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Décisions

Cass. com., 10 janvier 1995, n° 92-22.113

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sogea Auvergne Limousin (SNC), Société auxiliaire d'entreprises d'Auvergne, Fougerolle France et Cie "Setrac" (SNC), Etablissements Mallet (SA), Lagorsse (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Conseillers :

MM. Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Poullain

Avocats :

Mes Choucroy, Ricard, SCP Piwnica, Molinié

Cass. com. n° 92-22.113

10 janvier 1995

LA COUR : - Joint les pourvois n° 92-22.113 et 93-10.037 qui attaquent le même arrêt : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 1992) que le ministre de l'Economie et des Finances a, en 1990, à la suite d'une enquête de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, saisi le Conseil de la concurrence de faits pouvant être qualifiés de concertations entre entreprises à l'occasion de la passation de marchés publics par la commune de Volvic et le Conseil général du Puy-de-Dôme et pour lesquels les sociétés Socae Auvergne (société Socae) et Sogea Auvergne (Sogea) avaient soumissionné avec d'autres ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 93-10.037 pris en sa première branche : - Attendu que la société Socae fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée alors, selon le pourvoi, qu'en retenant que les entreprises visées avaient, en échangeant des renseignements sur les prix de trois lots sous-traités parmi dix-sept, convenu de coordonner leurs soumissions afin de désigner entre elles la moins disante, toutes les autres déposant des offres illusoires dites "de couverture", tout en constatant que l'échange d'informations qui lui était reproché n'avait au pour objet que les prix de trois des dix-sept lots sous-traités, la cour d'appel de Paris a omis de tirer les conséquences de ses propres constatations, dont il résultait qu'elle n'avait pu, à raison des informations échangées, connaître le montant global des offres présentées par les entreprises générales concurrentes, ni, par voie de conséquence, faire une offre "de couverture", violant ainsi les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'après avoir énoncé que les convergences de prix voulues sur certains lots composant le marché ont des répercussions sur la formation du prix des offres globales qui les intègre même si à ce stade les offres se différencient les unes des autres, l'arrêt constate que les sociétés Socae et la société Mallet avaient donné le nom des sous-traitants qui avaient déclaré n'avoir pas été consultés par ces deux entreprises ; qu'il a relevé, en outre, que des dirigeants des sociétés sous-traitantes, dont les déclarations avaient été confrontées à celles des entreprises générales, étaient à la tête d'entreprises moyennes comportant un personnel de direction restreint et avaient affirmé que les indications données par téléphone faisaient l'objet de confirmations écrites ; qu'à partir de ces constatations, la cour d'appel, a pu statuer comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 93-10.037 pris en sa seconde branche et sur le premier moyen du pourvoi n° 92-22.113 pris en ses deux branches : - Attendu que par ces moyens reproduits en annexe, et qui sont pris de la violation de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur les prix ou d'un manque de base légale, les sociétés Socae et Sogea font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au motif qu'elles avaient créé ensemble, avant de soumissionner, une société an participation non suivie d'exécution, ce qui tendait à établir les faits constitutifs d'entente qui leur étaient reprochés, sans procéder à aucune constatation de nature à établir l'échange d'informations entre elles ;

Mais attendu que, s'il est vrai que la constitution d'une société en participation entre deux entreprises en vue d'exécuter en commun des travaux prévus pour un marché auquel elles vont soumissionner n'est pas en soi constitutif d'une entente illicite, l'arrêt relève en l'espèce que les deux sociétés litigieuses avaient fait des offres distinctes sans aviser le maître de l'ouvrage de leur projet et alors que l'une des deux sociétés faisait une offre à un prix plus bas que celui proposé par l'entreprise avec laquelle elle s'était entendue ; qu'en se décidant par de telles constatations, d'ou il ressortait qu'il n'existait aucune justification à ce rapprochement, sinon une "connivence" en vue de fausser le jeu de la libre concurrence, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs des moyens, lesquels ne sont pas fondés ;

Sur le second moyen du pourvoi n° 93-10.037 pris en ses deux branches : - Attendu que la société Socae reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, que la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de l'entreprise à laquelle sont imputées des pratiques contraires aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doit être proportionnée à la gravité de l'infraction sanctionnée et à l'importance des dommages portés à l'économie du marché de référence ; qu'en retenant, pour la condamner à une sanction pécuniaire d'un montant de 2 500 000 francs, à raison de pratiques relatives à deux marchés distincts, conclus d'une part par la ville de Volvic et d'autre part par le Conseil général du Puy-de-Dôme, que cette entreprise aurait commis des pratiques illicites sur ces deux marchés, sans apprécier la proportionnalité de la sanction au regard de la gravité de chacune des infractions sanctionnées et des dommages qu'elles auraient porté à l'économie de chacun des marchés considérés, la cour d'appel de Paris a méconnu les dispositions des articles 7 et 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; alors que la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de l'entreprise à laquelle sont imputées des pratiques contraires aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doit être proportionnée au dommage causé à l'économie du marché de référence ; qu'en se bornant à déclarer, pour confirmer la sanction de 2 500 000 francs prononcée par le Conseil de la concurrence à son encontre, que le dommage à l'économie est présumé par l'existence d'une entente et qu'il "ne résulte pas seulement de l'incidence effective de la fraude sur le prix d'adjudication ou du montant du marché mais s'apprécie notamment en fonction de l'atteinte à la concurrence par de tels comportements", sans préciser quelle avait pu être en l'espèce, l'influence des pratiques constatées sur les marchés conclus par la ville de Volvic et le Conseil général du Puy-de-Dôme, et sans rechercher, notamment, si cette incidence n'était pas insignifiante compte tenu, tant du faible nombre des lots sous-traités qui auraient fait l'objet d'échanges d'informations et de la valeur réduite de ces lots au regard du montant total du marché, que du nombre des entreprises soumissionnaires aux deux marchés, la cour d'appel de Paris a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 7 et 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que le dommage à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie, l'arrêt relève que la société Socae s'était concertée avec les entreprises concurrentes pour trois lots concernant le marché passé par la ville de Volvic, ainsi qu'avec la Société Sogea pour les travaux commandés par le Conseil général du Puy-de-Dôme et dont le montant global s'élevait à quatre vingt huit millions de francs ; que s'étant référée au chiffre d'affaires de la société Socae et à l'importance du dommage que les pratiques dénoncées avaient porté à l'ordre public économique, la cour d'appel qui a procédé à la recherche prétendument omise, a souverainement décidé que le montant de la sanction pécuniaire prononcée par le Conseil de la commission était proportionné aux critères de référence; que le moyen pris en ses deux branches n'est pas fondé ;

Mais sur la seconde branche du second moyen du pourvoi n° 92-22.113 : - Vu l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Attendu que pour déterminer le chiffre d'affaires applicable à la société Sogea, la cour d'appel a relevé qu'il ne pouvait être tenu compte ni du seul chiffre d'affaires réalisé par la seule agence commerciale Puy-de-Dôme, cet établissement secondaire n'étant pas assimilable à une entreprise, ni d'une opération d'apport d'actifs projetée par la société après la conclusion des marchés publics en cause ;

Attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans vérifier de façon concrète, à l'aide des éléments de preuve que devait lui fournir la société Sogea, si l'agence avait bénéficié ou non pour l'ensemble des marchés publics, qu'elle traitait au nom de la société Sogea, y compris pour le marché considéré, de l'autonomie commerciale, financière et technique dans la zone économique concernée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première et sur la troisième branches du pourvoi n° 92-22.113 : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté le recours de la société Sogea Auvergne-Limousin à l'encontre de la décision n° 92-D-31 du Conseil de la concurrence l'ayant condamnée à une sanction pécuniaire de deux millions cinq cent mille francs, l'arrêt rendu le 1er décembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.