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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 23 septembre 1992, n° ECOC9210172X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Union nationale des syndicats français d'architectes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Hannoun, M. Canivet

Conseillers :

Mmes Renard-Payen, Nerondat, Mandel

Avoué :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocat :

Me Champigneulle Mihailov.

CA Paris n° ECOC9210172X

23 septembre 1992

L'Union nationale des syndicats français d'architectes (UNSFA) a formé un recours contre la décision n° 92-D-06 du Conseil de la concurrence (le Conseil) du 21 janvier 1992 qui lui a infligé une sanction pécuniaire de 2.500.000 F en raison de l'inexécution des injonctions édictées par la décision n° 87-D-53 du 1er décembre 1987 relative à la situation de la concurrence dans le domaine des honoraires d'architectes.

Aux motifs de sa décision, le Conseil a constaté que 1'UNSFA n'avait pas respecté lesdites injonctions :

- en s'abstenant de dénoncer dans un délai de 6 mois les clauses de contrats-types qualifiées d'anticoncurrentielles,

- en laissant subsister dans les nouvelles dispositions qu'elle a soumises au ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, au mois d'avril 1988, des clauses caractérisant une persistance dans les pratiques anticoncurrentielles auxquelles il lui avait été ordonné de mettre fin,

- alors qu'un autre projet produit au Conseil le 13 décembre 1991, en annexe aux observations répondant au rapport établi dans le cadre de la procédure d'inexécution de la décision initiale, très longtemps après l'expiration du délai de 8 mois fixé par l'article 4 de la décision du 1er décembre 1987 et comportant encore, sous une présentation différente, des clauses contrevenant aux mêmes prescriptions, ne pouvait tenir lieu d'exécution de l'injonction.

Dans le mémoire qu'elle a déposé le 3 avril 1991, 1'UNSFA soutient à titre de moyen d'annulation :

- que si elle n'a pas modifié son contrat-type dans les termes précis de l'injonction, les infractions relevées par le Conseil dans la décision initiale n'en avaient pas moins disparu puisque, d'une part une grande publicité a été donnée à ladite décision et qu'elle s'est depuis lors abstenue de diffuser tout formulaire de contrat, d'autre part, les documents soumis à l'approbation de l'Administration comprenant les stipulations critiquées n'étaient que des projets qui n'ont jamais été publiés,

- qu'elle s'est efforcée dans les négociations qu'elle croyait encore possibles avec l'Administration et le Conseil de proposer un contrat-type respectant le droit de la concurrence tout en clarifiant dans l'intérêt des consommateurs le mode de calcul des honoraires d'architectes,

- que le Conseil a déterminé la sanction pécuniaire en fonction de renseignements relatifs à ses ressources financières, fournis par le directeur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dont elle conteste l'exactitude et qui sont tirés d'un document qui ne lui a pas été communiqué.

A titre subsidiaire, le recours vise à la réformation de la décision sur le montant de la sanction pécuniaire qui serait, selon ce qui est soutenu, sans proportion avec la gravité de l'infraction, le trouble porté à la concurrence et les facultés contributives de la requérante.

Dans le mémoire en réplique déposé le 3 juin 1992, l'UNSFA invoque d'autres moyens de nullité tirés, d'une part de l'inapplication des dispositions de l'article 13 du décret du 29 décembre 1986 quant à la compétence exclusive de la commission permanente du Conseil pour constater l'inexécution des injonctions, d'autre part du défaut de communication de l'enquête effectuée sur ce point par l'Administration.

Le Conseil indique dans les observations écrites communiquées à la Cour :

- que les données chiffrées relatives aux ressources de l'UNSFA étaient comprises dans le mémoire que lui a adressé le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes le 27 décembre 1991 et qui a été communiqué à la requérante,

- que s'agissant du non-respect d'une injonction, il ne s'est pas déterminé en fonction de l'effet des pratiques anticoncurrentielles sur le marché, mais s'est attaché à caractériser la gravité de l'infraction au regard de la persistance de l'Union à ne pas vouloir se conformer aux injonctions précédemment données,

- qu'à l'encontre d'une organisation syndicale, il lui est loisible de prononcer une sanction pécuniaire d'un montant maximum de dix millions de francs en prenant notamment en considération, pour apprécier les capacités contributives du contrevenant, outre le montant des cotisations perçues et de ses autres ressources financières, la consistance de ses biens meubles et immeubles ainsi que le nombre de ses adhérents.

Aux termes de ses observations écrites, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet des moyens d'annulation et de réformation invoqués par la requérante, estimant que c'est à bon droit que le Conseil a décidé que l'UNSFA n'avait pas respecté la décision n° 87-D-53 du 1er décembre 1987 et l'a sanctionnée en vertu de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Le ministère public a oralement conclu au rejet du recours en nullité, s'en rapportant à l'appréciation de la Cour sur l'application du principe de proportionnalité au montant de la sanction.

Sur quoi, LA COUR

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987, lorsque la déclaration de recours ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, en faire dépôt au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision attaquée ; que la décision lui ayant été notifiée le 7 février 1992, l'UNSFA a le 5 mars 1992 déposé une déclaration de recours complétée le 3 avril suivant du mémoire contenant l'exposé des moyens invoqués; qu'il s'ensuit que sont irrecevables les autres moyens énoncés dans son mémoire en réplique du 3 juin 1992 ;

Considérant que, dans sa décision n° 87-D-53 du 1er décembre 1987, relative à la situation de la concurrence dans le domaine des honoraires d'architectes, désormais définitive, le Conseil a notamment constaté (art. 2) qu'en tant qu'ils comportent des clauses aboutissant à une détermination chiffrée de la rémunération de l'architecte, les contrats-types publiés et diffusés par 1'UNSFA tombent sous le coup des dispositions de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sans que l'article 51 de ladite ordonnance soit applicable et a, en conséquence, (art. 3) enjoint à cette organisation professionnelle de modifier comme suit, dans un délai de six mois de la notification de la décision, les dispositions des contrats-types qu'elle publie :

1° dans le cahier des clauses générales

a) placer en tête du chapitre consacré à la rémunération l'indication que l'honoraire de l'architecte est librement fixé entre le maître de l'ouvrage et l'architecte ;

b) dans les clauses relatives à l'honoraire au déboursé, supprimer le coefficient multiplicateur ainsi que toute référence chiffrée au montant de la vacation horaire,

c) dans les clauses relatives à l'honoraire au pourcentage, supprimer la formule de détermination de l'honoraire et toutes les indications chiffrées autres que celles concernant l'importance de la mission et la complexité de l'opération,

d) dans les clauses relatives aux frais et aux intérêts moratoires, supprimer toute référence chiffrée ;

2° dans le cahier des clauses particulières : rappeler au chapitre consacré à la rémunération le principe de la libre discussion de l'honoraire entre l'architecte et son client ;

Considérant qu'il était en outre prescrit à 1'UNSFA (art. 4) de communiquer au Conseil, dans un délai de huit mois, les dispositions qu'elle aura arrêtées et diffusées en application de la décision ;

Considérant que l'UNSFA s'est abstenue de dénoncer dans le délai de six mois les clauses des contrats-types qualifiées anticoncurrentielles ; que la publication de la décision dans le BOCCRF ou d'extraits commentés dans des revues professionnelles ne peut être équivalente à une dénonciation et qu'en conséquence, c'est à juste titre que le Conseil a estimé qu'une telle omission constituait en elle-même l'inexécution de l'injonction édictée par l'article 3 de sa décision ;

Considérant qu'il est également avéré que l'UNSFA a maintenu dans le projet de contrat-type, soumis au ministre de l'économie, des finances et de la privatisation le 18 avril 1988, des stipulations qui, conformément à l'analyse exacte et détaillée qui en a été faite par la décision attaquée, comportent des références à des indications chiffrées ainsi qu'à des formules, critères ou coefficients préétablis contraires aux injonctions de la décision du 1er décembre 1987 et qui revêtent un caractère normatif limitant le jeu de la concurrence dans la profession concernée ;

Considérant qu'à tenir pour exacte l'affirmation de l'UNSFA selon laquelle, à compter de la décision du 1er décembre 1987, elle aurait cessé de diffuser des contrats-types et n'a donné aucune publicité au projet soumis à l'Administration, il n'en reste pas moins qu'elle a laissé en possession des architectes, sans les dénoncer, des documents contrevenant aux prescriptions du Conseil et a persisté dans les projets qu'elle a soumis à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, puis au Conseil, postérieurement à l'ouverture de la procédure d'inexécution, à vouloir préconiser des clauses contraires aux injonctions claires, précises et circonstanciées édictées par la décision initiale ;

Considérant que la requérante ne produit aucun document émanant de l'Administration lui laissant croire que des négociations étaient encore possibles, fût-ce dans l'intérêt prétendu des consommateurs, sur la mise en œuvre de clauses de contrats-types dont le caractère anticoncurrentiel avait été clairement établi par une précédente décision contre laquelle elle n'a introduit aucun recours et qui lui a prescrit d'y mettre fin en lui imposant des démarches précises ;

Considérant que par la décision soumise à recours,le Conseil, constatant que l'UNSFA ne s'est pas conformée à sa précédente décision du 1er décembre 1987, a estimé qu'il y avait lieu, par application des dispositions combinées des articles 13 et 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de lui infliger une sanction pécuniaire qui tienne compte à la fois de la gravité de l'infraction et des facultés contributives de cette organisation professionnelle ;

Considérant que la gravité de l'infraction est caractérisée par le comportement, ci-dessus décrit, d'une organisation professionnelle qui, destinataire d'injonctions devenues indiscutables destinées à mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles, s'est abstenue d'y déférer durant quatre années en dépit des observations que lui a adressées l'Administration et de l'ouverture d'une procédure d'inexécution ;

Mais considérant que la décision ne comprend en elle-même aucune indication concernant la situation financière de l'UNSFA, la seule donnée relative à cet élément d'appréciation de la proportionnalité de la sanction se trouvant dans le dernier paragraphe du mémoire adressé le 27 décembre 1991 par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au président du Conseil de la concurrence qui précise que "les ressources de l'Union se sont élevées à 2.775.665 F en 1990 et elle regroupe 45 syndicats départementaux" ;

Considérant que cette donnée chiffrée est tirée du procès-verbal d'audition du trésorier de l'Union, effectué le 17 décembre 1992 par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et duquel il résulte que selon les chiffres fournis par le cabinet comptable de l'UNSFA mais aujourd'hui contestés par elle que, pour l'année 1990, le montant des cotisations s'est élevé à la somme de 1.856.553 F, celui des subventions pour recherches techniques à la somme de 883.671 F et le produit de la vente de documents à la somme de 85.441 F ;

Considérant que ledit procès-verbal fournissant des données comptables sujettes à interprétation ou à contestation n'a été ni produit au Conseil ni communiqué à la requérante, laquelle n'a, en outre, pas eu la faculté de répondre par écrit au mémoire de l'Administration du 27 décembre 1991 ; qu'il s'ensuit que, même si les chiffres aujourd'hui contestés émanent de son propre trésorier, lequel a, en outre, reçu copie du procès-verbal de son audition, l'UNSFA n'a pas été en mesure de faire valoir utilement ses moyens de défense relativement à l'un des critères pris en compte par le Conseil pour apprécier la proportionnalité de la sanction qui lui est infligée ; qu'il s'ensuit que sa décision doit sur ce point être annulée ;

Considérant que, statuant à nouveau sur l'inexécution des injonctions édictées par le Conseil le 1er décembre 1987, la Cour ne dispose pas en l'état d'éléments suffisants et incontestables lui permettant d'apprécier la proportionnalité de la sanction pécuniaire eu égard aux facultés contributives de l'organisation professionnelle en cause ; qu'il convient en conséquence de rouvrir les débats afin de permettre au ministre de l'économie et des finances de rechercher et de soumettre à la Cour tous renseignements relatifs au patrimoine, aux ressources et à la situation financière;

Par ces motifs : Annule la décision prise par le Conseil de la concurrence le 21 janvier 1992, en ce qu'elle a déterminé le montant de la sanction pécuniaire infligée à l'UNSFA pour l'inexécution des injonctions dictées par sa précédente décision du 1er décembre 1987 en violation des dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Statuant à nouveau, surseoit au prononcé de la sanction pécuniaire, ordonne la réouverture des débats et invite le ministre de l'économie et des finances à produire tous les éléments permettant d'apprécier les facultés contributives de l'Union nationale des Syndicats français d'architectes et, notamment, la consistance de son patrimoine mobilier et immobilier, le montant de ses ressources, le montant des cotisations annuellement encaissées et le nombre d'adhérents. Renvoie l'affaire devant le délégué du premier président pour fixation d'une nouvelle date d'audience.