions données ne pouvaient avoir d'autre objet que d'interdire pour l'avenir la poursuite d'agissements de l'Union considérés comme anticoncurrentiels ; qu'en revanche, le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs auxquels ne déroge aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'opposait à ce que la décision du 1er décembre 1987 du Conseil de la concurrence soit interprétée comme imposant à l'UNSFA de prendre des mesures ayant pour objet d'effacer rétroactivement les conséquences de faits passés dont la plupart était d'ailleurs déjà couverts par la prescription ; que c'est donc dans les limites des pouvoirs qu'il tient de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que s'est tenu le Conseil de la concurrence dans sa décision du 1er décembre 1987 qui n'impose en aucune façon à l'UNSFA de prendre les mesures de retrait ou de dénonciation des contrats précédemment diffusés, que l'arrêt attaqué lui fait grief de n'avoir pas prises, violant ainsi l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1493 du 30 juin 1945 ; alors, d'autre part, que procède également de la violation de ces mêmes textes l'arrêt qui fait grief à l'UNSFA d'avoir choisi, pour se conformer à la décision du Conseil de la concurrence du 1er décembre 1987, de s'abstenir pour l'avenir de toute publication et de toute diffusion de contrats types, faute d'avoir reçu au préalable des autorités compétentes l'assurance de leur conformité avec les exigences minimales formulées par le Conseil ; qu'il ressort de l'article 3 de la décision du 1er décembre 1987 qu'aucune injonction n'est donnée à l'UNSFA de continuer indéfiniment, pour l'avenir et à compter de l'expiration du délai imparti de publier et de diffuser sous sa responsabilité des contrats types conçus sur le modèle du contrat incriminé établi en 1982, modifié pour y insérer les mentions prescrites par le Conseil ; que si l'insertion de ces mentions est exigée dans les contrats qu'UNSFA édite ou diffuse, c'est sous la condition implicite mais nécessaire qu'elle en poursuive l'édition ou la diffusion qui demeure substantiellement facultative puisque l'abstention ne saurait en elle-même être considérée comme un acte anticoncurrentiel ; et alors, enfin, que l'obligation faite à l'UNSFA par l'article 4 de la décision du 1er décembre 1987 de communiquer tout nouveau document au Conseil de la concurrence est également conditionnée implicitement mais nécessairement par la libre décision prise par l'UNSFA de poursuivre ou non la diffusion de documents de cette nature, de sorte qu'aucune inexécution ne saurait résulter du seul fait d'avoir présenté à l'administration un simple projet jugé non satisfaisant et laissé sans suite ; que, de ce chef, encore, la cour d'appel a violé les articles 13 et 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l'arrêt constate que l'UNSFA a laissé en possession des architectes, sans les dénoncer, des documents contrevenant aux prescriptions du Conseil et a persisté dans les projets qu'elle a soumis à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, puis au Conseil, postérieurement à l'ouverture de la procédure d'inexécution, à vouloir préconiser des clauses contraires aux injonctions claires, précises et circonstanciées édictées par la décision initiale ; qu'il a également relevé qu'elle ne justifiait par aucun document que l'Administration lui avait laissé croire que des négociations étaient encore possibles sur la mise en œuvre de clauses de contrats types ; qu'en l'état de ces constatations, qui établissaient de façon concrète, que l'UNSFA n'avait pas déféré aux injonctions de la décision du Conseil du 1er décembre 1987, qui n'avait jamais fait l'objet d'un recours et qui s'imposait donc à elle, visant à dénoncer auprès de ses adhérents les clauses de contrats types qualifiées d'anticoncurrentielles, la cour d'appel a pu décider que l'UNSFA avait commis une faute en ne déférant pas à ces injonctions ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.